À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la Quatrième République peine à s’adapter aux profondes transformations géopolitiques et sociales. Confrontée à la montée des mouvements indépendantistes dans les colonies et paralysée par une faiblesse institutionnelle, elle se trouve en proie à des crises successives, qui mettent en lumière l’incapacité de son pouvoir exécutif à répondre aux enjeux de l’époque.
La montée des revendications indépendantistes
Indépendance des colonies d’Asie et d’Afrique du Nord : Les aspirations des colonies à l’autonomie grandissent fortement après la guerre. La France engage une guerre pour conserver sa position en Indochine, mais après huit années de combats intenses, elle subit une défaite marquante en 1954, lors de la bataille de Dien Bien Phu. Ce revers militaire affaiblit le prestige de la France en tant que puissance coloniale et accélère le processus de décolonisation. Ainsi, dès 1956, le Maroc et la Tunisie obtiennent leur indépendance, confirmant le déclin de l’empire colonial français.
Le cas particulier de l’Algérie : La situation en Algérie est plus complexe en raison des liens historiques et culturels profonds qui l’unissent à la France. Contrairement aux autres colonies, l’Algérie est administrée comme une partie intégrante du territoire français, et des centaines de milliers de Français d’origine européenne y résident. Face aux demandes croissantes d’indépendance algérienne, le gouvernement français adopte une politique de refus, provoquant le déclenchement de la guerre d’Algérie en 1954. Ce conflit met en évidence l’incapacité de la Quatrième République à gérer les crises liées à la décolonisation. Le déchirement national qu’entraîne cette guerre accentue l’instabilité politique et jette une ombre sur la légitimité de l’État.
La faiblesse structurelle du pouvoir exécutif
La Quatrième République est caractérisée par un système parlementaire fragile, où le pouvoir exécutif manque d’autorité et de cohérence pour diriger efficacement :
Un régime de coalition instable : Le scrutin proportionnel pour les élections législatives encourage la prolifération des partis politiques et rend indispensable la formation d’alliances pour obtenir une majorité. Cependant, ces alliances sont souvent précaires et se délitent au gré des divergences, entraînant des ruptures fréquentes. Entre 1947 et 1959, l’instabilité est telle que la France connaît un nouveau gouvernement en moyenne tous les six mois. Cette instabilité chronique empêche toute action durable et compromet la capacité de l’État à affronter les crises de la décolonisation.
La crise du pouvoir exécutif : Dans ce régime parlementaire, les chefs de gouvernement sont soumis à des compromis permanents et à des votes de confiance successifs, ce qui limite considérablement leur marge de manœuvre. Incapables de s’imposer face aux nombreux partis et aux revendications diverses, les gouvernements successifs ne parviennent pas à répondre aux enjeux internationaux et aux aspirations de l’opinion publique. Le manque de continuité dans les politiques publiques et la faiblesse de l’exécutif affaiblissent durablement l’autorité de l’État, favorisant une paralysie face aux situations de crise.
L’appel à une autorité unificatrice : de Gaulle en recours
Alors que l’État semble au bord de l’effondrement, de nombreux Français attendent une figure de stabilité capable de restaurer l’autorité de l’État et de rétablir l’ordre. Charles de Gaulle, figure emblématique de la Résistance et doté d’un charisme et d’une réputation sans faille, apparaît comme l’homme providentiel pour relever la France de cette impasse institutionnelle. Il se pose alors en recours moral et politique face à l’épuisement du régime, suggérant une réforme en profondeur des institutions pour donner au pouvoir exécutif la force nécessaire à gouverner dans un contexte de décolonisation complexe et de refonte des alliances internationales.
Ainsi, l’arrivée de de Gaulle marque le début d’un processus qui aboutira à la création de la Cinquième République en 1958, avec une Constitution centrée sur un exécutif fort et stable, mieux adapté aux réalités politiques d’un monde en mutation rapide.
