LES CLAUSES ABUSIVES
Les clauses abusives sont des clauses qui, dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Elles sont dérivées d’une directive européenne. Les clauses abusives sont définies dans l’article L. 132-1 du code de la consommation. En outre, une clause abusive l’est toujours au détriment du non-professionnel ou du consommateur. Avant la loi du 1er février 1995, une clause était reconnue abusive si elle procurait un avantage excessif en raison de sa puissance économique au professionnel. Aussi, il était reconnu que l’avantage économique et la puissance économique étaient liés et cumulatifs. Par la suite, on parle alors de clauses abusives lorsqu’une partie plus forte impose à une partie, foncièrement plus faible, sa volonté. On notera donc qu’une clause abusive crée un déséquilibre dans le contrat, à la charge du non-professionnel ou du consommateur. Par ailleurs, la dénonciation de clauses abusives se fait par voie juridique, ainsi un particulier peut saisir le tribunal d’instance afin que le juge puisse prendre connaissance du contrat et de ses clauses, et ainsi déterminer si celles-ci sont abusives ou non. Rajoutons, que les associations agréées dont l’objet est de défendre les consommateur, peuvent elles aussi défendre les consommateurs devant les tribunaux. Il est important de préciser que seul le juge est compétent à déclarer une clause abusive.
L’article L 132-1 du code de la consommation dispose que : » Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». En annexe de cet article figure une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être regardées comme abusives. Des recommandations émises par la Commission des clauses abusives en vue de la suppression de certaines clauses dans les contrats sont par ailleurs publiées. Ces recommandations n’ont toutefois pas valeur contraignante. Les consommateurs qui contestent une clause doivent en conséquence saisir la justice et démontrer le caractère abusif de celle-ci. Ils peuvent s’appuyer pour cela sur les jurisprudences et sur les recommandations de la commission. Les associations de consommateurs agréées contribuent à l’assainissement des contrats en analysant ces derniers pour y relever les clauses pouvant être abusives et en négociant avec les professionnels pour obtenir leur suppression, voire en agissant en justice pour cela. Elle peuvent en effet saisir le tribunal afin qu’il ordonne la suppression des clauses abusives contenues dans un contrat, même en l’absence de tout litige. Enfin, l’administration dispose également de pouvoirs en matière de clauses abusives, les agents de la Direction Générale de la Concurrence, Consommation et Répression des Fraudes pouvant enjoindre à un professionnel de supprimer une clause d’un contrat ou saisir le juge aux mêmes fins.
Introduction
- Comment faire un cas pratique ou un commentaire d’arrêt?
- Convention d’assistance et loterie publicitaire : des contrats?
- L’échange des consentements (offre, acceptation, pourparlers…)
- Les vices du consentement dans les contrats
- La cause et l’objet du contrat
- L’effet obligatoire du contrat à l’égard des parties et du juge
- Principe et exception à l’effet relatif des contrats
Dans les structures économiques actuelles fondées sur la consommation de masse, le consommateur, lorsqu’il donne son consentement concernant une convention (achat, prêt, assurance, prestation de service…) est souvent conduit à adhérer à des conditions préétablies par son contractant sans être en mesure de les modifier ni même de les discuter. Ces situations de droit ne font que traduire le fait qu’un contractant dicte sa volonté car il ne trouve plus de frein dans la loi de la libre concurrence. Ces conventions, qualifiées de contrats d’adhésion par Saleilles, vont à l’encontre de la vision classique du contrat issue du code civil en tant qu’accord auquel les parties sont parvenues en traitant à égalité et par le biais de la libre discussion.
