Les causes d’exonération de responsabilité civile

Les causes d’exonération qui font disparaitre le lien de causalité 

 
   La responsabilité civile suppose un dommage, un fait générateur aussi un lien de cause à effet direct entre le fait dommageable et le préjudice. Le fait doit avoir provoqué le dommage.C’est le lien de causalité.

 

Dans certains cas, il y a un dommage et un fait générateur mais pas de lien de causalité car il existe une cause d’exonération de responsabilité. La force majeure, le fait d’un tiers ou la faute de la victime exonère totalement l’auteur du dommage :

  • La force majeure est un fait extérieur, imprévisible et irrésistible.
  • Le tiers est une personne étrangère à l’activité du responsable et dont le fait présente les mêmes caractéristiques que la force majeure.
  • Le fait de la victime s’il présente les mêmes caractéristiques que la force majeure exonère également en totalité. L’auteur d’une faute n’est tenu de réparer que les préjudices qui sont la conséquence de sa faute.

    La victime doit donc prouver un lien de causalité entre le dommage et la faute

 

Nous allons donc étudier le lien de causalité (une des 3 conditions de la responsabilité) et les cas où le lien de causalité ne peut être établi… dans ce cas on parle de causes exonératoires de responsabilité.

 

 Section 1. Détermination du lien de causalité.

 L’auteur d’une faute n’est tenu de réparer que les préjudices qui sont la conséquence de sa faute.

La victime doit donc prouver un lien de causalité entre le dommage et la faute.

 

Partir à la recherche des causes du dommage. Lien de cause à effet. Il n’ y a pas vraiment de problème lorsqu’un seul fait est à l’origine d’un dommage. Par contre c’est plus compliqué lorsque plusieurs causes expliquent le dommage.

Il y a souvent une chaîne d’évènements, comment donc sélectionner l’évènement causal.

 

 

A. Exposé du problème.

Un piéton traverse un passage protégé et est blessé, il est hospitalisé et est contaminé par le VIH à la suite de transfusion. L’auteur de l’accident est-il aussi responsable de la contamination ?

Un grand-père laisse dans la pièce où jouent ses petits-enfants une arme chargé, un enfant manipule l’arme et en blesse un autre. Le grand-père est-il responsable de l’accident.

Dans ces 2 cas le lien de causalité a été retenu.

Un vendeur vend des pétards, un mineur jette des pétards dans un ventilateur et crée un incendie dans une usine. Le vendeur est-il responsable ?

Ici le lien de causalité n’est pas retenu.

Quels sont les critères de définition ?

3 théories élaborées par la doctrine :

  • · Théorie de la causa proxima : ne serait juridiquement causal que l’évènement le plus proche du dommage, le dernier en date. Cette théorie est généralement écarté par la jurisprudence.
  • · Théorie de l’équivalence des conditions : formulée par Von Buri, elle se caractérise par un refus d’opérer une sélection des causes. Toutes les causes seraient équivalentes, en l’absence d’une seule des causes, le préjudice ne se serait pas produit. Condition très souple, qui permet une réparation plus facile de la victime.
  • · Théorie de causalité adéquate, défendu par Von Bar et Von Kries. Elle opère un tri entre les évènements qui précèdent le dommage. Il faut rechercher les causes qui rendaient le dommage prévisible. Cette théorie restreint le nombre de causes et écarte celles qui sont trop lointaines. Le projet Terré prend plutôt partie en son article 10 pour cette théorie.

La jurisprudence refuse de s’enfermer dans l’une ou l’autre des théories.

B. la preuve du lien de causalité.

C’est au demandeur de prouver le lien de causalité. Il faut une preuve de la causalité.

Les présomptions de causalité : dans certains cas, il est difficile d’apporter la preuve d’un lien de causalité. Cas du vaccin contre l’hépatite B (sclérose en plaque), aucun lien scientifique certain n’est pour l’heure établit. Initialement les actions étaient rejetées, puis la cour de cassation va alléger la charge de la preuve et admettre que soit retenu le lien de causalité en présence de présomptions graves, précises et concordantes (présomption de causalité). Cela laisse un large pouvoir d’appréciation aux juges du fond. C’est ainsi une loterie judiciaire à laquelle sont soumises les victimes.

2ème hypothèse : lorsque le dommage est causé par une personne non identifiée au sein d’un groupe connu. Il est certain que le dommage émane de l’une des personnes d’un groupe défini, mais il est impossible de l’identifier précisément. 3 exemples :

· Un groupe de chasseur tire dans la même direction avec le même calibre et tue un des chasseurs. Qui est l’auteur ?

