Les exceptions au droit d’auteur

Les limites au monopole de l’auteur sur son oeuvre :

Si l’on est dans un cas de limite le monopole n’a plus prise et l’on peut représenter ou reproduire sans autorisation.

Le terme exception au monopole de l’auteur est souvent utilisé, mais il ne doit pas abuser : le législateur ne l’emploie pas, et à juste titre, car les exceptions sont normalement d’interprétation restrictive : or si certaines limites ont effectivement été interprétées restrictivement par la jurisprudence, d’autres ont une finalité culturelle d’intérêt général qui ne justifie pas une approche systématiquement étroite (en ce sens d’ailleurs Paris 22 avr 2005, RIDA janv 2006, 309 Kerever). Qui plus est il n’y a pas vraiment d’exception dès lors qu’une rémunération (licence légale pour copie privée) est prévue pour rémunérer l’auteur. Cela étant les nouvelles dérogations créées par la loi de 206 semblent bien être des exceptions si on se réfère au luxe de détails qui en conditionnent l’application. Quoiqu’il en soit ces limites ou exceptions sont plus restrictives en France qu’au royaume Uni où on évoque le fair dealing et qu’aux USA où on parle de fair use. Au vrai dans le système copyright la copie privée est plus un droit qu’une simple exception au monopole, alors que chez nous on ne peut parler d’un véritable droit subjectif au profit des utilisateurs (Civ 1ère 28 févr 2006, n° 05-15.824 qui rappelle qu’il n’existe pas de droit à la copie privée)[6], mais seulement d’une permission de la loi (A), voire d’une coutume qui n’ose dire son nom (B).

 Les limites de l’article L 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle :

Les limites ne peuvent jouer qu’à la condition, désormais, de respecter le test dit des trois étapes : existence d’une loi spéciale posant l’exception, exigence ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l‘œuvre, exigence ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts de l’auteur. Le flou entourant ces conditions créera une insécurité juridique que la jurisprudence devra, peu à peu, combler. Les nouvelles exceptions ou limites prévues ne font pas mention du téléchargement : de ce fait celui-ci est interdit, sous réserve de ce qui sera dit plus loin.

La loi de 2006 dite DAVSI (ou DADVSI) = droit d’auteur et droits voisin dans la société de l’information) transposant la directive 2001 droit d’auteur dans la société de l’information a complété l’article L 122-5 ancien. On suivra, pour l’essentiel, l’ordre instauré par le législateur, en omettant le dépôt légal qui figure dans la loi du 20 juin 1992 (et non pas dans le CPI).

  1. a) L’usage privée :

C’est celui fait dans le « cercle de famille », ce qui exclut par ex le cercle d’employés d’une société ou d’une association, camarades d’école). L’internaute qui regarde en famille une œuvre sur un écran de télévision agit donc licitement, car la notion de sphère privée, de droit fondamental de participer à la culture (art 27 Déclaration universelle des droits de l’homme) fait que la notion du public n’est pas en cause. De ce point de vue la loi de 2006 sur les droits d’auteur, en ce qu’elle valide les mesures techniques de protection, remet en cause cette approche (voir Gaudrat et Sardain, CCE 2005, nov 2005, p6) puisqu’elle permet de bloquer l’usage privé

Un forum de discussion, une communication par courrier électronique, dès lors que sont touchés des personnes au-delà de ce qu’on peut appeler les familiers, ne ressortit pas à la limitation du monopole sous peine de vider de tout son sens ledit monopole, tant il est facile de distribuer une œuvre par courrier attaché. C’est là la solution communément admise, même si la directive 2001 est muette sur la question.

A cela on peut rétorquer que la Cour de cassation a qualifié un mail de correspondance privée, mais c’était dans un contexte étranger au droit d’auteur puisqu’il s’agissait d’un contexte de droit disciplinaire (Soc 2 oct 2001, D 2001, IR 2944). Un mail n’a pas forcément le caractère privé inhérent au cercle de famille.

