La protection contre les dégradations : les contraventions de grande voirie (CGV) 

            La personne publique doit protéger le domaine public contre les dégradations que pourrait lui faire subir un usager ou un tiers, volontairement ou non. Une contravention de grande voirie est une amende qui vise à sanctionner tout fait de nature à compromettre la conservation du domaine public.

A)   La notion

             La contravention de grande voirie est une sanction qui vise à réprimer les atteintes à l’intégrité du domaine public. Ce mode de sanction est extrêmement ancien (traces dans l’Ancien régime), et aujourd’hui, le régime est codifié à l’article L.2132 du Code général de la propriété des personnes publiques.

             Ces sanctions ont un caractère répressif et, pour cette raison, elles ne peuvent être appliquées que si elles sont prévues par un texte spécial qui pourra être une loi ou un décret en fonction du montant de l’amende.

Le contentieux de ces sanctions relève exclusivement du juge administratif.

  1. Les contraventions de police et les contraventions de grande voirie

            Le Conseil constitutionnel lui-même a rappelé que ces deux types de sanctions ne pouvaient être assimilées dans sa décision du 23 septembre 1987 : «les contraventions de grande voirie qui tendent à réprimer tout fait matériel pouvant compromettre la conservation d’une dépendance du domaine public ne sont pas, compte-tenu de leur objet et des règles de compétences qui leurs sont applicables, des contraventions de police».

Ces deux types de sanctions peuvent être parfois difficiles à distinguer pour deux raisons :

  • d’une part, elles peuvent être exercées par la même autorité ; ainsi, le Préfet a à la fois un pouvoir de police administrative générale et un pouvoir de police spéciale de protection du domaine public ;
  • d’autre part, un même fait peut être constitutif des deux contraventions :

            Ex : dégradation d’un ouvrage de la SNCF ; extraction illégale de sable en haute-mer : dans ce domaine, le principe non bis in idem ne s’applique pas, et il pourra y avoir cumul de sanctions (contraventions de police et de grande voirie).

 

            Le principe de personnalité des peines du droit pénal s’oppose à ce que les héritiers d’un contrevenant puisse se voir étendre les conséquences d’une contravention de police. Là aussi, ce principe ne s’applique pas aux contraventions de grande voirie, ce qui signifie qu’une personne qui dégraderait le domaine public, qui serait condamnée par contravention de grande voirie et qui décèderait avant d’avoir pu subir sa sanction verrait celle-ci peser sur la tête de ses héritiers.

 

  1. Les contraventions de voirie routière et les contraventions de grande voirie

            Les contraventions de grande voirie sont applicables sur l’ensemble du domaine public à l’exclusion de la voirie routière. La voirie routière relève du champ des contraventions de voirie, qui sont elles de la compétence exclusive du juge judiciaire. Cela résulte du décret-loi du 28 décembre 1926 qui a unifié sous la seule compétence du juge judiciaire toutes les infractions à la voirie routière, qu’il s’agisse d’infractions à la circulation ou de dégradations de la voirie.

 

B) Le régime des poursuites

  1. Le procès verbal et sa notification

             Le procès verbal de contravention de grande voirie sera établi soit par un officier de police judiciaire soit par un agent assermenté. Sur la base de ce procès verbal, le Préfet va engager des poursuites au nom de l’Etat ; le Préfet a une compétence générale en la matière, quel que soit le propriétaire de la dépendance du domaine public concernée, sauf s’agissant des établissements publics, il s’agira généralement non pas du Préfet mais du directeur de l’établissement (Réseau ferré de France, Voies navigables de France).

Dans les dix jours qui suivent le procès verbal, le Préfet doit le notifier à la personne concernée avec citation à comparaître devant le tribunal administratif compétent. Ce délai n’est pas souvent respecté, mais le juge ne censure pas la méconnaissance de celui-ci.

 

            Le tribunal administratif va être compétent pour apprécier le bien fondé de la contravention de grande voirie, il va apprécier s’il y a eu effectivement dégradation, et il va vérifier s’il existe un texte qui prévoit la sanction d’une telle contravention de grande voirie.

Par ailleurs, en cas de litige sur la qualification de la dépendance concernée, le tribunal pourra se prononcer sur cette qualification. Les contraventions de grande voirie ne sont pas possibles pour le domaine privé, il est donc très fréquent que les requérants invoquent la qualification de la dépendance en dépendance du domaine privé.

