LES DOCTRINES POSITIVISTES (LE POSITIVISME JURIDIQUE)
Le positivisme juridique s’oppose à la théorie du droit naturel en affirmant que la règle de droit trouve sa justification dans l’autorité de l’État et dans le fait social. Ce courant de pensée considère que la règle de droit doit être respectée non parce qu’elle est juste, mais parce qu’elle est édictée par l’État et qu’elle s’inscrit dans l’ordre social.
Droit naturel et positivisme : une distinction fondamentale
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Le droit naturel : Dans la vision idéaliste du droit naturel, le droit ne se limite pas aux seules règles édictées par l’État. Il existe un droit supérieur, un ordre idéal de justice qui dépasse les lois positives. Cette idée suppose un ensemble de valeurs fondamentales, comme la justice et l’équité, auxquelles les règles de droit devraient se conformer.
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La doctrine positiviste : À l’inverse, le positivisme rejette l’idée d’un ordre supérieur de justice. Il adopte une approche matérialiste selon laquelle le droit se limite aux règles effectivement posées par les institutions étatiques. Les positivistes considèrent que le droit se suffit à lui-même, sans référence à des valeurs ou à une morale supérieure.
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I ) Les formes du positivisme juridique
Le positivisme se décline en plusieurs branches, dont les principales sont le positivisme scientifique et le positivisme étatique.
Le positivisme scientifique
Dans cette approche, le droit est envisagé comme une science autonome, comparable aux sciences naturelles ou sociales. Ce courant, influencé par les théories de la sociologie et de la psychologie, considère que le droit doit être observé et analysé de manière objective, sans référence à des valeurs morales ou à des idéaux de justice. Le droit est ainsi perçu comme un fait social, produit des interactions humaines.
Le positivisme étatique
Le positivisme étatique affirme que la légitimité de la règle de droit réside dans son origine étatique. Cette théorie repose sur l’idée que les règles doivent être respectées parce qu’elles émanent de l’État, source unique de l’autorité juridique. Pour les tenants de cette doctrine :
- La loi tire son autorité de sa source étatique, et non d’un idéal de justice.
- Le respect des règles est justifié par leur caractère légal, indépendamment de toute considération morale.
Montaigne résume cette idée en disant que « Nos lois se maintiennent en crédit non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont des lois ». Ce courant est également défendu par des penseurs comme Hobbes et Hegel, pour qui l’État est à l’origine de tout ordre juridique : « Tout ce qui est étatique est juridique, et tout ce qui est juridique est étatique ».
Le rejet de la métaphysique juridique
La doctrine positiviste s’oppose à toute approche métaphysique ou idéaliste du droit. Contrairement aux théoriciens du droit naturel, qui recherchent un fondement moral au droit, les positivistes estiment que le droit ne doit pas répondre à un idéal de justice, mais simplement être reconnu et appliqué en tant que fait social et expression de la volonté de l’État.
II) Les 2 branches modernes du positivisme : le positivisme juridique et le positivisme sociologique
Au tournant du XIXe siècle, le positivisme se divise en deux approches distinctes :
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Le positivisme juridique : Centré sur la légitimité de la règle de droit issue de l’État. Les règles sont valables par le seul fait qu’elles sont édictées par les institutions légitimes. Les théories de Hans Kelsen, avec sa hiérarchie des normes, illustrent ce courant, pour lequel la légitimité de chaque règle dépend de sa conformité aux normes supérieures.
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Le positivisme sociologique : Proposé par des penseurs comme Auguste Comte et Durkheim, ce courant considère le droit comme un produit de la société. Selon cette théorie, les règles juridiques reflètent les valeurs et les besoins d’une société à un moment donné, évoluant avec les changements sociaux. La loi Veil de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse en France, adoptée sous l’influence des revendications féministes, illustre cette vision : le droit s’adapte aux exigences de la société, exprimant ainsi la solidarité sociale.
A) Le positivisme juridique ou étatique.
Le positivisme juridique, aussi appelé positivisme étatique, repose sur l’idée que la règle de droit tire sa légitimité du seul fait qu’elle est édictée par l’État. Dans cette perspective, ce n’est pas la valeur morale ou la justice intrinsèque de la loi qui en fonde le respect, mais l’autorité étatique. Une règle de droit doit être respectée non parce qu’elle est juste, mais parce qu’elle exprime la volonté souveraine de l’État, qui détient le monopole de l’autorité légitime.
Le positivisme selon Ihéring
Rudolf von Ihéring, juriste allemand du XIXe siècle, soulignait que la force contraignante de la règle de droit découle de l’autorité étatique. Il estime que la contrainte est inscrite dans la nature même du droit : la règle juridique s’impose, et cela découle uniquement du fait qu’elle provient de l’État, qui agit pour garantir l’ordre social. Cette vision du droit met en lumière une facette rigide de la législation, où l’obéissance est une finalité en soi.
Le positivisme selon Kelsen : la hiérarchie des normes
Hans Kelsen, éminent théoricien autrichien, approfondit cette approche en développant sa théorie de la hiérarchie des normes. Pour Kelsen, chaque norme juridique tire sa validité d’une norme supérieure, et cette chaîne ascendante de normes trouve son fondement ultime dans la Constitution, appelée la « norme fondamentale » (ou Grundnorm). La règle de droit est légitime si elle respecte cette structure hiérarchique et trouve une justification dans les normes supérieures de l’ordre juridique, sans qu’il soit nécessaire de s’interroger sur son contenu moral.
Selon cette logique :
- Un décret est valable s’il est conforme aux lois en vigueur ;
- Une loi est valide si elle respecte la Constitution, qui est elle-même la source suprême de légitimité pour l’ensemble de l’ordre juridique.