La protection établie par le code civil en matière contractuelle contre les vices du consentement (erreur, dol, violence) s’étant révélée insuffisante à garantir le respect de l’égalité entre les parties, le législateur et les tribunaux sont donc intervenus. Ces interventions ont eu pour effet d’interdire certaines clauses jugées abusives, néanmoins ces interventions n’ont été que ponctuelles. Le législateur est ainsi intervenu concernant le contrat de société (prohibition des clauses léonines) et en matière de libéralités (prohibition des conditions illicites, impossibles ou immorales) sans toutefois définir un cadre général quant aux clauses présentant un caractère abusif entre professionnels et consommateurs. Le juge s’est quant à lui appuyé sur le droit commun des conventions pour condamner certaines clauses jugées abusives entre professionnels: par une jurisprudence aujourd’hui abandonnée la Cour de cassation estimait que la détermination unilatérale du prix contrevenait aux exigences de détermination de l’objet de l’obligation (article1129), le juge de cassation a aujourd’hui abandonné l’objet comme fondement de la prohibition de certaines clauses entre professionnels pour se reporter sur la cause (article1131), ainsi certaines clauses limitatives de responsabilité en matière de transport rapide sont dénuées de cause [Com. 22 octobre 1996; Chronopost].
Pour assurer une protection générale des consommateurs, le législateur est d’abord intervenu de sa propre initiative (Loi du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs) puis par le biais de la transposition du droit d’origine communautaire (directive du 5 avril 1993 transposée par la Loi du 1er février 1995 sur les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs).
Désormais, les clauses » qui ont pour effet de créer, au détriment d’un non-professionnel ou d’un consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrats » sont prohibées. Cette déclaration de principe a divisé la doctrine: pour certains la prohibition des clauses abusives a eu pour principal mérite d’introduire l’éthique dans la vie des affaires (Doyen Carbonnier) pour d’autres cette notion ou n’a fait que traduire un certain » dirigisme contractuel » qui n’aurait pas lieu d’être puisque une clause étant une disposition particulière d’un acte juridique acceptée par les parties, elle tient lieu de loi entre ces dernières selon l’art.1134 alinéa 3 et devient par là-même intangible en tant que fruit de volontés non viciées (Pr. Larroumet). De même, la doctrine s’est également divisée quant au fondement possible à attribuer à la prohibition des clauses abusives: atteinte à la bonne foi dans l’exécution de la convention (article1134 alinéa premier), recherche de l’équité (article1135), théorie générale de l’abus de droit voire pour certains un nouveau fondement du droit commun: le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (la prohibition des clauses abusives se justifiant alors par elle-même et non par le biais de fondements préexistants).
L’influence du régime juridique des clauses abusives sur la préservation de la force obligatoire des conventions mérite une particulière attention. Ainsi, si il apparaît que les clauses abusives ont pour finalité de protéger efficacement le contractant en situation de dépendance économique notamment par l’étendue des définitions et du domaine d’application de la notion (I), leur régime juridique permet d’éviter un sacrifice de la force obligatoire des conventions sur l’autel du consumérisme (II).
- La notion de clauses abusives garantit une protection efficace du contractant en situation de dépendance économique…
La protection du consommateur contre les clauses abusives mise en place par le législateur aux articles L132-1 et suivants du code de la consommation, et appliquée par l’autorité administrative et par le juge ne semble pas être dénuée d’efficacité eu égard aux définitions et appréciations allouées au caractère abusif de telles clauses (A) et à l’étendue de leur domaine d’application (B).
- A) Définition et appréciation du caractère abusif des clauses prohibées.
La définition légale du caractère abusif des clauses insérées dans les conventions conclues entre professionnels et consommateurs au gré de la volonté du législateur. Ainsi la loi du 10 janvier 1978 retenait deux conditions cumulatives quant à la définition du caractère abusif des clauses: d’une part de telles clauses devaient être imposées par un abus de puissance économique de la part du contractant professionnel et devait ainsi lui conférer un avantage excessif. Depuis la loi du 1er février 1995, seule une condition subsiste, répondant en cela aux exigences de la directive communautaire: les clauses doivent avoir eu pour effet ou pour objet » de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat « . Il apparaît donc bien que la protection du consommateur sort renforcée de cette évolution de la définition légale, le demandeur n’ayant à prouver que l’existence d’un déséquilibre significatif et non plus un abus de puissance économique. En d’autres termes, une clause est abusive dès lors qu’elle rompt l’équilibre contractuel.
