Les compétences de l’État

Les compétences de l’État en droit international public

Une compétence est une habilitation [d’ordre juridique] à agir. Ce n’est pas un pouvoir d’agir ni une manière d’agir. Dans la pyramide kelsenienne des normes, les ordres juridiques sont une hiérarchie de normes d’habilitation, indépendantes du contenu. Le terme compétence n’a de sens qu’à l’égard de situations concernant des particuliers. Cette notion s’est imposée dans les années 1970.

L’habilitation à agir ne suffit pas en tant que telle : il faut apporter des précisions :

La forme de l’acte:En Droit International, il existe la compétence normative [au sens très large], qui est l’habilitation à adopter des actes obligatoires généraux ou individuels. Cela englobe les pouvoirs judiciaires, constituant, administratif, législatif, réglementaire.

La compétence opérationnelle, quant à elle, est la mise en œuvre concrète par des moyens coercitifs des règles générales ou individuelles.

En outre, l’habilitation ratione loci va déterminer la validité spatiale de l’exercice de la compétence. L’habilitation ratione personæ détermine qui peut exercer telle ou telle compétence. L’habilitation ratione materiae détermine le domaine d’exercice d’une compétence.

Le droit international limite cette possibilité d’intervenir pour la simple raison qu’il existe une pluralité d’États. La notion de compétence n’aura pas le même rôle qu’en droit interne, du fait de cette pluralité.

En droit interne, la notion sert à déterminer quelle autorité peut agir et selon quels moyens. En cas de conflit de compétence positif [= deux juridictions se déclarent compétentes] ou négatif [= aucune juridiction se déclare compétente], les règles de compétence vont aider à trouver la solution: une autorité unique sera désignée. Le droit de la compétence en droit interne est donc un droit répartiteur.

Le Droit International est plutôt distributeur : les États sont habilités à agir. Il va parfois limiter la mise en œuvre de la compétence. Les cas de conflit positif sont fréquents/multiples. Ex : meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat en Lituanie. Etapes pour résoudre le conflit:

  • Etablissement de la compétence.
  • Exercice des compétences: dans quelles hypothèses L’État va mettre en œuvre les règles générales d’habilitation qu’il s’est lui-même attribué ou que le Droit International lui a attribué?
  • Hypothèses dans lesquelles L’État ne doit pas exercer ses compétences = immunités.

  1. Établissement des compétences de l’État

Depuis toujours, la compétence opérationnelle est limitée au territoire de l’État. L’État ne peut user de moyens coercitifs que sur son territoire. Il y a un principe d’exclusivité de l’emploi de la force sur le territoire.

Il y a des lois matérielles, qui vont elles aussi trouver à s’appliquer, mais de manière fortuite: posent des règles de compétences mais n’ont pas été pensées en tant que tel. Il y a un débat en Droit International qui oppose ceux qui disent que le Droit International ne régit pas l’établissement des compétences, et ceux qui disent que le Droit International va poser des principes qui vont amener les Etats à se saisir de situation uniquement dans la mesure où ils peuvent être intéressés par cette situation (présente donc un certain rattachement à l’Etat) –> Liberté totale de l’Etat ≠ liberté conditionnée. Le débat vient de l’arrêt du Lotus du 7 septembre 1927: dans cette affaire, un navire français était entré en collision avec un navire turc. Le capitaine français du navire est poursuivi pénalement par les juridictions turques. La France conteste cette poursuite ; la Turquie prétend qu’elle est habilitée à juger ce fait, et que la loi pénale turque s’applique en l’espèce. Selon la France, lorsqu’il y a un navire en haute mer, il y a exclusivité de la compétence de l’Etat du pavillon. La Cour permanente énonce que c’est le principe de la liberté pour établir une compétence hors de son territoire, sauf règle prohibitive contraire (pas trouvées par la Cour).

2e aspect: arrêt de 1927 a été rendu avec voix prépondérante du président. A pour conséquence que dire qu’un Etat qui établit sa compétence est libre de le faire, et c’est à l’Etat qui conteste d’établir l’existence d’une règle contraire

La conception internationale qui sous-tend l’arrêt du Lotus est la conception de souveraineté de l’Etat, qui est très large. Cela étant, il est assez difficile d’admettre qu’un Etat est totalement libre ; il semblerait que le point important dans ce que dit la Cour est que l’on peut établir une compétence « sans opposition ou réclamation de la part des autres Etats ». Ex : un Etat va pouvoir adopter une règle disant que toutes les personnes blondes aux yeux bleus ont telle nationalité, si aucune règle ne le prohibe.

La pratique ultérieure ne semble pas confirmer ce principe de liberté totale. Les Etats ne laissent pas la charge de la preuve uniquement à celui qui va contester la compétence. Loi Helms-Burton: tout opérateur commercial dans le monde avec Cuba pouvait être condamné à l’indemnisation par rapport à la nationalisation. Cette loi n’a jamais été mise en œuvre ; n’existait pas non plus de règles prohibitives, mais au moment où le Congrès américain élabore cette loi, d’autres Etats avaient manifesté leur souci, disant que cela soulèverait des difficultés très fortes. Dans le dispositif de la loi, les EU se justifient, établissent un titre de compétence (bidon) ; les EU, dans la lignée l’arrêt du Lotus, auraient pu dire qu’ils étaient libres de faire ce qu’ils voulaient, mais à l’inverse, ont avancé certaines justifications (telles que le rattachement des entreprises au territoire américain).

