Les droits patrimoniaux : définition et classification

Les Droits Patrimoniaux

En droit français, les droits subjectifs se structurent autour de la notion de patrimoine, permettant de distinguer les droits patrimoniaux des droits extrapatrimoniaux. Aubry et Rau ont défini le patrimoine comme l’ensemble des biens d’une personne, formant une « universalité de droit », c’est-à-dire une masse indivisible de droits et d’obligations, attachée à la personnalité juridique.

Les droits patrimoniaux, qui entrent dans ce patrimoine, se caractérisent par leur valeur pécuniaire. Selon Carbonnier, cette dimension monétaire signifie que les droits patrimoniaux sont, par nature, cessibles et transmissibles, susceptibles d’être saisis par les créanciers, et généralement prescriptibles (susceptibles de se perdre par le non-usage).

Les droits patrimoniaux se distinguent par quatre caractéristiques principales :

  1. Cessibilité : Les droits patrimoniaux peuvent être cédés, ce qui signifie que leur titulaire peut les vendre, les échanger ou les donner à un tiers.

  2. Transmissibilité : Ils sont transmissibles aux héritiers en cas de décès, intégrant le patrimoine successoral du titulaire.

  3. Saisissabilité : Les créanciers peuvent saisir ces droits en cas de défaillance du débiteur, permettant le recouvrement des dettes grâce aux biens de celui-ci.

  4. Prescriptibilité : La plupart des droits patrimoniaux peuvent se perdre par non-usage au bout d’un certain temps, excepté le droit de propriété, qui est imprescriptible.

  1.  

 

 

I- Le Concept de Patrimoine

Bien que le Code civil ne fournisse pas de définition légale explicite du patrimoine, certains articles, tels que les articles 2284 et 2285, apportent des précisions essentielles. Ces dispositions clarifient les droits d’un créancier sur le patrimoine de son débiteur, ce qui illustre la notion de patrimoine dans son rôle juridique. Selon la théorie subjective développée par Aubry et Rau, le patrimoine est défini comme « l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit ».

 

A) Le Patrimoine, une universalité de droit

Dans le contexte juridique, le patrimoine diffère de la conception courante, souvent perçue comme un simple ensemble de biens matériels. Le patrimoine se définit comme l’ensemble des droits patrimoniaux (droits et obligations évaluables en argent) qu’une personne détient, qu’ils soient actifs (créances et droits) ou passifs (dettes et obligations). Il s’agit d’un « contenant » regroupant tous les biens, droits et obligations d’une personne, présents et à venir.

  • Universalité de droit : Le patrimoine constitue ce que l’on appelle une « universalité de droit », un ensemble indivisible de droits et de charges qui lie inextricablement les actifs et les passifs.

Ainsi, le patrimoine d’une personne comprend :

  • L’actif : tous les biens, droits et créances actuels et futurs de la personne ;
  • Le passif : toutes les dettes et obligations actuelles et futures.

Ce concept d’universalité de droit implique deux conséquences majeures :

  1. Incessibilité et intransmissibilité du patrimoine en tant que bloc : Le patrimoine est indivisible et ne peut être transféré comme un tout unique. Contrairement aux biens qui le composent, le patrimoine lui-même est juridiquement insaisissable et imprescriptible, ce qui signifie qu’il ne peut être saisi dans sa globalité ni se prescrire avec le temps.

  2. Unité de gage général du créancier : En vertu de l’article 2284 du Code civil, chaque créancier d’une personne détient un droit de gage général sur l’ensemble de ses biens présents et futurs. Cela signifie que le créancier peut faire saisir n’importe quel bien du débiteur pour obtenir le paiement de sa créance, ce qui reflète le lien inextricable entre l’actif et le passif au sein du patrimoine. Ce principe fonde l’idée d’universalité de droit : tous les biens répondent de toutes les dettes.

L’universalité de droit se distingue de l’universalité de fait. :

Il convient de distinguer l’universalité de droit, qui est le patrimoine, de l’universalité de fait :

  • Universalité de droit : Englobe des biens et des obligations liés par un statut juridique commun, comme dans le patrimoine d’une personne. Cette structure unique ne peut être morcelée ou partagée indépendamment, car elle obéit à des règles spécifiques d’indivisibilité et d’opposabilité.