La détermination de l’autorité susceptible de caractériser l’abus inhérent aux clauses a elle aussi été l’objet d’une profonde mutation. Tout d’abord le législateur peut lui même déterminer avec précision les clauses qui revêtiraient un caractère abusif: ainsi la loi du 19 décembre 1990 relative au contrat de construction de maison individuelle prohibe directement certaines clauses (clauses légitimant des retards de construction autres que la force majeure; clauses interdisant au maître de l’ouvrage de visiter le chantier avant réception des travaux). Le législateur peut également se contenter de déterminer, à titre indicatif, quelles clauses seraient susceptibles d’être qualifiées d’abusives: ainsi la loi de 1995 reproduit-elle en annexe une liste non exhaustive de clauses destinées à éclairer la décision du juge. D’autre part, la loi du 10 janvier 1978 réservait au seul pouvoir réglementaire le soin de déterminer quelles étaient les clauses présentant un caractère abusif par le biais de décret pris en Conseil d’Etat après avis de la Commission des clauses abusives. Toutefois, la timidité des mesures prises par l’administration a conduit le Cour de cassation à provoquer ce que certains auteurs ont qualifié de » coup d’Etat jurisprudentiel « : le juge judiciaire se reconnaissait ainsi compétent pour déterminer le caractère abusif des clauses au sens de l’article L132-1 du code de la consommation [Civ.1ère 14 mai 1991], après avoir fait une simple allusion à cette compétence [Civ.1ère 16 juillet 1987] puis l’avoir reconnu implicitement [Civ.1ère 6 décembre 1989] et enfin explicitement. Cette extension du pouvoir du juge, confirmée par la loi de 1995, introduit donc une double compétence quant à la détermination du concept de clauses abusives: d’une part le juge judiciaire qui sanctionne a posteriori l’existence de la clause abusive dont l’annulation de vaudra qu’entre les parties au contrat en vertu du principe de l’effet relatif des conventions, d’autre part l’autorité administrative qui sanctionne le caractère abusif de telles clauses a priori et dont la prohibition est opposable erga omnes. A cette dualité de compétence il convient d’ajouter le rôle non négligeable de la Commission des clauses abusives qui ne possède par le pouvoir en tant que tel de prohiber certaines clauses mais dont les avis et les recommandations au travers de son rapport annuel consacrent un effet dissuasif à l’égard des contractants professionnels et un éclairage certaine du juge dans ses décisions. Ainsi la protection du consommateur semble être confortée par la multiplication des autorités susceptibles de caractériser les éventuels abus commis par des contractants dans la rédaction de certaines clauses.
L’appréciation du caractère abusif d’une clause insérée dans une convention a également connu une certaine évolution. Tout d’abord, les clauses s’interprètent toujours dans le sens le plus favorable au consommateur (articleL133-2 al.2). De plus, l’appréciation du caractère abusif doit s’effectuer in concreto donc en tenant compte de » toutes les circonstances entourant la conclusion du contrat » ainsi que de » toutes les autres clauses du contrat « . L’appréciation s’effectue également au regard de l’ensemble des conventions d’un même groupe de contrats lorsque » la conclusion ou l’exécution des contrats dépendent juridiquement les une des autres » (articleL132-1 al.5). Cette appréciation au regard de l’économie globale du contrat ou du groupe de contrats n’a pas toujours été de mise: en effet, la définition du caractère abusif élaboré par la loi de 1978 (notion d’ » avantage excessif » conféré au contractant professionnel), ne semblait autoriser qu’une appréciation limitée à la seule clause litigieuse. La modification de la définition par la loi du 1er février 1995 a donc une d’importantes conséquences quant à l’appréciation qui doit être portée sur la clause.
