La réitération des expériences passées dans un cadre politique renouvelé (XIX° siècle) : monarchie et IIe République
Les Constitutions françaises du XIXᵉ siècle, bien qu’ancrées dans un contexte d’évolutions politiques et sociales, portent les marques d’une certaine nostalgie. Chaque régime semble vouloir s’inspirer des modèles antérieurs :
- Les chartes monarchistes de 1814 et 1830 s’inscrivent dans une tentative de restauration de la monarchie tout en intégrant les acquis de la Révolution française.
- La Constitution de 1848 cherche à raviver les idéaux des Constitutions révolutionnaires de 1791 et 1793.
- Le régime de Napoléon III emprunte largement au système impérial de Napoléon Ier.
Cependant, cette apparente réminiscence n’est pas purement passéiste. Ces Constitutions doivent également tenir compte des transformations politiques, sociales et économiques du XIXᵉ siècle, marquées par l’essor des libertés politiques et les revendications démocratiques.
1 – Les chartes monarchistes : à la recherche de la liberté politique (1814 – 1848)
Entre 1814 et 1848, la France expérimente deux chartes constitutionnelles qui cherchent à équilibrer une restauration monarchique avec l’héritage révolutionnaire. Ces chartes, celles de 1814 et de 1830, marquent une tentative de modernisation politique et d’introduction progressive du parlementarisme, bien qu’elles restent marquées par des ambiguïtés et des limitations démocratiques.
La charte constitutionnelle de 1814 : un compromis conservateur
Contexte de mise en place
La charte de 1814 est instaurée par Louis XVIII après la chute de Napoléon et l’échec des Cent-Jours. Si la monarchie est restaurée, elle ne peut revenir complètement à l’Ancien Régime, car la période révolutionnaire a transformé durablement les mentalités et les institutions.
Liste des autres articles :
Les principes essentiels de la charte de 1814
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Une inspiration monarchique dominante
- La charte est octroyée par le roi, ce qui signifie qu’elle est un acte unilatéral, et non un contrat entre le souverain et le peuple.
- Le pouvoir constituant appartient au roi, qui reste supérieur à la Constitution. Il peut la modifier ou l’ignorer, ce qui reflète une suprématie de la monarchie sur toute autre source de légitimité.
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Un engagement vers la liberté politique
- Louis XVIII, influencé par son exil en Angleterre, cherche à transposer des éléments du libéralisme britannique.
- Le préambule insiste sur la « défense du bien du peuple », et les articles 1 à 12, intitulés « le droit public des Français », proclament des principes fondamentaux :
- Égalité juridique entre les citoyens.
- Liberté individuelle, de religion et d’expression.
- Droit de propriété, affirmé comme inviolable.
Ces dispositions inscrivent la charte dans une logique bourgeoise et libérale, en rupture avec les privilèges de l’Ancien Régime.
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Une séparation des pouvoirs embryonnaire
- La charte instaure un bicamérisme inspiré du modèle britannique :
- Une Chambre des Pairs, constituée par nomination royale.
- Une Chambre des Députés, élue au suffrage censitaire.
- Les pouvoirs du roi restent cependant prépondérants :
- Il dispose de l’initiative des lois et du droit de dissolution de la Chambre des Députés.
- Les ministres sont responsables pénalement, mais pas politiquement.
Les limites de la charte de 1814
- Absence de responsabilité politique des ministres : Le gouvernement reste directement subordonné au roi, ce qui freine l’évolution vers un véritable régime parlementaire.
- Concentration des pouvoirs royaux : L’article 14 permet au roi de prendre des mesures exceptionnelles pour le « salut public », ce qui ouvre la voie à des atteintes aux libertés proclamées.
- Un suffrage censitaire restrictif : Le nombre d’électeurs reste très limité, renforçant la domination de la bourgeoisie aisée.
