Les droits fondamentaux de l’Union Européenne

L’objet du droit primaire comme “Constitution” matérielle de l’Union

Il n’y a pas formellement de Constitution pour deux raisons :

  • la constitution est l’acte fondateur d’un État ; l’Union n’est pas un État ; l’Union n’a donc pas de constitution ;
  • une constitution est un acte unilatéral, alors qu’un traité est un acte multilatéral, il y a donc une spécificité de chacun de ces actes.

Dans les deux cas, ces objections peuvent être remises en cause (article 16 de la DDHC, assimilation d’une constitution à un pacte et non à un acte unilatéral). La seule objection pertinente est que l’Union n’est pas une entité titulaire de la souveraineté qui lui permettrait d’exercer le pouvoir constituant.

  1. A) L’enracinement progressif de l’Union de droit

Le droit primaire enrichie les principes généraux du droit communautaire, c’est un droit où se sont épanouis ces grands principes. Le droit primaire d’origine jurisprudentielle est tardivement consacré dans les traités (article 6§3 du TUE), il remplit la seconde fonction d’une constitution entendue au sens d’aujourd’hui, celle de garantir les droits, à telle point que l’Union a pu se présenter comme un Etat de droit, il faut parler d’Union de droit désormais.

  1. La consécration jurisprudentielle des droits fondamentaux

Une telle consécration n’était pas gagnée d’avance car les traités se fichaient de la protection des droits fondamentaux aux origines. Il s’agissait de mettre en place un marché concurrentiel ouvert : seuls les principes qui intéressaient ce dessein justifiaient leur consécration, comme le principe de non-discrimination en raison de la citoyenneté.

Les Cours constitutionnelles allemande et italienne, à la fin des années soixante, ont dénoncé cette lacune des traités en matière de protection des droits fondamentaux : s’est alors enclenché un processus de consécration jurisprudentielle de ces principes auprès de la Cour de justice (avec des arrêts en 1969 et 1970), puis, s’en est suivi dans un second temps un phénomène de confirmation de ces droits fondamentaux qui, pendant quinze-vingt ans, n’ont eu qu’une réalité jurisprudentielle.

  1. a) Le processus à l’œuvre

Ce processus de consécration jurisprudentielle n’a pas suffit à calmer les craintes des Cours constitutionnelles allemande et italienne puisqu’au milieu des années 70, chacune d’elles a adopté une jurisprudence de fronde contre les normes de droit communautaire susceptibles d’être adoptées et d’entrer en vigueur en violation des droits fondamentaux.

  • C’est ainsi que dans son arrêt du 27 décembre 1973 Frontini, la Cour constitutionnelle italienne affirmait que les normes communautaires ne pourraient pas s’imposer dans l’ordre juridique italien dès lors qu’elles violeraient les principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel italien.
  • Même chose dans son arrêt du 29 mai 1974 Solange I, où la Cour constitutionnelle allemande a affirmé qu’elle refuserait d’accorder le bénéfice de la primauté sur les normes internes aux normes communautaires tant que l’ordre juridique communautaire ne garantirait pas un niveau comparable de protection des droits fondamentaux.

La Cour de justice en a été stimulée, et s’est attachée dans les années suivantes à rassurer les Cours constitutionnelles et à développer une jurisprudence très fertile en la matière. Dans le mutisme des traités, elle a dû cumuler deux sources d’inspiration :

  • les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres : elle s’est estimée tenue de puiser à cette source pour en déduire des principes généraux du droit communautaire garantissant les mêmes droits fondamentaux que dans les ordres constitutionnels des Etats ;
  • les indications fournies par les instruments internationaux auxquels les Etats membres ont adhéré :

dans le cadre de lONU : la DUDH, adoptée en 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966,

dans le cadre du Conseil de l’Europe (institution distincte des communautés et désormais de l’Union européenne) : la CESDH, qui revêt une signification particulière car elle a été ratifiée par tous les Etats membres de la Communauté à l’époque (c’est désormais un passage obligé avant toute adhésion future).