  1. b) La copie privée (L 122-5-2° : copie à usage privé) :
  • C’est en fait toute reproduction par un copiste, la question étant de savoir qui est copiste : le copiste matériel et (ou) le copiste intellectuel ? C’est un vieux débat (MM Lucas, Traité de Propriété littéraire et artistique, Litec, n° 302), mais en tout cas le donneur d’ordres est un copiste. De même l’entreprise de photocopie est un copiste.
  • Le but lucratif est indifférent.
  • Le copiste doit avoir agi pour son usage privé, c’est à dire dans un but non professionnel et non collectif. Sont donc illicites l’impression à partir d’un périphérique d’ordinateur pour une réunion d’entreprise, ainsi que les photocopies de cours d’enseignants par une amicale d’étudiants.
  • Il faut de plus que l’accès soit légitime ce qui suppose qu’elle ne prive pas l’auteur d’une possibilité d’exploitation légitime, mais peu importe que l’usage soit à titre professionnel individuel.
  • Celui qui photocopie un livre entier bénéficie, sous réserve des conditions ci-dessus, de l’exception de copie privée (en ce sens MM Lucas, Traité de Propriété littéraire et artistique, Litec, n°301). Sera ce encore le cas avec l’exigence du triple test imposé en 2006 par la DAVSI ?
  • En matière de logiciel l’art L 122-6-1 permet une copie de sauvegarde au profit de l’acheteur.
  • Une rémunération collective pour copie privée est prévue par l’article L 122-10 afin de compenser la perte financière subie par l’auteur du fait des moyens de reprographie qu’offre la technique (photocopiage). Cette question sera étudiée plus loin.
  1. c) Analyses et citations :
  • Le texte a été prévu pour la littérature et est difficilement transposable aux autres disciplines:
  • L’analyse : ce sont des extraits pris d’une œuvre première et insérés dans une œuvre seconde qui porte une appréciation critique de l’œuvre reprise. Tant que l’emprunt ne dispense pas d’aller à l’œuvre première l’exception d’analyse est valide. La citation, elle, est plus brève, c’est un passage (ex pour un livre 10-15 %). Dans l’affaire Microfor (Ass plén 30 oct 1987, JCP E,II, 15093, obs A Lucas et Vivant), la Cour de cass a étendu l’exception aux résumés constitués de courtes citations.
  • Il faut que l’auteur et la source soient clairement indiqués, ce que l’on réalise par l’usage des guillemets
  • L’emprunt doit être justifié « par le caractère critique, pédagogique, scientifique, ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ». L 122-5 : pour les œuvres secondes à caractère d’information (aff Microfor) C Cass n’a pas exigé l’incorporation dans une œuvre citante. Certains voudraient généraliser à tout le multimedia.
  • Pour la musique le devoir de nommer l’auteur pose souvent difficulté en pratique. Sur internet le droit de citation a été refusé pour manque de brièveté dans un cas où on pouvait télécharger des fichiers représentant des extraits de 30 secondes par chanson (TGI Paris 15 mai 2002, RIDA oct 2002.251). De même dans une autre affaire où il a été jugé qu’il n’y avait pas de finalité d’information : Paris 10 déc 2003, GP 5-6 janv 2005, 32. Quant à l’échantillonnage (sampling) musical il a été estimé valide, non pas au titre du droit de citation, mais parce que l’œuvre citée n’étant pas reconnaissable il n’y aurait pas reproduction. C’est l’analyse qui a été faite par une Cour d’appel (CA Toulouse 16 mars 2000, CCE 2000, n°113).
  • La question de la représentation intégrale confrontée au droit de citation. L’affaire des fresques de Vuillard (Civ 1ère4 juill 1995, D 1996, Som. Hassler) illustre bien la question. Il s’agit du reportage télévisuel sur la restauration, dans un théâtre, des fresques du peintre Vuillard, fresques que la caméra balaye. La cour a refusé le bénéfice du droit de citation car il y avait représentation intégrale des fresques, nonobstant le fait que la représentation était fugace.

De même, dans l’affaire Fabris (Assemblée plénière de la Cour de cassation 15 novembre 1993, D 1994, 481, note Foyard), la Cour de cassation a jugé que les photographies d’oeuvre d’art dans un catalogue de vente aux enchères étaient redevables du paiement d’un droit de représentation aux sociétés d’auteur, car il y avait, ici aussi, représentation intégrale des œuvres, alors pourtant que ces représentations avaient pour but de favoriser le marché de l’art et, donc, l’exercice du droit de suite des auteurs. Beaucoup de juristes ont critiqué ces positions rigoristes, témoins d’une interprétation restrictive des limites au monopole.