· Une bagarre générale aboutit au décès d’une personne ; qui a porté le coup fatal ?

L’alternative est la suivante :

· On condamne tout le groupe ; ici on admet la responsabilité de personnes qui pourtant ne sont pas responsables.

· Personne n’est déclaré responsable, en l’absence de preuve rapportée, c’est la victime qu’on sacrifie, alors qu’il est sûr que le dommage vient d’un des membres.

La cassation, donc la jurisprudence, a ainsi admis une présomption de causalité entre le fait et chacun des membres du groupe, chacun est ici tenu de réparer la  victime. On considère qu’il y a une faute commune, mais chacun des membres du groupe peut renverser la causalité en démontrant qu’il n’est pas l’auteur du dommage. Le projet Terré semble favorable à cette théorie (art.12 : lorsqu’un dommage est causé par un membre indéterminé d’un groupe agissant de concert, chacun en répond pour l’autre.). Exemples :

· Pour les accidents de chasse, la responsabilité collective est admise. Théorie développée de « la gerbe unique » (groupe des plombs tirés, mis en commun). L’exception peut jouer, ainsi un chasseur « qui se trouve loin » de son fusil peut prouver qu’il n’est pas responsable (exemple un chasseur utilise un calibre différents des autres).

· Dans le cas d’un groupe organisant une expédition punitive visant à tuer une personne : cette expédition a lieu, mais impossible d’identifier l’auteur réel, le juge a retenu la responsabilité collective, car la mort de la victime a eu pour origine la volonté commune du groupe (théorie civile) – arrêt du 02 avril 1997.

Par une personne non identifiée (hors groupe), affaire du Distilbène ; médicament prescrit à des mères durant leur grossesse (dans les années 40 afin d’éviter les fausses couches) ; ce sont révélés des effets néfastes, les filles ont été frappées de stérilité et ont développé des cancers. Ici il n’y a pas de débat, de doute sur ces effets néfastes, mais les victimes se trouvaient dans l’impossibilité d’identifier le laboratoire qui avait fabriqué ce produit, car plusieurs laboratoires fabriquaient cette molécule. 2 Arrêts 1ère civ. du 24/09/2009, la Cour de Cassation va faciliter la preuve du lien de causalité, elle a retenu que les victimes devaient simplement démontrer qu’elles avaient été exposées à la molécule in utéro, et il appartient à chacun des laboratoires poursuivis que son produit n’est pas à  l’origine du dommage. Cette solution a été confirmée en 2010 par un autre arrêt (aux USA le juge a retenu un autre principe, en développant une notion de responsabilité par part de marché : au moment où les mères ont pris ce médicament, il recherche quelle était la part de marché des laboratoires sur ce médicament, chaque labo étant responsable à  hauteur de cette part). Le même principe est aussi admis en cas d’infection nosocomiale, un malade passe par plusieurs hôpitaux et est infecté, c’est à l’établissement de santé d’établir qu’il n’est pas à l’origine de l’infection (présomption de causalité toujours).

Les causes d'exonérations de responsabilité civile

Section 2. Causes d’exonération (étrangères qui font disparaitre le lien de causalité).

 Le défendeur va tenter de rapporter la preuve que le lien de causalité a été rompu. Dans ce cas, la victime n’obtiendra pas réparation intégrale de son préjudice.

 Les causes étrangères retenues sont :

 · La force majeure, la faute de la victime, le fait d’un tiers.

§ 1. La force majeure.

 C’est un évènement qui empêche une personne de se comporter autrement qu’elle ne devrait (à l’impossible nul n’est tenu).

 a) Les hypothèses :

 En principe tout évènement quelconque peut constituer une force majeure.

 · Les faits de la nature (tempête, tremblements de terre, brouillard…). Exemple la chute d’un arbre sain à la suite d’une tempête, le gardien de l’arbre sera exonérée de sa responsabilité. Une tempête doit être irrésistible et imprévisible. Si le cyclone est annoncé par la météo il perd son caractère d’imprévisibilité.

 · Les faits de l’homme ; des évènements collectifs et anonymes (émeute, attentats…)., le fait de la victime ou le fait d’un tiers.

 b) 3 caractéristiques de la force majeure :

 · Irrésistible : c’est un évènement insurmontable et inévitable (un mur s’écroule et blesse un passant, le propriétaire n’est pas responsable si l’écroulement est dû à une coulée de boue).

