Les contentieux réservés au juge judiciaire
— Conseil Constitutionnel 1987 : Définition de la compétence administrative « sous réserve des compétences réservées par nature à l’autorité judiciaire ». Or le droit n’a rien de naturel.
§1 : La gestion du domaine privé
— Les personnes publiques sont des personnes juridiques morales. Elles sont titulaires de droits et obligations et ont un patrimoine (Des biens meubles et des biens immeubles). L’ensemble de ce patrimoine est qualifié de domaine. Ce domaine est divisé en deux ensembles :
- Police administrative : définition, mesures et limites
- Le régime juridique des services publics
- La gestion du Service Public en régie directe ou délégation
- Le Service Public : définition, création, suppression
- Les compétences des juridictions en contentieux administratif
- Le pouvoir judiciaire, législatif, et exécutif des juridictions administratives
- Les contentieux administratifs réservés au juge judiciaire
— Domaine public : Tout ce qui n’est pas du domaine public est du domaine privé. Il faut donc définir le domaine public. C’est l’ensemble des biens qui appartiennent à une personne publique et qui sont soit affectés à l’usage direct du public (Ex : La voirie, une promenade), soit affectés à un service public, mais à la condition ici que ces biens fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution de ce service public (Ex : Amphi d’université) Les juridictions administratives ont compétence pour tous les litiges se rapportant au domaine public.
— Domaine privé : Tout ce qui ne rentre pas dans le domaine public mais qui appartient à une personne publique relève de son domaine privé. Ce sont des biens qui, a contrario, ne sont pas d’une utilité indispensable (Ex : Terrains sans aménagements dont une Commune est propriétaire) Le contentieux du domaine privé est de la compétence judiciaire.
Il faut néanmoins nuancer :
- Il est possible que sur un bien du domaine privé se déploie une activité de service public. Le bien n’est pas indispensable à cette activité, mais il en est le support (Ex : Une forêt appartenant à une Commune, qui serait gérée de manière à assurer la diversité des espèces etc. On l’utilise dès lors dans le cadre de l’activité d’un service public). Les litiges qui lui sont liés peuvent dès lors relever de la juridiction administrative, à condition de remplir les conditions vues en sous-section 2.
- S’il y a des travaux ou ouvrages publics sur le domaine privé (Ex : Une forêt appartenant à une Commune est le lieu de travaux publics), les litiges le concernant relèvent de la juridiction administrative.
- Le juge administratif dit qu’il est possible que des décisions se détachent du domaine privé (Notion d’actes détachables). La gestion du domaine privé peut être émaillée de décisions administratives. Si celles-ci sont contestées et sont détachables de la gestion, elles relèvent de la compétence du juge administratif. Le juge administratif et le Tribunal des conflits considèrent comme systématiquement détachables les actes unilatéraux émanant des organes délibérant d’une Commune (Délibération du Conseil municipal) ainsi que de l’exécutif communal (Arrêté du maire). Il y a une présomption d’administrativité.
— Le principe de la compétence judiciaire pour le domaine privé est très réduit. Il y a donc plus d’exceptions que du principe.
§2: Les contentieux réservés par nature à la compétence du juge judiciaire
— Néanmoins, le Conseil Constitutionnel dans sa décision de 1987 et par la suite, ne donne aucune illustration de ces matières qui seraient, par nature, de la compétence du juge judicaire. On parvient tout de même à les identifier : Questions qui concernent le contentieux des activités privées des personnes privées, activités totalement détachées de l’administration. Ce point ne suscite pas trop de discussion. Mais dès lors que cette activité peut se rattacher à une activité de l’administration (Si elle gère une personne publique), il faut étudier la situation en détail.
La tradition du système judiciaire donne d’autres matières :
A) Le droit des personnes
— Tout ce qui touche au droit applicable aux individus est régi par le Code Civil en France et relève du juge judiciaire (Etat des personnes, capacité, nationalité, capacité électorale etc.). Il y a une tradition française de compétence du juge judiciaire sur ces questions. Si un juge administratif est confronté à la question de la nationalité de l’une des personnes en présence, il va devoir surseoir à statuer et renvoyer les parties faire trancher cette question devant le juge civil.
— Lorsqu’est en cause directement la contestation d’un acte de l’administration portant sur les questions évoquées ci-dessus (Etat d’une personne etc.), la question de la compétence se pose. Le juge administratif serait compétent formellement, mais il serait obligé de surseoir à statuer pour trancher au fond. La question est donc complexe. Il a été prévu que le contentieux des actes portant sur ces questions serait attribué à la juridiction judiciaire.