Tant la définition que l’appréciation du caractère abusif des clauses contenues dans les conventions intervenues entre contractants professionnels et consommateurs ont connu une évolution certaine renforçant la protection de la partie en état de dépendance économique. La force obligatoire des contrats connaît donc une atteinte non négligeable puisque des accords de volonté non viciés peuvent être remis en cause relativement à certaines stipulations. Cette impression peut également être confirmée quant à l’étendue du domaine d’application de la prohibition des clauses abusives.
- B) Etendue du domaine d’application de la prohibition des clauses abusives.
Concernant les clauses en elles-mêmes, l’étendue de la protection conférée au consommateur a connu de sensibles extensions. Ainsi, la jurisprudence antérieure à la loi de 1978 ne sanctionnait que les clauses limitatives ou exclusives de garantie. Puis le seul décret (en date du 24 mars 1978) prohibant a priori certaines clauses réputées abusives a étendu le champ d’application aux clauses ayant pour effet de réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les caractéristiques de l’objet de son obligation et à celles constatant que le consommateur adhérer à d’autres stipulations ne figurant pas dans l’écrit sur lequel figurait sa signature. Dans le pouvoir qu’il s’est conféré et qui a été confirmé par la loi du 1er février 1995, le juge a considéré que de nombreuses autres clauses revêtaient un caractère abusif: ainsi le juge judiciaire ne s’est pas contenté de sanctionner des clauses qui ne pouvaient figurer que dans les contrats de vente. Dès lors de nombreuses clauses ont été jugées abusives dans des contrats de location (mise à la charge du locataire de la totalité des risques de perte ou de détérioration de la chose même en cas de force majeure) [Civ.1ère 6 janvier 1994], ou dans des conventions relatives à des prestations d’enseignement dans un établissement scolaire privé (impossibilité de remboursement de certains frais lorsque l’élève interrompt ses études en cours d’année pour un cas de force majeure) [Civ.1ère 10 février 1998]. Confirmant cette tendance à l’extension du champ d’application de la prohibition des clauses abusives, l’annexe introduite dans la loi de 1995 énonce à titre indicatif plusieurs autres modèles de clauses pouvant faire l’objet d’une sanction par le juge. Enfin, la Commission des clauses abusives dégage chaque année plusieurs modèles de clauses susceptibles de caractériser un abus au détriment du consommateur. Le domaine de la prohibition des clauses abusives a ainsi connu une extension certaines depuis l’intervention conjuguée du législateur, de l’administration et du juge judiciaire.
De même convient-il de souligner que le législateur a fait preuve de mansuétude quant à la nature et à la forme des conventions dans lesquelles des clauses abusives seraient susceptibles d’apparaître. Ainsi l’art.L132-1 al.4 du code de la consommation dispose que la nature ou la forme des contrats ne peut en aucune façon faire obstacle à une éventuelle application de la prohibition des clauses abusives. Cette solution n’était pas celle préconisée par le projet de loi de 1978 qui n’incluait dans le champ de la prohibition que les contrats d’adhésion, des amendements parlementaires finalement adoptés ayant étendu ce champ à l’ensemble des conventions qu’elles soient d’adhésion ou librement négociées. Dès lors l’art.L132-1 vise toutes les conventions quel que soit leur type (contrats de vente, d’assurance, de crédit, de location…) et quel que soit leur objet (meuble ou immeuble) mais également quel que soit leur forme ou leur support (écrite ou verbale: ainsi selon la jurisprudence des clauses peuvent être jugées abusives dans un contrat verbal d’hôtellerie mais dont les conditions générales étaient affichées dans le hall de réception [Civ.1ère 7 mai 1999]). Les clauses peuvent donc être jugées abusives dans n’importe quelle convention, au sein des dispositions librement négociées comme au sein des conditions générales préétablies.