La Quatrième République se trouve prise dans une crise profonde qui révèle les faiblesses de son système institutionnel et met en lumière son incapacité à répondre aux exigences d’une démocratie moderne. Les institutions montrent des signes d’usure, incapables de gouverner efficacement face aux défis internes et aux enjeux géopolitiques.
Bien que le peuple ait le droit de vote, le mode de scrutin de liste favorise un multipartisme exacerbé. Ce système, sans mécanismes de coalition stables, conduit à des gouvernements éphémères et désunis. L’absence de majorité claire fragilise la gouvernance en limitant la capacité des dirigeants à imposer une vision cohérente et à répondre aux attentes des électeurs. Par exemple, en 1956, le souhait populaire de voir Pierre Mendès France diriger le gouvernement ne s’est pas réalisé, et c’est Guy Mollet qui a été nommé président du Conseil, mettant en place une administration de gauche sans consensus suffisant pour des réformes ambitieuses.
En l’absence de stabilité politique, l’administration devient le seul pilier de stabilité en France, mais cette bureaucratie n’a pas les moyens de gouverner. Les forces armées, notamment, échappent au contrôle du pouvoir civil, illustrant un affaiblissement inquiétant de l’autorité républicaine. Le multipartisme et l’opacité des institutions politiques entraînent une dilution des responsabilités. Par ailleurs, les partis, comme le Parti communiste français (PCF) et les gaullistes, poursuivent leurs propres objectifs, aggravant les divisions au sein du gouvernement et détachant davantage les gouvernants de la volonté populaire.
La Quatrième République est constamment secouée par des crises majeures. Outre la guerre d’Indochine, la France est confrontée aux tensions de la guerre froide et à la guerre d’Algérie, qui domine largement les préoccupations nationales. Bien que des avancées notables aient été réalisées en matière de décolonisation (avec, entre autres, la mission de Pierre Mendès France à Carthage pour initier l’autonomie du Maghreb et la loi-cadre Defferre de 1956 pour accorder des pouvoirs aux colonies africaines), la situation en Algérie vient ternir ces succès. Les discriminations entre Français de métropole et Algériens d’origine, exclus du pouvoir décisionnel, révèlent un système de gouvernance discriminatoire et obsolète.
La montée des aspirations à l’autonomie et à une participation politique plus inclusive, particulièrement en Algérie, se heurte au refus obstiné des gouvernants français de faire évoluer le système. Cette fermeture politique mène à une intensification des violences. En Algérie, alors que le territoire et le Sahara sont représentés à l’Assemblée nationale par des députés dont la présence est indispensable pour la formation de majorités, leur opposition à toute réforme incite le gouvernement à adopter des mesures de répression croissante. Les échecs de négociations avec le Front de libération nationale (FLN) et la montée de l’insurrection finissent par sceller l’impasse politique.
Les échecs militaires en Indochine et la Seconde Guerre mondiale ont laissé l’armée française dans un état de frustration et de rancœur. Les officiers et soldats, blessés par la perte de l’Indochine, refusent de céder l’Algérie et de quitter ce territoire. Pour eux, l’abandon de ce territoire serait un aveu de faiblesse insupportable. Une partie de la population, ainsi que certains anciens combattants vietnamiens et algériens, souhaitent conserver un lien avec la France. L’armée française, solidaire de ces populations, craint qu’un retrait ne conduise à un massacre des populations pro-françaises.
En 1956, l’État délègue une partie de l’autorité judiciaire à l’armée en Algérie, lui accordant ainsi un pouvoir presque absolu dans certaines régions. Cette situation bouleverse l’équilibre institutionnel : le pouvoir civil devient subordonné à l’armée plutôt que l’inverse. Peu à peu, l’armée acquiert une autonomie qui pourrait facilement aboutir à une dictature militaire.
Le 13 mai 1958, alors que Pierre Pflimlin est nommé président du Conseil, l’Algérie voit se former un comité de salut public, à l’initiative des forces locales. Ce comité, disposant de compétences dignes d’un gouvernement, marque la première étape d’une tentative de coup d’État. Sous la direction du général Raoul Salan, ce comité appelle à l’autorité de Charles de Gaulle, symbole d’un retour à une gouvernance forte.
