Les composantes du droit moral (paternité, divulgation…)

Les 4 composantes du droit moral :

Ils sont au nombre de quatre.

  • Le droit de divulgation. Selon l’article L.121-2 al.1 du CPI « l’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre ». La divulgation caractérise le fait de porter l’œuvre à la connaissance du public. La divulgation d’une œuvre est la prérogative la plus importante du droit moral qui revient à l’auteur.
  • La paternité. « L’auteur jouit du droit au respect de son nom et de sa qualité » (article L.121-1 du CPI). Il a un droit à « la paternité de son œuvre ». Le droit à la paternité de l’œuvre c’est pour l’auteur la possibilité de proclamer sa paternité afin d’établir un lien entre sa personne et son œuvre auprès du public.
  • Le droit au respect de l’oeuvre. L’auteur a droit au respect de son œuvre, ce droit est régi par l’article L.121-1 al 1 du CPI. Ce respect de l’œuvre consiste à protéger la personnalité de l’auteur telle qu’exprimée dans l’œuvre, mais également de communiquer au public l’œuvre exactement comme l’auteur a souhaité qu’elle le soit. Ce droit protège à la fois l’intégrité et l’esprit de l’œuvre.
  • Le droit de retrait et de repentir. L’article L.121-4 du CPI reconnaît à l’auteur un droit de retrait qui lui permet de mettre un terme à l’exploitation de l’œuvre et un droit de repentir qui autorise la modification d’une œuvre existante.
  1. A) Droit de divulgation :

C’est la liberté de porter ou non l’œuvre à la connaissance du public

  • Il est consacré indirectement par le célèbre arrêt Whistler (Civ 14 mars 1900, DP 1900,I, 497, note Planiol) en droit international privé. En l’occurrence il s’agissait du contrat de commande à un peintre : la Cour affirme que la propriété n’est transmise qu’à la remise de la chose et non pas lors de l’échange des consentements alors qu’en droit français le transfert de propriété s’effectue, en principe, lors de l’échange des consentement. L’arrêt prouve que l’auteur conserve le droit de divulguer ou de ne pas divulguer l’œuvre quand bien même il aurait consenti à la vente de l’œuvre. Ce n’est qu’à la livraison que s’accomplit la prérogative de l’auteur, à savoir le choix entre divulguer ou non. Puis vint l’arrêt Rouault (Paris 19 mars 1947, D 1949, 20, note Desbois) dont la loi de 1957 vint consacrer la solution (art L 121-2 al 1er).

  • Cette prérogative suscite du contentieux, car elle crée des conflits d’intérêts en cas de refus de divulgation par l’auteur avec les détenteurs des droits patrimoniaux. Par exemple, un auteur parolier invoque une reproduction de mauvaise qualité faite sans son accord. Bien que les droits patrimoniaux aient été cédés à la SACEM il a été jugé qu’il y a eu atteinte au droit de divulgation et qu’il aurait fallu l’accord de l’auteur (TGI Paris 28 sept 2001, RIDA avr 2002, 327). Ou alors ce peintre qui veut s’opposer à la vente, qui constituait la première révélation au public, d’une de ses toiles par un tiers possesseur (Civ 1ère 29 nov 2005 (Prop Intellect 2006,174).

Mais c’est surtout l’insertion dans une publicité qui pose problème : ex atteinte au droit moral par utilisation d’une chanson dans une auto-publicité de chaîne de télévision, alors que cette utilisation particulière n’avait pas été expressément spécifiée dans le contrat de cession de droits patrimoniaux (Paris 24 sept 1997 D 1999, Som 77, obs Hassler), voire même au cas où la cession aurait eu lieu dans des termes trop généraux pour que l’auteur, puisse imaginer, en connaissance de cause, que son œuvre serait exploitée pour tel type de publicité. La Cour de cassation veille et condamne les clauses de cession libellées en terme trop généraux (notamment la clause cession « quelle qu’en soit la destination » ou même cession à titre publicitaire sans préciser qu’il y aurait distribution sous forme de prime gratuite : civ 1ère 21 nov 2006, Prop intell 2007 janv, 84). De même pour l’utilisation d’extraits de musique dans une publicité (droit de synchronisation) il faut l’accord exprès de l’auteur (le droit de synchronisation est un droit patrimonial qui, sans préjudice du droit moral, est cédé à l’éditeur graphique et non pas apporté à la SACEM = société de droits d’auteurs pour la musique, laquelle, cependant gèrera les redevances payées au titre du droit de synchronisation) : Civ 1ère 24 avr 1998, D 1998, I.R. 82.

