Les grands principes de procédure civile

NOTIONS ÉLÉMENTAIRES DE PROCÉDURES CIVILES

La majorité des individus exercent leurs droits sans obstacle majeur, qu’il s’agisse de profiter de services de transport, d’entreprendre des travaux de ravalement, ou de faire respecter leur droit de propriété. Cependant, il arrive que des conflits surgissent et que des droits soient contestés. Lorsque les parties ne parviennent pas à un règlement amiable, elles peuvent décider de faire appel à la justice pour trancher le différend. En principe, tout droit est assorti d’une sanction pour garantir son respect.

Tout détenteur d’un droit doit avoir la possibilité de le faire valoir et de demander réparation en cas d’atteinte. Cette sanction relève exclusivement de l’autorité publique de la justice, qui a pour mission d’appliquer les lois et de garantir la protection des droits individuels en saisissant une juridiction de l’État.

Le service public de la justice est gratuit : les magistrats ne sont pas rémunérés par les parties, mais par l’État. Cependant, les individus qui recourent à la justice sont souvent amenés à assumer des frais annexes, notamment les honoraires des auxiliaires de justice, tels que les avocats, huissiers et autres experts si nécessaires.

Dans certaines situations, les parties préfèrent ne pas soumettre leur affaire aux tribunaux de l’État et choisissent de recourir à un arbitrage. Ce mode alternatif de règlement des litiges, reconnu et encadré par la loi, connaît un développement significatif, en particulier dans le domaine commercial. L’arbitrage est souvent privilégié pour sa rapidité, en raison des retards et de la surcharge des tribunaux, et pour la confidentialité qu’il offre, notamment dans des affaires commerciales sensibles.

Pour recourir à l’arbitrage, les parties doivent avoir trouvé un accord préalable. Cet accord prend la forme :

  • d’une clause compromissoire, insérée dans un contrat pour anticiper la résolution des conflits qui pourraient survenir ;
  • d’un compromis, en cas de litige déjà existant.

Lorsque l’arbitrage n’est pas envisagé, le litige est porté devant une juridiction de l’État, où des procédures civiles spécifiques doivent être suivies. Initialement de portée essentiellement nationale, ces procédures sont désormais soumises à des exigences européennes de plus en plus strictes. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment dans son article 6, impose des règles fondamentales de procédure, qui priment sur la loi française en raison de leur supériorité hiérarchique.

Principes des juridictions françaises

Catégorie Principe Description Exemples et spécificités
Compétence des Juridictions Compétence d’attribution Attribue les affaires aux juridictions selon leur nature ou gravité. Affaires familiales (JAF), litiges civils (tribunal judiciaire), infractions (tribunal de police, correctionnel)
  Compétence territoriale Détermine la juridiction géographique du tribunal, selon le lieu de résidence du défendeur. Lieu du domicile (général), lieu du bien (immobilier), lieu d’exécution (contractuel)
Déroulement du Procès Principe du contradictoire Assure que chaque partie puisse défendre et contester les arguments adverses. Documents et arguments partagés équitablement ; Article 16 du NCPC
  Principe de publicité Procès ouvert au public pour garantir transparence, avec exceptions pour la protection des mineurs. Audience à huis clos pour les mineurs
  Principe de gratuité Service public gratuit avec aide juridictionnelle pour les personnes modestes. Frais d’avocat couverts en partie ou totalement en cas de revenus modestes
  Principe de neutralité du juge Implique l’impartialité du juge, qui agit selon les éléments fournis par les parties. Rôle limité du juge dans les procès civils ; en matière pénale, procédure inquisitoire
Jugement et Recours Jugement et types de décisions Différents types de décisions : ordonnance, jugement, arrêt. Ordonnance (juge seul), jugement (première instance), arrêt (cours d’appel ou cassation)
  Voies de recours ordinaires Appel et opposition pour contester les décisions de première instance. Appel pour un nouvel examen ; opposition pour défaut de comparution
  Voies de recours extraordinaires Pourvoi en cassation pour contester les erreurs de droit. Ne rejuge pas les faits ; conformité avec le droit uniquement
Effets des Décisions Autorité de la chose jugée Décision ne peut plus être contestée après épuisement des recours ordinaires et extraordinaires. Nécessite identité d’objet, cause et parties pour éviter réouverture du litige
  Force exécutoire Permet l’application coercitive d’une décision avec assistance publique si nécessaire. Exécution immédiate possible si ordonnée par le juge

 

I – Les principes européens de procédure

La procédure civile repose sur trois principes essentiels, garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) pour assurer une justice impartiale, transparente et efficace.

