Les écoles de pensée et les théories sur le droit pénal

Les écoles de pensée et les théories sur le droit pénal

Après l’adoption des codes napoléoniens, le code pénal va être marqué par des influences. Certaines sont purement idéologiques contrairement à d’autres fondées sur des études scientifiques. Ces inspirations vont, au gré des périodes, guider l’orientation de la politique criminelle conduite par nos autorités.

  1. A) Les influences idéologies et scientifiques du droit pénal sous la Restauration et l’Empire

La Restauration n’apporte guère de modifications, elle se situe dans la continuité de la philosophie napoléonienne qui prône l’ordre nécessaire après les débordements et les troubles de la période révolutionnaire. Cette période va être marquée par divers courants de pensée au sein desquels une évolution majeure va se produire vers la mi 19èmesiècle. A partir de 1850, l’évolution du droit pénal ne va plus être influencée par des considérations idéologiques mais par des considérations scientifiques que l’on doit à l’avancée des recherches criminologiques.

1) Les influences idéologiques

Dans la continuité de l’esprit du code pénal napoléonien, 2 courants de pensée vont perpétuer la fermeté des principes pénaux dégagés.

  1. a) La justice absolue

Ce courant de pensée considère que le droit de punir ne saurait être guidé par une simple préoccupation utilitaire. A travers la sanction pénale, il est nécessaire que le délinquant expie sa faute. On appelle cela le clivage de l’exemplarité de la sanction pénale. Le chef de file de ce courant est Emmanuel Kant qui défend l’idée selon laquelle la sanction à travers ses vertus punitives doit contribuer au rétablissement de la morale collective.

  1. b) L’école classique

Le courant de l’école classique va tenter de concilier, de réaliser un compromis entre les 2 courants de pensée précédents. C’est à dire la doctrine utilitaire et la justice absolue. L’école va tenir une position plus nuancée en se référant à certaines valeurs dont le droit pénal va tenir compte (par ex : l’échelle des peines). Cette nouvelle conception de la réaction sociale va émerger avec le rétablissement de la royauté et elle correspond à ce qu’on appelle le renouveau libéral qui se concrétise par diverses modifications législatives.

La plus importante a lieu en 1832 et elle a pour principal effet de revoir à la baisse, on parle de quantum de la peine c’est à dire le barème des peines encourues pour certaines infractions. Cela permet de remédier au flot des acquittements devant les cours d’assises et de faire relever certaines infractions du tribunal correctionnel des armées. Le deuxième renouveau intervient en 1863 où on procède à un nouvel abaissement des seuils des peines et on revient sur le régime juridique et on revient sur le régime juridique de certaines sanctions jugées excessives pour l’époque.

Cette impulsion libérale se sole par un échec car la délinquance est en hausse et la récidive augmente à tel point que l’on commence à regretter les sanctions de l’AR et leur régime dissuasif.

2) Les influences scientifiques

A compter de la deuxième moitié du 19ème, l’étude du phénomène criminel va prendre un tournant décisif. On va se livrer à une nouvelle approche. Il s’agit plus de défendre une conception idéologique c’est à dire théorique de la conception sociale mais plutôt d’étudier le phénomène criminel de manière scientifique. Il s’agit d’un courant qui correspond à l’école positiviste et ce courant a pris naissance bien précis, à un moment où le droit pénal était inefficace pour résoudre les problèmes dus à l’inflation de la délinquance. Les expérimentations scientifiques qui vont en découler sont à l’origine de l’avènement d’une nouvelle science qu’on appelle criminologie. Cette époque est une époque charnière car la réaction sociale ne se fond plus sur des données objectives ; elle va se baser sur des critères plus subjectifs afin d’adapter la sanction prononcée à la personnalité du délinquant. Sur ce point, on note une évolution sur ce point puisque les premières données criminologiques ne retiennent qu’un seul critère d’analyse voire un seul facteur d’explication. C’est ce qu’on appelle le monisme pénal mais par la suite, les analyses criminologiques vont tendre vers ce qu’on appelle le pluralisme (cf. Ferry).

  1. a) L’influence des théories monistes

Au titre des théories monistes, on peut distinguer 2 grands courants ou 2 grands groupes :

– Le courant d’ordre anthropologique: le chef de file est un dénommé Lombroso qui s’emploie à rechercher des coïncidences entre les caractéristiques physiques, morphologiques du délinquant et le type de comportement criminel adopté. Il va même plus loin en estimant certains traits de caractères peuvent se déduire des traits du visage. Pour asseoir sa théorie, il défend le concept du criminel né car il juge possible l’identification d’un délinquant en fonction de sa morphologie. Il ne néglige pas pour autant l’aspect psychologique car il estime que le criminel né c’est un individu qui se comporte comme un individu primitif dans une société évoluée. Les explications de Lombroso paraissent dépassées aujourd’hui mais pour l’époque, elles ont le mérite d’incarner la première théorie scientifique.

