LES INSTITUTIONS DE L’UNION EUROPÉENNE
Le droit institutionnel de l’Union européenne, est une discipline qui s’attache à dégager tous les traits du droit de l’Union européenne qui s’appliquent de manière générale à tous les secteurs de son action et qui permettent finalement de comprendre ce que sont une organisation et un processus d’intégration.
L’originalité première de l’intégration communautaire consiste à avoir mis en place, au-delà d’une organisation très particulière, un ordre juridique. C’est ce qui est vu dans un deuxième temps, avec l’étude de la structure de cet ordre, ses bases, ses sources, puis l’analyse de son statut, c’est à dire les principes régissant sa portée, vis-à-vis de l’ordre juridique des États membres comme vis-à-vis des particuliers, et les voies de droit assurant son autorité.
La liste des principales institutions de l’union Européenne :
- Les institutions de l’Union Européenne (cours)
- La répartition des compétences dans l’Union Européenne
- La comitologie, l’exécution des actes européens par la Commission
- L’exécution des actes européens par les États membres
- Le principe de la compétence d’attribution de l’Union Européenne
- La mise en œuvre de la compétence de l’Union Européenne
- Le principe de subsidiarité en droit de l’Union Européenne
Institution |
Localisation |
Fonction |
Composition |
Explication |
La Commission Européenne |
Bruxelles |
La Commission a une place centrale dans les institutions. Elle est gardienne des traités : il lui appartient de veiller à leur application. Elle propose également les « lois européennes » (directives, règlements) mais est tenue de mettre en œuvre la politique adoptée par le Conseil européen ainsi que les résolutions adoptées par le Parlement. Elle prépare enfin le budget prévisionnel de l’Union. |
1 président et 20 commissaires |
Ses 20 commissaires sont nommés pour 5 ans par les Etats membres. Ils passeront à 25 dès le 1er novembre 2004. Son président est nommé pour 5 ans et est choisi par les chefs d’Etat. Ils s’y réunissent une fois par semaine et sont habilités à tenir des sessions spéciales. |
Le comité des régions de l’Union Européenne |
Bruxelles |
Le Comité des régions doit obligatoirement être consulté sur les sujets se rapportant à l’éducation, la santé publique, les réseaux transeuropéens, la culture et la cohésion économique et sociale. Il peut également agir de sa propre initiative et donner son avis sur d’autres questions politiques. |
222 membres |
Ses 222 représentants sont, en grande majorité, des élus locaux. Le traité de Nice limite leur nombre à 350. Ils se réunissent en Assemblée plénière cinq fois par an. Ils sont élus à la majorité qualifiée, pour 4 ans, par le Conseil de l’Union européenne sur proposition des gouvernements. |
Le Conseil Européen |
Bruxelles |
Le Conseil européen réunit tous les chefs d’Etat ou de gouvernement des pays membres, qui définissent ensemble les grandes lignes de la politique européenne. |
15 chefs d’Etat |
Les chefs d’Etat ou de gouvernement des pays membres se réunissent pour le former au moins deux fois par an. Sa présidence est assurée à tour de rôle par chaque Etat membre, pendant 6 mois, selon un système de rotation. |
Le Comité Economique et Social des Communautés Européennes |
Bruxelles |
Le Comité économique et social est habilité à prendre l’initiative et à donner son avis sur les questions de son choix. Il est consulté obligatoirement dans certains cas prévus par les traités. |
222 membres |
Ses 222 membres se répartissent en trois groupes : le groupe des employeurs, le groupe des travailleurs et le groupe des activités diverses. Le traité de Nice limite leur nombre à 350. Ils sont proposés par les gouvernements des Etats membres et nommés par le Conseil de l’Union européenne pour 4 ans. |
Le Conseil de l’Union Européenne |
Bruxelles |