La révolution de 1830 et la charte révisée de 1830
La monarchie de Juillet : continuité et rupture
La charte de 1830 naît de la révolution des Trois Glorieuses (27, 28 et 29 juillet 1830), qui renverse Charles X, dernier roi Bourbon, après des politiques jugées réactionnaires. Elle marque une continuité avec celle de 1814, tout en affirmant des évolutions significatives :
- La monarchie est confiée à Louis-Philippe d’Orléans, proclamé « roi des Français » et non plus « roi de France », soulignant la souveraineté nationale.
- La charte est révisée par les Chambres, et non unilatéralement octroyée, marquant un pas vers la légitimité populaire.
Les innovations de la charte de 1830
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La souveraineté nationale
- Le pouvoir constituant appartient désormais aux assemblées, et non au roi.
- L’initiative des lois est partagée entre les Chambres et le roi (article 15).
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Un régime parlementaire en gestation
- La charte renforce les prérogatives des chambres, notamment dans le contrôle du gouvernement.
- Les ministres, bien que toujours nommés par le roi, doivent obtenir la confiance des Chambres, amorçant une évolution vers la responsabilité politique.
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Des libertés élargies
- Les garanties des libertés individuelles et collectives sont renforcées.
- La censure de la presse, rétablie sous Charles X, est supprimée.
Les limites du régime de 1830
Malgré ces avancées, la monarchie de Juillet reste marquée par une ambiguïté :
- Intervention constante de Louis-Philippe : Le roi s’immisce régulièrement dans les affaires gouvernementales, freinant l’autonomie du cabinet et des Chambres.
- Un suffrage toujours censitaire : Bien que le cens soit abaissé, le corps électoral reste limité (environ 240 000 électeurs en 1848), excluant une majorité de la population.
- Conflits sociaux croissants : Les revendications populaires, notamment pour le suffrage universel, ne trouvent pas d’écho dans ce régime, favorisant son impopularité.
Le bilan constitutionnel de 1814 à 1848
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La reconnaissance de l’héritage révolutionnaire
- Les chartes de 1814 et 1830 actent l’impossibilité de revenir à l’Ancien Régime. L’égalité devant la loi, la liberté individuelle et le droit de propriété deviennent des acquis définitifs.
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L’introduction progressive du parlementarisme
- La monarchie limitée de 1814 évolue progressivement vers un régime parlementaire sous la monarchie de Juillet, bien que cette évolution reste incomplète. La notion de responsabilité politique des ministres apparaît en pratique, mais sans être pleinement institutionnalisée.
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Une démocratisation encore inachevée
- Le régime parlementaire reste largement dominé par les élites bourgeoises. L’absence de suffrage universel limite son caractère démocratique, ce qui alimente les tensions sociales.
La chute de la monarchie en 1848
La monarchie de Juillet s’effondre en février 1848 sous la pression des révoltes populaires. Son incapacité à intégrer les revendications démocratiques et sociales, notamment l’exigence du suffrage universel masculin, marque la fin d’une période d’expérimentation monarchique.
L’instabilité politique cède alors la place à la IIᵉ République, qui cherche à répondre aux aspirations démocratiques tout en s’inscrivant dans la continuité des acquis de cette période.
2 – Les Constitutions à l’épreuve de la démocratie (1848 – 1852) : de la IIe République au IIe Empire
La période de 1848 à 1852 marque une tentative de concilier les aspirations démocratiques et sociales issues des révolutions du XIXᵉ siècle avec les défis institutionnels de l’époque. Après la chute de la monarchie de Juillet, incapacité à répondre aux revendications populaires, la IIᵉ République tente d’instaurer un régime démocratique, mais échoue face à ses contradictions internes. Cet échec pave la voie au IIᵉ Empire, régime autoritaire fondé sur le suffrage universel et la concentration du pouvoir exécutif.