1)Le droit a un procès équitable :

Ce droit garantit à chaque partie un procès loyal, respectueux des règles de fond et de forme, afin d’assurer une protection équitable pour toutes les personnes impliquées. Cela signifie que chaque individu ou entité, qu’il soit de nationalité européenne ou étrangère, a la possibilité de présenter sa cause devant un tribunal indépendant et impartial. La procédure doit être menée de manière équilibrée, sans qu’aucune des parties ne soit désavantagée par rapport à l’autre. Ce principe d’équité constitue un pilier fondamental de la justice, visant à garantir l’égalité de traitement dans le processus judiciaire.

2) Le droit à un  procès public.

Le caractère public du procès est essentiel pour assurer la transparence et l’intégrité des débats judiciaires. Ce principe protège la confiance des citoyens envers le système judiciaire, en montrant que les décisions sont rendues de manière claire et accessible. L’article 6, paragraphe 1 de la CEDH prévoit que les audiences soient publiques ; toutefois, des exceptions peuvent être admises, par exemple pour des raisons de sécurité ou de respect de la vie privée. Quelles que soient les modalités de l’audience, le jugement doit être rendu public, ce qui peut se faire par un dépôt accessible au greffe du tribunal. Cette publicité de la décision permet à chacun de consulter le jugement et de s’assurer que la justice a été rendue de manière impartiale.

3) Le droit a un procès d’une durée raisonnable :

Le respect d’une durée raisonnable de la procédure vise à éviter les retards injustifiés dans le traitement des affaires, préservant ainsi l’efficacité de la justice. L’appréciation de la durée raisonnable se fait au cas par cas (in concreto), en prenant en compte la complexité de l’affaire et les circonstances spécifiques. En cas de violation de ce droit, la validité de la décision juridictionnelle n’est pas remise en cause, mais des recours pour obtenir des indemnisations sont possibles. La France, notamment, a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour des dépassements de délais considérés comme non conformes aux normes européennes.

 

II – Les principes français de procédure civile

Les juridictions françaises se basent sur la compétence d’attribution (matière) et territoriale (localisation) pour désigner le tribunal compétent. Le procès repose sur des principes comme le contradictoire, la publicité et la gratuité. Les décisions, pouvant faire l’objet d’un appel ou d’un pourvoi en cassation, deviennent irrévocables une fois tous les recours épuisés, avec une force exécutoire assurant leur application.

1) Les principes relatifs a la compétence des juridictions.

Lorsqu’une personne souhaite intenter une action en justice, il est essentiel de déterminer la juridiction compétente pour traiter son affaire. Cette compétence s’établit selon deux critères : la compétence d’attribution (ou ratione materiae) et la compétence territoriale. Ces règles, qui assurent l’organisation du système judiciaire, sont d’ordre public, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent généralement pas être modifiées par les parties.

1. Compétence d’attribution (ratione materiae)

La compétence d’attribution permet de déterminer quel tribunal est compétent selon la nature du litige. Elle désigne le type de juridiction qui traitera l’affaire en fonction de la matière ou de la gravité du contentieux. Voici quelques exemples courants :

  • Affaires familiales : Les litiges relatifs au divorce, à la garde des enfants, et à d’autres affaires familiales sont soumis au juge aux affaires familiales (JAF).
  • Infractions pénales : En cas de blessures volontaires, par exemple, la juridiction compétente dépendra de la gravité des faits et du montant de la réparation demandée : le tribunal de police, le tribunal correctionnel ou même la cour d’assises selon les cas.
  • Contentieux civil : Pour les litiges civils entre particuliers, la compétence est partagée entre le juge de proximité, le tribunal judiciaire ou le tribunal de commerce, en fonction de la nature et du montant en jeu.

Dans certains cas, les parties peuvent toutefois soumettre leur litige à un arbitre si l’arbitrage est possible. Par ailleurs, pour certaines affaires relevant du tribunal de commerce, le tribunal judiciaire peut exceptionnellement intervenir.