Aussi le législateur est intervenu pour briser ces jurisprudences et valider expressément, d’une part les représentations dans les catalogues d’art dans la loi du 27 mars 1997, d’autre part les reproductions à titre exclusif d’information réalisées par la presse dans la loi de 2006.

S’agissant de cette dernière (L 122-5-9°) elle permettra par exemple de valider ce qui avait été jugé illicite dans l’affaire Vuillard, sous réserve de citer le nom de l’auteur. Le droit d’auteur rejoint donc le droit à l’image des personnes. Une représentation ou reproduction intégrale, aux fins d’illustrer un sujet d’actualité, est licite, même quand son rôle n’est pas secondaire ou accessoire. Comme il a été dit, jusqu’à présent la jurisprudence dominante refusait de valider ces limites au nom du droit de citation. Mais la limite ne vaudra pas pour la musique  et les arts mineurs, car seules les oeuvres graphiques, plastiques, architecturales sont visées par le législateur de 2006.

De plus, le législateur a précisé que le monopole de l’auteur reprend place si l’oeuvre reproduite, et notamment une photo, avait elle-même pour but de rendre compte de l’information. Cela signifie, par exemple, que le journal Y ne peut reproduire la photo, prise sur le vif, d’un attentat, image faite par un journaliste qui l’a vendue au journal X ; admettre le contraire serait priver l’auteur photographe d’une seconde rémunération légitime.

S’agissant de la première diffusion, celle relevant de l’exception au monopole, le texte, très confus au demeurant et qui fera les délices des prétoires, prévoit toutefois une rémunération de l’auteur si l’exploitation, par son nombre ou son format, n’est pas en stricte  relation avec le but d’information du public.

Faudra-t-il, en plus, le consentement de l’auteur ? Le texte ne le dit pas.

Mais surtout le texte est emprunt de corporatisme : les œuvres graphiques, plastiques, architecturales sont concernées par la dérogation, mais pas la musique et les arts mineurs.

  1. d) Revue de presse :

Elle n’est pas définie dans le code : « présentation comparative de divers commentaires » de presse sur un sujet donné a dit C Cass (arrêt Microfor, voir supra) mais cela reste vague.

Il faut la distinguer du résumé et de l’analyse (voir supra).

  1. e) Certains discours destinés au public :

Assemblées politiques, administratives, judiciaires, cérémonies officielles… si c’est dans un but d’information.

  1. f) L’exception de fins pédagogique :

La loi de 2006 (122-5 3°e) introduit une nouvelle exception qui était jusqu’à présent inconnue de notre droit : il s’agit de l’exception dite à des fins pédagogiques au profit, notamment, des universités, bibliothèques et musées. Elle permet la reproduction et la représentation « d’extraits d’œuvre » à des fins d’illustration dans la recherche et l’enseignement, à l’exclusion des « activités ludiques et récréatives » et de toute « exploitation commerciale ». Pour illustrer un TD l’enseignant peut donc licitement reproduire un article de presse, encore que l’on puisse en douter si le texte est trop long. L’auteur quant à lui aura droit à une rémunération forfaitaire négociée. Concrètement les Universités devront conclure des accords avec les éditeurs de livres.

Les droits voisins et les bases de données sont aussi concernés.

En revanche sont exclus de l’exception (=retour au monopole) les ouvrages pédagogiques, et donc les manuels de droit par exemple, ainsi que les partitions du musique (on voit la puissances des lobbies).

  1. g) Parodie, pastiche, caricature :

La distinction entre les trois types est délicate (voir Gautier, n°202). Le plus fréquent c’est la caricature, qui, si elle est outrancière demeure soumise aux infractions de la loi sur la presse. Mais ce qui nous préoccupe ici c’est la caricature qui s’inspire d’une œuvre protégée.

