Les caractères et les catégories du dommage réparable

Le dommage réparable (caractères et catégories de dommages )

C’est une atteinte portée à autrui dans sa personne ou dans sa fortune. C’est une condition essentielle de la Responsabilité Civile qui est conçue comme la première de la RESPONSABILITÉ CIVILE DÉLICTUELLE. Sans préjudice, pas de réparation, article 1382 code civil.

Faut-il parler de dommage ou de préjudice. En théorie il est possible de distinguer les 2 notions. Le dommage est la lésion, c’est l’élément factuel, le préjudice est lui la conséquence de cette atteinte et il relève du droit, c’est la traduction juridique du dommage. N’importe quel dommage n’est pas civilement réparable.

Section 1. Les catégories de dommages réparables.

La tendance actuelle est à la multiplication des préjudices et des postes de préjudices réparables. On distingue entre dommages patrimoniaux et extrapatrimoniaux.

  • &1. Les atteintes aux biens.
  • Le dommage matériel et le dommage économique.
  • Le dommage matériel recouvre toutes les atteintes au droit patrimonial que subit la victime (biens meubles ou immeubles).
  • La perte subie, éprouvée : un bien a été détruit, la victime a droit à la somme nécessaire pour le remplacer. On peut aussi demander réparation des dommages accessoires causés par l’immobilisation de son bien (mon véhicule est détruit, je suis obligé de louer un véhicule je peux aussi être dédommagé des frais de location). Ce dommage peut aussi résulter d’un gain manqué en raison du fait dommageable, ce gain manqué est réparable.
  • Le dommage économique : ce sont les atteintes à la fortune de la victime qui résultent de pertes d’argent dans le cadre d’activités professionnelles ou lucratives. Ils résultent d’une atteinte portée à l’activité économique d’une personne. Un hôtelier de bord de mer, et en raison d’une pollution, il y a annulation de toutes les réservations, il subit une perte économique dont il pourra être indemnisé.
  • &2. Les atteintes à la personne.

Le dommage corporel permet de recouvrir la plupart des atteintes à la personne.

En l’absence d’atteinte à l’intégrité physique, certaines souffrances morales peuvent être réparées.

A) Le dommage purement moral.

Il a fait l’objet de controverses aujourd’hui éteintes. Le dommage étant extrapatrimonial il a pu apparaitre choquant qu’on le considère. L’argent obtenu ne rend pas son honneur, n’efface pas la douleur, ne fait pas disparaitre une cicatrice psychologie. Mais en droit une larme peut se monnayer. Comment chiffrer un tel dommage moral.

Est considéré comme réparable, l’atteinte à la réputation, à un sentiment, à la pudeur.

Il y a un développement du préjudice d’angoisse. Peut-il résulter de l’atteinte à un bien, cela a été admis exceptionnellement (pour choses inanimées, comme choses de collection, tableau de maître). On admet aussi le préjudice moral en raison de la perte d’une chose animée, arrêt Lunus (16/01/1962), la mort d’un cheval peut ouvrir droit à réparation en raison de la douleur morale de son propriétaire. La réparation de la douleur ressentie à la mort d’un animal est admise. Certains projets sont plus nuancés, l’art.67 du projet Terré limite ce droit à réparation d’un préjudice d’affection « la réparation d’un préjudice d’affection est limitée à une double exigence, il faut que le dommage ait été commis intentionnellement et que cela ait créé un trouble grave ».

B) le dommage corporel.

Résulte de l’atteinte à l’intégrité physique de la personne, qui entraine de nombreux préjudices, aussi bien moral que patrimonial.

On observe une diversification des chefs de préjudice. Selon Letourneau, il y a une prolifération excessive, qu’il explique par :

  • L’accroissement de l’attention au désir des individus, toute frustration devient préjudice.
  • La logique du marché qui pousse à la multiplication des biens, tout vaut tant, tout devient une marchandise.

Cette diversification pose des difficultés pour identifier les préjudices qui peuvent être réparés. La cours de cassation dans son rapport de 2004 avait exprimé le souhait que la réparation des victimes soit améliorée, elle avait établi une nomenclature.

2 rapports ont été réalisés pour établir une typologie des différents chefs de préjudices :

  • Rapport Lambert-Faivre
  • Commission Dintilhac, rapport qui sera retenue, elle n’a pas de valeur législative mais influence de façon déterminante la jurisprudence. Les juges sont invités à s’y référer.

1) Les conséquences patrimoniales du dommage corporel.

Sont réparables toutes les conséquences patrimoniales qui résultent d’une atteinte corporelle à la personne. Frais d’hospitalisation, frais médicaux, frais d’expertise, d’avocat, incapacité partielle ou totale, temporaire ou permanente. La victime va perdre des revenus. La commission Dintilhac a identifié 10 postes de préjudices réparables.

La nomenclature distingue préjudices temporaires et permanents (évalués après consolidation).