La Cour de justice s’inspirant de la CESDH, il en résulte que celle-ci fait l’objet d’une interprétation par la CEDH mais aussi par la Cour de Luxembourg : peuvent donc apparaître des divergences d’interprétation. Ce fut le cas en matière de consécration de l’inviolabilité du domicile ; il était question de savoir si cette inviolabilité s’étendait aux locaux professionnels, en particulier aux sièges sociaux : la CEDH acceptait l’extension du champ d’application, alors que la Cour de justice s’y opposait. Celle-ci a dû se raviser et suivre l’interprétation large du champ d’application de l’inviolabilité du domicile dégagée par la CEDH.

Ces divergences sont rares car le dialogue des juges est réel : la CEDH n’hésite pas à s’inspirer de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg pour hisser son propre niveau de protection des droits fondamentaux ; ce fut récemment le cas par rapport à l’adage non bis in idem (il ne doit pas y avoir deux sanctions pour la même faute), puisque la CEDH s’est alignée sur l’interprétation restrictive de la Cour de justice ; cette dernière n’est donc pas indifférente à la jurisprudence de la CEDH.

En puisant dans ces deux sources constitutionnelles et conventionnelles, la Cour de justice est parvenue à ériger un corpus de droits fondamentaux qui a fini par convaincre les Cours constitutionnelles allemande et italienne. Cela a donné corps à une communauté de droits dans l’arrêt du 23 avril 1986 Parti écologiste les Verts c./Parlement européen.

  • Dans l’arrêt du 8 juin 1984 Granital, la Cour constitutionnelle italienne est revenue sur sa position initiale de l’arrêt Frontini.
  • Ce fut la même chose en Allemagne puisque la Cour constitutionnelle a, dans son arrêt du 22 octobre 1986 Solange II, inversé la proposition de 1974 : désormais, la Cour énonce qu’elle ne fera pas obstacle à la primauté des normes communautaires sur les normes internes aussi longtemps que le niveau communautaire de protection des droits fondamentaux sera équivalent à celui prévalant dans l’ordre juridique allemand.
  • Elle n’exige donc pas un niveau identique au cas par cas, mais un niveau comparable pour l’essentiel à celui requis par l’ordre constitutionnel allemand.
  1. b) L’oeuvre accomplie

Elle est considérable, et l’on peut dresser une liste selon deux catégories des droits fondamentaux consacrés par la Cour en tant que principes généraux du droit communautaire :

  • les droits substantiels, qui comprennent les libertés fondamentales que doit affirmer, reconnaître et garantir la Cour de justice ; entre autres, la liberté religieuse, la liberté d’association, la liberté syndicale, le droit au respect de la vie privée, le droit au respect de l’inviolabilité du domicile, la liberté d’expression, le principe de dignité de la personne, le principe de non-discrimination (qui implique le traitement différent de situations identiques) ;
  • les droits formels, relatifs aux conditions de mise en oeuvre des droits, avec le principe de non-rétroactivité de la loi pénale (sauf plus douce), les droits procéduraux, c’est-à-dire les droits d’action en justice destinés à obtenir la garantie par le juge des droits substantiels (principe du contradictoire, droit au procès équitable, droit au juge, présomption d’innocence).

Ces droits fondamentaux s’imposent à l’Union, mais lient également les Etats membres lorsque ceux-ci mettent en oeuvre le droit de l’Union et lorsqu’ils agissent au delà du secteur du droit de l’Union sans le mettre en oeuvre au sens strict. En revanche, ils n’y sont pas tenus lorsqu’ils mettent en oeuvre leurs compétences exclusives.

Pendant longtemps, ces droits fondamentaux sont demeurés de simple nature jurisprudentielle, avant d’être confirmés conventionnellement.