2. Compétence territoriale

La compétence territoriale permet de déterminer le tribunal géographiquement compétent pour instruire l’affaire. En général, le tribunal compétent est celui du lieu de domicile du défendeur (la partie assignée). Cette règle s’appuie sur le principe que le demandeur, à l’origine du litige, doit supporter l’inconvénient de se déplacer au domicile du défendeur, évitant ainsi de contraindre ce dernier à se déplacer sans avoir encore prouvé la légitimité de sa demande.

Certaines exceptions s’appliquent en fonction de la nature de l’affaire :

  • En matière immobilière : Pour les litiges concernant un bien immobilier, le tribunal compétent est celui du lieu où le bien est situé.
  • En matière contractuelle : Lorsqu’un contrat est en cause, le demandeur peut choisir de saisir :
    • Le tribunal du domicile du défendeur ;
    • Le tribunal du lieu de livraison de la chose ;
    • Le tribunal du lieu d’exécution de la prestation.
  • En matière délictuelle (responsabilité civile) : En cas de dommage causé sans contrat, le demandeur a le choix entre :
    • Le tribunal du domicile du défendeur ;
    • Le tribunal du lieu où le dommage s’est produit ;
    • Le tribunal du lieu du fait dommageable.

Ces principes visent à structurer le système judiciaire pour garantir que chaque litige soit traité par la juridiction la plus appropriée, tant en matière de spécialisation que de localisation

 

2) Les principes relatifs au déroulement du procès.

Chaque procès est initié par le demandeur, qui adresse au défendeur une assignation pour comparaître devant le tribunal compétent. Bien que les procédures varient selon la juridiction, certains principes fondamentaux, appelés principes directeurs, s’appliquent à toutes les instances civiles. Ces principes assurent une justice équitable et transparente.

1. Principe du contradictoire

Le principe du contradictoire est essentiel à la protection des droits de la défense et garantit l’équité du procès. Il impose que chaque partie puisse non seulement présenter ses arguments, mais aussi contester les éléments apportés par l’adversaire. En vertu de ce principe :

  • Aucun document ni argument ne peut être présenté au juge sans que l’autre partie en ait connaissance.
  • Le juge est tenu d’entendre les deux parties, soit en personne, soit par l’intermédiaire de leurs avocats, pour garantir que chaque argument a été débattu.

L’article 16 du Nouveau Code de procédure civile (NCPC) rappelle l’obligation pour le juge de respecter et de faire respecter ce principe. En pratique, cela signifie que le juge ne peut baser sa décision sur un document dont une partie ignorait l’existence. Par exemple, si les parties pensent qu’un contrat est un contrat de vente et que le juge, lors de la délibération, identifie ce contrat comme une donation, il ne pourra requalifier l’affaire en ces termes sans en informer les parties et leur permettre de présenter leurs observations sur cette nouvelle interprétation.

2. Principe de publicité

Le principe de publicité garantit que les audiences sont ouvertes au public et que chacun peut observer le déroulement des procès et consulter les décisions rendues. Ce principe renforce la transparence de la justice et contribue à la confiance du public envers les tribunaux. Il existe toutefois des exceptions, notamment :

  • Pour les mineurs jugés en matière pénale, les audiences se déroulent généralement à huis clos ou avec une publicité restreinte pour protéger la vie privée des jeunes justiciables.

3. Principe de gratuité

La justice étant un service public, elle est en principe gratuite. Cela signifie que les magistrats sont rémunérés par l’État et non par les parties au procès. Cependant, les auxiliaires de justice (avocats, huissiers, greffiers) sont payés directement par les parties, car ils fournissent des services spécifiques pour le bon déroulement de l’instance :

  • Pour les personnes disposant de revenus modestes, une aide juridictionnelle peut couvrir tout ou partie des frais engagés, afin de garantir l’accès à la justice pour tous.

4. Principe de neutralité du juge (ou principe dispositif)

Le principe de neutralité du juge impose au magistrat de rester impartial et de limiter son intervention à la gestion du litige tel qu’il est défini par les parties. Ce principe se traduit par une procédure dite accusatoire dans le domaine civil :

  • Ce sont les parties elles-mêmes qui initient et dirigent le procès, en déterminant les faits et les preuves sur lesquels elles s’appuient. Le juge ne peut ni étendre ni restreindre le champ du litige tel que délimité par les parties.
  • Le juge peut toutefois, dans certains cas, ordonner des mesures d’instruction (comme une expertise) pour éclaircir des éléments de preuve.

