Les conflits entre associés d’une société

Les conflits entre associés d’une société

La société commerciale constitue une institution instrumentant la volonté de ceux qui en sont les associés de réaliser des profits ensemble (en supportant le risque du partage des pertes à concurrence des apports dans les sociétés à responsabilité limitée). Les associés y organisent en outre les modalités du partage, entre eux, du pouvoir économique. Comme en toute matière supposant le rapprochement d’intérêts personnels ou patrimoniaux distincts, s’y pose, dès l’origine, la question de l’organisation du rapport ainsi créé.

Les relations entre les associés peuvent devenir conflictuelles et il faut alors imaginer des solutions particulières qui respectent l’autonomie de la société par rapport aux associés avec notamment une intervention extérieure par l’application d’une règle de droit et souvent une irruption du pouvoir judiciaire dans la vie sociétaire.

L’art dans les entreprises et ici les sociétés, comme dans les relations entre les Etats ou les groupes humains est de prévoir des méthodes qui évitent l’éclatement du conflit (I). A défaut, de l’avoir évité, il faut le résoudre le plus rapidement possible (II).

I – La prévention des conflits par l’information

La suspicion engendre généralement des frustrations et provoque la mésentente entre les associés. La loi prévoit diverses méthodes de prévention par l’information.

Les associés ont le droit d’être informé sur les résultats de la société en assemblée générale en fin d’exercice («le président ou le directeur général de la société est tenu de communiquer à chaque administrateur tous les documents et informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission» Article L225-35 du code de commerce), mais force est de reconnaître que dans les petites sociétés, l’information est très réduite. Il est même plus exact de dire que la gestion est plus marquée par l’opacité que par la transparence. La gestion impose souvent le secret des opérations pour éviter que celles-ci soient éventées avant d’avoir pu être réalisées.

Concrètement, ce n’est que si la société est cotée sur un marché financier que les sociétés sont tenues d’informer les actionnaires et les épargnants. Mais même ici, les formulations sont très sibyllines, sinon trompeuses. L’autorité des marchés financiers depuis la loi n°2003-706 du 1er août 2003 à l’image de la Securities Exchange Commission aux Etats-Unis d’Amérique, a mission de contrôler les informations financières publiées comme le faisait avec moins de pouvoir son prédécesseur, la COB. Les règles varient selon les sociétés en cause. Il est certain que dans une société à risques illimités pour les associés (SNC, et associés commandités de la société en commandite), les associés s’informent en permanence et sont, souvent, tout à la fois associés et dirigeants. Dans les sociétés de capitaux, les associés ont des droits particuliers de communication et d’information sur place au siège social à l’époque des assemblées générales.

Dans certaines affaires, le refus d’information a été un litige entre la direction générale et la présidence du conseil d’administration et les autres membres dudit conseil (affaires Cointreau et Pâtes Lustucru).

Le législateur a établi des procédures particulières d’information des sociétés.

I. Les mesures d’information imposées

1°. L’application du droit procédural commun

En application des dispositions de l’article 145 du Nouveau code de procédure civile, il est possible à un associé qui souhaite engager une procédure au fond à l’encontre de la société ou des dirigeants de solliciter du président du tribunal une mesure d’instruction permettant d’établir la preuve de l’existence d’un acte ou d’un fait dont le sort du litige dépend.

Cette procédure d’urgence classique n’est pas nécessairement contradictoire et le demandeur peut s’il craint que la preuve ne disparaisse pendant le débat judiciaire sollicité une ordonnance sur simple requête unilatérale. Ainsi, une simple allégation suffit pour lancer la procédure.

Cette mesure joue pour toutes les sociétés sans autre exigence que l’urgence et la preuve de la qualité d’associé du demandeur.

L’expertise peut concerner toutes les activités de la société et non les seules opérations de gestion.

La méthode est assez souvent utilisée en cas de refus d’information, mais les juges sont très prudents et limitent la mission de l’expert nommé autant qu’il est possible pour concilier les intérêts du demandeur et de la société.

2°. L’expertise de gestion (Code de Commerce art L225-230)

Cette procédure permet à un ou plusieurs associés détenant ensemble 5% du capital dans les SA ou 10% dans les SARL de solliciter du juge la nomination d’un expert afin que celui-ci établisse un rapport d’information sur telle ou telle opération de gestion. L’idée de départ avait été en 1966 de protéger les associés minoritaires contre d’éventuelles pratiques discutables qui intéressaient la majorité des associés dont est issue la direction.

Cette procédure d’information est aujourd’hui, ouverte aux associés d’actionnaires minoritaires de sociétés faisant appel public à l’épargne, au ministère public, à l’autorité des marchés financiers (L 225-231). En revanche, elle n’existe pas pour les associations d’actionnaires minoritaires dans les autres sociétés.

