Droit patrimoniaux de l’auteur : caractère, définition…

Les droits patrimoniaux : Définition, caractères, cession

Les droits patrimoniaux aussi appelés droits pécuniaires, sont concrétisés par le monopole d’exploitation détenu par l’auteur sur son œuvre. Ils sont la matérialisation de la vocation de l’auteur à tirer des profits de l’exploitation de la diffusion de son œuvre. Ces droits sont les plus anciens puisque certains d’entre eux étaient reconnus dès la révolution française, nous l’avons vu dans le chapitre introductif. Ils assurent à l’auteur un pouvoir juridique exercé directement sur une chose et permettant de retirer tout ou partie de ses utilités économiques.

Le droit pour l’auteur d’exploiter ou de faire exploiter son œuvre est rendu possible grâce à un monopole étendu, mais ces seules prérogatives sont insuffisantes, le créateur bénéficie d’un pouvoir de négociation restreint en raison de son manque de compétence et de son poids économique négligeable. La loi prévoit en conséquence un cadre strict pour l’exercice des droits patrimoniaux. L’exploitation autorisée est celle de l’œuvre et non celle de l’auteur. Nous allons donc commencer par envisager l’étendue des droits patrimoniaux, dans un paragraphe premier avant de nous attarder sur les conditions de mise en œuvre de ces droits.

§1 – Le caractère des droits patrimoniaux

Le monopole confié à l’auteur est large. D’aucuns s’insurgent contre ces prérogatives. Selon eux, elles entraînent une hausse de prix et une baisse de la disponibilité des produits qui aboutit à une restriction excessive de la diffusion des connaissances. Après l’étude des caractères communs aux droits patrimoniaux, nous les détaillerons dans leur diversité puis nous constaterons que la protection est d’autant plus forte que les droit s‘appliquent quel que soit l’usage de l’œuvre.

Commençons donc par envisager les caractères généraux des droits patrimoniaux. Le monopole de l’auteur s’étend à toute exploitation de l‘œuvre quelle que soit sa forme. Les droits patrimoniaux sont exclusifs. Ils s’apprécient négativement : l’auteur a le droit d’interdire, il a la faculté de s’opposer aux atteintes ; mais ils peuvent aussi être exercés positivement. L’ayant droit a le pouvoir d’utiliser l’œuvre pour son propre compte ou d’autoriser à un ou plusieurs tiers des exploitations selon sa volonté.

L’exclusivité accordée à l’auteur est d’autant plus réelle qu’ils portent sur la plupart des usages de la création et qu’ils sont reconnus quasi universellement. Ils sont d’ailleurs autonomes les uns par rapport aux autres. L’auteur peut déléguer l’exercice de ses droits. Comme nous l’avons évoqué, ils sont non seulement transmissibles à cause de mort, mais aussi transmissibles entre vifs. En revanche, l’exclusivité est limitée dans le temps. Les droits patrimoniaux sont temporaires.

Revenons tout à tour sur chacun de ces caractères.

Tout d’abord le droit exclusif, l’exclusivité des droits ou monopole se manifeste à travers deux constats. D’abord c’est l’auteur qui décide en toute souveraineté des principes et des modalités de l’exploitation de sa création. La première publication n’emporte pas pour conséquence l’autorisation de publications postérieures, l’accord de l’auteur sera à chaque fois nécessaire. D’autre part, c’est à lui que doit revenir en principe le produit de l’exploitation de l’œuvre.

Le premier constat doit cependant être nuancé. Il existe en France et parfois de manière plus marquée dans d’autres pays, une dissociation entre l’exercice du droit et la rémunération. En effet, dans certains cas, la mise en place d’une licence obligatoire ou licence légale permet à quiconque d’exploiter une œuvre divulguée par son auteur. Seul le droit à rémunération lui demeure accordé. Une fois prise la décision de divulguer l’œuvre, l’auteur ne peut plus imposer sa volonté quant à l’étendue de la diffusion. Il peut seulement percevoir des revenus, le plus souvent fixés par les pouvoirs publics ou par des accords collectifs. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces situations dérogatoires au principe général de l’exclusivité.