 

            Dans l’hypothèse où la contravention de grande voirie a été adressée non pas en raison d’une dégradation mais d’une occupation illégale du domaine, le tribunal sera compétent pour apprécier l’illégalité de l’occupation du domaine (absence de titre, titre retiré ou non renouvelé).

En revanche, le contrevenant ne peut en aucun cas invoquer une atteinte à l’article 1er du premier protocole additionnel de la CESDH (droit au respect de ses biens) puisqu’à partir du moment où l’on est dans une situation d’occupation illégale du domaine public, quand bien même celle-ci s’est effectuée sur un délai très prolongé, celle-ci ne fait naître aucun droit à notre profit, plus exactement, elle ne fait naître aucun droit réel sur la dépendance et par conséquent, l’inaliénabilité du domaine justifie la contravention de grande voirie. C’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 mars 2002 Triboulet et la confirmation par l’affaire de la CEDH du 29 mars 2010 Brosset Triboulet

 

Conseils bibliographiques

  • Canedo-Paris, Irréductible principe d’inaliénabilité du domaine public…, note sur l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2010, AJDA 2010, p.1311
  • Hostiou, Propriété privée, domanialité publique et protection du littoral : le droit administratif des biens à l’épreuve de la jurisprudence de la CEDH, note sur l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2010, RFDA 2006 p.543.

 

  1. L’obligation d’engager les poursuites

             En droit pénal, le Ministère public dispose d’un pouvoir d’appréciation qui lui permet de juger de l’opportunité des poursuites. En matière de contravention de grande voirie, le Préfet n’a pas un tel pouvoir, ce qui signifie à contrario que le Préfet a une obligation de poursuite, il est en situation de compétence liée.

Il y a quand même une réserve : c’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 février 1979 Association les Amis du Chemin de Ronde, la réserve étant que le Préfet pourra ne pas être obligé de poursuivre s’il y a un motif d’intérêt général ou une nécessité d’ordre public qui le justifie. Deux exemples :

  • arrêt du Conseil d’Etat du 6 février 1981 Communauté de défense du site du Fouesnant : il s’agissait d’une entreprise implantée sur le domaine public qui a vu son autorisation d’occuper le domaine public non renouvelée ; par conséquent, elle est dans une situation d’occupation illégale ; elle devrait théoriquement faire l’objet d’une contravention de grande voirie ; l’entreprise a demandé un délai pour délocaliser ses installations, le Préfet a donc refusé d’engager les poursuites, ce qui était justifié par un motif d’intérêt général ;
  • arrêt du Conseil d’Etat 30 septembre 2005 Cacheux : lors du naufrage de l’Erika, il y aurait dû avoir contravention de grande voirie car il y avait atteinte à l’intégrité du domaine public, et l’absence de pouvoir d’appréciation du Préfet aurait dû le forcer à adresser une contravention de grande voirie à la société Total.
  • Le juge administratif s’est fondé sur le fait que la société s’était engagée à remettre le domaine public en état et à indemniser l’ensemble des victimes ; le Préfet a considéré qu’il n’était pas nécessaire de poursuivre afin de gagner du temps : en effet, l’établissement d’une contravention de grande voirie implique une procédure longue, et la société s’étant engagé à indemniser, il a préféré ne pas poursuivre afin de faire gagner du temps aux victimes.
  • Il y a cela dit une faille au raisonnement : effectivement, c’est bel et bien un motif d’intérêt général, mais à aucun moment le Conseil d’Etat n’a vérifié que l’indemnisation proposée serait équivalente à celle qu’auraient obtenue les victimes au moyen de la contravention de grande voirie.

 

            Dans l’hypothèse où le Préfet est bien dans une situation d’engager les poursuites et ne le fait pas, quels vont être les recours ouverts aux administrés ? Il existe trois recours possibles :

  • le refus du Préfet d’engager les poursuites pourra être annulé par le juge de l’excès de pouvoir dans un délai de deux mois ;
  • si ce refus est constitutif d’une faute lourde, il sera annulé mais de surcroit, il pourra engager la responsabilité pour faute de l’administration ; c’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 juin 1987 Société Navale des chargeurs Delmas Vieljieux ;
  • si le refus du Préfet trouve son fondement dans un but d’ordre public (s’il a pour but d’éviter un trouble à l’ordre public), la responsabilité de l’Etat sera engagée en l’absence de toute faute car il s’agit ici d’une pure application de la jurisprudence Couitéas du 30 novembre 1923 (le Conseil d’Etat avait considéré que le refus du Préfet de prêter le concours des forces de police pour aider un particulier nanti d’une décision de justice était légal au vu de l’intérêt public, mais dans la mesure où celui-ci causait un préjudice au particulier, la responsabilité de l’Etat était engagée sans faute).

