La simulation : définition, conditions, effets.
Il arrive qu’un contrat soit simulé, il n’est pas destiné à recevoir d’exécution dans les termes dans lesquels il se présente ; les parties auront exprimé leur volonté réelle dans un acte secret (une contre-lettre). Par conséquent, deux conventions coexistent, l’une ostensible mais mensongère (acte apparent, simulé) et l’autre qui est sincère dans les rapports inter partes (contre-lettre).
A) Notion de simulation.
1°/ Les conditions.
Il faut que trois conditions soient cumulativement réunies : un accord des parties sur le contrat qu’elles passent en réalité (à distinguer du dol) ; un acte secret en principe contemporain de l’acte apparent (à distinguer d’un acte postérieur qui révoque ou modifie le premier acte) ; un acte modificatif de l’acte apparent qui est secret (à distinguer de la déclaration de command : contrat par lequel une personne déclare acheter pour le compte d’un autre mais sans faire connaître immédiatement son identité).
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2°/ Les éléments sur lesquels peut porter la simulation.
Le premier est le consentement lui-même, c’est l’hypothèse dans laquelle l’acte est purement fictif, c’est le degré extrême de la simulation : les parties conviennent entre elles qu’elles ne passent aucun contrat, le contrat apparent est totalement détruit par la contre-lettre, le vendeur veut soustraire un bien à ses créanciers.
Elle peut porter sur la cause, on parle d’acte déguisé ; la simulation a pour but de cacher la véritable nature du contrat : donation déguisée sous la forme d’une vente pour frauder le fisc, ou pour tourner les règles d’ordre public de réserve héréditaire.
Elle peut porter sur l’objet, dans ce cas les parties ne dissimulent pas la nature juridique du contrat mais partiellement l’objet d’une des obligations (montant du prix de vente : dessous de table).
Elle peut porter sur la personne même des parties au contrat, on dit qu’il y a simulation par interposition de personne : une personne figure comme partie au contrat apparent alors qu’elle n’est que le prête-nom du véritable bénéficiaire du contrat.
La simulation peut avoir un caractère non nécessairement frauduleux, même si c’est très souvent une fraude ; elle peut avoir une finalité parfaitement licite : un bienfaiteur peut vouloir dissimuler sa générosité, un commerçant peut ne pas vouloir révéler ses cocontractants.
B) Les effets de la simulation.
Ils résultent de la combinaison de trois idées : le respect de la volonté réelle des parties (acte secret), le souci de permettre aux tiers de bonne foi de se prévaloir de l’acte ostensible, le souci d’écarter la fraude. L’article 1321 du Code civil oppose les parties contractantes aux tiers (les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu’entre les parties contractantes ; elles n’ont point d’effet contre les tiers).
1°/ Les effets entre les parties.
- a) Le principe.
Entre les parties, l’acte secret est secret, l’acte apparent est inefficace (autonomie de la volonté) car c’est dans l’acte secret que réside la volonté réelle des parties. La simulation ne constitue pas par elle-même une cause de nullité. Dans une vente fictive, le vendeur ne pourra pas obtenir le paiement du prix et l’acheteur ne pourra pas obtenir la propriété de la chose ; de même dans une donation déguisée.
Mais cet acte secret ne sera efficace qu’autant qu’en lui-même il remplit les conditions de validité d’un acte ; il sera nul dans tous les cas où il aurait été nul s’il avait été passé ostensiblement. Selon l’article 911 du Code civil, est nulle toute libéralité soit déguisée, soit réalisée par personne interposée, si elle est faite au profit d’un incapable de recevoir à titre gratuit (toute disposition au profit d’un incapable sera nulle, soit qu’on la déguise sous la forme d’un contrat onéreux, soit qu’on la fasse sous le nom de personnes interposées. Seront réputées personnes interposées les père et mère, les enfants et descendants, et l’époux de la personne incapable).
Cette solution doit être généralisée : une donation déguisée reposant sur une cause illicite ou immorale ne pourra pas produire d’effet. Mais il ne s’agit pas d’exception à la règle selon laquelle la nullité ne résulte pas de la seule simulation, la simulation est neutre, elle n’est pas par elle-même une cause de nullité ni une cause de validité.
- b) Les exceptions.
Une convention valable si elle avait été passée ostensiblement peut parfois être nulle si elle est cachée, il y a bien exception car c’est alors la simulation qui est ici la cause de la nullité.
α) La nullité de la seule contre-lettre.
Seul l’acte apparent, bien que n’exprimant pas la volonté réelle des parties, va produire des effets dans deux hypothèses : la première est la nullité édictée par l’article 1396 du Code civil des contre-lettres modifiant un contrat de mariage en dehors des circonstances prévues par ce texte.
