Les droits patrimoniaux de l’auteur sur son œuvre

Les droits patrimoniaux de l’auteur (reproduction et représentation)

 Les droits patrimoniaux se composent en deux prérogatives qui forment une dualité classique, laquelle n’est pas sans inconvénients pratiques et qu’il convient donc de dépasser, tant ces deux prérogatives sont souvent mêlés, notamment sur internet. Il restera alors à cerner la notion du public et de diffusion illicite, avant que d’envisager les exceptions au droit exclusif de l’auteur.

  • 1 : Une distinction classique :

Les deux prérogatives essentielles sont le droit de reproduction et le droit de représentation. Au vrai il y en a un troisième, le droit de suite, dont les modalités ont été précisées en partie dans la réforme de 2006 (art L 122-8) mais qui ne concerne que modestement internet, si bien que nous l’éliminerons, mais non sans l’avoir défini : les ventes d’œuvres, après la première cession, plastiques et graphiques par l’intermédiaire d’un professionnel de l’art sont soumises à une rémunération de l’auteur, ressortissant de l’UE suivant un barème à définir par décret en Conseil d’Etat (CE). Quelle est la raison d’être du droit de suite ? L’auteur touche un prix pour la vente du corpus (une sculpture par exemple) de l’œuvre, mais presque rien au titre du droit de reproduction ou de représentation alors que l’œuvre circule sur le marché de l’art. Le droit de suite est donc une compensation, d’autant plus juste si l’artiste a dû vendre à bas prix et que l’œuvre est ensuite revendu par un spéculateur qui aura profité de la gloire de l’auteur. La directive du 21 sept 2001 instaure, pour toutes les ventes faites par un professionnel, un droit de suite calculé en % dégressifs (maxi 5%) sur des tranches de valeur des œuvres d’art.

Outre le droit de suite on parle de créer de nouvelles prérogatives comme le droit d’exposition au profit des artistes plasticiens (Meralli, A quand l’application du droit d’exposition, Prop Intellect oct 2003, n9342), mais il n’est pas de droit positif, encore qu’on en trouve des traces en jurisprudence (Mallet-Poujol et M. Cornu, Droit, œuvres d’art et musée, CNRS, p383). En revanche il est certain que la cour de cassation a consacré un droit de location distinct (Civ 1ère 27 avr 2004, CCE 2004, n°84), qui est au vrai un sous-ensemble au sein du droit de reproduction, mais qui n’est pas sujet à épuisement.

  1. A) La représentation :
  • La représentation c’est « la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque » (art L122-2). Elle peut être primaire ou secondaire (art L 132-20 et s).
  1. a) Représentations primaires :
  • C’est la récitation publique, l’exécution lyrique, la représentation dramatique, la projection publique (ex audition de disques en discothèques, visionnage d’un film, utilisation d’un jeu vidéo).
  • C’est aussi la diffusion télévisuelle hertzienne terrestre et par câble, l’émission vers un satellite
  • Informatique : la visualisation sur un écran est une représentation, y compris pour un CD Rom. En revanche le logiciel ne donne pas l’occasion à représentation.
  1. b) Représentations secondaires :

L’autorisation primaire ne comporte pas, sauf clause contraire, le droit de représentation secondaire : câblo-distribution et satellite (cf pour les définitions art L 132-20-1°et s). La représentation secondaire est une retransmission du signal, le plus souvent une rediffusion.

  1. B) La reproduction :
  • La distinction avec le droit de représentation est importante car l’épuisement des droits ne concerne que le seul droit de reproduction. De plus la cession du droit de représentation n’implique pas cession du droit de reproduction et vice versa (L 122-7 du CPI).
  • La reproduction c’est « la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte» (L122-3), cad par le truchement d’un procédé, alors que la représentation est un mode direct de communication au public.
  • Reproduction c’est fabriquer à l’identique : changer de support, photocopier, numériser etc… Il est clair que la numérisation d’une musique, d’une image, ou d’un texte est un acte de reproduction car il y a une fixation matérielle sur le disque dur, puis le cas échéant un CD Rom. Télécharger c’est récupérer et reproduire à distance un fichier numérisé. Reproduire évoque une fixation permanente plutôt que fugitive. Télécharger suppose une numérisation préalable et laisse une trace sur le disque dur.

