Les causes de l’échec de la 4ème République : l’oubli constitutionnel des constantes de la vie politique
La question qui se pose est simple : comment se fait-il que les techniques de parlementarisme rationalisé, pourtant mises en œuvre dans la constitution de 1946, n’aient pas permis de mettre un terme à ce problème endémique d’instabilité gouvernementale ?
La constitution de 46 prétendait garantir la stabilité gouvernementale de deux manières :
– En simplifiant la structure des organes politiques qui composent le régime
– En rationalisant les rapports entre les organes politiques (exécutif et législatif)
Mais cet édifice constitutionnel reposait sur un contexte politique que le constituant de 1946 croyait durable. Ce contexte était celui du tripartisme (= alliance au sortir de la guerre entre trois forces politiques, les communistes, la gauche et le centre). Ce gouvernement de coalition permet l’émergence d’une majorité. Mais le 5 mai 1947, les communistes sont chassés du gouvernement Ramadier. C’est la fin du tripartisme, ce qui va entrainer la multiplicité et l’indiscipline des partis politiques et des groupes parlementaires. La mise en place d’un gouvernement stable devient impossible. En réalité les fondateurs de la IVe République ont en réalité abordé la question de la stabilité gouvernementale exclusivement sous l’angle juridique, en pensant que des solutions juridiques fixées dans la constitution allaient suffire pour remédier à cette instabilité. Dans la pratique, ce sont des conditions politiques qui déterminent s’il y a ou non stabilité gouvernementale dans un régime parlementaire.
A) Des solutions strictement juridiques
1. La simplification des organes politiques du régime parlementaire
Simplification des organes du pouvoir exécutif et simplification des organes du pouvoir législatif.
Simplification du dualisme de l’exécutif (partage du pouvoir entre le chef de l’Etat et celui du gouvernement) : suppression du rôle politique du président de la république.
Action sur le dualisme parlementaire : partage du pouvoir législatif entre les deux chambres.
a) Suppression du rôle politique du Président de la République
Le président de la République dispose d’importants moyens d’action sur les assemblées. Mais ce chef de l’Etat est politiquement irresponsable, ce qui limite la mise en œuvre de ses pouvoirs. Chacun des actes du président devait être consigné par le gouvernement, qui endosse la responsabilité du chef de l’Etat. L’évolution, la pratique de la IIIe République, est allée dans le sens d’un transfert progressif des pouvoirs du président au profit du chef du gouvernement (=président du conseil=premier ministre).
Cette irresponsabilité politique du chef de l’Etat ne pouvait être respectée qu’à la condition que le président n’intervienne pas trop directement dans le jeu politique. Or, en regardant l’histoire de la IIIe République, on constate que soit en raison des événements, soit en raison d’une personnalité particulièrement forte, un certain nombre de présidents vont être amenés à intervenir dans le jeu politique.
Pour éviter de telles situations compromettantes, la constitution de 46 va choisir de supprimer le rôle politique du président de la république.
La constitution de 46 opère donc trois choses :
– Elle fait passer la totalité du pouvoir exécutif aux mains du président du conseil
– On constitutionnalise l’existence du président du conseil
– Le président de la république n’exerce plus qu’une simple magistrature morale
b) Limitation des pouvoirs du Conseil de la République (=ancien Sénat)
Sous la IIIe République, le Sénat était une véritable assemblée politique. Cette toute puissance de sénat avait été un facteur d’instabilité gouvernementale. En 1946 on décide donc de réduire considérablement le rôle et les pouvoirs de cette assemblée, et on lui donne l’appellation « Conseil de la République ».
Article 3 alinéa 4 de la constitution de 46 : « C’est l’assemblée nationale qui seule exerce la souveraineté ».
On met en parallèle l’accent sur les rapports entre ces deux organes.
2. La rationalisation des rapports entre les organes
Sous la IIIe République, la plupart des crises ministérielles provenaient soit d’un vote de défiance provenant des chambres (technique de l’interpellation), soit du retrait individuel ou collectif des membres du cabinet ministériel sous la pression de ces mêmes chambres.
A l’époque, lorsqu’un ministre ancien parlementaire décidait de quitter le gouvernement, il retrouvait immédiatement son siège de député.
Le constituant de 1946 constate que ces relations entre le gouvernement et le parlement ne sont pas réglementées. Il va donc cherche à les juridiciser et à les constitutionnaliser.
a) Réglementation de l’investiture du Président du Conseil
On consacre constitutionnellement l’existence du président du conseil.