Le 14 mai, le président de la République, René Coty, tente de réaffirmer l’autorité civile en s’adressant à l’armée. Cependant, le lendemain, le 15 mai, de Gaulle annonce qu’il est prêt à assumer la responsabilité de la République, confirmant ainsi sa volonté de reprendre les rênes du pouvoir face à une démocratie vacillante et à des institutions incapables de répondre aux aspirations de la nation.
Charles de Gaulle, conscient de la difficulté de s’appuyer sur une insurrection militaire, adopte une démarche visant à légaliser son accession au pouvoir.
En tant que militaire, de Gaulle considère qu’une organisation ne peut fonctionner efficacement qu’avec une autorité centralisée et personnalisée. Selon lui, cette figure de chef est le pilier de toute structure hiérarchique stable. Pour de Gaulle, la cohésion et l’efficacité de l’État français reposent sur une autorité clairement définie, incarnée par un leader doté d’une stature inébranlable.
Inspiré par une tradition jacobine, de Gaulle envisage un État fort, centralisé et institutionnalisé. Il prône un modèle où l’État joue un rôle interventionniste et dispose des moyens pour diriger fermement la nation. Cet État doit être un instrument au service de l’intérêt général, capable de surmonter les particularismes régionaux pour imposer une vision unifiée de la France. De Gaulle ambitionne ainsi de devenir le dirigeant d’un État puissant et autoritaire, à même de garantir stabilité et unité.
Loin de toute tentation totalitaire, de Gaulle, malgré son bagage militaire, reste attaché aux valeurs républicaines. Conscient que le peuple français ne tolérerait pas un régime dictatorial, il comprend que la légitimité du pouvoir doit reposer sur l’acceptation populaire. Cette adhésion du peuple renforce sa légitimité et lui permet d’exercer son autorité en toute légalité. Par cette approche, de Gaulle aspire à incarner le chef d’un État démocratique, appuyé par le soutien populaire et respectueux des valeurs républicaines.
Lors des événements de mai 1958, de Gaulle se présente comme une figure d’espoir pour les officiers insurgés. Sans condamner directement les actes militaires de rébellion, il réaffirme le 15 mai son passé glorieux et sa capacité à diriger. Son silence de près de dix ans est perçu comme une forme de respect des institutions, mais aussi comme une préparation au retour. Pour certains civils à Paris, cette posture est ambiguë et suscite l’indignation, car elle semble en porte-à-faux avec le principe républicain de subordination de l’armée au pouvoir civil. Pourtant, du côté des militaires, cette attitude est perçue comme un soutien tacite.
Le 19 mai 1958, lors d’une conférence de presse, de Gaulle précise sa position en réaffirmant son attachement aux libertés républicaines et en rejetant toute intention dictatoriale. À 67 ans, il se présente comme l’homme capable de protéger la République contre les risques d’un gouvernement militaire. Sa réputation et son prestige viennent alors rassurer une partie de la population sur sa capacité à maintenir un régime démocratique. En moins de quatre jours, de Gaulle parvient à rallier les soutiens de divers horizons, se présentant comme le défenseur de la République. Cependant, il précise que sa prise de pouvoir ne peut s’envisager qu’au sein des institutions existantes et qu’il est nécessaire de le placer à la tête du gouvernement par des moyens constitutionnels.
Le 1er juin 1958, de Gaulle est nommé président du Conseil de façon légale et régulière. Son accession à ce poste symbolise son retour dans le jeu politique, tout en respectant les procédures constitutionnelles en place. De Gaulle est alors en mesure d’initier la rédaction d’une nouvelle Constitution pour la France, marquant ainsi une nouvelle étape vers la fondation de la Cinquième République.