La seconde est la nullité des contre-lettres portant augmentation du prix prévu dans certains contrats (article 1840 CGI : cession de fonds de commerce, de clientèle, d’offices ministériels, vente d’immeubles) ; en conséquence, le vendeur ne pourra pas obtenir le supplément de prix stipulé dans la contre-lettre, ni l’acquéreur répétition s’il a déjà payé.
Le but du législateur est d’éviter la fraude, et s’il y a fraude d’inviter l’acquéreur à invoquer la nullité. Dans le souci de renforcer la sanction, « la nullité ne s’applique qu’à la convention secrète sans qu’il y ait lieu de rechercher s’il y a ou non indivisibilité entre les deux conventions » (Ch. Mixte, 12 juin 1981 ; D. 1981 p413 conclusions Cabane ; RTDCiv. 1982 p140 obs. Chabas ; Defrénois 1981 p1571 obs. Aubert).
β) La nullité de la contre-lettre et de l’acte apparent.
La nullité frappe l’opération toute entière, ni la contre-lettre ni l’acte apparent ne produiront d’effet. L’article 1099, al. 2 du Code civil vise les donations entre époux si elles sont déguisées ou faites à personne interposée (toute donation, ou déguisée, ou faite à personnes interposées, sera nulle).
- c) La preuve de la simulation.
Une partie peut souhaiter établir l’existence d’une contre-lettre, ou pour en demander l’exécution si elle est valable, ou pour tenter de répéter la prestation exécutée si elle est nulle. Pour établir la simulation, il faut prouver le caractère simulé de l’acte apparent, en exerçant une action en déclaration de simulation.
La preuve de l’acte secret se fera selon les règles ordinaires qui gouvernent les actes juridiques. Si la convention apparente a été passée par écrit, l’article 1341 du Code civil (il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre) fait obstacle à ce que l’acte secret soit prouvé autrement que par un écrit, sauf fraude ou commencement de preuve par écrit. Si la convention ostensible n’a pas été passée par écrit, la preuve testimoniale est alors admise selon le droit commun en matière de preuve.
2°/ Les effets à l’égard des tiers.
Les tiers concernés ne sont pas les penitus extranei ; ce seront ceux auxquels les effets du contrat sont opposables, ceux qui ont intérêt à en invoquer l’existence ou le contenu, soit parce qu’ils ont acquis de l’un des contractants l’objet du contrat (ayants cause à titre particulier), soit parce que le contrat modifie l’étendue de leur droit de gage à l’égard de l’une des parties (créanciers chirographaires). L’article 1321 du Code civil in fine dispose : « elles n’ont point d’effet contre les tiers » : on ne peut pas opposer aux tiers un acte secret qui leur serait préjudiciable, mais ils peuvent invoquer un acte secret s’il leur est favorable.
Les tiers disposent d’une option, ils peuvent en fonction de leur intérêt se prévaloir de l’acte apparent ou de l’acte secret à condition qu’il ne soit pas nul. Dans la vente fictive d’un immeuble, les créanciers du vendeur apparent auront intérêt à se prévaloir de la contre-lettre pour que le bien reste dans le patrimoine de leur débiteur ; les créanciers de l’acquéreur auront intérêt à se prévaloir de l’acte apparent pour que le bien passe dans le patrimoine de leur débiteur.
Quant à la situation procédurale des tiers, si le tiers se prévaut de l’acte apparent il n’aura aucune preuve à apporter, aucune instance à introduire puisque c’est par voie d’exception que le tiers se manifeste. S’il se prévaut de l’acte secret, le tiers devra exercer une action en déclaration de simulation, soumise aux règles générales qui gouvernent les actions en justice et non les règles particulières de l’action oblique ou de l’action paulienne ; elle peut être exercée par tout intéressé, y compris par le créancier dont le titre est argué de simulation, la prescription est trentenaire à partir de la date de l’acte ostensible, la preuve est faite par tout moyen.
Un conflit est possible entre des tiers : l’option ouverte aux tiers peut donner lieu à un conflit venant d’une opposition d’intérêts entre les tiers concernés : si le vendeur et l’acquéreur sont tous les deux insolvables, les créanciers tenteront de saisir le bien, en invoquant l’acte apparent pour le créancier du vendeur et l’acte secret pour le créancier de l’acquéreur.
Il est logique de trancher le conflit en faveur du tiers qui invoque l’acte ostensible, l’apparence : la sécurité des transactions le commande (Civ., 25 avril 1939 ; Dp 1940 I p12 ; Gaz. Pal. 1939 2e semestre p57). Le bail consenti par une société fictive est opposable à l’adjudicataire sur saisie immobilière (Soc., 14 décembre 1944 ; Sirey 1946 I p105 note Paisant).