Dans un arrêt (Paris 28 juin 2000, CCE 2000, n°110, obs Caron) il a été jugé qu’une clause autorisant les modifications de texte et de paroles à des fins publicitaires a été validée, ce qui prouve qu’il ne suffit pas de mentionner une exploitation publicitaire mais qu’il faut détailler les usages, ce qui peut impliquer l’exigence de céder le droit d’adaptation si on veut opérer des modifications. Cf arrêt Dingler Civ 1ère 15 févr 2005 à propos de la chanson « Femme libérée » parodiée dans une publicité.

  • On se demande si le droit de divulgation s’épuise après le premier usage, par ex pour une nouvelle exposition dans des conditions non autorisées. C Cass a semblé l’admettre (Civ 1ère 13 déc 1989, RIDA avr 1990, 199), mais l’opportunité de la solution est discutée. La Cour d’appel de Paris a refusé de faire « rejouer » le droit de divulgation pour une rediffusion, ce qui est essentiel, sur internet (Paris 14 févr 2001, CCE mars 2001, n°25, obs Caron). Certains voudraient limiter le droit de divulgation aux rediffusions pour de nouveaux modes d’exploitation qui n’avaient pas été prévues par l’auteur, mais la chose n’est pas aisée car la notion mode d’exploitation est floue (voir R Knittel, l’épuisement du droit de divulgation, fusil à un ou deux coups, Rapport de recherche, MSI, 2008). Il a été jugé que la diffusion illicite de sketches sur MySpace constituait une atteinte au droit de divulgation (TGI Paris réf 22 juin 2007, CCE 2007, n° 143, Caron).

  • A la suite de l’arrêt Rouault de la Cour d’Appel Orléans (2ème arrêt de CA suite au renvoi après cassation) on estime que l’exercice du droit est susceptible d’abus, ce qui a été consacré législativement à l’article L 121-3). A été récemment jugée abusif le refus par l’ayant-droit de la traduction de l’œuvre, laquelle, qui plus est, aurait été accomplie à titre bénévole, traduction pourtant souhaitée par l’auteur de son vivant (Toulouse 24 janv 2001, CCE juill 2001, n°71, obs Caron).

  • Même s’il n’y a pas d’abus l’auteur engagera sa responsabilité contractuelle au regard du contrat de commande par l’exercice de son refus de divulgation, puisqu’il aura méconnu son obligation de délivrance de la chose.

  1. B) Droit de repentir et de retrait :

A la suite de l’arrêt Rouault de la Cour d’Appel Orléans (15 mars 1965, JCP 1965, 14186, obs Boursigot) on s’interroge quant à savoir si l’auteur peut exiger du propriétaire du corpus qu’il lui restitue l’œuvre afin de pourvoir la modifier ou la détruire, ou d’en garder la possession afin que le propriétaire ne puisse la communiquer au public. La Cour d’Appel d’Orléans l’a admis.

  • L’article 121-4 du CPI consacre ce droit de repentir : il s’agit de la reprise de l’œuvre, déjà divulguée, par l’auteur qui la réclame pour la modifier (on exigera cependant une modification substantielle, les autres étant justifiés par les usages) ; le retrait est, quant à lui, la fin de la mise en exploitation. Ces droits font peur aux exploitants car ils portent atteinte à la force obligatoire des contrats de cession de droits.

  • Ces droits sont très rarement exercés car il faut une indemnisation préalable de la perte que peut subir le cessionnaire, si bien que nous ne l’étudierons pas plus avant.

  • On peut imaginer une condamnation sous astreinte de retirer l’œuvre d’un site internet.

  1. C) Droit à la paternité :

  • L’article L121-1 du CPI : « l’auteur jouit du droit au respect de son nom, ainsi que de sa qualité ». Le nom de l’auteur doit donc être cité. Ce n’est qu’une faculté et l’auteur peut préférer l’anonymat ou le pseudonyme. C’est donc un droit de revendiquer la paternité de l’œuvre, ou de ne pas la révéler ou de la retirer (ex auteur qui désapprouve l’œuvre mais qui ne veut pas exercer son droit de repentir), ou de la contester si l’œuvre a été faussement attribuée. Il a été jugé que « l’individualisation insuffisante de l’auteur de photographies incluses dans un CD Rom était condamnable » (TGI Paris 29 avr 1998, expertises 1998, 357). Mais, pour les arts appliqués les usages font que le droit à la paternité est parfois tout simplement écarté (pour un logo : Paris 18 mars PIBD 1979, n°228.III.34).

  • Pour les images on peut procéder à un tatouage qui permet d’identifier l’œuvre et l’auteur, ce qui permet aussi d’assurer la traçabilité des circuits dans un secteur où les usages sont encore trop souvent, au mépris du droit, de transmettre verbalement les droits ou de considérer que la transmission numérique de l’image vaut transfert des droits (Légicom 2005, n°2, p 60 et s). Mais cette technique revient cher et n’est de loin pas généralisée.