  • Universalité de fait : Regroupe des éléments matériels ou immatériels sans lien juridique particulier, simplement en raison d’une même destination ou finalité. Par exemple, un fonds de commerce ou une collection d’œuvres d’art forment des universalités de fait, car elles peuvent être cédées ou dispersées indépendamment de la personnalité juridique du titulaire.

 

B) Le Patrimoine émanation de la personne

La théorie subjective du patrimoine, développée par Aubry et Rau, affirme que le patrimoine est intrinsèquement lié à la personne qui le détient, faisant de lui une émanation directe de la personnalité juridique. Cette conception personnaliste du patrimoine entraîne plusieurs conséquences majeures :

  • Exclusivité des personnes : Seules les personnes, physiques ou morales, peuvent posséder un patrimoine. Il ne peut exister de patrimoine sans une personne comme support.
  • Universalité du patrimoine : Chaque personne est automatiquement dotée de la capacité à détenir un patrimoine, du simple fait de sa personnalité juridique.
  • Intransmissibilité par décès : Le patrimoine est indissociable de la personne tant qu’elle a la personnalité juridique. Il naît avec la personne à sa naissance et disparaît à son décès.
  • Principe d’unité : Chaque personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine, celui-ci étant indivisible et unique, ce qui signifie qu’une personne égale un patrimoine.

Cette approche subjective, bien qu’influente, a suscité des critiques et conduit à des réformes qui introduisent des exceptions pour atténuer les rigidités du modèle classique.

1) Critiques et adaptations du modèle subjectif du patrimoine

Les conséquences pratiques de l’unité et de l’incessibilité du patrimoine au décès ont souvent posé des difficultés, notamment en matière successorale et économique. Le droit a donc intégré plusieurs dérogations afin de permettre une plus grande flexibilité dans l’organisation des patrimoines.

a. Freins aux fondations

Le principe de l’unité du patrimoine, qui exige un lien strict avec une personne, limitait historiquement la possibilité de créer des fondations. Pour répondre à ce besoin d’affectation de biens à un but d’intérêt général, la loi a permis la création de fondations, qui peuvent regrouper des ressources dédiées à une cause sans appartenir à une personne physique ou morale spécifique.

b. Confusion patrimoniale en matière successorale

La fusion des actifs et des passifs d’un défunt avec le patrimoine de ses héritiers peut entraîner des conséquences indésirables, notamment le risque pour l’héritier d’assumer des dettes inattendues. Afin de limiter ce risque, le droit français a instauré le mécanisme de l’acceptation à concurrence de l’actif net, permettant aux héritiers d’accepter la succession sans se voir imposer un passif supérieur aux biens hérités.

c. Obstacles économiques de l’unité du patrimoine

La règle de l’unité patrimoniale présente des inconvénients pour les entrepreneurs, notamment ceux des professions libérales, en raison de la saisissabilité de leur patrimoine personnel en cas de dettes professionnelles. Pour pallier ce risque, la question d’un patrimoine d’affectation (un patrimoine attaché spécifiquement à une activité) a été soulevée. L’idée est de permettre à une personne de segmenter son patrimoine, de façon à ce que les créanciers professionnels n’aient accès qu’aux biens associés à l’activité, sans toucher au patrimoine personnel.

2) Adaptations juridiques : Vers une séparation des patrimoines

En réponse à ces critiques, le droit français a développé plusieurs dispositifs visant à introduire une séparation partielle du patrimoine, tout en respectant autant que possible la doctrine d’Aubry et Rau :

a. La Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle (SASU)

La Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle (SASU) est une autre structure qui permet une distinction claire entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel pour les entrepreneurs souhaitant limiter leur responsabilité financière. Ce statut, devenu populaire dans les années récentes, offre une alternative flexible et moderne à l’EURL.