À l’inverse, en matière pénale, la procédure est inquisitoire : le juge prend l’initiative de l’action et assure la conduite de l’enquête et du procès, sans dépendre des parties pour la production des preuves.

Ces principes directeurs du procès civil assurent que la justice soit rendue de manière équitable, transparente, et accessible

3) Les principes relatifs au jugement.

Lorsqu’un tribunal rend une décision de justice, celle-ci peut être prononcée immédiatement après les plaidoiries ou lors d’une audience fixée ultérieurement. Cette décision prend plusieurs formes selon le type de juridiction et le contexte du jugement :

  • Ordonnance : Ce terme désigne une décision prise par un président de tribunal, un juge d’instruction, ou tout juge statuant seul.
  • Jugement : Le terme s’applique aux décisions rendues par les tribunaux de première instance.
  • Arrêt : Il s’agit des décisions prononcées par les cours d’appel ou la Cour de cassation.

Un jugement est qualifié de contentieux lorsqu’il règle un litige entre les parties, alors qu’il est gracieux s’il intervient en l’absence de conflit (par exemple, dans un jugement d’adoption). La décision doit être signifiée par la partie qui a obtenu gain de cause, généralement par le biais d’un huissier. Cette signification est essentielle pour informer officiellement la partie adverse et pour faire démarrer les délais de recours.

Les voies de recours

Les décisions de justice peuvent faire l’objet de recours, qui se divisent en deux catégories : voies de recours ordinaires et voies de recours extraordinaires.

Voies de recours ordinaires
  1. L’appel

    • L’appel est une voie de recours ordinaire qui permet à une partie insatisfaite par une décision de première instance de soumettre l’affaire à une juridiction supérieure, en général la cour d’appel. L’appel peut ainsi aboutir à un nouvel examen de l’affaire, aussi bien en fait qu’en droit, en vertu du double degré de juridiction.
    • En principe, le droit de faire appel est garanti, sauf pour les litiges dont la valeur est inférieure à 4 000 €, pour limiter l’encombrement des tribunaux.
    • Délai d’appel : L’appel doit être interjeté dans un délai d’un mois suivant la notification du jugement de première instance. Pendant ce délai, l’exécution de la décision est suspendue (effet suspensif), sauf en cas d’exécution provisoire ordonnée par le juge.
    • Effet de l’appel : La cour d’appel peut rendre un arrêt confirmatif (confirmant le jugement initial) ou un arrêt infirmatif (modifiant le jugement de première instance).
  2. L’opposition

    • L’opposition est un recours pour les cas où le défendeur n’a pas été informé du procès et n’a donc pas comparu. Ce recours permet de demander au tribunal de rétracter le jugement rendu par défaut, et de rejuger l’affaire en présence du défendeur.
    • Délai d’opposition : Le défendeur dispose d’un mois pour faire opposition au jugement. La procédure ne constitue pas un double degré de juridiction, mais elle permet au défendeur d’exposer ses arguments devant le même juge.
Voie de recours extraordinaire
  1. Le pourvoi en cassation
    • Le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire visant à contester une décision sur la base d’une erreur de droit. Le pourvoi n’est pas un appel au sens classique, car la Cour de cassation n’examine pas les faits, mais uniquement la conformité du jugement au droit.
    • Délai de pourvoi : Le pourvoi doit être formé dans les deux mois suivant la signification de la décision attaquée.
    • Contrairement à l’appel, le pourvoi en cassation ne suspend pas l’exécution de la décision. La Cour de cassation peut casser la décision et renvoyer l’affaire devant une autre cour d’appel, ou rejeter le pourvoi si la décision est confirmée.

Les effets d’une décision de justice

Les décisions de justice ont deux effets principaux :

  • Autorité de la chose jugée : Une décision a autorité dès lors qu’aucune voie de recours n’est plus possible (ou que le délai de recours est expiré). Cela signifie que le litige ne peut plus être remis en cause par l’une des parties, sauf recours à la Cour de cassation dans certains cas. Cette autorité est opposable lorsque trois éléments d’identité sont réunis :

    • Identité d’objet : La demande porte sur la même chose que la décision antérieure.
    • Identité de cause : La demande est basée sur les mêmes éléments de droit.
    • Identité des parties : Les parties impliquées sont les mêmes que dans le litige précédent.