  1. La confirmation conventionnelle des droits fondamentaux

Dès 1977, les institutions ont adopté une déclaration commune en ce sens, qui s’analyse au mieux comme un accord inter-institutionnel, et qui n’a pas la valeur des traités. Les Etats membres ont imposé de fait à tout candidat à l’adhésion future qu’il respecte les droits fondamentaux avant même de devenir un Etat membre. C’est l’ensemble de ces droits fondamentaux qui a fait l’objet d’une consécration explicite dans le texte des traités, et ce de deux façons complémentaires :

  • la jurisprudence communautaire a bénéficié d’une clause en confirmant et en consolidant les acquis ;
  • les références aux droits fondamentaux se sont diversifiées.
  1. a) La consolidation de la jurisprudence de la Cour de justice

Cette consolidation est l’apport du traité de Maastricht de 1992 qui a intégré l’article F§2 (puis 6§2 après le traité d’Amsterdam) dans le traité sur l’Union. C’est la synthèse de vingt ans de jurisprudence. Désormais, il n’est plus nécessaire de connaître la jurisprudence pour comprendre le mécanisme.

Le traité d’Amsterdam est allé plus loin et a permis à la Cour de justice de se fonder sur cet article 6§2 pour promouvoir les droits fondamentaux dans la mesure de la compétence que lui reconnaissaient les traités CE et UE. Le fait de donner compétence à la Cour de justice pour le mettre en oeuvre peut sembler insignifiant, mais en réalité, cela présente deux effets importants :

  • pour la première fois, la Cour de justice dispose d’un titre explicite de compétences pour garantir les droits fondamentaux, et notamment interpréter à cette fin la CESDH ;
  • jusqu’alors, elle avait développé sa jurisprudence dans le cadre du pilier communautaire, mais avec le traité d‘Amsterdam, la Cour de justice venait d’acquérir une compétence pour statuer dans le cadre du troisième pilier désormais réduit à la coopération policière et judiciaire en matière pénale ; ce cadre procédural est certes moins favorable mais c’est mieux que rien ; en effet, l’extension de l’office de la Cour de justice comme juge des droits fondamentaux par rapport au contenu du III ème pilier constitue une avancée considérable.

Depuis le 1er décembre 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il reprend la formule de l’article 6§2 du traité UE et est devenu l’article 6§3. Il confirme la codification antérieure, la consolidation antérieure de la jurisprudence communautaire, et celle-ci s’accompagne de deux progrès :

  • le premier résulte de la formulation même de l’article :

avant, larticle énonçait «l’Union respecte», formulation dont on pouvait déduire les obligations de l’Union et de ses institutions, mais qui laissait planer la question de savoir si elles s’imposaient aussi aux Etats membres, même s’il n’y avait aucune raison d’en douter ;

désormais, larticle prévoit que «les droits fondamentaux font partie du droit de l’Union», ce qui signifie qu’ils s’imposent autant aux institutions qu’aux Etats, il n’y a donc plus aucune doute pour son application aux Etats membres ;

  • le second est une conséquence particulière de l’effacement de la structure en piliers : la coopération en matière pénale obéit désormais au droit commun ; avant le traité de Lisbonne, la Cour de justice n’avait pas de droit de cité dans le cadre de la PESC, qui conserve une très grande spécificité car il n’y a toujours pas d’office de la Cour de justice dans ce domaine.
  • L’article 275 du TFUE prévoit que les personnes physiques ou morales peuvent exercer des recours en annulation contre les décisions européennes adoptées au titre de la PESC qui prévoient des mesures restrictives à leur encontre.

La protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union européenne passe toujours par le prisme du droit communautaire et de ses principes généraux.

  1. b) La diversification des références aux droits fondamentaux

Le traité de Maastricht a fait de la promotion des droits de l’homme un objectif de la coopération politique au développement.

Le traité d’Amsterdam a eu un apport plus considérable encore : l’article 6 s’est enrichi d’un §1er formulé comme suit «l’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’Etat de droit» (il s’agit maintenant de l’article 2 du TUE modifié), tout en explicitant davantage en quoi consistaient ces principes fondamentaux de l’Union appelés désormais valeurs de l’Union.