Pour certains auteurs (Voir par exemple Pollaud Dulian, Le droit de destination : les sorts des exemplaires en droit d’auteur, LGDJ, 1989) le droit de destination vient prolonger le droit de reproduction : ce droit est pour l’auteur la faculté de contrôler l’usage des supports de l’œuvre, d’interdire à un contractant, postérieurement à la première mise en circulation, certaines formes d’utilisation de l’œuvre, alors même que le droit de reproduction a été cédé. Ex interdire le droit de location de l’œuvre en vidéo bien que des supports de cassettes aient été régulièrement mis en circulation, interdire l’utilisation d’extraits CD à des fins publicitaire d’une musique, bien que des CD aient été commercialisés. Pour les opposants au droit de destination celui-ci se confond en fait avec la portée de  cession du droit de reproduction. De plus, il est difficile de parler d’un droit de destination sur internet ; en effet, le droit de destination vise au contrôle de la circulation des exemplaires matériels de l’œuvre alors que internet est immatériel. Finalement le droit de destination concerne plus le droit d’auteur classique que le droit d’auteur appliqué à internet. En tout état de cause sa portée véritable est floue en ce qu’il doublonne avec le droit de reproduction et sa consécration pour le moins incertaine : en effet, les textes et jurisprudence sont fragiles, même si l’article L131-3 al 1 emploie le mot de « destination ». Enfin, il a été montré que le droit de distribution est autonome quant à son régime juridique et qu’il ne dépend pas d’un éventuel droit de destination (notamment le droit de distribution ne peut permettre les actes qui impliquent un transfert de propriété (CJCE 17 avr 2008, aff C-456/06). Le droit de destination n’englobe donc pas le droit de destination, ni le droit de location ou de prêt, ce qui amoindrit sa portée.

  • Dans la pratique force est de constater que peu d’auteurs se réclament d’un droit de destination pour prétendre, par exemple, que le la cession du droit de reproduction n’engloberait pas le droit de location. La théorie est plus doctrinale que concrète. C’est plutôt par la reconnaissance d’un droit spécifique de location que la question se pose. De plus le droit de destination se heurte à l’épuisement des droits, lequel en droit d’auteur ne concerne que le droit de reproduction (le titulaire du droit de reproduction ne pourra plus invoquer son droit une 2ème fois pour contrôler la circulation de l’oeuvre dans les Etats de l’Union européenne ; le but de l’épuisement est de lutter contre le cloisonnement des marchés ; on suppose des cassettes vidéo qui auraient été régulièrement commercialisées en France, qui auraient été ensuite revendues en Allemagne puis qui reviendraient pour une revente sur le marché français ; le fabricant ne pourrait s’opposer à cette nouvelle commercialisation en France au motif de l’exclusivité territoriale qui aurait été concédée à un distributeur français car son droit est épuisé ; le même raisonnement peut être tenu envers d’autres pays de l’Union pour lesquels une exclusivité territoriale existerait). La loi DAVSI de 2006 a expressément reconnu l’épuisement du droit à l’article L 122-3-1, ce qui par ricochet est aussi une reconnaissance implicite d’un droit de distribution hors UE.

 

  • 2 : Le dépassement de la distinction :

La distinction est non seulement peu évocatrice, peu parlante, mais, de plus, elle n’est pas unanimement admise ; en effet, la terminologie varie selon les pays, tant et si bien que les textes internationaux opèrent de nouvelles distinctions, ce que la Cour de cassation paraît admettre en reconnaissant un droit spécifique de location.