Le Conseil de l’Union, anciennement Conseil des ministres, examine les propositions formulées par la Commission et peut également agir de sa propre initiative. C’est l’instance décisionnaire : il décide de l’adoption des « lois européennes » (directives, règlements). |
Ministres |
Les ministres composant cette institution varient selon le sujet à l’ordre du jour. Si le sujet traité relève de l’agriculture, les ministres de l’agriculture seront mobilisés. Sa présidence est assurée par chaque Etat membre à tour de rôle pour une période de six mois, selon un ordre de rotation préétabli. |
La Cour des Comptes Européenne |
Luxembourg |
La Cour des comptes européenne contrôle les comptes et les finances de l’Union et des organismes créés par celle-ci. Elle épluche la totalité des recettes et des dépenses et contrôle la gestion financière des ressources communautaires. |
1 président et 15 membres |
Ses 15 membres sont désignés pour 6 ans à l’unanimité par le Conseil de l’Union, après consultation du Parlement. Son président est élu en son sein pour une durée de 3 ans renouvelable. |
La Cour de Justice des Communautés Européennes |
Luxembourg |
La CJCE a autorité pour juger en matière d’application des traités et des « lois européennes » (directives, règlements). Elle règle les litiges qui opposent un Etat membre à la Communauté, ou les Etats membres entre eux ou encore les conflits qui peuvent survenir entre différentes instances de l’Union. Ses décisions prennent le dessus sur celles des Etats membres. |
15 juges et 1 président |
Ses 15 juges (un par Etat membre) et ses 8 avocats généraux sont nommés d’un commun accord par les Etats membres pour un mandat de six ans renouvelable. Son président est désigné parmi les juges pour une période de trois ans renouvelable. |
La Banque Européenne d’Investissement (B.E.I.) |
Luxembourg |
La Banque européenne d’investissement accorde des prêts qui permettent la réalisation de la politique européenne. |
Ministres, membres et président |
Un conseil des gouverneurs, composé des ministres des finances des 15 Etats membres, un conseil d’administration, composé de 24 membres, et un comité de direction constituent cette institution. |
Le Parlement Européen |
Strasbourg |
Le Parlement est le garant de la démocratie européenne et le défenseur des droits des citoyens. Il exerce son contrôle en posant des questions écrites ou orales à la Commission ou au Conseil de l’Union. Il contrôle également le budget de l’Union. Enfin, c’est au Parlement de nommer le Médiateur. |
626 députés |
Ses 626 députés européens sont élus pour 5 ans au suffrage universel direct. |
Le médiateur Européen |
Strasbourg |
Le Médiateur reçoit les plaintes des citoyens en cas de litiges avec les institutions et organes communautaires. |
1 personne |
Il est élu par le Parlement européen pour 5 ans. Son mandat prend fin avec la législature, mais il est renouvelable. Il est assisté par 30 personnes : juristes, administrateurs, secrétaires… |
La Banque Centrale Européenne |
Francfort |
La Banque centrale européenne a pour mission fondamentale le maintien de la stabilité des prix. Elle définit et met en œuvre la politique monétaire unique en euros, gère les réserves et conduit les opérations de change. |
40 membres |
Un conseil des gouverneurs, un conseil d’administration et un comité de direction constituent cette institution. |
I. L’intitulé du cours
Ce cours de droit de l’Union porte sur les institutions de l’Union Européenne et non sur le droit communautaire. Depuis le traité de Maastricht, l’Union était définie comme «fondée sur les communautés européennes complétées par les politiques et formes de coopérations instaurées par le traité». Il en résultait une double conséquence :
• la distinction organique entre (la Communauté Européenne, fondée sur le traité CE, et l’Union européenne, basée quant à elle sur le traité UE). Pourquoi cette distinction ? Car la CE avait la personnalité juridique, interne et internationale : elle adoptait des actes juridiques qui lui étaient imputables, et elle pouvait conclure des accords internationaux.