Leur respect est la condition explicite de l’adhésion d’un nouveau candidat à l’Union, et leur violation est susceptible de donner lieu à une procédure politique de suspension contre l’Etat membre (y compris suspension du droit de vote du représentant au sein du Conseil).

Il prévoit aussi une compétence spéciale pour lutter contre un certain nombre de discriminations.

Enfin, il a aussi fait une référence appuyée aux droits sociaux fondamentaux tels qu’énoncés dans la Charte sociale européenne de 1961 et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux (qui n’a pas de force juridique contraignante).

C’est donc un bilan positif par rapport à la lacune originelle mais pourtant, il est question depuis les années 90 de parachever cette Union de droit, sans pour autant renier les acquis de la jurisprudence communautaire.

  1. B) Le parachèvement recherché de l’Union de droit

Ce parachèvement de l’Union de droit s’est caractérisé par la création d’une agence des droits fondamentaux dont le siège est à Vienne et qui, sans le moindre pouvoir contraignant, diffuse les informations requises en matière de droits fondamentaux, et constitue un attribut de coordination.

Deux moyens ont été imaginés pour parachever l’Union de droit :

  • l’adhésion de la Communauté européenne (nouvellement Union) à la CESDH, ce qui a été écarté par la Cour de justice,
  • la dotation de l’Union d’une Charte des droits fondamentaux pour rendre plus visible encore la clause de consolidation de la jurisprudence ; elle a été élaborée en 1999 et proclamée en 2000. Cette voie était conçue comme le moyen de remédier à la première solution, et le traité de Lisbonne a choisi de cumuler les deux moyens.
  1. La perspective de l’adhésion de l’Union à la CESDH

Quel est l’enjeu et la portée d’une telle perspective d’adhésion ? Un point est acquis depuis longtemps : la CESDH sert de source d’inspiration à la jurisprudence de la Cour de justice pour consacrer et promouvoir comme principes généraux du droit communautaire des droits fondamentaux proclamés par la Convention et garantis par la CEDH.

Ce n’est pas une source formelle du droit de l’Union européenne car la Convention est un instrument international qui n’est pas directement intégré à l’ordre juridique de l’Union, puisque celle-ci n’est pas partie à cette convention. Ainsi, les droits qu’elle protège ne sont pas garantis par le droit de l’Union européenne, mais seulement par le prisme des droits fondamentaux.

Cette question de l’adhésion a été envisagée avant que l’Union ne se substitue à la Communauté. Cette solution a été écartée par la Cour de justice dans l’avis important du 28 mars 1996 2-94 où la Cour de justice était saisie d’un avant-projet d’accord d’adhésion de la Communauté à la CESDH.

  1. a) L’adhésion de la Communauté écartée par la CJUE

Dans cet avis de 1996, la Cour de justice avance deux motifs juridiques :

  • aucune disposition des traités ne donne compétence à la Communauté pour édicter des règles générales en matière de protection des droits fondamentaux, et donc pour conclure des traités en la matière ;
  • cela entraînerait un changement substantiel du régime de protection des droits communautaires et fondamentaux d’instaurer la Communauté dans un ordre institutionnel distinct ; cela entraînerait un bouleversement d’envergure constitutionnelle qui ne pourrait être possible qu’après une révision préalable du traité communautaire.

L’hostilité de la Cour de justice était prévisible en raison des effets néfastes que pouvait avoir l’adhésion sur l’autonomie de l’ordre juridique communautaire par rapport à celui de la Convention, ainsi que sur le statut de la Cour de justice, soumise alors à la concurrence de la Cour de Strasbourg.

Tant que la Communauté n’adhérait pas à la CESDH, la Communauté en tant que telle ne pouvait être attrait devant la CEDH ni jugé par elle ; bien entendu, cela ne signifiait pas que la CEDH ne pouvait pas se prononcer sur la conformité du droit communautaire à la Convention. Au contraire, elle le faisait depuis longtemps en jugeant le respect des droits fondamentaux de la CEDSH par les Etats membres lors de la mise en oeuvre par ceux-ci du droit communautaire.