  • Certaines Conventions internationales évoquent un droit de communication au public, ce qui est plus adapté dans un contexte international car plus parlant. D’autres textes, notamment internationaux résultant de compromis politiques, parlent de droit d’exploitation (art 122-1 CPI), de droit de distribution, de droit de diffusion.
  • A titre d’exemple la directive 2001 sur le droit d’auteur (elle résulte du livre vert sur le droit d’auteur de 1995) et certains aspects du commerce électronique, qui intègre les 2 traités OMPI adoptés en 1996, parle du droit de reproduction, du droit de communication au public (ce qui correspond au droit de représentation), enfin du droit de distribution (sous-ensemble du droit de reproduction relatif à la circulation des supports matériels).
  • Le droit français, sans prononcer le mot (cf art 122-1 CPI), envisage au demeurant un droit de distribution pour les logiciels (art L 122-6-3°) via l’expression « mise sur le marché ». L’article L 122-3-1 CPI, issu de la loi du 1er août 2006, en ce qu’il prévoit l’épuisement du droit de distribution après la 1ère mise en circulation suppose, implicitement, l’existence d’un droit de distribution.
  • Sur internet on parle volontiers, d’une part de distribution, ce qui équivaut à une synthèse entre d’une part droit de reproduction et droit de destination, d’autre part de diffusion, ce qui équivaut à une représentation (ex web radio ou télévision en ligne).
  • La distinction est tout particulièrement difficile sur internet. Tout d’abord représentation et reproduction sont souvent mêlées. La numérisation est un acte de reproduction, la vision à l’écran est une représentation. Or pour représenter il faut au préalable numériser, ex le téléchargement. De la même manière il y a une différence ténue entre l’affichage à l’écran et l’impression sur imprimante alors que le premier relève de la représentation par accessoire et le 2ème de la reproduction.
  • On comprend dès lors que certaines décisions aient utilisé un langage variable en parlant de la numérisation : soit elles parlent à la fois d’atteinte au droit de représentation et de reproduction, soit du seul droit de reproduction (voir TGI Paris 14 avril 1999, legalis.net), soit plus vaguement d’atteinte au droit d’exploitation (voir infra l’ordonnance de référé 14 août 1996).
  • A noter qu’on discute quant à savoir si au sens de L. 131-3 CPI la numérisation est un mode d’exploitation distinct, ce qui a un intérêt puisque le texte exige que les modes d’exploitation soient spécifiés (cf l’expression « domaine d’exploitation »).
  • Quid du stockage en mémoire ? Faut-il exclure de la reproduction le stockage en mémoire cache sur un serveur ? Certains disent non au motif qu’il n’y a pas de volonté de communication au public, d’autres oui car il y a fixation matérielle. La directive 2001 tranche en semblant exonérer du monopole de l’auteur les reproductions qui n’ont pas de signification économique indépendante, c’est-à-dire celles qui ne sont que transitoires ou accessoires (art 5. Voir aussi le considérant 33) : en ce sens d’ailleurs la Cour suprême canadienne. Les proxies (c’est une mémoire destinée à stocker les fichiers afin qu’ils soient plus rapidement accessibles) et les mémoires cache (mémoire provisoire des sites les plus visités) paraissent devoir relever de l’exception visée à l’art 5, à la différence des sites miroirs (ils complètent les proxies en dupliquant de façon non temporaire les informations, ce qui est utile en cas de destruction ; de plus ils accélèrent les consultations car en cliquant sur un site l’internaute va tomber directement sur le serveur miroir du pays où il réside et où sont stockés les sites les plus visités), qui devraient continuer à supposer une autorisation de l’auteur. La question demeure cependant controversée. Paris 29 mai 2002 (JCP ed E 2003, 1508, n°6) a jugé que la mise en mémoire cache n’est pas un acte de reproduction, faute de communication du public. Il devrait en aller de même pour la mémoire tampon, qui, elle aussi, n’est que provisoire[5]. La réforme de 2006 (DADVSI = droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information) n’a pas réglé toutes les difficultés puisqu’elle s’est contentée der reprendre la terminologie de la directive en parlant des reproduction provisoires (voir infra les exceptions au monopole.)
  • 3 : La notion de public et de diffusion illicite :

Celui qui représente ou reproduit, tout ou partie de l’œuvre d’un auteur sans son autorisation porte atteinte à son monopole et devient un contrefacteur (sur les règles applicables à la contrefaçon voir infra).

Cependant, le monopole n’est pas sans limites. Il faut que la reproduction soit destinée à communiquer l’œuvre au public, ce qui rend a contrario la mémorisation à des fins personnelles licite.