Second caractère : le droit d’application étendu. En dehors des exceptions aux droits de reproduction pour courte citation, le monopole de l’auteur est atteint quelle que soit la taille ou la durée de sa contribution. La comparaison avec l’importance totale de la création n’est pas efficiente. De surcroît, la situation juridique dans laquelle se trouve le support de la création n’a aucune influence sur le droit d’auteur. Par extension, le mode d’accès à l’œuvre est sans incidence. La disponibilité d’une œuvre ne présume pas d’une autorisation d’utilisation à titre personnel ni a fortiori, d’exploitation de la création. Les réseaux internationaux comme Internet, ne sont pas les décharges de créations librement appropriables. La gratuité d’accès à une œuvre de l’esprit ne dispense pas à l’exploitant de respecter les prérogatives de l’auteur.

Les droits patrimoniaux s’imposent aussi dans le cas des œuvres dérivées. La réalisation d’une œuvre composite mobilise le droit de reproduction de l’œuvre première. A fortiori, la solution s’applique à son exploitation, l’œuvre absorbée est une création dans la création. Les droits patrimoniaux mis en œuvre sont doubles. La mise en œuvre des droits patrimoniaux sur une œuvre seconde met automatiquement en œuvre les mêmes droits sur l’œuvre première.

Troisième caractère : ces droits sont pratiquement universels. En effet, contrairement au droit moral, les droits patrimoniaux sont reconnus par toutes les conventions internationales portant sur le droit d’auteur. Je vous renvoie aux sources du droit d’auteur pour plus de détails. En pratique, la quasi-totalité de la communauté internationale les applique. Même les pays connaissant un régime autoritaire d’extrême droite comme d’extrême gauche se mettent à les respecter. La seule réserve concerne le droit de suite qui, comme nous le verrons, est encore peu développé.

Quatrième caractère, il s’agit de droits autonomes. Ces droits sont indépendant les uns des autres. Chaque prérogative peut être exercée seule. La cession de certains de ces droits n’emporte pas cession des autres. De surcroît toute cession doit être interprétée de façon restrictive, nous reviendrons ultérieurement sur cette notion.

Cinquième caractère, il s’agit de droits cessibles. A la différence des droits moraux, en effet, les droits patrimoniaux peuvent être cédés. L’auteur manifeste alors les droits d’usage exclusif accordé à un cocontractant ; ou simplement concédés : l’auteur accorde au concessionnaire un simple droit d’usage sans exclusivité. La cession est le plus souvent réalisée à titre onéreux, c’est pourquoi on nomme aussi les droits patrimoniaux : droits pécuniaires. Mais le principe de cessibilité connaît des limites. En effet, le droit de suite qui est une prérogative du droit patrimonial est inaliénable. Par ailleurs, les conditions de la cession sont strictement encadrées par la loi. Si l’auteur peut pratiquement faire ce qu’il veut, il ne peut pas le faire comme il veut. Ensuite l’auteur ne peut pas céder globalement ses œuvres futures. Enfin, à sa mort, l’auteur se voit imposer des règles successorales auxquelles il ne peut déroger. Il se voit notamment contraint de respecter les règles relatives à la réserve héréditaire et le principe de prohibition des pactes sur succession future.

Dernier caractère des droits patrimoniaux, il s’agit d’un droit temporaire. En effet, pour éviter que le monopole accordé à l’auteur ne lui confère un avantage exclusif et ne pèse indéfiniment sur la liberté d’accès aux œuvres qui sont des éléments primordiaux du patrimoine culturel, les droits patrimoniaux sont limités dans le temps. Ainsi, passé une certaine durée, on considère que l’œuvre tombe dans le domaine public, c’est à dire que l’usage par les tiers en sera alors libre et gratuit. La durée de cette protection peut varier suivant les pays et les types d’œuvre. Comme nous l’étudierons à la fin de cette leçon, le droit patrimonial dure en principe la vie de l’auteur plus soixante-dix ans après sa mort. Pour cette dernière période les droits sont transmis aux héritiers de l’auteur.