A) La IIᵉ République : entre innovation démocratique et fragilité institutionnelle
Contexte : la fin de la monarchie de Juillet
La monarchie de Juillet (1830-1848), centrée sur une monarchie parlementaire censitaire, est renversée par les révolutions de février 1848. Les classes populaires et les républicains réclament des réformes démocratiques, notamment :
- Le suffrage universel masculin, excluant les contraintes censitaires.
- Des droits sociaux garantis par l’État, notamment face aux inégalités accrues par la révolution industrielle.
Ces revendications trouvent un écho dans la IIᵉ République, proclamée en 1848.
Les innovations de la Constitution de 1848
La Constitution de 1848 se veut une réponse à la fois politique et sociale :
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Le suffrage universel masculin (article 24) :
- Pour la première fois, tous les hommes adultes peuvent voter, marquant une rupture avec les systèmes censitaires précédents.
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Un préambule progressiste :
- Il consacre des droits sociaux ambitieux, tels que :
- Le droit au travail, qui engage l’État à garantir des emplois aux citoyens.
- La protection de la santé, amorce d’une politique sociale moderne.
Une architecture institutionnelle source de tensions
La Constitution de 1848 institue deux centres de pouvoir :
- Une Assemblée législative, élue au suffrage universel, qui détient le pouvoir législatif.
- Un président de la République, également élu au suffrage universel, qui concentre le pouvoir exécutif.
Cette double légitimité, issue du suffrage populaire, est source de conflits structurels :
- Absence de mécanismes de régulation : Aucun arbitrage clair n’est prévu pour gérer les différends entre les deux pouvoirs.
- Compétition institutionnelle : La coexistence d’un exécutif puissant et d’un législatif indépendant engendre des rivalités constantes.
B) Une tentative d’imitation des modèles de 1791 et 1793
La IIᵉ République, proclamée après la révolution de février 1848, s’inspire des idéaux révolutionnaires des Constitutions de 1791 et 1793 :
- Suffrage universel masculin : Adopté en 1848, il prolonge les aspirations démocratiques de 1793, même si ce dernier n’avait pas pu être appliqué.
- Proclamation des droits sociaux : Le préambule de la Constitution de 1848 consacre des droits comme le droit au travail et la protection sociale, rappelant l’héritage jacobin.
Une réponse aux transformations sociales et politiques du XIXᵉ siècle
Si elle s’inspire des Constitutions révolutionnaires, celle de 1848 reflète également des évolutions spécifiques à son époque :
- La montée de la question sociale, avec les premières revendications ouvrières et la nécessité pour l’État de jouer un rôle économique et social.
- La consolidation du suffrage universel, marquant une étape essentielle dans la démocratisation des institutions.
- Un compromis entre exécutif et législatif, tentant de tirer les leçons des échecs des régimes précédents.
Toutefois, la Constitution de 1848 échoue à stabiliser les institutions : la coexistence conflictuelle entre le président et l’Assemblée législative conduit rapidement à la crise du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851.
C) L’échec de la IIᵉ République et le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte
Un équilibre impossible
Les tensions entre le président de la République et l’Assemblée législative s’aggravent rapidement :
- Le président, Louis-Napoléon Bonaparte, élu en 1848 avec un large soutien populaire, cherche à renforcer ses prérogatives.
- L’Assemblée législative, dominée par des républicains modérés et des conservateurs, s’oppose à ses ambitions.
Cette opposition culmine avec le coup d’État du 2 décembre 1851, où Louis-Napoléon dissout l’Assemblée et suspend la Constitution.
Le rôle du suffrage universel dans la légitimation du coup d’État
Louis-Napoléon s’appuie sur le suffrage universel pour légitimer son action :
- Un plébiscite organisé après le coup d’État confirme son maintien au pouvoir, avec une majorité écrasante de votes en sa faveur.
- Il se présente comme le défenseur du peuple face aux élites politiques divisées et inefficaces.