La volonté de protéger le consommateur d’une façon efficace a conduit le législateur à ouvrir le droit d’agir aux associations de consommateurs agréées aux fins de porter à la connaissance du juge un nombre optimale de clauses soupçonnées d’être abusives. Les lois du 5 janvier 1988 et du 18 janvier 1992 ont ainsi permis à ces associations d’agir dans l’intérêt collectif des consommateurs comme dans l’intérêt personnel de certains d’entre eux. Concernant les actions collectives ces associations peuvent aboutir à la suppression des clauses abusives, déterminées par le juge ou le pouvoir réglementaire, des contrats types.. Le législateur a donc permis une protection efficace du consommateur qui est partie à une convention comme une protection efficace de l’ensemble des consommateurs susceptibles d’être, un jour venu, parties au contrat
Enfin, il est à noter que l’ensemble du mécanisme juridique visant à prohiber les clauses abusives dans les conventions entre professionnels et consommateurs est d’ordre public (articleL132-1 in fine). Dès lors les parties, même au sein de stipulations librement négociées ne peuvent écarter les dispositions du code de la consommation.
Transition
La prohibition des clauses abusives, par l’ensemble des mécanismes juridiques qu’elle met en oeuvre, permet la plus grande protection du contractant en état de dépendance économique. Cette remise en cause de la force obligatoire des conventions, notamment lorsqu’elle intervient a posteriori par le biais de l’office du juge, procure une certaine insécurité juridique. Afin d’éviter une remise en cause trop profonde de cette force obligatoire, le législateur et le juge ont su encadrer le régime juridique des clauses abusives pour permettre de satisfaire à la fois la protection du consommateur et le maintien du lien de droit entre les parties.
II … toutefois le régime juridique de la prohibition de telles clauses ne semble pas permettre un sacrifice de la force obligatoire des conventions.
La nécessaire sauvegarde de la force obligatoire des conventions a donc impliqué des interventions dans deux principaux domaines du régime juridique de la prohibition des clauses abusives. Ainsi, les conditions de mise en oeuvre de cette prohibition ont été strictement encadrées notamment quant à la définition juridique du consommateur (A), de plus, la sanction de cette mise en oeuvre a clairement pour finalité de préserver la force obligatoire des conventions (B).
- A) Les conditions de mise en oeuvre de la prohibition des clauses abusives encadrent strictement l’application de ce mécanisme juridique.
La détermination précise des sujets de droit devant être protégés par le mécanisme de la prohibition des clauses abusives a soulevé d’importantes questions: en effet, si ce mécanisme s’applique sans distinction à n’importe quelle convention, il n’en va pas de même quant aux personnes protégées. Ainsi, avant l’intervention du législateur, la Cour de cassation se fondait sur la théorie générale des obligations pour sanctionner certaines clauses. Toutefois, les sujets de droit ainsi protégés étaient tout aussi bien des professionnels que des non professionnels. Par la loi du 10 janvier 1978 le législateur a expressément choisi de ne protéger que la partie censée être en état de dépendance économique, ainsi le code de la consommation ne prescrit l’élimination des clauses abusives que dans les » contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs » (articleL132-1 alinéa premier). Le législateur a donc dégagé trois catégories d’intervenant dans le régime juridique des clauses abusives. Si l’on peut identifier le consommateur comme étant le particulier concluant une convention pour la satisfaction de ses besoins personnels ou familiaux, la question reste très discutée quant à savoir quand un professionnel devient-il consommateur ? Le législateur a semble-t-il voulu faciliter le travail du juge en indiquant que le » non professionnel » demeurait protégé par la législation sur les clauses abusives. Il est donc revenu à la Cour de cassation d’interpréter ces notions et de préciser quels étaient les sujets de droit protégés et dans quelles situations.