 · Imprévisible : on ne peut pas le prévoir, même l’individu raisonnable. Il y a un débat sur l’existence de ces 2 caractéristiques, certains auteurs estiment que la seule irrésistibilité serait suffisante en soi, mais en réalité les arrêts les plus récents requièrent aussi l’imprévisibilité (arrêt 14/04/2006 Assemblée Plénière Cour de Cassation.)

 · Extérieur : le défendeur ne peut s’exonérer qu’en invoquant un fait extérieur aux choses et aux personnes dont il doit répondre. Ainsi, le fait de l’enfant ne permet pas aux parents de s’exonérer de leur responsabilité même s’il présente les caractères de la force majeure. Cette condition permet aussi d’éviter que la personne responsable invoque un évènement qui lui est propre pour s’exonérer (exemple, j’ai un malaise cardiaque – évènement irrésistible mais non extérieur – pour la responsabilité contractuelle ceci est admis contrairement à responsabilité délictuelle).

c) L’effet de la force majeure :

 Lorsque la force majeure est retenue, le défendeur est totalement exonéré de sa responsabilité, la force majeure fait disparaitre le lien de causalité, le responsable ne doit ici aucune réparation à la victime. Dans les années 50 cette exonération totale a été discutée, au début on admettait une responsabilité partielle, ce n’est plus le cas.

 

§ 2. Le fait de la victime.

 On distingue, la faute et la prédisposition de la victime.

a) La faute de la victime.

 Un commerçant tire avec un fusil sur 2 personnes qui s’enfuient après une tentative de vol et les tue. Les victimes n’ont-elles pas commis une faute concourant à leur dommage ? La faute de la victime conduit à une limitation de la responsabilité de l’auteur du dommage.

 On considère que l’auteur et la victime sont coauteurs du dommage. C’est l’exonération partielle admise par arrêt du 08/02/1875. Il faut caractériser une faute de la victime au regard des article 1382 ou 1383 du code civil.

 Que décider pour les autres faits générateurs de la RESPONSABILITÉ CIVILE DÉLICTUELLE.

 La victime peut avoir la garde de la chose (art.1384) qui est à l’origine de son dommage, ainsi la victime a pu contribuer à son dommage car elle a la garde de la chose. Peut-on admettre une responsabilité partielle, ceci est délicat car on doit répondre des dommages causés par la chose. La responsabilité de plein droit a été conçue pour protéger les victimes et par pour se retourner contre elle. La jurisprudence dit que la garde de la chose ne peut pas conduire à diminuer le droit de la victime à la réparation.

 

Il faut distinguer 2 hypothèses : 

 · Soit le fait de la victime présente les caractères de la force majeure, alors l’auteur du dommage est totalement exonéré.

 · Soit la faute ne présente pas les caractères de la force majeure, alors l’exonération est partielle. Sauf une exception, lorsque la victime a commis une faute intentionnelle et qu’elle a recherché le dommage, alors il y a une exonération totale (une personne se jette d’un pont et passe sous les rails de la SNCF). La proposition de loi Béteille confirme cette solution (article 1386 : la victime est privée de toute réparation lorsqu’elle a volontairement provoqué le dommage).

 

L’exonération se fait sur l’appréciation et en proportion de la gravité des comportements de l’auteur et de la victime.

 

Sur la responsabilité du fait des choses, la jurisprudence a été hésitante à admettre que la faute de la victime puisse conduire à une exonération, même partielle, de la responsabilité du gardien de la chose, notamment en ce qui concerne les accidents de la circulation. Avant la loi de 1985, ces accidents étaient réparés sur le fondement de L’article 1384 alinéa, ainsi il paraissait injuste de faire supporter à la victime une partie de son dommage en cas de sa faute. Arrêt Desmares du 21/07/1982, la Cassation a considéré que la faute de la victime ne lui était pas opposable, si elle ne revêtait pas les caractères de la force majeure (la faute simple n’entraine aucune exonération partielle). La cassation a fait ici un appel du pied au législateur pour qu’il mette en place un régime qui tienne debout ; ainsi le 05/07/1985 la loi Badinter fut adoptée et le 06/04/1987, la Cassation a ainsi abandonné la jurisprudence Desmares. Désormais le gardien d’une chose peut être partiellement exonéré de sa responsabilité s’il prouve une faute de la victime.