  • Ce droit concerne aussi les œuvres collectives (les contributeurs ne sont pas privés de leur droit moral du fait de la dévolution des droits patrimoniaux à l’employeur), de collaboration, dérivées. Cela devrait aussi concerner l’œuvre composite. De ce point de vue TGI Paris 24 mai 2000 Légipresse oct 2000 semble critiquable. En l’espèce il y avait eu incorporation d’un extrait de musique de Rachmaninoff dans un film sans citer son nom. Le tribunal a jugé qu’il n’y avait pas d’atteinte au motif que Rachmaninoff n’était pas co-auteur du film. Certes, mais il y avait tout de même représentation d’une œuvre préexistante, ici la musique.

  • Sur internet le droit à la paternité risque d’être chahuté en raison des liens profonds permettant de changer de site sans passer par la page d’accueil (frontpage) où devrait être cité le nom de l’auteur.

On s’aperçoit en pratique que le nom de l’auteur du site internet n’est généralement pas cité. Ce qui va aussi poser problème c’est l’internationalisation : « comment faire respecter le droit à la paternité pour des supports modernes tels que les produits numériques, qui peuvent contenir jusqu’à 50000 images » ?

  • L’auteur peut exiger que soient indiqués ses titres, grades, distinctions. Tous les documents relatifs à l’œuvre, une plaquette publicitaire, un générique, doivent mentionner l’auteur. Cela pose des difficultés dans certains domaines (ex architecte : faut-il la mention de l’architecte sur le bâtiment ? ; extrait de musique) où jurisprudence tente alors de se référer aux usages.

  • L’auteur peut aussi renoncer à son droit à la paternité : ce n’est pas considéré comme une renonciation illicite au droit moral (ex clause dite de nègree), mais comme une autorisation précaire (Civ 1ère 13 févr 2007, CCE 2007, n°53, note Caron).

  1. D) Le droit au respect de l’œuvre :

  1. a) Concept :

L’article L 121-1 du CPI en pose le principe, mais c’est sous réserve d’abus.

L’exploitant doit, en principe, s’abstenir de toute modification, adjonction, suppression, utilisation dans un contexte inapproprié. Mais on admet les modifications minimes ou nécessitées par des contingences techniques justifiées dès lors qu’elles sont compatibles avec l’esprit de l’œuvre.

La protection du créateur est un souci louable dès lors qu’il s’agit d’arts classiques, mais devient moins adaptée lorsqu’il s’agit d’arts appliqués ou d’audiovisuel, surtout lorsqu’on utilise les fonctionnalités d’internet.

Les auteurs et sociétés de gestion de droits d’auteur sont favorables au droit moral, à la différence des exploitants qu’il inquiète.

On observera également que pour les œuvres collectives (voir infra) le droit moral est raboté, car l’auteur doit tenir compte du fait que sa contribution s’inscrit dans un tout dont il faut tenir compte.

  1. b) Exemples par secteur d’activité:

  • photos : réduction de format dans de mauvaises conditions techniques. Que dire alors d’internet ? A mon sens les progrès de la photo numérique vont rendre sans intérêt la question en ce qui concerne le piqué. Restera alors la question du format et de l’effet de loupe (par exemple pour les CD Rom de musées). On notera qu’il a été jugé en 1985 que la réduction de format (il s’agissait d’un dessin mais la solution est transposable à la photo) n’était pas illicite : Paris 2 oct 1985, Jurisdata n°023715. Le floutage ou la pixellisation d’une photo, diffusée dans un reportage, afin de masquer la marque de cigarettes est licite (TGI Paris 11 juill 2003, Légipresse 2003.I.153).

  • œuvres graphiques et picturales. Problème du morphing : internet permet la déformation des images fixes ou animées, ce qui suscitera du contentieux. Idem pour l’adjonction de couleurs.

  • cinéma : la colorisation d’un film noir et blanc porte atteinte au doit moral (cf la célèbre aff Huston : Versailles 19 déc 1999, RIDA avr 1995, 389, obs Kerever) ; de même pour un film télévisé lorsqu’il est interrompu par une coupure publicitaire (TGI Paris 24 mai 1989, RIDA janv 1990, 353) : un texte a dû être pris pour rendre légale la pratique des coupures. D’autres décisions sont moins sévères : il a été jugé par exemple que l’inclusion d’une chanson scindée en 2 parties pour faire partie du générique d’un film ne constituait pas une atteinte au droit moral car il y avait eu reproduction sans modifications ni amputation de l’œuvre (TGI Paris 26 nov 1997, RIDA oct 1998, 169, Kerever) ; en revanche l’utilisation d’extraits dans un contexte différent (Paris 12 déc 1995, RIDA juill 1996, 372) est illicite.