– Le courant d’ordre sociologique: il renferme un certain nombre de ramifications : L’école géographique à l’origine des premières statistiques et des premières lois d’ordre général sur la criminalité. C’est ce qu’on appelle les lois thermiques de la criminalité (cf. facteur géographique étudié comme facteur criminogène). Au fil des âges, la délinquance affiche une certaine stabilité. L’école socialiste recherche les interférences entre le milieu économique et la délinquance et va même jusqu’à considérer le crime comme un sous-produit du capitalisme. Pour Karl Marx, la criminalité n‘a pas place dans une société socialiste. L’école du milieu social que l’on doit à Lacassagne. C’est aussi l’école de Lyon. Elle travaille sur l’influence du milieu social au regard de la délinquance, et compare le milieu social à un bouillon de culture au sein duquel le délinquant ne serait qu’un microbe. Le délinquant ne peut donc proliférer, donc passer à l’acte que s’il est placé dans un milieu propice qui va le faire fermenter. C’est pourquoi ce courant propose d’envisager le milieu social dans son ensemble pour l’aseptiser plutôt que de se focaliser sur le délinquant. L’école de l’interpsychologie. Contrairement au courant précédent, elle n’envisage pas le milieu social dans son ensemble car elle préfère s’intéresser aux relations individuelles entretenues par les gens au sein d’un même milieu. Par ex, cette école explique la manifestation de la délinquance par ce que l’on appelle la loi de « l’imitation » et elle pense que l’exemplarité d’une situation délinquanciel quelle qu’elle soit peut servir de modèle pour de futures exactions.

L’école sociologique de Durkheim. Cette école se situe à contre courant par rapport aux écoles précédentes car pour la première fois elle défend l’idée que le crime ne doit pas être appréhendé de manière marginale comme étant un fléau pour la société, bien au contraire, elle estime que c’est un évènement normal qui est lié aux conditions de vie en société, et qu’il est même nécessaire à la société en vertu du fait qu’il renforce la cohésions sociale.

  1. b) L’influence de la théorie pluraliste

Avec Enrico Ferri on va assister à une nouvelle façon d’appréhender le phénomène criminel que l’on pourrait qualifier de pluralisme pénal. En fait, il n’existe plus un critère unique étudié pour appréhender le phénomène criminel, bien au contraire, les criminologues vont se livrer à des études beaucoup plus diversifiées. Cette tendance novatrice est amorcée timidement mi 19ème pour s’enraciner vers 1875-1876, sous la IIIème.

Par la suite, cette doctrine qui découle du positivisme, va éclater en plusieurs courant différents qui se manifesteront tout le long de la IIème voire après. Le point commun défendu c’est que l’homme moralement n’est pas libre, il est DETERMINE. Enrico Ferri pense que le libre arbitre n’existe pas. Le déterminisme de l’individu va résulter de la combinaison d’un ensemble de facteurs extérieurs parfois même d’un concours de circonstances qui le moment venu vont être à l’origine de l’acte criminel. Pour appuyer sa démonstration, Ferri va se livrer à un véritable inventaire de facteurs dits «criminogènes » qui sont susceptibles de conditionner le passage à l’acte du délinquant. De manière très générique il regroupe les facteurs criminogènes en 3 catégories : les facteurs anthropologiques, ensuite tout ce qui constitue le milieu physique et en dernier lieu le milieu social. La modernité des idées d’Enrico Ferri, c’est qu’elles vont recevoir des retombées pratiques : on va remettre en cause les fondements même de la responsabilité pénale. En effet, le délinquant n’est pas doté de libre arbitre, de sorte que son passage à l’acte va être conditionné par une combinaison de facteurs auxquels il ne peut résister. C’est pourquoi les règles générales de la responsabilité pénale sont inadaptées car accordent trop d’importance à la responsabilité morale. Pour Enrico Ferri le concept même de responsabilité doit se concevoir comme une responsabilité sociale, c’est-à-dire comme une responsabilité qui serait déclenchée contre le délinquant et qui proviendrait d’un instinct de protection voire de conservation de la société.

Enrico Ferri est l’un des premiers à suggérer des mesures PREVENTIVES à côté des sanctions pénales répressives.

  1. B) Le droit pénal républicain

La France est un pays pionnier de la criminologie.

1) La lignée du positivisme

Le 1er courant qui a vu le jour c’est le néoclassicisme. Ce courant remet en cause l’utilité de la répression pénale, qui n’aurait pour seul but que d’intimider le coupable. Elle privilégie des mesures plus rationnelles qui en ce sens sont dans le sillon de l’école classique et ces mesures sont l’individualisation des sanctions pénales.