3 types de préjudices patrimoniaux temporaires :

  • Dépenses de santé actuelles.
  • Frais divers, déplacements, assistance expertise, etc.
  • Pertes de gain professionnelles actuelles (pertes de salaires subies jusqu’à la consolidation).

7 types de préjudices patrimoniaux permanents donc après consolidation :

  • Dépenses de santés futures
  • Frais de logement adapté
  • Frais de véhicule adapté et de déplacement
  • Pertes de gains professionnels futurs
  • Préjudice scolaire, universitaire ou de formation (prise en compte du retard pris dans la formation de la victime).

2) Les conséquences extrapatrimoniales du dommage corporel.

Il peut ainsi y avoir des préjudices moraux. La victime souffre de désagréments. Ces préjudices se sont diversifiés.

  • Le prix de la douleur, réparation des souffrances physiques endurées.
  • Le préjudice esthétique
  • Le préjudice d’agrément. Initialement les juges adoptaient une conception élitiste, ce préjudice résultait de la privation pour la victime d’exercer une activité particulière dans laquelle elle avait atteint un certain niveau. Progressivement cette conception s’est élargie en 2 temps :

o Étendue à la perte de possibilité d’exercer une activité de loisir qu’on pratiquait habituellement quel que soit le niveau atteint.

oPuis la jurisprudence a admis la réparation des joies légitimes qu’on peut attendre de l’existence, la privation des joies usuelles de la vie.

oDans les années 2000 il y a eu un retour à une conception plus stricte, par les assemblées plénières des 19/12/2003 et 28/05/2009. Il faut un préjudice subjectif précis et il faut prouver que la personne exerçait bien telle ou telle activité.

  • Le préjudice sexuel, il est très large. Il comprend tout ce qui concerne la sphère sexuelle, le préjudice morphologique, le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même (plaisir libido), le préjudice lié à l’impossibilité de procréer.
  • Le préjudice d’établissement (initialement inclus dans celui d’agrément ou sexuel), c’est la perte d’espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale. Apprécié au regard de l’âge de la victime.
  • Le préjudice de contamination. La cassation l’a admis lorsque la victime a été contaminée par exemple par le SIDA ou l’hépatite C, maladies évolutives. 2èmeciv. 04/07/2013 décide que peu importe que le préjudice de contamination ait pris fin par la guérison, il est indemnisable au regard des angoisses notamment. Est-il réparable si la personne ne sait pas qu’elle est contaminée, des proches pouvant dissimuler un tel pronostique : ex de personne qui décède en 2009 après 25 ans de contamination VIH et Hépatite C sans en être au courant, la cassation a refusé la réparation au regard de l’ignorance de la personne.
  • Le préjudice d’angoisse ou d’anxiété. Reconnu d’abord par la cour d’appel de Paris dans le cas d’une personne à qui on a appris qu’elle était porteuse d’une sonde cardiaque potentiellement défectueuse ; ce préjudice tend aussi à être reconnu par la chambre sociale de la cour de cassation (arrêt de 2010), au profit de salariés victimes de l’amiante, au motif qu’ils se trouvaient dans une situationd’inquiétude permanente (Facteur déterminant). La condition de contrôle et d’examen préalables a été abandonnée. Ce préjudice répare l’ensemble des troubles psychologiques liés aux conditions d’existence. Il relève aujourd’hui des préjudices lié aux pathologies évolutives.

Dans la nomenclature Dintilhac, sur les préjudices extrapatrimoniaux permanents il y a 6 postes :

  • · Le déficit fonctionnel permanent (répare atteintes aux fonctions physiologiques, les troubles de l’existence, la perte d’autonomie).
  • · Le préjudice d’agrément.
  • · Le préjudice esthétique permanent.
  • · Le préjudice sexuel.
  • · Le préjudice d’établissement.

Section 2. Les caractères d’un dommage réparable.

Le code civil n’apporte aucune précision sur les caractères du préjudice, seule la jurisprudence en exige certains, notamment 4 pour être réparable :

  • Le dommage doit être direct, licite, personnel et certain.
  • &1. Un dommage certain.

Il ne doit pas exister de doute sur son existence. S’il est hypothétique ou qu’on n’est pas sûr qu’il se produise le préjudice ne peut pas être réparé.

2 situations particulières où le préjudice sera réparé malgré tout :

  • La perte de chance : le droit admet l’indemnisation du dommage potentiel qui résulte de probabilités suffisante, donc réparation du dommage probable. On indemnise dès lors qu’un préjudice est certain sur la base d’un calcul de probabilité. Exemple : à la veille d’un partiel, un étudiant est renversé par un véhicule et ne peut pas passer son partiel, mais il n’est pas certain qu’il aurait réussi son partiel, c’est donc une perte de chance. Si un avocat ne fait pas appel dans les délais, le plaideur perd aussi une chance.

oL’étendue de la réparation d’une perte de chance : le principe est que la réparation dépend de la chance perdue, la réparation ne peut donc être égale au bénéfice qu’aurait produit la chance si elle s’était réalisée. On ne répare qu’une probabilité. C’est seulement une appréciation. Pour que la perte de chance soit réparable on admet que la probabilité que se produise la chance doit être importante. Arrêt 1er/09/1999 victime demande réparation de sa perte de chance de devenir juriste internationale à cause d’un accident, mais elle n’avait entrepris aucune étude juridique, la chance est donc nulle. Arrêt 16/01/2013 des clients reprochent à leur avocat de ne pas avoir interjeté appel d’un jugement les condamnant, or la chance de gagner était faible et le fond n’a pas indemniser, mais la cassation a dit que la perte d’une chance même faible était indemnisable ; serait-ce une évolution vers plus de souplesse, on en discute encore.