  • Dans l’arrêt du 18 février 1999 Matthews c./Royaume-Uni, la CEDH a jugé la conformité à la Convention des modalités d’organisation des élections européennes par le Royaume-Uni à Gibraltar : la Cour avait admis qu’elles relevaient du droit de suffrage protégé par la Convention qui prévoyait le droit pour les citoyens de participer à l’élection du corps législatif à intervalles réguliers.
  • Dans l’arrêt du 30 juin 2005, la CEDH a constaté que le niveau de protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire était équivalent aux standards conventionnels de protection de ces droits, sans exclure toutefois qu’un conflit puisse exister à l’avenir.
  • La CEDH n’est pas compétente pour statuer sur le respect par l’Union européenne et ses institutions des droits fondamentaux. Des requérants ont essayé d’agir contre tous les Etats membres en même temps, et la CEDH a estimé qu’un jour ou l’autre se poserait la question de savoir si elle avait la compétence de le faire.

On ne peut donc exclure que la CEDH soit érigée en Cour suprême de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’où la nécessaire hostilité de la Cour de justice.

  1. b) L’adhésion de l’Union prévue par le traité de Lisbonne

Le traité de Lisbonne surmonte l’obstacle que constitue l’avis 94 et prend au mot la Cour de justice qui disait qu’une révision des traités pourrait rendre possible cette adhésion.

C’est ce que dit l’article 6§2 nouveau en usant de la formule «l’Union adhère», qui pourrait laisser penser que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne devait avoir ipso facto pour effet cette adhésion ; ce n’est évidemment pas le cas car il faut réviser la CESDH, ainsi qu’obtenir l’accord des vingt Etats parties à la Convention n’étant pas membres de l’Union européenne, tout comme l’accord des vingt-sept Etats membres de l’Union européenne.

L’article 6§2 présente donc une possibilité subordonnée à la conclusion par l’Union d’un accord international sur décision du Conseil avec approbation du Parlement européen (selon l’article 218 du TFUE).

La procédure d’adhésion et de conclusion de cet accord d’adhésion s’écarte de la procédure prévue par le traité constitutionnel, et ce sur deux points, qui rendent l’aboutissement du processus d’adhésion plus aléatoire :

  • la décision du Conseil devra être prise à l’unanimité au lieu de la majorité qualifiée, comme cela était prévu dans le traité constitutionnel de 2005 ;
  • lorsque cet accord aura été conclu avec approbation du Parlement, il devra être soumis à un processus de ratification par tous les Etats membres de l’Union selon leurs règles de ratification respectives.

Il faut noter que les négociations ont déjà été engagées à l’été 2010.

Par ailleurs, il y a un protocole annexé au traité de Lisbonne qui fixe les conditions destinées pour l’essentiel à préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union européenne : tout est fait pour que l’adhésion future de l’Union à la CESDH n’altère pas cette spécificité.

  • L’adhésion ne doit affecter ni les compétences de l’Union ni les attributions de ses institutions : cela peut sembler discutable car cela pourrait être interprété comme si l’Union, avec le traité de Lisbonne, n’aurait pas davantage de compétences en la matière par rapport à avant ; c’est également discutable car le simple fait d’adhérer à la Convention prouve qu’elle a un titre de compétence nouveau en la matière, ce qui signifie que l’adhésion ne peut ni affecter les compétences de l’Union ni modifier la répartition des compétences entre l’Union et les Etats.
  • Les recours exercés devant la CEDH en cas de violation présumée des principes de la Convention par le droit de l’Union européenne (particuliers ou Etats extérieurs à l’Union) devront respecter la clef de répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres.