3) Le IIe Empire
A) La Constitution de 1852 : la naissance du IIᵉ Empire
Une organisation politique autoritaire
La Constitution républicaine du 14 janvier 1852, rédigée par des fidèles de Louis-Napoléon, établit un régime dominé par l’exécutif :
- Le président de la République concentre l’ensemble du pouvoir exécutif et détient l’initiative des lois.
- Le Sénat, composé de membres nommés par l’exécutif, contrôle la constitutionnalité des lois mais reste subordonné au chef de l’État.
- Le Corps législatif, élu au suffrage universel, a un rôle purement consultatif et ne peut contester l’autorité présidentielle.
Ce texte est rapidement amendé par un sénatus-consulte du 7 novembre 1852, qui restaure l’Empire :
- Article 2 : « La dignité impériale est rétablie. »
- Louis-Napoléon devient empereur sous le nom de Napoléon III, inaugurant le IIᵉ Empire.
La démocratie encadrée : le paradoxe bonapartiste
Napoléon III revendique une synthèse entre autoritarisme et démocratie :
- Il conserve le suffrage universel masculin, utilisé pour légitimer son pouvoir à travers des plébiscites réguliers.
- Cependant, cette légitimité est biaisée par un contrôle strict des processus électoraux, une censure des opposants et une propagande omniprésente.
Dans les faits, la responsabilité politique de Napoléon III est fictive :
- Il se déclare seulement responsable devant le peuple, mais c’est lui qui décide si et quand cette responsabilité doit être engagée.
B) Le IIᵉ Empire : un régime autoritaire jusqu’à la chute
Un système autoritaire
Le IIᵉ Empire (1852-1870) repose sur :
- Une concentration du pouvoir entre les mains de l’empereur.
- Une police politique qui surveille les opposants et limite la liberté d’expression.
- Un usage récurrent des plébiscites pour donner une apparence de légitimité démocratique.
La chute du régime
Le IIᵉ Empire s’effondre en 1870, à la suite de la défaite de Sedan contre la Prusse.
- Napoléon III, capturé par les Prussiens, perd toute légitimité.
- Le 4 septembre 1870, la République est proclamée à Paris, marquant la fin de cette tentative autoritaire de concilier démocratie et pouvoir personnel.
C) Le régime de Napoléon III : une copie du Premier Empire
Une inspiration directe de Napoléon Ier
Le régime de Napoléon III (1852-1870) est fortement influencé par le Premier Empire :
- La Constitution de 1852 reprend les mécanismes de concentration du pouvoir exécutif caractéristiques de Napoléon Ier.
- Le Sénat et le Corps législatif, bien que présents, restent subordonnés à l’exécutif, dans une logique de contrôle et de domination.
Une adaptation aux exigences de la modernité
Si Napoléon III s’appuie sur le modèle impérial, il y intègre des éléments de son temps :
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L’usage du suffrage universel
- Napoléon III justifie son pouvoir par des plébiscites, affirmant son lien direct avec le peuple.
- Il instrumentalise le suffrage universel comme un outil de légitimation, tout en limitant la véritable participation démocratique.
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L’émergence d’une société politique
- Malgré son caractère autoritaire, le régime tolère une certaine politisation de la société, notamment par le biais des élections législatives.
- À partir des années 1860, le régime amorce une libéralisation progressive, sous la pression d’une opposition grandissante et des transformations économiques et sociales.
D) Bilan : une démocratie en quête d’équilibre
La période 1848-1852 illustre les défis de la construction démocratique en France :
- La IIᵉ République marque une avancée majeure avec l’instauration du suffrage universel masculin et la reconnaissance de droits sociaux. Cependant, son architecture institutionnelle défaillante précipite son échec.
- Le IIᵉ Empire, bien qu’autoritaire, repose paradoxalement sur une base démocratique, en utilisant le suffrage universel comme outil de légitimation, mais en en détournant l’esprit.
Ces tensions entre démocratie et autoritarisme marquent durablement l’histoire constitutionnelle française, ouvrant la voie à de nouvelles expériences républicaines.