Les éléments de la possession : animus et corpus

la détermination des éléments constitutifs de la possession

La possession définie par le Code civil à l’article 2255: « La possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ».

1 – Le corpus et l’animus
A. Le corpus
1) Le corpus est l’élément matériel, l’élément objectif de la possession. Le corpus est le fait de se comporter comme un propriétaire, d’exercer sur la chose l’usus, le fructus et l’abusus, par exemple le fait d’accomplir sur la chose des actes de détention, d’usage, de transformation.

Le corpus est analysé comme l’accomplissement d’actes purement matériels sur la chose, il ne serait en revanche pas constitué par des actes juridiques tels que la vente ou le bail. La raison en serait qu’une personne qui ne possède pas pourrait faire de tels actes.

Cette conception parait cependant trop étroite : des actes juridiques accomplis à propos de la chose relève de l’exercice de fait des prérogatives du droit. D’ailleurs les arrêts retiennent des actes juridiques aussi bien que des actes matériels pour caractériser la possession.

Commentaire comparé – 30 juin 1999 et 4 oct. 2000
Un acte notarié peut-il être constitutif du corpus, alors même qu’il s’agit d’un acte juridique et non d’un acte matériel ? Un acte juridique peut-il être constitutif du corpus ?
Solution des arrêts
Arrêt du 30 juin 1999 : un acte notarié est différent d’un acte matériel, il n’a pas de force probante et ne peut jamais être constitutif du corpus. Pour prouver le corpus il faut donc apporter la preuve d’un acte matériel distinct.
Arrêt du 4 octobre 2000 : l’acte notarié peut être suffisant à condition que le juge y trouve une valeur probante
Comparaison
Il y a contradiction entre les deux des arrêts.
Dans le second arrêt le juge est invité dans chaque cas apprécier la valeur probante de l’acte notarié. Il s’agit d’une appréciation in concreto.
Sens
Arrêt 1 : il y a conception objective ou matériel de la possession. La signification de l’acte notarié constatant l’usucapion est un acte unilatéral qui se fonde en générale sur des témoignages. C’est un acte déclaratif qui ne demande pas de vérification de la part du notaire.
Arrêt 2 : cette solution n’est pas radicale. Le tiers est un détenteur précaire qui représente le propriétaire.

La possession corpore alieno : Les actes matériels peuvent être accomplis pour le possesseur par un représentant du possesseur : mandataire, fermier, locataire. La possession est indirecte mais la plupart du temps, le possesseur est le propriétaire, il possède le corpore alieno.

La possession solo animo : Le corpus est essentiel, il n’y a pas de possession sans corpus. Si le corpus disparaît il n’y a plus de possession (ex : vol). Néanmoins, la jurisprudence admet parfois qu’un possesseur vienne à perdre le corpus, cesse de faire des actes matériels mais va conserver la possession grâce à l’animus.
Il conserve la possession solo animo sous 2 conditions :
Il ne faut pas qu’il y ait eu renonciation tacite ou expresse (Civ. 11 janv. 1950)
La possession ne doit être ni interrompue ni suspendue

Art 2243 : « Il y a interruption naturelle, lorsque le possesseur est privé pendant plus d’un an de la jouissance de la chose, soit par l’ancien propriétaire, soit même par un tiers. »
Si une personne s’empare du bien, la solution diffère selon que le bien est une chose mobilière ou immobilière.
– chose mobilière : il ne peut pas conserver la chose solo animo, il perd la possession (art 2279)
– chose immobilière : Ex : quelqu’un s’installe dans un immeuble. Deux périodes :
– Pendant un an, le possesseur garde la possession solo animo. Il a la possibilité d’exercer une action possessoire pour défendre son droit.
– Au bout d’un an le possesseur est négligent, la possession passe au nouvel occupant.