Ensuite, on indique dans la constitution comment il sera désigné : procédure en deux temps : proposition du président de la république adressée à l’assemblée puis vote de l’assemblée sur la personnalité et sur le programme. Mais on exige en plus la majorité absolue des députés composant l’assemblée nationale.
b) Rationalisation des procédures de mise en cause de la responsabilité politique
On réglemente les conditions de mise en jeu de la responsabilité du gouvernement. La motion de censure prend la place de l’interpellation.
On restaure aussi le droit de dissolution.
B. L’omission des constantes de la vie politique
Tout se passe comme si on avait oublié une leçon fondamentale : le régime parlementaire est avant tout un gouvernement d’opinion.
Or sous la IVe République, trois constats doivent être faits. En réalité, le rôle de l’opinion est neutralisé. De plus, les majorités parlementaires sont trop faibles. Enfin, la persistance sous la IVe république de mauvais réflexes hérités de la IIIe république.
1. La neutralisation du rôle de l’opinion politique
Le gouvernement pour pouvoir fonctionner normalement doit jouir non seulement de la confiance de l’assemblée nationale, mais également de la confiance populaire.
Dans un régime parlementaire qui se respecte, l’opinion doit d’abord pouvoir se prononcer clairement sur le choix d’un programme politiques et d’un personnel gouvernemental.
Les méfaits du régime électoral combinés à une conception étroite du droit de dissolution vont aboutir à une véritable neutralisation du rôle de l’opinion, de telle sorte que peu à peu le régime va se trouve privé du soutien populaire qui est indispensable à son existence.
L’application de la représentation proportionnelle sur un système de partis marqué par l’éclatement, le multipartisme, a pour effet d’accentuer cette tendance à l’éclatement.
Quant au droit de dissolution, sous la IVe il ne permet plus la sanction de l’opinion. Le principe de la dissolution est de renvoyer les acteurs politiques en conflit devant le corps électoral. C’est dans le but de faire du droit de dissolution une arme anti crise ministérielle qu’on restaure le droit de dissolution.
La crainte de la dissolution sous la IVe va entrainer un détournement systématique des procédures constitutionnelles, parce que les cabinets ministériels vont se retirer d’eux même sans qu’un désaccord avec l’assemblée soit constitutionnellement constaté.
Le droit de dissolution ne joue pas le rôle qu’on lui avait assigné au départ (permettre à l’opinion publique de trancher le conflit).
2. Absence de « fait majoritaire »
On ne parvient pas à dégager une majorité cohérente au sein de l’assemblée nationale. Par là même, cela entraine la nécessité de gouverner avec des gouvernements de coalition c’est à dire l’agrégation de mouvements politiques qui vont s’entendre à un moment pour gouverner. En même temps, l’hétérogénéité de la majorité politique rend évidemment la situation du gouvernement extrêmement précaire. Au moindre disfonctionnement on court le risque de voir l’une ou l’autre des composantes de ce gouvernement hétérogène sortir du gouvernement.
La IVe République ignore le fait majoritaire.
3. La pratique dévoyée de la question de confiance
Le cabinet qui ne dispose plus de la confiance du parlement doit se retirer.
Ce principe fondamental confère à l’exécutif une relative instabilité, puisqu’il est dépendant de la confiance du parlement.
Cette instabilité est peu sensible en Grande Bretagne, où le premier ministre et le gouvernement disposent d’une majorité de soutien.
En revanche, en France l’instabilité est beaucoup plus nette. Elle devient très grande dans la mesure où le gouvernement a en face de lui un parlement émietté.
Pour assurer la stabilité gouvernementale le constituant de 1946 va porter son travail sur la réglementation dans la constitution même de la question de confiance. Il insère ainsi l’article 49. Les députés ne peuvent plus aussi facilement que par le passé refuser leur confiance au gouvernement. En réalité, la pratique constitutionnelle de l’article 49 va transformer et déformer ce texte.
L’usage de la question de confiance laisse en réalité une grande souplesse politique, de telle sorte que le président du conseil va disposer d’un large pouvoir d’appréciation pour poser ou non la question de confiance, pour apprécier l’opportunité ou non du duel qu’il engage avec l’assemblée nationale.
Ce duel a ses règles propres, et l’article 49 de la constitution de 1946 tel qu’il a été pensé par le constituant ne va pas empêcher les dérives déjà rencontrées sous la IIIe République, ni la double pratique de la question de confiance, déjà connue pendant le IIIe. La question de confiance n’a pas pour but de forcer la main au parlement pour l’adoption d’un texte, mais de savoir si le parlement continue à soutenir le gouvernement politiquement.
En 1958 on va tirer les leçons de tout cela, et on a dans cette analyse l’origine de l’article 49-3 de la constitution.