— Mais cette attribution n’est pas totale, il y a des nuances (Ex : Contentieux de l’adoption attribué à la juridiction administrative, mais des questions préjudicielles peuvent être posées à la juridiction judiciaire)
B) La protection du droit de propriété et des droits fondamentaux
— ARTICLE 66 al.2 de la Constitution : « L’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ». D’un point de vu constitutionnel, est affirmée une compétence générale du juge judiciaire dans ce cas. Mais l’ARTICLE 66 al.1 de la Constitution vient nuancer le principe. Celui-ci interdit les détentions et arrestations arbitraires. Cela éclaire le sens de l’alinéa 2 : Quand il y a mise en cause d’une arrestation arbitraire ordonnée par l’administration, c’est le juge judiciaire qui est compétent. Donc l’affirmation de l’alinéa 2 n’est pas générale, elle ne concerne que certains cas précis. Cela justifie que lorsqu’une personne de nationalité étrangère est placée en zone de transit car elle n’a pas de papiers ou qu’une personne de nationalité étrangère est placée dans un centre de rétention avant d’être expulsée, le contentieux de ces mesures est attribué au juge judiciaire en application de cet article. En dehors de ces hypothèses, il n’y a pas compétence exclusive du juge judiciaire dans la protection des droits et libertés.
— De plus, les autorités administratives disposent d’un pouvoir de police administrative très attentatoire aux droits et libertés, et le contentieux de la police administrative relève de la compétence du juge administratif. Cela montre bien que la compétence du juge judiciaire en la matière est limitée.
— Il ne faut néanmoins pas négliger le rôle de la juridiction judiciaire en la matière.
1- Les textes
— Napoléon est à l’origine du fait que les juridictions judiciaires ont une large compétence en matière de la protection du droit de propriété (1810 : Procédure d’expropriation, mais pour laquelle l’intervention du juge judiciaire a été prévue. Il intervient lorsqu’il n’y a pas accord sur le prix dans le cas de l’expropriation par accord amiable, et pour prononcer le transfert de propriété, même lorsqu’il n’y a pas d’accord amiable. Cette intervention a été crée pour offrir des garanties aux citoyens).
— Il y a ensuite eu d’autres textes donnant aux autorités administratives le pouvoir de porter atteinte au droit de propriété, mais ces pouvoirs sont tempérés par l’intervention du juge judiciaire.
— Est apparu un principe de compétence du juge judiciaire pour connaitre de toutes les questions touchant au droit de propriété, le juge administratif devant surseoir à statuer lorsqu’une question arrivait devant lui.
— ARTICLE 136 CPP : Compétence judiciaire à l’égard de toutes les actions civiles en matière de détention et d’arrestation arbitraire, ou de violation de domicile. Cette compétence du juge judiciaire vaut que l’action civile soit dirigée contre l’Etat ou contre ses agents.
— La jurisprudence a donné une interprétation stricte de cette disposition, comme exception limitée. Celle-ci se traduit par l’impossibilité du juge judiciaire, compétent sur le fond, de se prononcer sur la légalité des actes administratifs qui sont le cœur du litige. Tribunal des conflits 16 novembre 1964 CLEMENT, il ne peut ni le faire par voie d’exception, ni par voie directe a fortiori (TC 12 mai 1997 PREFET DE POLICE DE PARIS).
— Hypothèse de l’hospitalisation d’office : Organisée par le préfet à l’égard des personnes atteintes de troubles mentaux graves. Cette mesure est donc prise par une autorité administrative, c’est une mesure de police administrative et elle devrait être de la compétence administrative. Mais elle concerne un individu qui est retenu, donc par l’ARTICLE 66 de la Constitution, il y a compétence du juge judiciaire pour connaitre de la nécessité de retenir cette personne.
2- Les jurisprudences
a) La voie de fait
— Elle donne compétence au juge judiciaire pour connaitre un certain nombre de comportements des autorités administratives, sans pour autant déroger au principe de séparation des autorités. La compétence judiciaire est donc « logique », parce qu’on est en présence de comportements particuliers et très condamnables de l’administration.
— La voie de fait se manifeste lorsque l’administration adopte des actes ou un comportement très gravement illégal, au point qu’on considère qu’elle s’est dénaturée. On dit que cet acte ne mérite pas que le principe de séparation des autorités joue. L’administration perd son privilège de juridiction lorsqu’elle commet une voie de fait. — On ne peut donc pas considérer qu’il s’agit d’une dérogation au principe de séparation des autorités, puisqu’il n’y a pas de raison pour que ce principe joue.