Pour résoudre cette question la notion de public constitue la clé : cette notion a été définie dans l’arrêt CNN (Civ.1ère 6 avril 1994, JCP 1994.II.22273, note Galloux. Voir pour une confirmation au niveau européen CJCE 7 déc 2006, D2007, 1236, obs Edelman) à propos de la musique d’ambiance dans les chambre d’hôtels. L’idée centrale de l’arrêt CNN est que à tout nouveau public il y a obligation de solliciter l’autorisation du détenteur des droits, lequel ne manquera pas de se faire payer. Un 1er argument en défense dans l’affaire CNN a été de soutenir que le groupe hôtelier Accor n’accomplissait pas d’acte positif d’émission mais qu’il n’était qu’un intermédiaire passif. C’est un argument qui a été repris dans les affaires Brel et Sardou (reproduction de leurs chansons sur internet : TGI Paris 14 août 1996, D 1996, 490, note Gautier) : en vain, car il est constant qu’une représentation ne nécessite pas un acte positif d’émission.

Un autre argument des défendeurs a été de soutenir qu’il n’est pas certain que les clients écoutent la musique dans leurs chambres. Mais pour la Cour de cassation il suffit d’un public potentiel. Une prolongation de signal est donc un acte de représentation alors même qu’un public effectif n’est pas atteint. La solution de l’arrêt a été confirmée sur le fondement de la directive droit d’auteur 2001 par la CJCE (7 déc 2006).

Si le public ne peut être que potentiel il en résulte qu’il n’est point besoin d’unité dans le temps et dans l’espace (cf Edelman, La CJCE et la diffusion dans les chambres d’hôtel, D 2001, n°13). Le public peut donc être disséminé et écouter en différé.

Enfin, c’est l’accumulation de personnes individuelles qui fait le public (Voir TGI Paris réf 14 août 1996, D 1996, 490, note Gautier. L’affaire est intéressante quant à la constatation de la contrefaçon par des agents assermentés et par l’argument de domicile privé virtuel).

L’article 3-1 de la directive 2001 assimile d’ailleurs les internautes à un public.

Cette jurisprudence est riche d’enseignement en ce qui concerne les logiciels de partage musicaux ou vidéo.

Dans l’affaire Napster l’internaute téléchargeait le logiciel Napster. Grâce à lui les internautes déclaraient au serveur tous les CD qu’ils avaient, ce qui permettait de constituer un énorme annuaire formé de tous les CD des adhérents. Comme le téléchargement se faisait grâce à l’intermédiation de Napster celle-ci a pu être condamné comme auteur de la contrefaçon. Mais ensuite, une autre technique est apparue : le téléchargement a pu s’effectuer, sans intermédiaire, grâce à un simple logiciel, directement entre internautes en pier to pier (port à port). Dans différents pays, et notamment aux USA on a, dans un premier temps, refusé de condamner le fournisseur du logiciel de partage.

C’est pourquoi les producteurs de phonogrammes s’étaient désormais orientés vers la poursuite des internautes qui téléchargent plutôt que des fournisseurs de logiciels de partage.

Mais la Cour suprême des USA a, le 27 juin 2005, d’infirmer la décision d’appel qui avait relaxé Grockster et l’a condamnée pour complicité de contrefaçon pour ce qu’en France on qualifierait de complicité par « fournitures de moyens » : les magistrats américains ont dit qu’il y avait contribution à la contrefaçon par un tiers (« encouragement actif »), ce qu’un juge français aurait aussi pu juger. D’ailleurs le 24 oct 2000 la chambre correctionnelle du TGI d’Epinal avait déjà envisagé « l’illicéité de liens permettant de parvenir à des MP3 eux mêmes illicites ». L’affaire Grockster engendrera peut-être de nouvelles poursuites contre les fournisseurs de moyens, ce que permet d’ailleurs la réforme issue de la DADVSI puisqu’elle incrimine directement et pénalement la mise à disposition de moyens permettant la contrefaçon, chose qui n’oblige plus à passer désormais par le filtre de la complicité par fourniture de moyens.

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