 

  1. L’imputabilité

            L’imputabilité, en matière de contravention de grande voirie, a un caractère objectif, c’est-à-dire que l’élément intentionnel n’est jamais pris en compte par le juge, qui va se borner à rechercher la personne objectivement responsable.

Concrètement, si un ouvrier d’une entreprise commet une dégradation du domaine public en manoeuvrant un engin, c’est la responsabilité de l’entreprise propriétaire de l’engin qui va être recherchée. C’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 mars 1961 Ville de Charleville.

 

            Cette idée est très compréhensible : ce qu’on vise à protéger dans la contravention de grande voirie, c’est le domaine public. Mais il y avait quand même une hypothèse dans laquelle cela posait des difficultés considérables : celle où le dommage était causé par le véhicule d’une personne privée alors que ce dernier venait d’être volé. La contravention de grande voirie était adressée au propriétaire du véhicule, et jusqu’en 2000, quand bien même l’on pouvait prouver ce vol, la contravention de grande voirie était imputée au propriétaire.

Il y a eu un revirement normal avec l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 juillet 2000 Chevalier : lorsque le véhicule qui cause le dommage a été volé, l’administration ne peut pas imputer la contravention de grande voirie au propriétaire du véhicule.

 

            Dans la mesure où cette imputabilité a un caractère purement objectif, les causes exonératoires de responsabilité sont extrêmement rares, et notamment, le fait du tiers ne sera pas une cause exonératoire. Concrètement, il y a deux hypothèses exonératoires de responsabilité :

  • le cas de force majeure, qui n’est admis qu’avec parcimonie (élément extérieur, imprévisible et irrésistible) ;

            ■ elle a été admise dans le cas d’une tempête violente provoquant la chute d’un toit de hangar sur les caténaires de la SNCF dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes du 1er février 2005 Guerin,

            ■ mais ne l’avait pas été pour une panne immobilisant un convoi routier sur un passage à niveaux de la SNCF (la panne n’était pas extérieure) dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 août 1955 Carthelax ;

  • le fait de l’administration assimilable à un cas de force majeure :

            ■ contravention de grande voirie pour dégradation commise en raison d’indications erronées sur un panneau de signalisation ; arrêt du Conseil d’Etat du 9 octobre 1981 Nerguissan ;

            ■ contravention de grande voirie pour dégradation commise en raison des mauvais renseignements donnés par les autorités d’un port au capitaine d’un navire ; arrêt du Conseil d’Etat du 27 novembre 1985 Secrétaire d’Etat aux transports ;

            ■ contravention de grande voirie pour dégradation commise par une entreprise en raison de plans inexacts transmis par les PPT ; arrêt du Conseil d’Etat du 22 avril 1983 Entreprise Caronie.

Appelons un chat un chat, c’est une faute : c’est ce qu’a récemment fait la Cour administrative d’appel de Lyon dans un arrêt du 26 novembre 2009 Crouzet où le juge parle bien de faute assimilable à un cas de force majeure.

 

  1. Les sanctions en matière de contraventions de grande voirie

 

            Elles ne peuvent être adoptées et prononcées que par le juge, et en aucun cas par l’administration elle-même. La loi du 8 février 1995 avait accordé au juge administratif un pouvoir d’injonction, c’est-à-dire le pouvoir d’adresser un ordre à l’administration ou aux justiciables. En matière de contraventions de grande voirie, le juge a toujours eu un tel pouvoir d’injonction.

 

La contravention de grande voirie se décompose en trois éléments systématiques :

  • les frais d’acquittement du procès verbal ;
  • le paiement d’une amende, étant précisé que le montant de l’amende est fixé par le texte qui prévoit la contravention ; elle est prescrite dans un délai d’un an, et elle peut faire l’objet d’une amnistie ;
  • la condamnation à réparer le préjudice causé au domaine ; la réparation peut prendre deux formes :

            ■ le juge va condamner le contrevenant à remettre le domaine en état lui-même, ce qui est plutôt rare ;

            ■ le juge va demander à l’administration une évaluation du coût de la réparation et va condamner le contrevenant à payer ces frais de réparation.

Ce troisième volet de la condamnation est imprescriptible, et il n’y a pas d’amnistie possible ni de transaction possible.

Isa Germain

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