Kelsen oppose ainsi la question de la légalité, liée à la conformité aux normes supérieures, à celle de la justice. L’essentiel pour le positivisme de Kelsen est que la norme soit validée par la structure hiérarchique établie et non par un idéal de justice. Cela distingue fortement le positivisme de l’approche du droit naturel, qui place la morale au centre du droit.
Critiques et limites du positivisme étatique
Le positivisme étatique est souvent critiqué pour son caractère rigide et sa déconnexion des idéaux de justice. En plaçant l’État au centre de la légitimation des normes, cette vision du droit risque de légitimer des lois contraires aux principes éthiques fondamentaux. Une application stricte de cette théorie peut amener des dérives autoritaires, où l’État, sous couvert d’agir pour le bien commun, pourrait établir des lois visant uniquement à préserver ses propres intérêts. En ce sens, le positivisme étatique est vulnérable aux dérives totalitaires.
Exemples :
Dans l’actualité, certains États adoptent des lois justifiées uniquement par la volonté du pouvoir en place, parfois sans réelle légitimité sociale ou sans prise en compte de la justice. Par exemple :
- Les lois de censure en ligne, introduites dans certains pays, peuvent imposer de lourdes restrictions sur la liberté d’expression. Ces lois s’appuient exclusivement sur la volonté de l’État, sans fondement éthique ou démocratique solide.
- Les restrictions de droits civiques dans certaines démocraties défaillantes, sous couvert de sécurité nationale, illustrent également les risques liés au positivisme étatique. Les gouvernements peuvent ainsi faire voter des lois de surveillance qui, en théorie, assurent l’ordre public, mais portent atteinte aux libertés individuelles.
B) Le positivisme sociologique.
Le positivisme sociologique considère la règle de droit avant tout comme un fait social : elle ne repose pas sur le pouvoir de l’État, mais sur la volonté collective de la société elle-même. Dans cette vision, le droit découle des besoins, des valeurs et des changements dans les mœurs, étant produit par la société en fonction de ce qui lui semble juste et adapté à ses besoins.
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La pensée d’Auguste Comte : Fondateur du positivisme sociologique, Comte considère le droit comme le reflet des réalités sociales. Selon lui, la loi devrait être en phase avec les valeurs et les aspirations du corps social, et le législateur ne pourrait pas imposer une règle qui ne soit pas acceptée par la société. La loi doit donc évoluer en fonction des transformations sociales. C’est ainsi que la loi Veil du 17 janvier 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), a été adoptée dans un contexte de revendications féministes et de pression sociale pour une meilleure reconnaissance des droits des femmes. La loi de 1920, qui interdisait l’avortement, a été révisée pour mieux correspondre aux valeurs de l’époque.
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L’apport de Durkheim : Sociologue influent, Émile Durkheim partage cette vision sociale du droit. Selon lui, le droit trouve son origine dans les réactions collectives de la société face aux menaces à son équilibre, telles que les délits ou les infractions. Le droit, dans cette perspective, est une réponse aux besoins de défense et de protection sociale. Par exemple, face aux comportements jugés inacceptables (vol, agression), la société élabore des lois pour préserver sa cohésion et protéger ses membres. Durkheim considère donc que le droit est avant tout un instrument de solidarité sociale : il est issu de la nécessité de préserver le bien-être de la collectivité.
Exemples récents illustrant le positivisme sociologique
Les évolutions récentes du droit montrent que, dans de nombreux cas, les législateurs prennent en compte la dynamique sociale et les changements de valeurs pour ajuster la législation aux nouvelles réalités. Quelques exemples notables sont :
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L’évolution des droits des personnes LGBTQ+ : La reconnaissance des droits des personnes LGBTQ+ en France, y compris le mariage pour tous en 2013, reflète un changement dans les valeurs collectives. Ces réformes ont été influencées par les mobilisations sociales et l’acceptation accrue de la diversité des orientations sexuelles. Le législateur a agi en réponse à des décennies de revendications pour l’égalité des droits et la reconnaissance de ces minorités.
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Réforme du droit de la bioéthique : Les lois de bioéthique en France, régulièrement réexaminées (notamment la révision de 2021), montrent une forte adaptation aux progrès scientifiques et aux débats sociaux. En 2021, le législateur a élargi l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, y compris aux femmes célibataires et aux couples de femmes. Cette évolution est en partie le résultat de pressions sociales et de l’évolution de la perception des droits reproductifs.
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Régulation des plateformes numériques et du travail indépendant : Avec le développement de l’économie numérique, les conditions de travail des travailleurs de plateformes (comme Uber ou Deliveroo) ont fait l’objet de nombreux débats. En 2021, la loi a introduit des protections pour ces travailleurs, considérant qu’ils sont en situation de vulnérabilité économique et sociale. Ces mesures de protection sont en partie motivées par une pression sociale pour une meilleure régulation des nouvelles formes de travail et la lutte contre la précarisation.
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Réformes liées aux violences faites aux femmes : Face à une mobilisation sociale intense (mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc), le législateur a renforcé les lois visant à protéger les victimes de violences domestiques et sexuelles. Par exemple, la loi de juillet 2020 en France a instauré des mesures pour protéger les victimes, telles que la suspension automatique de l’autorité parentale en cas de violence conjugale grave. Ici, le droit répond aux attentes de la société en matière de protection des droits des femmes et des enfants face à la violence.
En somme, le positivisme sociologique montre que la règle de droit ne se limite pas à une prescription émise par l’État ; elle est le produit d’une conscience collective et de besoins sociaux, reflétant les évolutions de la société.