 

Il est possible que les solutions actuelles évoluent, les différents projets prévoient des solutions différentes. Il est difficile d’admettre que la victime, même fautive, puisse ne pas être intégralement réparée. La proposition de loi Béteille comme le projet Terré, confirment les faits partiellement exonératoires de la faute de la victime, mais ils en restreignent le jeu dans 2 hypothèses (jugées injustes) :

 · Ils écartent l’exonération pour faute de la victime, lorsqu’elle est privée de discernement (en raison de l’âge ou de leur état mental).

 · La proposition de loi Béteille prévoit qu’en cas d’atteinte à l’intégrité physique, seule une faute grave de la victime peut entrainer l’exonération partielle.

 

b) La prédisposition de la victime.

 L’accident subit par la victime aggrave son état antérieur, c’est le postulat (un borgne devient aveugle). L’auteur du dommage doit-il payer pour un œil ou pour la cécité ?

 Normalement on doit payer pour le seul dommage qui nous est directement imputable, mais la victime a aussi droit au principe de la réparation intégrale.

 La jurisprudence dit qu’en principe, les prédispositions de la victime ne peuvent pas justifier une exonération partielle de l’auteur, elle conclut au « tout » réparable de l’auteur. L’auteur dans ce cas est donc jugé plus responsable.

 La victime a ainsi droit à réparation totale, peu importe son état antérieur.

 Mais en jouant sur le lien de causalité, la Cassation retient que certains dommages sont dû à la fragilité particulière de la victime, elle limite ici la notion de prédisposition de la victime.

 

§ 3. Le fait d’un tiers.

 Lorsque le fait d’un tiers présente les caractères de la force majeure, le défendeur est totalement exonéré. La victime devra poursuivre ce tiers pour être indemnisée. La question se pose souvent pour la SNCF (agression de la victime par un tiers dans un train), elle n’est qu’exceptionnellement exonéré pour force majeure, car les agressions ne sont pas ici considéré comme imprévisibles, irrésistibles ou extérieurs, car les contrôleurs de la SNCF devraient être assez nombreux (mais une décision a admis l’exonération de la SNCF dans un tel cas, arrêt 23/06/2011, 1ère Civ., l’agresseur s’est levé soudainement alors qu’il était tranquille auparavant, de ce fait un contrôleur n’aurait pu empêcher le crime).

 

Le fait d’un tiers a contribué à causer le dommage sans constituer un cas de force majeure. Dans ce cas, la jurisprudence refuse au défendeur la possibilité d’opposer à la victime le fait du tiers comme cause d’exonération partielle ; que le tiers ait causé une faute, qu’il soit responsable du fait d’autrui ou qu’il soit gardien d’une chose. Ici on est en présence de coauteurs qui sont tenus de réparer le dommage. Ces auteurs sont tenus de réparer In Solidum.

 

En principe en droit civil, la solidarité ne se présume pas, le principe étant celui de la division de l’obligation. En cas de pluralité de débiteurs, le créancier devra demander à chacun d’entre eux le paiement de la part qui lui incombe ; si l’un des débiteurs est insolvable, c’est le créancier qui devra supporter ce défaut (En droit commercial la solidarité est présumée, et le créancier peut poursuivre l’un quelconque des débiteurs pour lui réclamer le paiement entier de la dette).

 

En matière de responsabilité délictuelle la solidarité ne se présume donc pas (car droit civil), cependant la jurisprudence a ici retenu l’existence d’une obligation In Solidum, véritable garantie pour la victime :

· 1ère étape, le rapport d’obligation à  la dette. La victime peut poursuivre l’un quelconque des coauteurs pour lui réclamer le paiement de la totalité de la dette et ce coauteur ne pourra pas invoquer l’existence d’un tiers coauteur pour s’exonérer (on poursuivra alors celui qui est solvable pour éviter de supporter l’insolvabilité d’un coauteur).

· 2ème étape, le rapport de contribution à la dette, rapport entre les coauteurs. Le coauteur qui a payé plus que sa part (débiteur « Solvens ») réelle pourra se retourner contre les autres coauteurs pour leur demander de contribuer à la dette. Le Solvens ne peut cependant poursuivre les coauteurs que pour leur part réelle de responsabilité.

o   Si tous les coauteurs sont fautifs, il y a un partage en fonction de la gravité des fautes de chacun.

o   Si aucun des coauteurs n’a commis de faute, leur responsabilité peut être engagée sur le fondement de la responsabilité du fait d’autrui ou du fait des choses (qui sont des responsabilités sans fautes), et on divise les parts en 3 (part Virile ou égale).

o   Si un seul a commis une faute, la charge définitive de la réparation ne pèse que sur celui qui a commis une faute.

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