Les éléments constitutifs de l’État : population, territoire, souveraineté

LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L’ÉTAT

L’État est juridiquement constitué lorsque trois éléments nécessaires et suffisants sont réunis : une population, un territoire et une souveraineté. Ces conditions sont cumulatives : l’absence de l’un d’eux empêche la reconnaissance de l’État. Lorsque ces trois éléments sont présents, l’État est reconnu au sens du droit international et du droit constitutionnel.

1)  La population de l’État

Un État ne peut exister sans population, c’est-à-dire sans un ensemble d’individus vivant sous sa juridiction. Cette population est souvent associée à une nation, mais les deux notions sont distinctes.

Une nation est un groupe d’individus dont l’union repose sur des liens matériels et spirituels, et qui se perçoit comme distinct des autres communautés humaines.

État et nation

L’idée d’État-nation apparaît au XIXᵉ siècle, marquant une tentative d’union entre la nation, concept culturel, et l’État, entité juridique. Selon Esmein :
« L’État est la personnification juridique d’une nation. »

Cependant, la notion de nation reste floue et sujette à débats. Deux conceptions principales se sont opposées au XIXᵉ siècle :

  • La conception objective (allemande) :
    Elle définit la nation comme le produit nécessaire de facteurs objectifs (comme la race, la langue, la religion). Une fois ces éléments réunis, la nation est considérée comme constituée. Cette vision a conduit à des dérives, notamment au génocide juif sous le nazisme.

  • La conception subjective (française) :
    Elle ne nie pas l’importance des facteurs objectifs mais y ajoute une dimension volontaire, basée sur un « vouloir-vivre collectif » (Renan). Selon cette conception, la nation repose sur une mémoire commune, une solidarité entre ses membres et une volonté de partager un destin collectif, indépendamment des différences.
    Exemple : En France, la diversité linguistique ou culturelle n’a pas empêché la construction d’une nation unifiée.

Les relations entre États et nations

  • Un État pour une nation ?
    Idéalement, chaque nation devrait disposer de son propre État, conformément au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cependant, cette situation est loin d’être universelle.
    Exemples :

    • Certaines nations sont partagées entre plusieurs États (ex. : la nation allemande divisée entre la RFA et la RDA avant 1990).
    • Certaines nations n’ont pas d’État (ex. : les Kurdes).
    • Certains États regroupent plusieurs nations (ex. : l’ex-Yougoslavie).
  • État avant la nation ou inversement ?

    • Dans la plupart des pays européens, la nation a précédé l’État, comme en Allemagne ou en Italie.
    • Dans le tiers-monde, l’État a souvent précédé la nation, en raison des frontières artificielles tracées lors de la colonisation. Ces États regroupent souvent des ethnies ou des communautés sans lien préalable.

Les questions actuelles :

  • Les États-nations sont souvent fragilisés par des revendications linguistiques, ethniques ou sociales.
  • La mondialisation limite l’autonomie des nations en intensifiant les échanges économiques et culturels.

 

2)  Le territoire de l’État

Le territoire est un élément fondamental pour qu’un État puisse exister. Il constitue l’espace où l’État exerce sa souveraineté et affirme son autorité.

Définition et rôle du territoire

Le territoire situe l’État dans l’espace et en délimite les frontières. Ces frontières sont essentielles pour établir les limites de compétence de l’État.

  • Frontières naturelles : chaînes de montagnes, fleuves, etc.
    Exemple : Les Alpes délimitent une partie de la frontière entre la France et l’Italie.
  • Frontières artificielles : issues de traités ou de décisions politiques.
    Exemple : Les frontières africaines, largement déterminées par les accords coloniaux.

Les dimensions du territoire

Le territoire étatique s’étend sur trois dimensions :

  1. Terrestre : Les terres émergées sur lesquelles l’État exerce sa souveraineté.
  2. Maritime : Les eaux territoriales (jusqu’à 12 milles nautiques selon le droit international), les zones économiques exclusives et les plateaux continentaux.
  3. Aérienne : L’espace aérien au-dessus du territoire terrestre et maritime, limité à la stratosphère.

Territoires sans État et États sans territoire

  • Il est possible d’avoir des territoires sans État.
    Exemple : L’Antarctique, qui ne relève d’aucune souveraineté nationale mais est régi par un traité international.
  • En revanche, un État sans territoire ne peut exister, car le territoire est indispensable pour définir les limites de l’autorité et de la souveraineté de l’État.

 

3) La souveraineté de l’État

La souveraineté est une caractéristique fondamentale de l’État. Elle désigne l’exercice d’un pouvoir politique suprême et indépendant sur un territoire et une population. C’est à travers la souveraineté que l’État affirme son autorité, sa pérennité et son unicité dans l’ordre juridique et politique.

A) Définition et caractéristiques de la souveraineté

La souveraineté se manifeste par une autorité politique suprême, qui n’est subordonnée à aucun autre pouvoir. L’État est alors qualifié de souverain, disposant du pouvoir le plus élevé dans la société.