B. L’animus
L’élément objectif, matériel ne suffit pas, sinon il y aurait simple détention. L’ animus est l’élément intentionnel, c’est-à-dire l’intention, la volonté de se comporter en titulaire d’un droit sur la chose. On parle de l’animus domini (intention de se comporter en maître). C’est un élément indispensable sans lequel il n’y a pas de possession.
Ainsi le voleur ou l’usurpateur d’une chose, non seulement exercent sur la chose les prérogatives d’un propriétaire, mais ils ont la volonté de s’affirmer en propriétaire de la chose, bien qu’ils ne le soient pas et sachent fort bien qu’ils ne le sont pas; leur pos­session a beau être de mauvaise foi, ils ont néanmoins la possession du droit de propriété

1. La possession

Le possesseur doit forcément faire des actes matériels avec l’intention de se comporter en titulaire, sinon il est un simple détenteur.
Ex : Un vêtement est vendu et gardé pour être retouché. Le vendeur cesse de posséder la chose. S’il garde le vêtement, c’est pour le compte de l’acheteur et temporairement. L’acheteur va acquérir la possession corpore alieno car la mainmise est exercée par le vendeur : c’est une situation de constitut possessoire (Convention par laquelle l’aliénateur reconnaît posséder dorénavant la chose pour le compte de l’acquéreur).

Le C.civ consacre la possession corpore alieno. Art 2228 « la possession est la détention où la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ».
Le propriétaire d’un terrain peut donc invoquer les actes de possession accomplis en son nom par le fermier. Ce dernier peut accomplir des actes matériels de possession mais il ne peut pas accomplir d’actes juridiques car il est juste détenteur. (Civ 3ème, 24 janv. 1990).


2. La détention précaire

La détention précaire est une situation dans laquelle le détenteur précaire va reconnaître le pouvoir du titulaire du droit réel et va détenir pour son compte. Le possesseur se reconnaît comme titulaire du droit réel même s’il n’est pas. Ex : le locataire détient le bien pendant un temps (prêt) qui le lie avec le titulaire du droit réel.

Le possesseur peut-être titulaire du droit réel correspondant au pouvoir alors qu’au contraire le détenteur n’est jamais titulaire du droit correspondant. Lorsque le possesseur s’empare d’un bien, son propriétaire perd la possession. En revanche, quand un détenteur détient un bien, son propriétaire reste possesseur. C’est une possession indirecte, corpore alieno.
Jusqu’en 1975, les actions possessoires étaient fermées au détenteur (précarité de sa situation). Cette différence a été gommée et le législateur lui a ouvert ces actions.

C. Controverse entre Savigny et Ihering

1. Savigny

Pour Savigny, l’élément déterminant est l’animus : la volonté est cruciale et prépondérante car elle permet de distinguer si les actes matériels sont accomplis à titre de titulaire du droit réel (possession) ou comme simple détenteur. Le corpus est alors selon lui éclairé par l’animus. Cette théorie est dite subjective car elle donne une place essentielle à la volonté.
Savigny oppose à l’animus domini un animus detinendi, intention de détenir pour autrui, qui réduit le possesseur à un rôle de simple détenteur. Le seul possesseur est donc en principe le possesseur à titre de proprié­taire. Tout au plus pourra-t-on lui assimiler ceux qui, comme l’usufrui­tier, ont la volonté d’exercer certains droits réels autres que la propriété. Mais le domaine d’application de la protection possessoire demeure res­treint dans la théorie subjective.

2. Ihering

Ihering minimise le rôle de l’intention, car selon lui l’animus est contenu dans le corpus. Il adopte une théorie objective de la possession. Si une personne exerce involontairement un pouvoir physique sur une chose (corpus), c’est nécessairement parce que cette personne a l’intention et la volonté d’exercer un droit sur cette chose.
L’individu cons­cient, qui a une chose en son pouvoir, a nécessairement l’intention d’exercer sur elle un droit. Ce droit peut être celui d’un propriétaire, d’un créancier gagiste, d’un fermier ou locataire ; en tout cas, on relève toujours la volonté d’exercer un droit, c’est-à-dire l’animus, dès lors qu’il y a pouvoir physique exercé volontairement sur une chose.

