Les corrections du budget de l’État

Les corrections du budget de l’État 

Il existe une marge de manœuvre dans la mise en œuvre du budget, dont la nature est politique. Il s’agit bien ici de prendre des décisions d’arbitrer sur la dépense publique. Du coup, le type de problématique « dans quelle mesure le pouvoir réglementaire est-il autorisé à modifier le budget qui est pourtant l’oeuvre des parlementaires ? » prend toute son ampleur. Evidemment, on constate que s’agissant d’un acte législatif extrêmement important, ce pouvoir de modification réglementaire existe. Il est évidemment non seulement précisé, mais aussi encadré. Il faut le justifier. Il existe, parce que l’on comprend bien que la prévision ne peut pas intégrer tous les aléas. Cette notion d’aléa est extrêmement importante. Les recettes sont indicatives, mais les dépenses constituaient des plafonds que les ordonnateurs ne peuvent pas juridiquement dépasser. Or, ici la notion d’aléa prend tout son sens. Il peut s’avérer nécessaire en cours d’exécution de dépasser certains plafonds. Ce dépassement des plafonds pourra être justifié de plusieurs façons. Ce sont ces justifications qui vont conduire à différentes techniques ou à distinguer ces différentes techniques de mouvements politiques. Comment s’opèrent ces dépassements en cours d’exercice et en fin d’exercice.  

A) Les corrections en cours d’exercice

  Globalisation des crédits : c’est un concept qui vient redéfinir ou préciser la notion de spécialité des crédits. Sous l’emprise de l’ordonnance de 1959, les crédits étaient spécialisés, par ministères, par titres, chapitres, articles. Dorénavant, les crédits sont spécialisés en missions et programmes. Ce nouveau niveau de spécialisation opère de fait une globalisation des crédits au niveau du programme. Alors qu’avant, les crédits étaient plus précisément détaillés/répartis. Au niveau du programme, on gère des centaines de millions d’€, là où avant au niveau du chapitre on ne gérait que des millions. C’est ce mouvement que l’on appelle la globalisation. À cette remarque purement physique de la globalisation des crédits, on attribue en outre un comportement financier. Ce comportement financier est cette fameuse fongibilité asymétrique. La fongibilité est la substitution des dépenses. Elle est asymétrique car de l’investissement peut être remplacé par du fonctionnement, mais les dépenses de personnel ne peuvent être augmentées. On a un mouvement typiquement politique au niveau budgétaire. Le gestionnaire de crédit, de part cette globalisation du 76 crédit et avec la fongibilité, bénéficie d’une marge de manoeuvre extrêmement importante en cours d’exercice. Au niveau du programme, en cours d’exercice, on est libre dans la limite de la symétrie. La justification du caractère asymétrique de la fongibilité vient de ce que le Parlement se prononce sur le maximum des emplois (cf. art. d’équilibre).  

  Les techniques juridiques qui permettent de dépasser la fongibilité : la question est de savoir si le pouvoir réglementaire d’intervention sur le budget se limite à la fongibilité asymétrique. Il est possible pour le pouvoir réglementaire de dépasser le fongibilité asymétrique.

C’est un pouvoir qui date de la Restauration. Il s’exerce de deux manières :  

  Tout d’abord, il existe une technique appelée les virements de crédits. Ils s’opèrent par décrets. Ils sont prévus à l’article 12, 1°) de la loi organique. Ils permettent de modifier les crédits entre les programmes d’un même ministère. Par virement, on bouge les crédits d’investissement vers le programme « investissement », au sein d’un même ministère (pas forcément au sein d’une même mission). Mission Programme Programme Programme Pers. Fonc. Invest. Invest Même ministère Décret de virement – 2% du montant des crédits ouverts

– Fongibilité asymétrique Le décret de virement apparaît comme une forme d’opposition au pouvoir d’amendement parlementaire. Les parlementaires, dans le cadre de la mission, décident par amendement. Ce qu’ils décident est susceptible d’être modifié par décret. Le Parlement est limité par mission. Le Gouvernement intervient dans le ministère ! Les décrets de virement sont limités à 2% du montant des crédits ouverts. Si le programme compte 100 millions, on ne peut bouger par décret de virement que 2 millions. On est aussi limité par la fongibilité asymétrique. On ne peut pas opérer un virement depuis les crédits investissement d’un programme pour aller vers les crédits fonctionnement d’un programme. Il faut procéder à l’information de la commission des finances à chaque virement effectué, avant l’adoption du décret. 

 Cela permet de réaffecter des sommes en cours d’année, au sein du même ministère. On est limité par l’origine administrative du crédit. Parfois, des crédits doivent être bougés, entre un ministère et un autre ministère. 

   Les décrets de transferts, prévus à l’article 12, 2°) de la loi organique. Ils permettent de mettre en œuvre par la voie réglementaire des mouvements entre les ministères différents. On peut aussi aller d’un ministère à un autre ministère par des transferts. La limite est le type de l’action. On ne peut pas refaire le budget ! Ex. une action de formation entreprise de manière conjointe par l’université et le min. de l’agriculture. Lorsque le min. doit être supprimé, on transfert les crédits vers l’université qui prend en charge l’action. Si administrativement, les souhaits du Parlement ne sont pas respectés, vraisemblablement l’intention du Parlement est respectée : c’est la même action qui est prise en charge. 