Notons qu’une œuvre littéraire adaptée au cinéma permet une certaine liberté d’interprétation (Civ 1ère 12 juin 2001, Légipresse sept 2001.I.102) : c’est la philosophie même de la notion d’adaptation qui commande cette solution, sous réserve cependant du respect de l’esprit de l’œuvre première.

  • textes : pour internet les hyperliens risquent de poser des difficultés quant à l’homogénéité des contextes, ce qui pourra poser problème en raison des agents intelligents qui pourront faire voir apparaître des bandeaux publicitaires créant un contexte opposé à celui de l’œuvre représentée.

  • Musique : le marché est en crise en raison de la prolifération des diffusions illicites grâce au peer to peer. La parade la plus efficace c’est la protection des CD et DVD par des moyens techniques, mais ces verrouillages provoquent les hurlements des associations de consommateurs puisque les consommateurs acquittent déjà une taxe sur les supports vierges au titre de la rémunération pour copie privée.

  • Mixage : in Paris 24 sept 1997, précité, la musique avait été mixée ce qui fut jugée comme une atteinte au droit moral.

  • Extrait : en revanche in Civ 1ère 24 avril 1998, précité, les juges ont considéré qu’il n’y avait pas eu d’atteinte pour n’avoir diffusé qu’un extrait, car la finalité n’était qu’une illustration sonore.

  • Karaoké :le karaoké constitue lui aussi un manquement au droit moral (Paris 28 avr 2000, RIDA janv 2001, 212 obs Kerever), car atteinte à la ligne mélodique et ajout d’images (Paris 29 mai 2002, CCE 2002, n° 125, obs Caron).

  • Pour les arts appliqués, comme l’empreinte de la personnalité est moins évidente, les atteintes sont d’autant moins souvent condamnées qu’elles sont plus souvent que d’autres amenées à être modifiées. Ex : le droit de modification des articles des journalistes par le rédacteur en chef pour des raisons techniques de mise en page. S’agissant du logiciel le législateur a d’ailleurs prévu le droit pour l’employeur de modifier le logiciel.

  • S’agissant d’internet il a été jugé qu’une mauvaise numérisation porte atteinte à l’œuvre : Paris 14 mars 2007, Dt de l’immat, juil 2007, p23). De même pour la lecture hachée d’un film en streaming (TGI Paris 13 juill 2007, préc).

  • 4 : droit moral et droit communautaire :

(Voir Doutrelepont, Le droit moral de l’auteur et le droit communautaire, Bruylant, 1997)

  • Le droit moral est susceptible d’entraver la libre circulation des biens et des services au sein de la Communauté Européenne. Par exemple le manque de respect à une œuvre pourrait entraîner l’interdiction d’exploiter dans un pays de la Communauté Européenne alors qu’elle serait exploitable dans un autre pays qui ne connaît qu’un droit moral amoindri

  • Le droit moral tombe manifestement dans le domaine d’application de l’Union européenne. Après les traités de Maastricht et d’Amsterdam la CEE est devenue Communauté Européenne. Le terme « économique » a disparu ce qui montre bien la dimension, entre autres, culturelle de la Communauté Européenne.

  • La Commission européenne a indiqué qu’avec les nouvelles technologies les possibilités de modifications des œuvres posaient avec plus d’acuité encore le droit moral.

  • Pour l’instant aucune norme européenne ne concerne le droit moral, car c’est un sujet trop sensible et la commission a rangé ses projets dans les tiroirs faute de perspectives de compromis. Pourtant le Royaume Uni connaît aussi le droit moral (¹ droit américain où il n’y a qu’un droit moral amoindri). Pour la France l’harmonisation serait vers le bas et non pas vers plus de droit moral

  • Dans les arrêts Magill (CJCE 6 avr 1995, RTDE 1995, 835, obs Bonet) et Phil Collins (CJCE 20 oct 1993, D 1995, 133, note Edelman) la CJCE (Cour de justice des communautés européennes) ont reconnu l’existence du droit moral avec une définition proche de celle de la Convention de Berne (art 6 bis), c’est-à-dire une conception plus objective (protection contre les déformations) que subjective (droit de la personnalité=droit moral vise à protéger la personne du créateur).

  • A noter que le droit moral ne devrait pas s’épuiser par la 1ère mise en circulation avec le consentement de l’auteur (sauf pour le droit de divulgation) si on s’attache à une conception subjective du droit moral.

  • Bases possibles d’un compromis

  • La durée du droit moral pourrait être limitée à la durée des droits patrimoniaux

  • Abandonner le droit de retrait qui est peu utilisé et qui plus qui est une entrave à la libre circulation.

  • Admettre les clauses de renonciation limitées.