Le 2ème courant est le positivisme dit critique. Ce courant se démarque du précédent car de nouveau on va privilégier l’aspect dissuasif de la sanction pénale. Ce courant est à l’origine de l’introduction de nouvelles peines comme par exemple la relégation (Cayenne). Ce courant s’efforce également de prendre en compte le manque de libre arbitre, notamment lorsque celui-ci est mineur. Il défend donc l’idée selon laquelle le délinquant juvénile ne saurait bénéficier du même juridique que le délinquant majeur.

Le 3ème courant c’est le pragmatisme. Ce courant va relancer le débat sur le libre arbitre et le déterminisme. En effet il ne nie pas les multiples facteurs criminogènes qui peuvent interférer sur le passage à l’acte du délinquant mais ils estiment que chaque individu conserve un minimum de libre arbitre car dans une situation équivalente certains sombrent dans la délinquance d’autres non. Cette remise en question va être à l’origine de la première suggestion de réforme du Code pénal en 1934. Mais ce courant va également suggérer l’adoption de mesures préventive qu’on appelle les mesures de sûreté et qui ont pour objectif de protéger la société contre la dangerosité du délinquant

Le 4ème courant c’est l’école de la défense sociale NOUVELLE. Au sortir de la 2GM l’idée se fait jour que le système répressif est plus ou moins impuissant pour canaliser l’inflation de la délinquance. C’est dans ce contexte le courant de la défense sociale nouvelle qui soutient une position originale : il n’est plus seulement question de protéger la société contre le délinquant, il faut en même temps protéger le délinquant contre lui-même, et ce pour limiter les risques de récidive. Le chef de file est GRAMATICA et Marc ANCEL. Gramatica suggère de prendre davantage en compte la personnalité de l’individu pour mettre en place des mesures pénales plus subjectives, autrement dit adaptées à sa personnalité. Avec ce courant on passe d’un droit pénal objectif à un droit pénal subjectif.

En matière criminelle, une fois que la Cour est constituée, l’expert psychiatre et psychologique sont les premiers à être entendus par les jurés et le juge. Cette école est à l’origine de textes importants adoptés depuis la Libération et il faut souligner la modernité des idées défendues par ce courant. Ordonnance de 1945 : enfance délinquance. C’est eux qui prônaient des peines de substitution notamment des cures de désintox.

REMARQUE CONCLUSIVE : Avec ce courant de la défense sociale nouvelle on va également prendre conscience que l’évolution de la délinquance peut aussi être liée à la politique pénale mise en place. On réalise qu’il peut y avoir des interférences entre la politique pénale conduite et l’évolution de la délinquance. D’où l’effet YOYO.

2) Les études contemporaines

Il faut retenir de l’évolution qui précède que le courant positiviste avec toutes les ramifications qu’il comporte va recevoir un large écho dans le monde juridique. En France, on va dire que la période qui s’étend de la mi 19ème à la mi 20ème correspond à ce que l’on appelle l’âge d’or de la criminologie. Par la suite cet élan va s’essouffler à tel point que pour la 2ème moitié du 20ème, 2 courants seulement retiennent l’attention.

Le 1er c’est ce qu’on appelle la théorie de la réaction sociale. C’est le courant de Michel Foucault. Depuis les années 60 ce courant donne une nouvelle orientation aux études criminologiques en s’efforçant de démontrer l’influence de la réaction sociale sur le comportement du délinquant. Il dénonce le fait que les citoyens et la société dans son ensemble procède trop rapidement à unétiquetage. En effet certaines catégories d’individus sont répertoriées comme catégories potentiellement délinquantes. Cette stigmatisation va en fait générer de la délinquance. Ce courant a eu un impact négatif sur la défense de nos politiques pénales car il les remet en question, les dénonce.

Le 2ème c’est la victimologie de Robert Badinter. Jusqu’à présent les théories criminologiques étaient axées sur le crime ou le criminel. On va s’intéresser l’éventuel rôle joué par la victime au moment du passage à l’acte. Mais surtout on va s’efforcer de prendre en compte le préjudice enduré. Pour se faire, on va mettre en place fin des années 70, début des années 80 des mécanismes qui consacrent le droit à l’indemnisation des victimes d’infractions pénales.

Conclusion : La criminologie : Une science en devenir ?

Au vue de ce qui précède, on remarque que la criminologie après avoir connue un siècle d’âge d’or est actuellement en déclin et ce déclin résulte notamment de l’affrontement de deux courants déjà exposés. D’un côté dans les années 60 la théorie de la défense sociale nouvelle va délocaliser l’objet de réflexion car on ne s’intéresse plus vraiment à l’acte délictueux en lui-même on l’envisage en le resituant au sein d’un système pénal plus général. Mais par la suite avec le courant de la réaction sociale, les objectifs poursuivis par nos politiques pénales sont fortement remis en question. Pourquoi ? Parce que ce courant dénonce que nos politiques pénales fabriquent de la délinquance. « Ce n’est pas la déviance qui conduit au contrôle social, c’est le contrôle social qui conduit à la déviance ».