–. Les conditions de la voie de fait
— Il y a deux conditions cumulatives (Il faut que les deux aient lieu) pour que le comportement ou l’acte pris par l’administration soit qualifié de voie de fait :
- Exigence d’illégalité gravissime, inadmissible de l’acte ou du comportement de l’administration : Cette condition est posée pour pouvoir dire que l’administration s’est dénaturée. Deux cas concrétisent cela : Soit dans l’hypothèse dans laquelle l’administration a eu recours à l’exécution forcée d’une décision administrative en dehors des situations dans lesquelles elle peut y procéder (Ex : Une collectivité qui
fait raser un immeuble qui pose un danger pour les habitants. L’administration ne peut pas le faire, sauf dans certains cas. Le principe est l’interdiction, mais il y a des exceptions. Il peut y avoir l’autorisation d’un juge, lorsqu’il n’y a aucune autre solution, c’est également possible, ou alors en raison de l’urgence etc. Tribunal des conflits 2 décembre 1902 Sté IMMOBILIERE DE SAINT-JUST. S’il y a d’autres moyens, la décision d’exécution forcée est illégale), soit lorsque l’administration a pris des mesures manifestement insusceptibles de se rattacher à un pouvoir lui appartenant (On est en présence d’une décision de l’administration, alors qu’aucun texte ne l’autorisait à le faire. Si elle y était autorisée dans un autre domaine, la condition ne peut fonctionner. Le Tribunal des conflits avait jeté le trouble en admettant qu’il pouvait y avoir voie de fait lorsque l’administration avait utilisé un de ses pouvoirs en dehors du domaine prévu. Ca a été très contesté. Dès 1997, il est revenu en arrière.)
- La mesure en cause doit porter une atteinte grave à une liberté fondamentale ou au droit de propriété.
–. Régime juridique de la voie de fait
— Il accorde une compétence très large au juge judiciaire en présence de ces hypothèses. Ici le juge judiciaire a comme première compétence celle de caractériser la voie de fait, pour établir sa propre compétence. Si le litige ne présente pas les deux conditions cumulatives, il se déclarera incompétent pour connaitre du litige. Ensuite, il lui est reconnu le droit d’apprécier la légalité des actes administratifs qui sont à l’origine du cas de voie de fait. Cette hypothèse vaut pour tout type d’acte (Individuel ou règlementaire, même si c’est très rare pour les actes administratifs règlementaires). Il a ensuite le pouvoir de prononcer des injonctions envers l’autorité administrative responsable du cas de voie de fait (Jusqu’à l’ordre de détruire un bâtiment construit sur le terrain d’une personne privée etc.). Il a enfin compétence pour indemniser les dommages causés à la victime par la voie de fait.
— Néanmoins, le juge administratif a tout de même une compétence résiduelle en la matière : Il peut aussi caractériser la voie de fait, afin de pouvoir donner compétence au juge judiciaire et se déclarer lui-même incompétent (TC GUIGON 27 juin 1966).
— Pendant très longtemps, le juge administratif n’a pas disposé, lui, du pouvoir d’injonction envers les autorités administratives. Il n’a eu ce pouvoir que par une loi de 1995, et que dans le cadre de l’exécution d’une décision. Cette impossibilité de prononcer des injonctions avant cela, avait fait naitre une situation dans laquelle les victimes de certaines actions administratives cherchaient à prouver la voie de fait pour aller devant le juge judiciaire qui pouvait prononcer des injonctions. Il y avait abus de la notion de voie de fait (Notamment au niveau des référés). C’est à l’origine de la création du pouvoir ultérieur du pouvoir d’injonction du juge administratif, et du référé liberté fondamental (Loi du 30 juin 2000), qui permet d’obtenir du juge administratif des référés, qu’il prononce des mesures (Eventuellement des injonctions), pour mettre fin à une atteinte grave et illégale à une liberté fondamentale causée par une personne publique dans l’exercice de ses pouvoirs.
b) L’emprise irrégulière
— C’est exclusivement pour protéger le droit de propriété que ce mécanisme existe, donc son champ d’application est plus étroit. Il confère au juge judiciaire des pouvoirs beaucoup plus réduits que lors de la voie de fait.
— L’emprise, c’est le fait de prendre possession d‘un immeuble de manière à empêcher le propriétaire de cet immeuble de l’utiliser. Cette emprise peut s’opérer de manière légale (Ex : Pour l’exécution de travaux publics, il est possible de réquisitionner un immeuble pour stocker etc.).
— L’emprise irrégulière est l’emprise qui se situe en dehors de tout cadre légal.
— C’est une opération administrative qui est à l’origine de cette emprise, donc il devrait y avoir compétence du juge administratif. Mais les textes qui prévoient les emprises légales prévoient que les indemnisations de ces emprises sont de la compétence du juge judiciaire. La jurisprudence s’est dit que pour les emprises irrégulières il faudrait conserver le principe. L’administration dans un cas comme dans l’autre sera condamnée par le juge judiciaire.
— Le juge judiciaire n’intervient que pour examiner le préjudice et pour obliger l’administration à le réparer. Il n’aura pas compétence pour se prononcer sur la régularité de l’emprise. Il ne peut pas, en la matière, prononcer d’injonction.
— Il est possible qu’un même comportement de l’administration soit susceptible d’être considéré comme une voie de fait et comme une emprise irrégulière en même temps. Dans ce cas de figure, l’intérêt de la victime est de faire valoir la voie de fait.