  • Séparation des patrimoines : En créant une SASU, l’entrepreneur constitue une personne morale distincte de sa personne physique, bénéficiant ainsi d’une séparation patrimoniale nette. Le patrimoine de la SASU est autonome, et l’entrepreneur n’engage que le montant de ses apports au capital de la société, évitant ainsi la saisie de ses biens personnels, sauf s’il est caution.
  • Souplesse juridique et fiscale : La SASU offre davantage de souplesse dans la gestion des dividendes et des rémunérations, ce qui attire de nombreux entrepreneurs à la recherche de solutions sécurisées pour entreprendre sans risquer leur patrimoine personnel.

b. Déclaration d’Insaisissabilité

Instaurée par la loi du 1er août 2003, cette mesure permet aux entrepreneurs de déclarer insaisissable leur résidence principale, protégeant ainsi leur patrimoine personnel en cas de difficultés professionnelles. Depuis 2008, cette insaisissabilité s’étend également à tous les biens fonciers non affectés à une activité professionnelle, renforçant la protection des biens privés.

c. Fiducie

La fiducie, introduite en droit français, est un dispositif permettant à une personne, le constituant, de transférer temporairement des biens à un tiers, le fiduciaire, qui les gère au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. Ces biens sont placés dans une masse distincte, protégée des créanciers du fiduciaire, et servent uniquement l’objectif fixé par le constituant, offrant une protection renforcée des actifs dans un cadre déterminé.

d. Le Statut Unique de l’Entrepreneur Individuel (2022)

Adopté dans le cadre de la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, ce nouveau statut vise à remplacer l’EIRL par un régime unique pour les entrepreneurs individuels. Il instaure d’office une séparation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur, sans qu’une déclaration d’affectation spécifique soit nécessaire. Le patrimoine personnel est désormais protégé automatiquement : les créanciers professionnels ne peuvent saisir que les biens affectés à l’activité de l’entrepreneur.

  • Avantage majeur : cette réforme protège de manière systématique les actifs personnels des créanciers professionnels, ce qui rend le patrimoine personnel de l’entrepreneur inaccessible en cas de faillite professionnelle, sauf en cas de manœuvres frauduleuses ou si l’entrepreneur s’est porté caution pour ses dettes.

 

Conclusion : La théorie subjective d’Aubry et Rau, qui lie le patrimoine exclusivement à la personne, a marqué le droit français. Cependant, l’évolution des besoins économiques et des protections patrimoniales a conduit à divers aménagements législatifs pour contourner les contraintes de cette doctrine, tout en restant fidèle à ses principes fondamentaux. Ces adaptations permettent désormais une certaine autonomie entre patrimoine personnel et professionnel, offrant des solutions aux entrepreneurs et aux individus cherchant à protéger leurs actifs personnels sans renoncer au principe de responsabilité.

 

II – La Classification des droits Patrimoniaux

Les droits patrimoniaux se classent en fonction de leur objet. On distingue ainsi trois catégories majeures :

  1. Les droits réels, exercés sur des choses matérielles ;
  2. Les droits personnels, qui régissent des relations entre personnes ;
  3. Les droits intellectuels, portant sur des créations immatérielles.

Les Droits réels

Les droits réels confèrent à une personne des pouvoirs directs sur une chose corporelle (matérielle). Ils se subdivisent en deux catégories principales :

  • Les droits réels principaux : Ces droits donnent au titulaire un pouvoir direct sur la chose elle-même. Le principal exemple est le droit de propriété, qui confère un pouvoir complet sur la chose. Ce droit peut être démembré, donnant lieu à des droits réels spécifiques, tels que l’usufruit (droit d’utiliser et de percevoir les fruits d’une chose appartenant à autrui) ou la nue-propriété (droit de disposer de la chose, sans en percevoir les fruits).

  • Les droits réels accessoires : Ces droits sont des garanties attachées à une créance, permettant à un créancier de sécuriser le paiement de sa créance en cas d’insolvabilité du débiteur. Ils portent principalement sur la valeur de la chose. Par exemple, un prêt peut être garanti par une hypothèque (droit réel portant sur un bien immobilier) ou un gage (droit réel sur un bien mobilier).