Une partie de la doctrine entend très largement les notions de consommateur et de non professionnel. Ainsi, l’acquéreur de biens ou l’utilisateur de services non spécialiste de la matière ou de l’activité faisant l’objet du contrat mérite d’être protégé. Dès lors la convention relève du régime juridique des clauses abusives lorsque les relations contractuelles se sont nouées entre un professionnel dont le métier est de conclure un telle convention et un partenaire (professionnel ou non) qui n’a pas l’habitude de conclure une telle convention. La jurisprudence a quant à elle adopté une conception très restrictive de la notion de consommateur ou de non professionnel [Civ.1ère 15 avril 1986] avant d’estimer que le professionnel qui était » dans le même état d’ignorance que n’importe quel consommateur » relativement à la convention en cause devait être protégé par le régime des clauses abusives [Civ.1ère 28 avril 1987]. Ainsi, le professionnel était assimilé à un consommateur chaque fois que sa spécialité n’était pas en cause. Cependant, la Cour de cassation a infléchi sa jurisprudence dans un sens plus sévère puisqu’elle estime désormais que la législation relative aux clauses abusives ne s’applique pas concernant » les contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant » [Civ.1ère 24 janvier 1995]. Le juge a ainsi adopté une solution relativement restrictive que préconisaient la directive communautaire et la Commission des clauses abusives.
Le législateur a également entendu cantonner la notion de clauses abusives quant aux droits et obligations des parties stricto sensu. Dès lors, les parties ne pourraient se prévaloir de la législation relative aux clauses abusives aux seules fins de contourner la restriction apportée aux causes d’ouverture de la rescision pour lésion dans la théorie générale des obligations. Ainsi, l’art.L132-1 al.7 écarte l’application du mécanisme juridique des clauses abusives quant à la définition de l’objet de la convention et quant à la proportionnalité du prix par rapport aux prestations reçues. Le législateur n’a donc pas entendu bouleverser la théorie générale des obligations ni la jurisprudence de la Cour de cassation (qui à l’époque appliquait l’art.1129 à l’objet du contrat en plus de l’objet de l’obligation ce qui explique la rédaction de cet alinéa). Le mécanisme de la prohibition des clauses abusives ne peut donc faire l’objet d’une application absolue: si il apparaît comme étant dérogatoire au droit commun dans sa finalité en remettant en cause la force obligatoire de certaines clauses, le législateur a su néanmoins préserver certains autres aspects fondamentaux du droit commun des obligations.
Cette question reste toujours d’actualité concernant l’interférence de la prohibition des clauses abusives avec l’institution juridique des clauses pénales. Ces clauses sont celles par lesquelles les contractants évaluent par avance les dommages-intérêts dus par le débiteur en cas de retard ou d’inexécution. L’art.1152 al.2 permet au juge d’augmenter ou de modérer la peine prévue par les parties lorsque cette dernière apparaît excessive ou dérisoire. Or dans le cas ou la clause pénale prévoirait des dommages-intérêts excessifs demeure la question de savoir si une telle clause ne pourrait être qualifiée d’abusive et donc entrer dans le cadre de la prohibition de telles clauses. Certains auteurs ont souhaité que la législation sur les clauses abusives s’applique également aux clauses pénales afin que celles-ci puissent être déclarées non écrites. D’autres auteurs ont objecté qu’un tel mécanisme n’aurait pas pour effet d’exonérer le débiteur fautif de tous dommages-intérêts puisque ces derniers resteraient dus au titre de la responsabilité contractuelle et d’un montant égal au préjudice causé, montant qui aurait de toute façon été fixé par le juge en vertu de son pouvoir réducteur sur les clauses pénales (article1152 al.2). La Cour de cassation a cependant appliqué le régime juridique des clauses abusives aux clauses pénales excessives [Civ.1ère 6 janvier 1994] et l’annexe de la loi du 1er février 1995 énonce à titre indicatif que les clauses imposant au consommateur-débiteur une » indemnité d’un montant disproportionnellement élevé » pourront être jugées abusives. Néanmoins la majorité de la doctrine reste hostile à un tel amalgame que la Cour de cassation n’a toujours pas confirmé sous l’empire de la loi de 1995: en effet en vue de réputer non écrite une clause soupçonnée d’être abusive le juge doit se placer à la date de conclusion de la convention or comment apprécier la disproportion entre une peine et l’inexécution l’ayant entraînée alors même que cette dernière n’a pas encore eu lieu ? Tel est l’argument qui permet d’envisager que la Cour de cassation ne confirmera pas sa jurisprudence.