–> Dès que la loi a été adoptée, opposition et réclamation de la part de l’ensemble de la communauté internationale.

2e élément montrant que la pratique va à l’encontre de l’arrêt du Lotus : nombre de conventions adoptées par les Etats, établissant des titres de compétence, notamment dans le domaine pénal, disant quels Etats peuvent poursuivre les auteurs des infractions (notamment en matière de sécurité aérienne).Plus les conventions avançaient, plus les possibilités de se déclarer compétent étaient nombreuses (sécurité aérienne : après auteur de l’infraction, Etat de l’aéronef, Etat de destination…Jusqu’à arriver à l’Etat sur l’Etat duquel se trouve l’auteur de l’infraction).

On peut voir à travers ces conventions des incitations et la mise en place de titres de compétence indiscutables n’existant pas en droit coutumier. La plupart du temps, les Etats vont toujours avancer dans leur loi un titre de compétence : un élément de rattachement d’une situation à l’Etat et que leur comparaison permet d’établir que le Droit International va exiger de l’Etat qu’il justifie son saisissement de situation.

  • La localisation/titre territorial: tout Etat est compétent pour régir ce qu’il se passe sur son territoire. C’est le titre par excellence, indiscuté, à tel point que l’on parle pour les autres types de compétences de compétences « extraterritoriales ». Dans l’arrêt Lotus, la Cour n’est pas très clair, elle repose sur une fiction juridique plus admise maintenant : les navires seraient une portion de territoire qui se déplace (plus aujourd’hui !)
  • Titre personnel actif/passif : un Etat va pouvoir régir le comportement de ses nationaux où qu’ils se trouvent, mais également, va pouvoir se saisir d’une situation où un de ses nationaux est victime.

Ces titres se sont très vite révélés insuffisant : le Droit International a donc admis de plus en plus de nouveaux rattachements, qui étaient fondés sur le fait que le comportement pouvait affecter un intérêt de l’Etat, reconnu par le Droit International (sans opposition/réclamation des autres Etats). C’est là qu’intervient la question de la compétence matérielle, puisque l’Etat va défendre des intérêts dans un certain domaine, qui ont lieu sur un autre territoire.

Petit à petit, l’Etat a pu faire valoir d’abord une compétence lorsque ses intérêts vitaux étaient en cause (portant atteinte au fonctionnement même de l’Etat). Ex : tous les Etats ont établi des législations punissant la fausse monnaie (création et utilisation) et ce, où que ce soit dans le monde.

Lorsqu’une activité va pouvoir, alors même qu’elle est sur un autre territoire, avoir des effets sur ce territoire, l’Etat va donc pouvoir la règlementer. Ex : en matière de concurrence, dès lors qu’une activité risque de fausser le jeu de la concurrence sur un marché national, l’Etat peut légiférer sur ces activités et tirer les conséquences des activités anticoncurrentielles. Lorsqu’il y a eu en 1998 la fusion de Boeing et ?, l’Union Européenne est intervenue dans les conditions de la fusion ; le gouvernement des EU s’est présenté devant la Commission européenne pour présenter les conditions de fusion.

L’évolution des titres de compétences va être admise par le fait que l’on va admettre des titres de compétences alors qu’il n’y a aucun rattachement, seulement les intérêts fondamentaux de la communauté internationale. Ex : les activités de piraterie maritime pouvaient être poursuivies par tout Etat au nom des intérêts internationaux–>Compétence universelle: si le domaine de prédilection de cette compétence est le domaine pénal, elle existe également en matière civile, aux Etats-Unis notamment. C’est sur cette base qu’ont été poursuivies des sociétés comme Total (activités en Birmanie, atteintes à l’environnement).

–> Elargissement de plus en plus marqué, mais toujours sur une base de non contestation.

La compétence au-delà du territoire peut s’opérer lorsqu’elle est dans l’espace international (touche principalement aux navires). Seul l’Etat du pavillon peut se saisir de la situation.

  1. Mise en œuvre des compétences

Ce sont les juridictions qui vont poser les principes de mise en œuvre, notamment parce que toutes les règlementations ne sont pas forcément pensées de manière internationale. Il y aussi des règles générales : le législateur détermine lui-même les conditions de mise en œuvre. Peut être dans des termes très généraux (Art. 113-6 Code pénal : la loi pénale française est applicable à tout (homme) qui dans un autre territoire). Vous pourrez être jugé et condamné même si vous êtes en dehors du territoire. L’établissement d’une compétence se fait de manière générale, et peut être extraterritoriale. A l’inverse, la mise en œuvre est, par hypothèse, toujours territoriale.