L’accord d’adhésion ne devrait pas permettre aux Etats membres de déroger à leurs engagements communautaires, ni de ne pas soumettre un différend relatif à l’application ou à l’interprétation des traités à un mode de règlement différent de celui prévu par le traité.

Autrement dit, les Etats membres se sont engagés à s’en remettre à la Cour de justice, et aucun ne pourra agir contre un autre autre Etat membre ou contre l’Union elle-même devant la CEDH, ce qui signifie alors que l’Union ne pourra être attraite devant la CEDH que par des particuliers ou des Etats tiers par rapport à l’Union.

Le protocole vise aussi à maintenir la situation particulière de tout ou partie des Etats membres vis-à-vis de la Convention, au regard notamment des protocoles souscrits par chacun.

  1. Le destin de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Vers la fin des années 90, il est acquis que la Communauté n’adhèrera pas à la CESDH, mais le souci de parachèvement pousse les Etats membres à envisager d’adopter un catalogue de droits fondamentaux propres à l’Union. Deux comités successifs ont été chargé en 1999 et en 2004 du soin de rédiger le texte d’une Charte des droits fondamentaux.

Cette convention était composée d’un représentant par État membre, d’un représentant de la Commission, de seize parlementaires européens et de trente représentants des Parlements nationaux. Sous la présidence de l’Allemand Roman Herzog, l’objectif est atteint le 7 décembre 2000 en marge du Conseil européen de Nice qui conduit à la conclusion du traité de Nice.

Le texte de la Charte des droits fondamentaux modifié par la convention Giscard de 2004 a été intégré au traité constitutionnel.

Les Etats membres la ratifient et la Charte acquiert l’autorité juridique suprême commune aux traités, mais dans sa version remaniée de 2004, sa portée s’en trouve émoussée.

  1. a) La mutation radicale de la valeur juridique de la Charte

Avant le traité de Lisbonne, la Charte n’avait pas été intégrée dans le corps même du traité de Nice, elle n’avait pas l’autorité qui s’attache au droit primaire de l’Union. Elle n’avait été que déclarée solennellement et reprise dans un document sous la signature de chacune des trois institutions. On était donc en présence, au mieux, d’un accord inter-institutionnel, ou, comme l’a dit le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 5 janvier 2005 Mlle Deprez et M. Baillard, d’un acte inter-institutionnel : la Charte appartenait donc à une catégorie juridique difficile à cerner. C’est une sorte de soft law.

La doctrine s’est rendue à l’évidence que les juridictions concernées n’en méprisaient pas le texte mais y faisaient au contraire référence : le Tribunal de première instance, pour confirmer ses positions en guise d’arguments confirmatifs dans un arrêt de 2002, a tenté d’élargir par un revirement de jurisprudence l’accès des personnes physiques et morales au recours en annulation contre des actes de portée générale, mais ce fut en vain car la Cour de justice a brisé dans l’oeuf cette jurisprudence naissante.

Du côté de la Cour de Strasbourg, le même constat a été réalisé.

Ce fut la même chose de la part de certaines juridictions nationales : le Conseil d’Etat s’en est tenu au constat selon lequel la Charte était dépourvue de l’autorité qui s’attache à un traité dans son arrêt du 5 janvier 2005, voire même de «force juridique» dans l’arrêt du 10 avril 2008 Conseil national des barreaux.

Le tribunal constitutionnel espagnol fut quant à lui très audacieux puisqu’il s’est fondé sur le texte de la Charte en novembre 2000, c’est-à-dire dès avant sa proclamation en décembre 2000. Il en fut de même en Italie.

La Cour de justice de Luxembourg s’est montrée d’abord très réservée en s’abstenant de répondre aux sollicitations des parties et des juridictions nationales qui la saisissaient de questions préjudicielles. Sa jurisprudence a évolué au cours des années, avec un cap en deux temps :

  • arrêt du 27 juin 2006 Parlement c./ Conseil : un certain nombre d’actes communautaires de droit dérivé font eux-mêmes référence à la Charte ; si elle ne constitue pas un instrument juridique contraignant, le législateur communautaire a cependant entendu en reconnaître l’importance ;
  • arrêt du 3 mai 2007 Advocaten Voor de Wereld : à partir de cet arrêt, la Cour de justice, à propos du principe de légalité des délits et des peines, ne s’appuie pas sur la Charte à titre subsidiaire mais en tant que source première, avant même la classique référence à la CESDH.