L’excuse de parodie ne justifiera pas la reproduction à l’identique (Versailles 6 nov 1998, RIDA juill 1999, 265) : il faut que l’on puisse s’apercevoir que ce n’est pas l’original. L’exception de parodie d’un site sur internet n’a pas été acceptée car il y avait risque de confusion entre les deux sites et intention de nuire (TGI Paris 13 févr 2001, Prop Intellect, oct 2001, 66, note Sirinelli). En outre il faut qu’on puisse y déceler une intention humoristique.

  1. h) Les reproductions temporaires ou accessoires :

Le contenu de L 122-5 est repris à l’article L 211-3 en ce qui concerne les droits voisins, mais les bases de données et les logiciels en sont exclus, ce qui posera des difficultés techniques et raison de leur importance dans les réseaux et de l’impossibilité, en pratique, de scinder sur internet ce qui ressortit à une base de données et ce qui n’y ressortit pas.

C’est une exception à visée informatique. Elle concerne la mémoire  des ordinateurs, mais sans donner plus de précisions, ce qui fait que les questions qu’on se posait antérieurement demeurent.

Faut-il exclure de la reproduction illicite le stockage en mémoire cache sur un serveur ? Certains disent non au motif qu’il n’y a pas de volonté de communication au public, d’autres oui car il y a fixation matérielle. La directive 2001, comme la loi de 2006, tranche en semblant exonérer du monopole de l’auteur les reproductions qui n’ont pas de signification économique indépendante, c’est-à-dire celles qui ne sont que transitoires ou accessoires (art 5. Voir aussi le considérant 33) : en ce sens d’ailleurs la Cour suprême canadienne. Les proxies (c’est une fixation faite par les serveurs intermédiaires servant de passerelle : elle sert mémoire à stocker les sites le plus souvent visités afin qu’ils soient plus rapidement accessibles) et les mémoires cache de l’ordinateur (mémoire provisoire des sites les plus visités) paraissent devoir relever de l’exception visée dans la loi, à la différence des sites miroirs (ils soulagent et  complètent les proxies parents en dupliquant de façon non temporaire les informations, ce qui est utile en cas de destruction ; de plus ils accélèrent les consultations car en cliquant sur un site l’internaute va tomber directement sur le serveur miroir du pays où il réside et où sont stockés les sites les plus visités), qui devraient continuer à supposer une autorisation de l’auteur. La question demeure cependant controversée.

Cour d’Appel de Paris 29 mai 2002 (JCP ed E 2003, 1508, n°6, a jugé que la mise en mémoire cache n’est pas un acte de reproduction, faute de communication du public. Il devrait en aller de même pour la mémoire tampon, qui, elle aussi, n’est que provisoire. La réforme n’a pas réglé toutes les difficultés puisqu’elle s’est contentée der reprendre la terminologie de la directive en parlant des reproduction provisoires ou transitoires.

  1. i) La limite au profit des handicapés :

Il s’agit, ici aussi, d’une dérogation nouvelle dans notre droit, mais que les pays de copyright, eux, connaissaient déjà ; elle a été étendue aux bases de données. La directive de 2001 en faisait une possibilité, opportunité que le législateur a saisie en 2006. La limite concerne les personnes morales venant en aide aux handicapés, ainsi que les bibliothèques à leur service. Elle doit être réservée à l’usage strictement personnel des handicapés (et donc exclusive de toute commercialisation de la représentation ou de la reproduction) consultant dans les bibliothèques, ou assimilés, sous réserve qu’il incombe à ces personnes morales d’apporter la preuve de la licéité de leur situation au regard du CPI.

Aucune compensation monétaire n’est prévue au titre de la copie privée (art L311-8-3°.

La portée de la limite au profit des handicapés sera fixée par l’Autorité de régulation des mesures techniques (voir infra).

  1. j) La limite au profit des bibliothèques, des musées et des centres d’archives :

La limite ne concerne que les reproductions à des fins de conservation, à l’exclusion des exploitations faites par les usagers. La numérisation est fréquente pour faciliter la conservation des œuvres et leur consultation sur place.

  1. k) Cas particuliers du téléchargement de fichiers musicaux ou audiovisuels :

L’article 122-5 n’en parle pas en tant qu’exception. Ce silence fait que le monopole de l’auteur retrouve son empire, ce qui n’était pas évident avant 2006.

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