§2 – La licéité du transfert des droits

Nous avons, dans la leçon précédente défini ce qu’étaient les droits patrimoniaux, envisageons maintenant dans un paragraphe second la façon dont ils peuvent être mis en œuvres. Le monopole octroyé à l’auteur l’autorise à exercer lui-même l’exploitation de sa création puis à en retirer les fruits. Pourtant la prérogative est rarement employée. Les modes de diffusion des oeuvres requièrent des compétences, un financement souvent hors de portée des créateurs. Trop occupé par les tâches de création, l’auteur, le plus souvent passe un contrat avec un exploitant, par exemple, un éditeur ou un entrepreneur de spectacle. C’est ce co-contractant qui prendra en charge la diffusion de l’œuvre et sa communication au public. La conclusion d’un contrat est donc pour l’auteur une nécessité. En conséquence, le processus normal d’exploitation passe par la cession de tout ou partie des droits patrimoniaux de l’auteur au près d’un co-contractant. Ce dernier se voit confié par l’auteur le soin de diffuser sa création.

Mais dans cette relation juridique, il a besoin d’être protégé car l’auteur est souvent profane en la matière et fréquemment dans une situation de fragilité économique. Le CPI est donc très protecteur à son encontre, il défend les intérêts de l’auteur et parfois à tel point, nous le verrons, que l’on peut se demander s’il le considère comme étant sain d’esprit.

Le transfert des droits est donc une opération licite, nous commencerons par envisager ce caractère et sa mise en œuvre droit répondre à des critères précis, nous envisagerons dans un second temps ces différents critères.

La cession, le transfert des droits est une opération licite. L’auteur peut librement céder ses droits patrimoniaux. Mais dans notre système juridique, la démarche est rigoureusement encadrée pour préserver le caractère humaniste du droit d’auteur et éviter une éviction pure et simple du créateur. Les contraintes qui en découlent pour l’exploitant sont vivement décriées par ces derniers. Sous des prétextes économiques ils exercent une pression pour condamner le droit d’auteur et amorcer un rapprochement avec les traditions de copyright tel que le connaissent les États Unis qui, selon l’expression consacrée ne perd pas une grande différence entre une symphonie et une paire de baskets.

Le droit moral est assimilé à un droit de la personnalité, il est donc extrapatrimonial par essence, nous le verrons par la suite, il n’est donc pas cessible. Dans le droit d’auteur, seuls les attributs d’ordre patrimoniaux peuvent faire l’objet d’une cession. La cession du droit d’auteur est une opération à géométrie variable. Le législateur n’a pas défini la nature du transfert mais la cession n’est pas un transfert pur et simple. L’auteur reste attaché au sort de l’exploitation de sa création. Pourtant les tribunaux ont reconnu la licéité d’un contrat de vente de logiciel. Le transfert des droits conférait alors une propriété qu’il est possible de démembrer à l’instar de la propriété corporelle ou d’acquérir en pleine propriété. Comme l’énonce aujourd’hui le CPI, l’œuvre elle-même n’est pas cédée, seuls les droits sur cette dernière sont cessibles.

Quelle que soit l’étendue des droits cédés, le créateur doit donner à l’exploitant les moyens matériels de mettre en œuvre ses droits. L’auteur est soumis à une obligation de délivrance d’un support de la création par application de l’article 1604 du Code civil. La délivrance et le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur. Cette obligation procède de l’article L132-9, alinéas 1 et 2 du CPI en matière de contrat d’édition. En revanche et sauf disposition contractuelle contraire, le créateur n’est pas obligé de remettre l’exemplaire original de l’œuvre. D’ailleurs la cession des droits ne s’accompagne pas obligatoirement du transfert de propriété du support initial. Fréquent en cas de commande, le transfert du support initial est au contraire rarement constaté quand l’œuvre est préexistante.

Le transfert des droits patrimoniaux est strictement encadré, il est en effet nécessaire de défendre l’écrivain ou l’artiste souvent mal renseigné ou insoucieux de ses droits contre l’habileté praticienne parfois excessive de certains exploitants.

« L’auteur évolue dans un milieu hostile que certains n’hésitent pas à qualifier de faune marécageuse des arts et des lettres. » Cette expression est de monsieur Péridier, parlementaire de son état.

Le déséquilibre dans le rapport de force entre l’exploitant et le contributeur transformerait en effet rapidement les conventions en contrat d’adhésion, dépouillant définitivement et sans contrepartie consistante les droits de l’auteur. En conséquence, le créateur est surprotégé, il est assimilé à un irresponsable comme un mineur ou un incapable majeur. La liberté contractuelle est donc réduite pour rééquilibrer le rapport de force. L’offre de création est souvent supérieure à la demande, un équilibre par les prix dans le cadre d‘un marché concurrentiel est incompatible avec la conception humaniste du droit d’auteur.