Les droits réels possèdent plusieurs caractéristiques spécifiques :

  • La création légale des droits réels : En principe, les droits réels sont créés et définis par la loi, et leur nombre est limité. Cependant, la Cour de cassation, dans un arrêt du 31 octobre 2012, a reconnu la possibilité de créer conventionnellement certains droits réels en vertu de contrats, ouvrant ainsi une certaine flexibilité.

  • Droit de suite et droit de préférence :

    • Droit de suite : Ce droit permet au titulaire d’un droit réel de suivre la chose, peu importe entre quelles mains elle se trouve. Par exemple, le créancier peut exercer son droit d’hypothèque même si le bien immobilier a été vendu à un tiers.
    • Droit de préférence : Ce droit accorde au créancier une priorité de paiement par rapport aux autres créanciers, en cas de vente de la chose.
  • Opposabilité à tous : Les droits réels sont opposables à tous, c’est-à-dire qu’ils peuvent être revendiqués vis-à-vis de toute personne qui entrerait en conflit avec le titulaire de ces droits.

Les Droits personnels

Les droits personnels (ou droits de créance) établissent un rapport juridique entre deux personnes, permettant à une personne (le créancier) d’exiger d’une autre (le débiteur) l’exécution d’une obligation de donner, de faire, ou de ne pas faire. Par exemple :

  • Donner : transfert de la propriété d’un bien, comme dans une vente.
  • Faire : réalisation d’un acte, tel qu’un travail convenu dans un contrat d’emploi.
  • Ne pas faire : engagement de ne pas réaliser une action, comme une clause de non-concurrence.

Les droits personnels se distinguent des droits réels par plusieurs caractéristiques :

  • Nombre illimité : Contrairement aux droits réels, les droits personnels peuvent être créés en quantité illimitée, tant qu’ils respectent l’ordre public et les bonnes mœurs. En respectant ces limites, on peut concevoir des relations contractuelles très variées.

  • Absence de droit de suite et de préférence : Le créancier d’un droit personnel ne dispose ni du droit de suite ni du droit de préférence. En cas de défaut de paiement, il ne peut revendiquer de droit spécifique sur un bien particulier, mais dispose seulement d’un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur, ce qui le rend « chirographaire » (sans garantie réelle).

  • Opposabilité relative : Les droits personnels ne sont pas opposables à tous ; ils ne concernent que les parties impliquées dans la relation contractuelle, marquant leur effet relatif.

Évolution contemporaine : La frontière entre droits réels et droits personnels tend à s’estomper pour certaines situations, comme celle des locataires. Bien que le droit de location soit personnel (entre le locataire et le propriétaire), la protection des locataires, notamment le droit à ne pas être expulsé durant la période hivernale, confère aux locataires des prérogatives proches de celles d’un droit réel sur le bien loué.

Les Droits intellectuels

Les droits intellectuels concernent les créations de l’esprit et confèrent à leur titulaire un monopole d’exploitation sur le produit de son activité intellectuelle. Contrairement aux droits réels, ils portent sur des biens incorporels et s’apparentent à une forme de propriété intangible, bien que distincte de la propriété matérielle au sens classique. Ces droits incluent :

  • Droit de clientèle : Fondamental dans le fonds de commerce, il représente la clientèle qui peut être transférée lors de la vente du fonds. Certaines clientèles (comme celles des médecins ou avocats) sont cessibles, ayant ainsi une valeur patrimoniale.

  • Offices ministériels : Certaines fonctions publiques, bien que non commerciales, possèdent une valeur patrimoniale en raison de leur clientèle, comme les charges notariales ou d’huissier.

  • Droits de propriété intellectuelle : Il s’agit ici des droits d’auteur (littéraire et artistique) et des droits de propriété industrielle (comme les marques, les brevets). Ces droits sont octroyés pour récompenser la créativité et l’innovation de leur titulaire et permettent de jouir d’un monopole d’exploitation temporaire.

Ainsi, les droits intellectuels se distinguent par leur objet immatériel et par la protection temporaire qu’ils offrent, en faveur de l’innovation et de la création dans la société.

Laisser un commentaire