   Les décrets d’avance : le décret d’avance permettent d’anticiper une loi de finance. Il s’agit en cas d’urgence (et uniquement) de pouvoir anticiper une dotation en attendant une ratification ultérieure par le Parlement. On limite le montant d’ouverture de ces crédits à 1% des crédits inscrits en loi de finances de l’année. Si l’on rapporte cela au montant global de 300 milliard, la somme est considérable. 

 S’agissant d’une atteinte manifeste au pouvoir des parlementaires, il faudra informer les commissions des finances, mais surtout s’agissant d’une atteinte au pouvoir du Parlement (le Gouvernement décide la dépense), non seulement on limite ce mouvement dans son volume (1%), mais on impose au Gouvernement de gager cette dépense sur des annulations de crédits correspondant au montant d’avance dans la prochaine loi de finances. L’idée est qu’en cas d’urgence, il faut que le Gouvernement puisse réagir très rapidement par décret. Pour autant, il ne doit pas porter atteinte à l’article d’équilibre, et il doit donc rétablir cet équilibre au niveau de la loi de finances rectificative, qui viendra ratifier le décret d’avance. 

B) Les corrections en fin d’exercice

 Il faut comprendre le contexte : en fin d’exercice budgétaire, l’ordonnateur peut décider de ne pas dépenser tous les crédits mis à sa disposition. Il peut décider de décaler dans le temps une dépense (on anticipe une baisse), mais on peut aussi décider d’annuler purement et simplement une dépense devenue sans objet. 

   Les reports de crédit : 

 C’est une possibilité ouverte à l’ordonnateur de décaler d’un exercice à un autre exercice l’engagement d’une dépense (ex. achat de matériel informatique). Ici, la procédure du report de crédit s’opère par arrêté conjoint du ministre des finances et du ministre intéressé. Le report de crédit n’est pas possible en matière de personnel. Il ne s’agit pas d’économiser l’année en cours pour disposer d’autres agents par la suite… Le report de crédit touche principalement les autorisations d’engagement. Ce sont les autorisations globales d’effectuer un programme complété annuellement par des crédits de payement. Maintenant, au niveau des crédits de payement, le report de crédit sera limité. Il s’agit d’éviter des effets de retenue d’une année pour dépenser plus par la suite. En fait, la contrainte la plus forte sur les reports de crédits vient bien de sa forme. À partir du moment où le report est effectué par arrêté conjoint du ministre concerné et du ministre des finances, le report se négocie. La contrainte est le fait qu’il faut une négociation entre ces 2 ministres. 

   Les annulations de crédit : 

 Le ministre des finances poursuit un objectif de maintenir le cadre strict de l’équilibre défini par l’article d’équilibre. Or, en fin d’année, le ministre des finances constate que les budgets ont été légèrement dépassés à droite et à gauche. Les demandes de report de crédit constituent des tentatives intéressantes. Le ministre des finances tente de substituer au report des crédits des annulations de crédit définis à l’article 14 de la loi organique. Les crédits devenus sans objet peuvent être annulés par décret (pris sur rapport du min. chargé des finances). Au mois de décembre, les gestionnaires viennent négocier, et le ministre des finances, disent que les crédits sont sans objet. Tout l’enjeu est de savoir s’il faut signer un arrêté conjoint, et s’il faut annuler les crédits. On va plafonner le cumul du montant susceptible d’être annulé : 1,5% des crédits ouverts. Une dernière précision : prévu à l’article 14 de la loi organique, une pratique appelée la « régulation budgétaire » consiste pour le ministère des finances à bloquer des crédits qui appartiennent pourtant juridiquement au programme. Le ministère des finances ne libère en début d’année que 95% des crédits qui ont été votés. En juin, le ministère des finances avertit les responsables de programmes qu’ils peuvent bénéficier de 97% des crédits votés. En septembre, les responsables sont avertis qu’ils disposent de 99% des crédits votés. Ce pourcentage conservé dans les caisses de l’Etat s’appelle la régulation budgétaire. En fin d’année, les montants sont officiellement annulés. C’est un décret d’annulation qui vient valider en fin d’année cette pratique de la régulation budgétaire. Pourquoi opérer une régulation budgétaire ? Il s’agit évidemment de maintenir le cadre de l’équilibre budgétaire et financier défini par l’article d’équilibre. Le budget initial détermine, autorise, prévoit. Le pouvoir réglementaire met en œuvre la loi de finances (barème de l’impôt, dispositions relatives à la privatisation d’une entreprise), et l’Administration met en œuvre le budget (met en œuvre les dépenses). Au-delà de l’enjeu qu’est l’autorisation parlementaire de la dépense, l’Administration peut justifier de devoir adapter le budget aux nouvelles circonstances. Cette adaptation peut être technique (décret de répartition, fonds de concours, rétablissement de crédit). L’Administration peut aussi avoir besoin d’adapter les politiques publiques, et le législateur organique et celui de 59 avait prévu des décrets de virement et d’avance, décrets correspondant à un cas particulier nécessitant l’information de la commission des finances.