Dernier président du Conseil
De Gaulle devient le dernier président du Conseil sous la IVe République dans des circonstances spéciales. Le 1er juin 1958, il est investi à 329 voix contre 224 (opposition de communistes et de figures comme Mitterrand et Mendès-France). Cette investiture marque le début d’une mission particulière : il doit former un gouvernement d’union avec les principaux dirigeants politiques, tout en innovant en excluant des représentants de l’Algérie française.
Loi des 5 bases
Le 3 juin 1958, le Parlement adopte la « loi des cinq bases » qui permet à De Gaulle de réviser la Constitution en contournant l’article 90 de la Constitution de 1946. Cette loi fixe cinq principes :
Ainsi, la IVe République s’achève, ouvrant la voie à la préparation d’une nouvelle constitution.
A. Préparation du projet constitutionnel
Organisation et avant-projet
De Gaulle charge Michel Debré, Garde des Sceaux, de la préparation de la nouvelle Constitution, entouré de conseillers d’État, juristes et universitaires. Un avant-projet est élaboré et régulièrement présenté au comité ministériel.
Consultations
La loi de révision impose la consultation d’un comité consultatif constitutionnel composé de parlementaires (deux tiers) et de personnalités nommées (un tiers). Ce comité, seulement consultatif, n’a pas de droit de veto. Le Parlement, en revanche, est écarté de la procédure.
Finalisation et présentation
Après des échanges entre le gouvernement et le comité consultatif, le projet de Constitution est soumis au Conseil d’État le 14 août, et définitivement adopté par le Conseil des ministres le 3 septembre. Le 4 septembre, de Gaulle présente officiellement le projet devant la population sur la place de la République.
B. Adoption par le peuple
Référendum
Le 28 septembre 1958, le référendum voit quatre cinquièmes des votants approuver la nouvelle Constitution. Dans les colonies, le vote « non » signifie une demande d’indépendance : la Guinée quitte ainsi la Communauté française.
Promulgation
La nouvelle Constitution est signée par René Coty et De Gaulle le 4 octobre 1958 et paraît au Journal Officiel le 5 octobre, marquant officiellement l’entrée en vigueur de la Ve République.
La naissance de la Ve République peut être perçue comme issue d’un coup de force, en raison de l’implication de l’armée et des circonstances exceptionnelles de son avènement. L’interdiction de subdélégation a été, selon certains arguments, enfreinte : le pouvoir constituant originaire appartient au peuple et ne peut être subdélégué par ceux qui en ont la garde. En 1946, ce pouvoir avait été confié au Parlement qui, théoriquement, n’avait pas le droit de le déléguer au gouvernement. Or, la loi du 3 juin 1958, en permettant la subdélégation du pouvoir constituant au gouvernement, a fait transgresser cette règle, comme ce fut le cas avec la loi du 10 juillet 1940.
Un contre-argument est avancé : en 1940, la délégation fut confiée à un individu (Pétain) alors qu’en 1958, elle fut dévolue à un gouvernement. De plus, en 1958, la loi des cinq bases posait des garde-fous, à la différence de 1940 où aucune clause de protection n’était prévue.
Raisons juridiques
En droit, l’argument d’illégalité trouve sa limite dans la révision de l’article 90 de la Constitution de 1946. Cette révision, parfaitement légale, montre que l’interdiction de subdélégation n’était pas explicitement inscrite dans la Constitution. L’argument devient donc caduque et la subdélégation peut être considérée comme une modification de la procédure de révision. Ainsi, bien que le gouvernement ait initié le projet, le pouvoir de décision finale reposait sur le peuple, ce qui confère à ce processus toute sa légitimité.
Raisons politiques
D’un point de vue politique, le référendum populaire qui a suivi le processus constitutionnel de 1958 a permis au peuple d’authentifier massivement la délégation de pouvoir. Les électeurs ont validé non seulement la délégation du pouvoir, mais également la dissolution de la IVe République. Ceux qui s’y opposaient ont été écartés lors des premières élections législatives de la Ve République.
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