    Exemple : Si un jugement a confirmé la propriété de A sur une parcelle de terrain en 2004, B ne peut engager une nouvelle procédure en 2006 pour revendiquer la même parcelle, car il existe une identité d’objet, de cause et de parties.

  • Force exécutoire : Une décision de justice acquiert force exécutoire lorsqu’elle peut être mise en œuvre par des moyens coercitifs, avec le soutien des forces publiques si nécessaire. Les décisions susceptibles de recours ordinaire n’acquièrent cependant cette force que lorsque le délai de recours est expiré, sauf si le juge en ordonne l’exécution provisoire. Lorsqu’une décision est passée en force de chose jugée (délai de recours épuisé), elle devient exécutoire de plein droit.

Une décision est dite irrévocable lorsque toutes les voies de recours, ordinaires et extraordinaires, ont été épuisées.

 

III. L’action en justice

L’action en justice est un droit fondamental reconnu aux particuliers, leur permettant de saisir un tribunal pour faire valoir leurs droits et défendre leurs intérêts légitimes. Ce droit d’agir en justice est accessible à tous, mais son exercice est soumis à trois conditions essentielles : l’intérêt à agir, la qualité pour agir, et la capacité à agir.

Conditions nécessaires pour agir en justice

  1. L’intérêt à agir

    L’intérêt à agir est la condition selon laquelle une personne ne peut intenter une action en justice que si elle justifie d’un intérêt personnel et légitime dans l’affaire, conformément à l’adage juridique : « pas d’intérêt, pas d’action ». Cet intérêt peut être :

    • Pécuniaire (par exemple, pour obtenir des dommages-intérêts) ;
    • Moral (par exemple, pour obtenir un changement de nom).

    Pour être recevable, cet intérêt doit répondre aux critères suivants :

    • Né et actuel : L’intérêt doit exister au moment de l’action ; une hypothèse de préjudice éventuel n’est pas suffisante. Cependant, un préjudice futur mais certain peut justifier une action. Par exemple, des parents âgés peuvent demander réparation pour la perte de soutien matériel apporté par un enfant adulte. À l’inverse, des parents de 40 ans ne peuvent obtenir réparation pour la perte d’un enfant de quelques mois en invoquant les succès hypothétiques de cet enfant dans l’avenir.

    • Direct et personnel : Chaque personne doit défendre ses propres droits et intérêts. Seules certaines entités, telles que les syndicats ou les associations professionnelles, peuvent exceptionnellement représenter des intérêts collectifs en justice.

    • Légitime : L’intérêt doit être reconnu comme digne de protection par le droit. Ainsi, une personne ne peut pas obtenir de réparation pour un intérêt moral ou matériel qui n’est pas jugé légitime par la loi. Par exemple, la naissance d’un enfant ne constitue pas un préjudice réparable, car la loi ne reconnaît pas un droit d’agir en réparation pour cet événement.

  2. La qualité pour agir

    La qualité pour agir est le titre ou statut permettant à une personne de saisir la justice pour un droit particulier. En général, la qualité et l’intérêt à agir se confondent, mais il existe des situations où seule une personne qualifiée peut agir, comme les représentants légaux pour des personnes incapables. Par exemple :

    • Tuteur : agit pour le compte d’un mineur ou d’un majeur sous tutelle.
    • Administrateur de société : agit au nom de la société pour défendre ses intérêts.

    La loi peut aussi réserver cette qualité à certaines personnes selon la nature du litige. Par exemple, seuls les époux peuvent intenter une procédure de divorce, même si des tiers (enfants, créanciers) pourraient y trouver un intérêt.

  3. La capacité à agir

    La capacité à agir désigne l’aptitude juridique d’une personne à défendre ses droits de manière autonome, sans supervision ni autorisation préalable. Seules les personnes juridiquement capables peuvent exercer une action en justice en leur nom propre. En revanche, les mineurs ou les majeurs sous protection juridique doivent être représentés par leurs tuteurs ou administrateurs, qui exercent l’action en leur nom.

L’ensemble de ces conditions garantit que l’action en justice ne soit exercée que pour défendre des droits et intérêts légitimes, dans le respect des dispositions légales et procédurales en vigueur.