La différence se situe dans la nature du droit que le possesseur à l’intention d’exercer. Ce droit à un domaine beaucoup plus vaste, ce peut-être un droit réel ou non : droit d’un propriétaire, droit d’un locataire, dépositaire.
Pour Ihering, le possesseur peut avoir un animus domini ou detinendi. La catégorie des possesseurs absorbe celle des détenteurs précaires. Pour lui la détention précaire est un vice de la possession qui en paralyse certains effets mais n’empêche pas la qualification de possession.

La conception objective est préférable notamment parce qu’elle permet de protéger la possession en elle-même et ce au sens large, mais avant le droit français considérait la conception subjective.
La loi de 1975 à conférer toutes les actions possessoires au détenteur et dès lors un des principales élément de l’apport de la théorie objective disparaît.

2 – Acquisition et perte des éléments constitutifs de la possession
On acquiert la possession par la réunion du corpus et de l’animus. Il faut faire sur la chose les actes entrant dans les prérogatives correspondant au droit que l’on veut exercer. La seule volonté de se comporter comme propriétaire d’une chose ne peut suffire tant qu’elle ne se concrétise pas dans la maîtrise de la chose. Ainsi, le propriétaire dont la chose est entre les mains d’un tiers qui se comporte comme s’il en était lui-même le propriétaire n’a pas la possession de sa chose, car il n’a pas le corpus ; c’est le tiers qui est ici possesseur.
De même, le corpus à lui seul ne suffit pas : ainsi, le locataire, qui détient le bien et fait sur lui des actes matériel de jouissance, n’a pas la possession au sens strict du mot car il n’a pas l’animus, l’intention de se comporter en propriétaire ou en titulaire du droit réel.

Art 2230 du Code civil « On est toujours présumé posséder pour soi et à titre de propriétaire s’il n’est pas prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre ». Ce principe a été étendu aux autres droits réels.
La perte du corpus entraîne la disparition de la possession sauf pour les immeubles (possession solo animo). Si on perd l’animus, on perd la possession. Il y a quatre règles pour établir l’animus :

1) La personne qui exerce le corpus est présumée possesseur et non simple détenteur précaire, ce qui peut être renversé par le véritable propriétaire qui entend contester le droit du possesseur. Ex : droit en vertu du bail. Le détenteur précaire est le locataire.

2) L’animus s’apprécie in abstracto (On ne recherche pas l’intention concrète du possesseur, on ne s’occupe pas de son état d’âme).

3) L’animus detinendi ne se transforme pas en animus possidendi (c’est-à-dire la volonté d’être possesseur) sauf en cas d’interversion du titre.
– L’interversion ne peut résulter d’un simple changement d’intention de la part du détenteur
– Elle ne peut résulter du décès du détenteur (art 2237)

Art 2231: quand on a commencé à posséder pour autrui (détenteur), on reste détenteur sauf preuve du contraire, car le changement du titre est inefficace au cours de la possession.
Ex : la location. Le locataire use du bien avec un esprit de titulaire du droit de propriété au cours du bail, son titre ne se transforme pas de détention en possession.

– on peut néanmoins apporter la preuve contraire :
Ex : le mandat. Il peut prouver l’intention du mandant de consentir la donation et non une simple procuration.
Il prouve que son titre de procuration s’est transformé en titre de donation (propriétaire). L’interversion du titre procède de deux situations de l’article 2238 du Code civil :

Pour une cause qui vient d’un tiers qui se fait passer pour le propriétaire d’un immeuble, le locataire va acquérir l’animus de tout acquéreur. Pour le détenteur, il y a interversion du titre. Il se croit propriétaire et la détention se change en possession.
Le détenteur oppose une contradiction au droit du propriétaire. On vise l’hypothèse où le détenteur accomplit des signes matériels de contradiction dès lors qu’ils sont certains et non équivoques.

4) l’animus doit appartenir au possesseur lui-même. Il doit être constaté dans la personne du possesseur mais les représentants (tuteur ou parents) peuvent avoir la volonté de posséder (Enfants et déments : incapable).