Avec le traité de Lisbonne, toutes ces évolutions jurisprudentielles perdent de l’intérêt puisque désormais, par la référence qu’y fait l’article 6§1, la Charte acquiert la valeur du traité lui-même.

Si l’on observe le cheminement prévu par le traité constitutionnel de 2005 et celui du traité de Lisbonne, on constate que le but atteint est le même, mais que les voies pour y parvenir ont été différentes : le traité constitutionnel incluait dans ces clauses le texte même de la Charte, alors que le traité de Lisbonne se contente d’une clause de renvoi à la Charte sous la forme de cet article 6§1. Il y a là indiscutablement une régression symbolique, mais juridiquement, cela ne change rien au fait que la Charte a désormais la même valeur juridique que les traités. La Cour de justice l’a expressément signalé dans son arrêt du 19 janvier 2010 Seda Kücükdeveci c./Swedex.

La Charte semble donc avoir vocation à être la pièce maîtresse du système des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais elle n’est pas pour autant la seule pièce du puzzle. Se pose alors la question de la concurrence entre ces instruments, et la question de savoir lequel est susceptible de devenir l’instrument principal.

À cet égard, la Charte souffre d’un handicap lourd : un protocole relatif à son application au Royaume-Uni et à la Pologne (qui sera étendu à la République Tchèque par un autre protocole qui sera annexé à la prochaine révision des traités) vise à neutraliser la portée de la Charte de deux manières :

  • il s’ingénie à souligner qu’elle se borne à codifier l’état antérieur du droit, et minimise donc sa portée ;
  • il exclut sa justiciabilité devant les juridictions de ces Etats.

C’était le prix à payer pour que ces trois Etats acceptent sa consécration juridique, mais en conséquence, elle ne peut prétendre être un instrument commun aux vingt-sept Etats membres.

  1. b) L’évolution partielle du contenu de la Charte

La Charte a été élaborée par la Convention Herzog en 2000, puis reprise par le traité de Lisbonne en 2007 par une clause y faisant référence, laquelle précise qu’il s’agit de celle telle qu’elle a été adaptée le 12 décembre 2007 : il y a eu entre 2000 et 2007 un processus de réécriture par la Convention Giscard, qui lui avait fait subir des changements importants.

Ces changements ne portent pas sur la formulation des droits mais sur les dispositions générales régissant l’interprétation et l’application de la Charte qui figurent dans son dernier chapitre. Or, ces dispositions générales, et les modifications connues en 2004, sont d’une importance déterminante car elle commandent l’interprétation et la mise en oeuvre des articles de la Charte.

La Charte telle qu’elle est consacrée par le traité de Lisbonne est, au regard des droits consacrés, la même qu’en 2000, mais elle est différente au regard de ses modalités d’application, certaines étant la reprise de la version originelle, et d’autres étant des rajouts ou des modifications de la Convention de 2004.

  • Ce qui ne change pas

Il s’agit de la formulation des droits, des libertés et des principes énumérés dans la Charte, en différents titres et chapitres.