  • Le préjudice futur : l’indemnisation en est admise si ce préjudice est certain. Exemple incapacité permanente d’une personne, elle obtiendra une indemnisation en fonction de son préjudice futur.
  • &2. Un préjudice licite.

Il faut qu’il porte atteinte à un intérêt légitime juridiquement protégé. Ceci conduit à écarter les demandes de réparation lorsque le préjudice entraine la perte d’intérêts illicites (avant-projet Catala article 1243). Il faut donc que le préjudice lèse un intérêt licite et pas illicite.

L’évolution de la société conduit les juges a reconnaitre la licéité de dommages qui autrefois étaient considérés comme illicite. Avant on refusait la réparation du dommage causé à une concubine par le décès de son concubin, le concubinage n’était pas alors admis. La cour de cassation par son arrêt veuve Gaudras contre Dangereux a pour la 1èrefois admis que la concubine bénéficiait d’un intérêt légitime juridiquement protégé. On admet aussi le préjudice subi par la maitresse lorsqu’i y a un caractère stable de la relation.

Certains dommages ne sont pas juridiquement réparables en eux-mêmes. La question s’est posée si la naissance d’un enfant pouvait constituer un préjudice. Est-ce réparable pour les parents. Dans le cas de la femme enceinte, en application de la loi de 1975 qui autorise l’interruption volontaire de grossesse, une radio révèle que l’enfant est toujours là et vivant après une IVG, la femme demande réparation, en 1991 la cassation rejette la demande au motif que l’existence d’un enfant que la mère a conçu ne peut constituer pour sa mère un préjudice réparable.

Pour l’enfant lui-même, sa propre naissance peut-elle être un préjudice réparable ; affaire Nicolas Perruche en 1982, la fille Perruche contamine sa mère avec la Rubéole, la mère fait un test et précise au médecin que si elle est contaminée elle fera une IVG, l’examen se révèle négatif mais 15 jours plus tard un autre examen se révèle positif et le médecin lui dit de se référer au premier résultat. Lorsque Nicolas nait il est lourdement handicapé et la mère décide au nom de son enfant d’assigner le médecin, le laboratoire et l’assureur en justice, la cassation leur donnera raison, au motif que l’enfant pouvait se prévaloir de la réparation du préjudice résultant de son handicap, cet arrêt sera interprété dans le sens où on pouvait se prévaloir d’un préjudice du fait de sa naissance. La loi du 04 mars 2002 a condamné cette solution, L’article 114-5 du code de l’action sociale et des familles « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du fait de sa naissance ».

Il y a une limite au fait de se prévaloir d’un préjudice du fait de la naissance, c’est les circonstances, comme l’enfant issu d’un viol. C’est ici la réparation des circonstances qui entourent la naissance.

  • &3. Un dommage personnel.

Avant réparation il faut une victime d’un dommage. Il faut, pour être victime, avoir la personnalité juridique (né vivant et viable). L’enfant seulement conçu mais pas né peut subir un préjudice par la faute d’un tiers ; le principe général ici considère que l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt (valable aussi en droit des successions).

La victime peut être une personne physique ou morale. Le dommage corporel ne peut atteindre que les personnes physiques.

Est-ce qu’une personne morale peut subir un préjudice moral, la réponse est OUI. Arrêt chambre commerciale du 15/05/2012 (clause de non concurrence non respectée + dénigrement). Ici ce qui est visé est bien un préjudice économique sous couvert d’un préjudice moral.

La victime peut être directe ou indirecte :

  • Directe : celle à qui le dommage est directement causé
  • Victime par ricochet : personne qui subit un dommage par contrecoup du dommage subi par une autre personne avec laquelle elle a des liens particuliers (épouse, enfants, parents…). Initialement la jurisprudence exigeait un lien de parenté et progressivement elle s’est détaché de ces exigences, il suffit désormais de démontrer un lien particulier avec la victime directe. Les préjudices réparables ici, peuvent être pécuniaires (perte pécuniaire), moral (préjudice d’affection, réparable ; initialement la jurisprudence exigeait que la victime immédiate soit décédée ou que le préjudice soit très grave, puis elle a assoupli sa position, désormais, ce préjudice est réparable tant en cas de mort que de survie de la victime). La commission Dintilhac ventile ces préjudices selon que la victime est décédée et selon la survie de la victime directe.