Les conditions de mise en oeuvre de la prohibition des clauses abusives sont donc strictement encadrées aux seules fin d’éviter une remise en cause trop aisée de la force obligatoire des conventions. Cette finalité est également poursuivie quant au régime de la sanction des clauses abusives.
- B) Le régime de sanction des clauses jugées abusives apparaît comme étant volontairement restrictif.
Le fait qu’il n’existe pas à proprement parler de liste exhaustive de clauses abusives établie par le pouvoir réglementaire par décret en Conseil d’Etat atténue de façon certaine la portée de la sanction de la prohibition de telles clauses. En effet, la détermination des clauses abusives, lorsqu’elle intervient par le biais du pouvoir réglementaire a une portée générale et absolue et s’impose donc à toutes les conventions intervenues entre des professionnels et des consommateurs ou des non professionnels. Cette prohibition a priori a valeur d’interdiction générale: le juge ne pourrait y déroger. Au contraire, la sanction du caractère abusif déterminé par le juge est limitée par l’effet relatif des décisions judiciaires qui ne s’imposent qu’aux parties à l’instance. Or la plupart des clauses jugées abusives sont le fait du juge et non du pouvoir réglementaire, il existe donc très peu d’interdictions générales et absolues. Malgré la portée et l’influence certaine de la jurisprudence sur les contractants professionnels, la plupart des clauses soupçonnées d’être abusives n’ont aujourd’hui fait l’objet d’aucune sanction juridique. A cela il convient d’ajouter que l’identification des clauses abusives par le juge judiciaire s’opère sous le contrôle de la Cour de cassation qui vérifie donc la constitution du caractère abusif dans les conventions qui lui sont soumises. [Civ.1ère 26 mai 1993]. Ainsi, le caractère abusif des clauses litigieuses ne sera fermement établi que lorsque le juge de cassation se sera prononcé ce qui a pour effet d’atténuer la valeur de la sanction.
Quant à la nature de la sanction, le législateur a fait le choix de réputer non écrite les clauses dont le caractère abusif aurait été sanctionné soit par le juge soit par le pouvoir réglementaire (articleL132-1 al.6). Cette sanction réduite à la seule clause objet du litige a pour finalité expressément avouée de maintenir la force obligatoire de la convention ayant contenu la clause en question. Le projet de loi déposé en 1978 prévoyait quant à lui que la sanction d’une clause jugée abusive était la nullité absolue: tout intéressé pouvait donc en demander l’annulation, de plus le consommateur qui en avait été victime pouvait quant à lui demander la nullité de la convention. Il s’agissait donc de contrarier très fortement la force obligatoire de la convention puisque le consommateur désirant se rétracter son consentement pouvait arguer du caractère abusif d’une des clauses. La solution finalement adoptée permet un rééquilibrage de la convention sans que celle-ci puisse être remise en cause: le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions qui n’auront pas été jugées abusives (si il peut subsister sans ces clauses: art.L132-1 al.8).
La finalité et la portée de la sanction prévue pour les clauses dont le caractère abusif aurait été avéré tendent donc vers une plus grande protection de la force obligatoire du contrat en restreignant fortement la remise en cause de ce dernier.
Conclusion
A la vue du régime juridique des clauses abusives il apparaît d’une part que la finalité essentielle de cette législation et de son application par le juge est de rétablir un équilibre au sein de la convention en intervenant a priori ou a posteriori pour sanctionner certaines des stipulations qu’elles soient issues d’un accord de volonté ou d’une simple adhésion. D’autre part la jurisprudence souligne la très nette volonté du juge de cassation de faire de la législation relative aux clauses abusives une législation d’exception insusceptible d’extension de par l’atteint qu’elle porte à la force obligatoire des conventions.