Le cours d’introduction au droit privé est divisé en plusieurs fiches :     

Définition du droit          Les rapports entre le Droit et la Justice            Les sources non écrites du droit          Les sources écrites du droit (constitution, loi, traité…)           Droit subjectif         Application de la loi dans le temps et l’espace          Distinction acte juridique et fait juridique         Personne physique et personne morale       Les grands principes de procédure civile        Organisation juridictionnelle en France

CAS PRATIQUE

1er Exercice

Mlle Bernard a signé un contrat de bail avec Mme Gripsou pour la location temporaire d’un studio à Paris, contrat de type bilatéral ou synallagmatique, qui engage réciproquement les parties. En vertu de ce contrat, Mlle Bernard, en tant que locataire, a versé un dépôt de garantie de 5000 euros (deux mois de loyer). Bien qu’elle ait restitué les clés depuis deux mois, Mme Gripsou n’a toujours pas restitué le dépôt, malgré une mise en demeure formelle par courrier.

Pour résoudre ce litige, Mlle Bernard, en tant que demanderesse, envisage de saisir la justice pour obtenir la restitution du dépôt de garantie. Mme Gripsou, domiciliée à Lille, est donc défenderesse.

  • Juridiction matériellement compétente : En matière de litiges liés aux baux d’habitation, la compétence relève désormais du tribunal judiciaire (après la suppression des tribunaux d’instance en 2020). Le montant de la demande étant de 5000 euros, le juge des contentieux de la protection au sein du tribunal judiciaire de Lille est compétent pour ce type de contentieux locatif.

  • Juridiction territorialement compétente : En principe, le tribunal compétent est celui du lieu de domicile du défendeur. Mme Gripsou résidant à Lille, le tribunal judiciaire de Lille est compétent pour traiter l’affaire.

Étant donné que le montant du litige dépasse 4 000 euros, la décision pourra faire l’objet d’un appel si nécessaire.

2ème Exercice

Après un premier procès favorable à Mlle Bernard, qui a récupéré son dépôt de garantie, Mme Gripsou a reloué le studio. Deux ans plus tard, elle refuse de rendre le dépôt de garantie à un nouveau locataire. En défense, Mme Gripsou prétend que le litige est déjà résolu et invoque l’autorité de la chose jugée pour déclarer l’action irrecevable.

  • Autorité de la chose jugée : En droit, pour qu’une décision de justice ait autorité de la chose jugée et ne puisse être contestée, trois conditions doivent être réunies :
    • Identité d’objet : la demande porte sur la même chose que dans l’affaire initiale ;
    • Identité de parties : les parties au litige sont les mêmes ;
    • Identité de cause : la demande repose sur la même base juridique.

Dans ce cas, bien que l’objet de la demande (restitution du dépôt de garantie) soit similaire, il n’y a pas d’identité de parties (nouveau locataire) ni d’identité de cause (un nouveau contrat de bail). Ainsi, l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée. Mme Gripsou ne peut donc pas refuser la restitution du dépôt au motif d’une décision antérieure.

3ème Exercice

M. Durons a été renversé par le véhicule de M. Samain et a saisi le tribunal judiciaire pour obtenir réparation des préjudices subis, chiffrant initialement sa demande à 1200 euros pour ses préjudices (physique, moral, d’agrément). Cependant, peu avant la date de jugement, il adresse au juge un certificat médical indiquant que sa blessure est plus grave que prévu, et il demande une révision à 20 000 euros d’indemnités. Le juge accepte cette nouvelle demande sans que M. Samain ait été informé.

  • Principe du contradictoire : Le principe du contradictoire exige que chaque partie soit informée de tous les éléments susceptibles d’influencer la décision du juge, afin de garantir un débat équitable. En l’occurrence, M. Samain n’a pas eu l’opportunité de prendre connaissance de la nouvelle demande de 20 000 euros ni du certificat médical.

Deux solutions s’offrent au juge :

  • Ne pas tenir compte des nouveaux éléments : Il peut rejeter la nouvelle demande et statuer uniquement sur les faits et montants initialement portés à la connaissance des deux parties.
  • Rouvrir les débats : Le juge peut convoquer les parties pour une nouvelle audience, permettant ainsi à M. Samain d’examiner et de discuter le certificat médical et la demande d’augmentation de l’indemnité.

En rendant son jugement sans respecter le contradictoire, le juge commet une erreur de procédure susceptible d’être attaquée en appel ou de faire l’objet d’un pourvoi en cassation par M. Samain.

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