De manière générale, les juges vont se limiter dans l’exercice des compétences, d’où l’impossibilité de dégager des principes généraux en DIP. Moins la situation a de rattachements objectifs avec le for (tribunal saisi), plus on demande au juge d’être raisonnable. Même si le juge est compétent, il ne va pas exercer cette compétence, par exemple parce que l’effet sur le territoire n’est pas substantiel, et surtout n’est pas prévisible.

Certaines théories vont pousser cette notion de rattachement raisonnable, notamment par la théorie du forum non conveniens: un tribunal présente davantage de rattachements à la situation.

Les Etats vont donc se limiter ; l’exemple le plus frappant est en matière de compétence universelle en matière pénale : tout Etat peut poursuivre un crime qui entre dans le champ universel, où qu’il se soit produit, qu’elle que soit la nationalité de l’auteur dudit crime. Au moment de la mise en œuvre, on demande à ce que l’auteur soit présent sur le territoire.

La compétence pénale universelle est peut-être le seul cas dans lequel il y a une hiérarchie des compétences: les conventions internationales reposent sur un même modèle. Tout Etat doit juger l’auteur d’un crime, sauf s’il y a demande d’extradition (par un Etat qui a plus de rattachements à la situation). Ex : affaire Pinochet : était allé au Royaume-Uni pour se faire soigner, mandat d’arrêt par l’Espagne, qui le poursuivait sur la base de la compétence universelle ; au moment du jugement de Pinochet, le Chili était intervenu dans le procès pour reconnaître les crimes de torture, mais qui revenait au Chili de le juger.

  1. Exemptions de l’exercice des compétences : les immunités

Il existe des cas dans lesquels le Droit International interdit à un Etat d’exercer une compétence qu’il possède et qu’il peut mettre en œuvre: théorie des immunités. Pour son bénéficiaire, alors qu’il devrait être soumis au pouvoir, il en est exempté. Les immunités se définissent par rapport au pouvoir dont on interdit l’exercice. Dans l’arrêt du 3 février 2012, Allemagne c. Italie: la Cour rappelle que l’immunité se définit par une dérogation à l’exercice du pouvoir juridictionnel.

Il y a des immunités législatives: une personne ne va pas être soumise à la loi. Même si on parle d’immunité, le terme semble incorrect, car on est dans une hypothèse de dérogation, voire d’exception à la loi (immunités fiscales pour les Organisations Internationales, les agents internationaux : s’ils sont poursuivis, le juge va parler d’exception à la loi locale). Immunités juridictionnelles: la personne qui en bénéficie ne peut pas être poursuivie devant les tribunaux ; c’est un obstacle procédural. L’immunité de juridiction interdit au juge d’aborder la question d’une éventuelle responsabilité universelle pour examiner le fond de l’affaire.

Immunité d’exécution: interdiction d’user de la coercition sur une personne ou sur ses biens ; les biens ne peuvent faire l’objet de voies d’exécution. Concernant les personnes, se traduit par l’interdiction de détenir un individu. Ex : DSK pouvait-il se faire arrêter par les autorités des Etats-Unis suite à ses agissements dans le Sofitel de Ne-York ?

Comme toute règle, les causes de l’octroi sont nécessairement extra juridiques, rien n’impose de manière logique de faire bénéficier une personne de l’immunité, et donc elle va reposer sur une appréciation, à un moment donné, d’un équilibre des intérêts en cause –> On va avoir d’un coté des principes de légalité et d’égalité (devant le juge), et d’un autre, le principe qui s’applique de plus en plus, le droit au procès équitable. Un point commun à toutes ces causes d’octroi, c’est que le bénéficiaire de l’immunité exerce toujours une fonction qui se doit d’être exercée de manière indépendante, sans pression. La cause de l’octroi de l’immunité repose sur l’équilibre entre le principe de légalité (soumission au droit, au juge) et l’exercice indépendant d’une fonction, considérée comme aussi important que le principe de légalité. Ex : si le Président français bénéficie d’immunité de juridiction, c’est parce que, si n’importe quel citoyen pouvait l’amener tous les jours devant les tribunaux, il passerait son temps à plaider au lieu d’exercer ses fonctions. Autre ex : un avocat ne peut être poursuivi au pénal lorsqu’il agit pour la défense de son client –> toute personne a le droit d’être défendu, il ne faut pas que repose une pression sur l’avocat. De même, le parlementaire ne peut être poursuivi pour ce qu’il dit dans le cadre de ses fonctions.

Il y a un équilibre qui fait qu’on va faire une entorse à l’exercice du pouvoir. Cela évolue avec la société.

En Droit International, quels sont les bénéficiaires/titulaires de l’immunité ? Les titulaires sont d’abord les sujets de Droit International et Organisations Internationales. Un Etat est une entité indépendante, élément pris en considération. Les Organisations Internationales elles-mêmes doivent être indépendantes des Etats. Tous deux bénéficient donc de l’immunité.

Par voie de conséquences, les représentants et agents doivent être bénéficiaires d’immunité, en raison de leurs fonctions.