  • Au chapitre 1er, consacré à la dignité, la charte prohibe les pratiques eugéniques, et c’est ce qui suit qui est intéressant : «notamment celles qui ont pour but la sélection des personnes». Cela signifie que constituent aussi des pratiques eugéniques celles qui ont un autre but, mais qui ont pour effet nécessaire ces pratiques eugéniques.
  • Il traite de la dignité humaine, du droit à la vie, du droit à l’intégrité de la personne, et de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ainsi que de l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé.
  • Au chapitre second, consacré aux libertés, on y trouve la formulation de droits et libertés classiques : droit à la liberté et à la sûreté, respect de la vie privée et familiale, protection des données à caractère personnel, droit de se marier et de fonder une famille, liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’expression et d’information, liberté de réunion et d’association, liberté des arts et des sciences, droit à l’éducation, liberté professionnelle et droit de travailler, liberté d’entreprise, droit de propriété, droit d’asile, et enfin la protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition.
  • Au chapitre troisième, consacré à l’égalité, on trouve le principe d’égalité de droit, le principe de non-discrimination, la diversité culturelle, religieuse et linguistique, l’égalité entre hommes et femmes, les droits de l’enfant, les droits des personnes âgées et l’intégration des personnes handicapées.
  • Au chapitre quatrième, consacré à la solidarité, on trouve le droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise, le droit de négociation et d’actions collectives, le droit d’accès aux services de placement, la protection en cas de licenciement injustifié, le droit à des conditions de travail justes et équitables, l’interdiction du travail des enfants et la protection des jeunes au travail (en somme, l’interdiction du travail des enfants), la vie familiale et la vie professionnelle, la sécurité sociale et l’aide sociale, la protection de la santé, l’accès au services d’intérêt économique général, la protection de l’environnement et des consommateurs.
  • Un cinquième chapitre est consacré à la la citoyenneté européenne
  • Enfin, un ultime chapitre sixième est consacré à la justice, avec le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, la présomption d’innocence et les droits de la défense, les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines et le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction.

Ne change pas non plus les règles originelles d’application de la Charte :

  • elle ne s’applique qu’aux institutions et aux organes de l’Union, ainsi qu’aux Etats membres, mais uniquement lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l’Union ;
  • elle ne créé aucune compétence ou tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et les taches de l’Union prévues aux traités (ni extension, ni restriction) ;
  • elle comprend une clause générale de limitation des droits et libertés consacrés, les restrictions ne sont admises que si elles sont nécessaires et proportionnées ;
  • un certain nombre de dispositions de la Charte sont également consacrées dans le cadre de la CESDH, mais également par les constitutions des Etats membres, ce qui suppose une articulation : la Charte doit être interprétée dans le sens des traités, mais elle peut aller au delà du champ conventionnel et offrir une plus grande protection.

  • Ce qui change

La Convention de 2004 a apporté un certain nombre de modifications sous la forme de trois ajouts qui ont tous pour objet et effet de réduire la portée de la Charte : c’est la rançon de la constitutionnalisation de celle-ci.

  • La Charte doit être interprétée par les juridictions de l’Union et des Etats membres en prenant dument en considération les explications établies sous l’autorité de la Convention de 2000 mise à jour par la Convention de 2004 ; c’est un document annexe qui, pour chaque article, apporte des commentaires présentés comme élaborés en vue de guider l’interprétation de la Charte (même si elles n’ont pas de valeur juridique).
  • L’ambiguïté réside dans le sens dans lequel elle doit être interprétée : développement ou restriction de la portée de la Charte ? À l’évidence, dans le sens de sa restriction puisque la référence à ces explications a été voulue par les membres britanniques de la Convention de 2004, qui étaient fortement sceptiques et hostiles à la Charte. Reste à savoir si la Cour de justice se laissera contraindre.
  • Elle faisait une distinction entre les principes d’un côté et les droits et libertés de l’autre aux origines : cette distinction est explicitée dans la version de 2004, les droits et libertés sont respectés par l’Union et ses Etats membres, et les principes sont observés par eux-mêmes. La différence entre respecter et observer est considérable par rapport à l’applicabilité : en effet, l’invocation devant le juge des principes n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes. L’invocabilité est donc extrêmement réduite et contrainte.
  • Les droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles des Etats membres doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions : c’est une concession faite aux traditions constitutionnelles communes. Ainsi, le niveau de protection de la Charte ne peut être plus élevé que celui des traditions constitutionnelles.