Lorsque la demande émane d’un associé, celui-ci doit au préalable poser sa question sur l’opération de gestion de la direction, par écrit aux organes dirigeant qui ont pris la décision en cause. Ce n’est que s’il n’a pas de réponse dans le mois qui suit la réception de la demande, qu’il peut saisir le juge si sa demande est dotée d’un caractère sérieux. Le ou les commissaires aux comptes sont tenus informés par la société de la demande.

Lorsque la réponse est insuffisante ; le président du tribunal de commerce peut être saisi. La procédure est contradictoire et le président statue en rendant une ordonnance de référé dont il peut être relevé d’appel. Il suffit qu’il constate le caractère sérieux de la demande et que les indices d’irrégularités lui apparaissent suffisamment éclairants pour qu’il nomme un expert avec une mission très précise. Il pourra alors ordonner la fourniture de l’information.

Le rapport est adressé aux demandeurs et à la société, au comité d’entreprise, au commissaire aux comptes (le rapport sera annexé au rapport général du CAC à la prochaine assemblée générale) et, le cas échéant, aux autorités de surveillances des marchés financiers (AMF).

3° La nomination d’un administrateur judiciaire.

Deux types d’administrateurs judiciaires peuvent être nommés pour contribuer à résoudre une crise de fonctionnement au sein d’une société : l’administrateur provisoire et l’administrateur ad hoc.

La nomination de l’administrateur provisoire nécessite deux conditions :

  • il faut qu’il y ait paralysie des organes sociaux (par exemple l’impossibilité de réunir une assemblée générale, ou l’existence d’un conflit entre deux groupes d’actionnaires détenant chacun une moitié du capital, empêchant par là même toute décision et toute nomination de dirigeants, ou encore une mésentente grave entre les membres du conseil d’administration)
  • un danger imminent menace la survie de la société. En pratique, le président du tribunal est saisi à cet effet et statue en référé. Il fixe précisément la mission qu’il confie à l’administrateur judiciaire nommé.

La nomination de l’administrateur ad hoc laisse une grande place à la variété des missions c’est pour cette raison qu’il est un administrateur judiciaire professionnel. Ses missions vont de la surveillance des opérations à l’enquête et à la conciliation en passant par le contrôle de la régularité de certaines opérations, l’accomplissement d’une formalité omise en matière d’information (L 237-7 et L 238-1) ou la convocation de l’assemblée générale des actionnaires (code de commerce art L 225-103)

II – Les missions d’information et de prévention des commissaires aux comptes (code de commerce articles L225-218s.)

Parmi les nombreuses fonctions des commissaires aux comptes, ceux-ci doivent être informés des conventions passées par les dirigeants avec la société pour pouvoir informer les associés ou actionnaires dans les sociétés de capitaux et les SARL

II – La solution des conflits

  • 1) La sanction des abus de majorité et de minorité

L’abus de majorité caractérise une résolution litigieuse qui a été prise contrairement à l’intérêt général, dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité. Deux éléments doivent donc être constatés pour caractérisé l’abus de majorité :

– nuire à la société

– favoriser les majoritaires aux détriments des minoritaires

Il est sanctionné par des dommages et intérêts pour les actionnaires coupables et de l’annulation de la délibération litigieuse. Néanmoins, concernant les assemblées générales extraordinaires leurs délibérations sont plus difficiles et délicates à annuler.

L’abus de minorité s’applique quand certains associés utilisent la minorité de blocage pour favoriser leurs uniques intérêts au détriment de l’intérêt des autres associés. Il faut que ce blocage empêche la réalisation d’une opération essentielle pour la société.

  • 2) La nomination d’un administrateur provisoire

La nomination d’un administrateur provisoire ne peut se faire que dans les SA et dans les SARL.

Article L225-231 du Code De Commerce :


«Une association répondant aux conditions fixées à l’article L. 225-120, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d’administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l’intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes.
A défaut de réponse dans un délai d’un mois ou à défaut de communication d’éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
Le ministère public, le comité d’entreprise et, dans les sociétés faisant publiquement appel à l’épargne, la Commission des opérations de bourse peuvent également demander en référé la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion


S’il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l’étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.
Le rapport est adressé au demandeur, au ministère public, au comité d’entreprise, au commissaire aux comptes et, selon le cas, au conseil d’administration ou au directoire et au conseil de surveillance ainsi que, dans les sociétés faisant publiquement appel à l’épargne, à la Commission des opérations de bourse. Ce rapport doit, en outre, être annexé à celui établi par les commissaires aux comptes en vue de la prochaine assemblée générale et recevoir la même publicité. »

Il ressort du document n°4 de la fiche 7 que la désignation d’un administrateur judiciaire peut se faire sur le fondement de soupçons d’actions irrégulières. En effet « la mesure d’information et de contrôle organisée par ce texte tend justement à l’établissement de cette preuve ». Cependant la demande de désignation d’un administrateur judiciaire doit être sérieuse. C’est-à-dire qu’elle doit se fonder sur des éléments clairement établis tels des pertes importantes sans compensation. Ainsi, pour reprendre l’exemple de l’arrêt étudié les pertes laissent soupçonner