  • Origine du concept : Jean Bodin, dans son ouvrage De la République (1576), est le premier à théoriser la souveraineté comme un pouvoir absolu et indivisible, destiné à affirmer la suprématie du roi face aux autres autorités, notamment le Saint-Empire romain germanique et le Saint-Siège.

  • Expression latine : Suma potestas – le plus grand des pouvoirs.

Les attributs fondamentaux de la souveraineté

  1. Pouvoir de droit initial :
    La souveraineté est fondatrice de l’ordre juridique. L’État établit les règles de droit qui organisent la vie collective et se conforme à celles qu’il a lui-même créées.

  2. Pouvoir absolu :
    La souveraineté ne connaît aucune condition ni limitation, sauf celles que l’État décide volontairement de s’imposer.

  3. Pouvoir suprême :
    Aucun pouvoir ne peut être supérieur à celui de l’État sur son territoire.

  4. Pouvoir perpétuel :
    La souveraineté de l’État survit à la disparition ou au remplacement des gouvernants. Elle garantit la continuité de l’autorité.

  5. Pouvoir indivisible :
    La souveraineté appartient exclusivement à l’État. Même si les fonctions sont réparties entre différents organes, elles émanent toutes d’une seule source.

Les fonctions régaliennes de l’État

La souveraineté confère à l’État des prérogatives exclusives, appelées fonctions régaliennes, qui ne peuvent être exercées par d’autres entités. Ces fonctions incluent :

  • Le droit de légiférer et de réglementer : pouvoir d’édicter des normes applicables à l’ensemble de la population.
  • Le droit de justice et de police : garantir l’ordre public et trancher les litiges.
  • Le droit de battre monnaie : contrôler l’émission de la monnaie nationale (bien que cette compétence ait été transférée à la BCE dans la zone euro).
  • Le droit de lever et d’entretenir une armée : assurer la défense nationale et la souveraineté extérieure.

Les dimensions de la souveraineté

  1. Souveraineté intérieure :
    L’État exerce une autorité suprême sur son territoire et sa population, imposant des normes juridiques et politiques à tous.

  2. Souveraineté extérieure :
    L’État est indépendant de toute autorité étrangère. Cette indépendance est reconnue en droit international, ce qui lui permet de nouer des relations diplomatiques, de conclure des traités et de participer aux organisations internationales.

 

B) L’État et le droit : un rapport complexe

La souveraineté soulève la question de la relation entre l’État et le droit. Deux hypothèses principales existent :

  1. Le droit précède l’État (jusnaturalisme)
  2. Le droit procède de l’État (positivisme juridique)

1. La souveraineté et le jusnaturalisme

Les théoriciens du droit naturel (jusnaturalistes) considèrent que le droit est antérieur à l’État. Selon cette vision, il existe des principes universels et inaliénables, indépendants des lois édictées par les gouvernants.

  • Exemples de droits naturels : Liberté, sûreté, propriété, résistance à l’oppression (cf. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789).

Cette conception vise à protéger les droits fondamentaux contre l’arbitraire étatique, mais elle ne définit pas clairement le contenu du droit naturel ni les autorités habilitées à l’interpréter.

2. La souveraineté et le positivisme juridique

Les positivistes, comme Hans Kelsen, considèrent que l’État est la seule source du droit. Dans cette perspective :

  • Le droit est l’expression de la volonté souveraine de l’État.
  • L’État se soumet volontairement aux règles qu’il crée, selon le principe d’autolimitation.

Hans Kelsen, dans sa Théorie pure du droit (1962), affirme que l’État et le droit sont confondus. Selon lui :

  • La population désigne les individus soumis aux règles juridiques.
  • Le territoire est l’espace où ces règles s’appliquent.
  • La souveraineté est le pouvoir d’édicter et d’appliquer ces règles.

L’État est alors un État de droit, c’est-à-dire une entité qui respecte ses propres normes et garantit la légalité de ses actes.

La hiérarchie des normes selon Hans Kelsen

Kelsen propose une vision systématique des relations entre normes juridiques, illustrée par la pyramide des normes :

  1. Constitution : norme suprême de l’ordre juridique, source de validité des lois.
  2. Lois : normes générales et obligatoires, subordonnées à la Constitution.
  3. Règlements : actes administratifs pris en application des lois.

Chaque norme tire sa validité de la norme immédiatement supérieure. Cette hiérarchie garantit la cohérence de l’ordre juridique et limite l’arbitraire.

L’État de droit et le contrôle de constitutionnalité

Dans un État de droit, le respect des normes juridiques est garanti par des mécanismes de contrôle :

  • Principe de légalité : les actes des organes étatiques doivent respecter la loi.
  • Contrôle de constitutionnalité : les lois doivent être conformes à la Constitution. Ce contrôle protège les droits fondamentaux et limite les excès du législateur.
Isa Germain

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