• L’UE n’a pas de façon formelle de personnalité juridique, était = une cadre d’action en commun des Etats membres, par le biais d’institutions. L’UE n’agissait pas elle-même ;
• la structure de l’Union en piliers :
– pilier I central, essentiel, dénommé pilier communautaire, fondé sur le traité CE, et régi par ce traité ; (contenu = essentiellement (et exclusivement aux origines) économique (ensemble des règles régissant le marché intérieur commun), et un aspect social (politique éducative, culturelle, de cohésion sociale). Avec le traité de Maastricht, s’est développé un aspect politique marqué, avec l’institution d’une citoyenneté de l’Union, régie par le traité CE. Depuis le traité d’Amsterdam, il faut ajouter un certain nombre de règles relatives à la libre circulation des personnes dans l’espace communautaire (octroi de titres de séjour, de visas).
– pilier II consacré à la politique étrangère de sécurité commune (PESC).
– pilier III, dédié à la coopération policière et judiciaire entre les Etats membres en matière pénale.
•Au départ, c’est-à-dire en 1992, le pilier III était plus large par son objet : il couvrait la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures. On y trouvait pèle-mêle les règles relatives à l’asile, aux visas, à la libre circulation des personnes, ainsi que la coopération judiciaire en matière civile et pénale, et la coopération policière. Le traité d’Amsterdam l’a bouleversé en 1997 en procédant à sa communautarisation partielle. Cela a consisté à retirer du pilier III certaines questions et les inclure dans le traité communautaire, CE. Ces matières portaient sur la politique migratoire, ainsi que sur la coopération judiciaire en matière civile. Restait donc un volet résiduel réduit à la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Cela ne faisait pas disparaître les liens entre les matières puisque le traité soulignait qu’elles agissaient ensemble pour mettre en place un espace de liberté, de sécurité et de justice.
La notion de droit communautaire est obsolète depuis le 1er décembre 2009 en raison de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. La CE disparaît avec ce traité : l’article 1er du traité UE, modifié par le traité de Lisbonne, prévoit que «l’Union se substitue et succède à la Communauté», l’Union hérite donc de la personnalité juridique de la Communauté.
Nnouvelle dénomination du traité CE : le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La CJCE doit être dénommée la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) = la Cour de justice + les juridictions qui en dépendent, le Tribunal de première instance des communautés européennes (TPICE), finalement rebaptisé Tribunal de l’Union européenne.
Conséquence= entraîne l’effacement de la structure en piliers : le pilier III perd sa spécificité, la coopération policière et judiciaire en matière pénale rentre dans le droit commun, et adopte le même type d’actes que ceux du droit commun (règlements, directives), de même du point de vue de la procédure, et sur le plan contentieux.
La PESC conserve l’essentiel de ses particularités, qui sont toujours régies par le traité UE.
Désormais, deux piliers : un majeur, de droit commun, et un résiduel, relatif à la seule PESC. On ne doit donc plus parler de droit communautaire mais de droit de l’Union.
Il est question d’étudier les conditions juridiques dans lesquelles ces règles de fond sont adoptées et mises en œuvre. On parle de institutionnel de l’Union européenne. L’objet c’est l’étude des institutions de l’Union européenne, de la Cour de justice, et des procédures selon lesquelles elles exercent leurs compétences et leurs fonctions. Il reste donc à étudier l’ordre juridique de l’Union fondé sur le traité, et enrichi par les règles adoptées par ses institutions sur la base des traités fondateurs.
II. L’objet du cours
Il faut revenir sur l’extrême originalité de l’ordre juridique communautaire, puis examiner comment s’est opéré le passage de l’ordre juridique communautaire à l’ordre juridique de l’Union. L’originalité est considérable par rapport aux autres ordres juridiques existant, comme l’ordre juridique international, dont il est pourtant issu. Cette originalité a été très tôt revendiquée par la Cour de justice, qui a eu le souci de favoriser l’intégration juridique communautaire en coupant le cordon ombilical entre ces deux ordres.
Dans l’arrêt Van Gend En Loos du 5 février 1963, la Cour de justice considère que le traité CEE constitue plus qu’un simple accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre États ; il est dit que «la communauté naissante constitue un nouvel ordre juridique de droit international». Sont adoptées des règles qui ont pour objet les États et leurs ressortissants.
Le 15 juillet 1964, dans l’arrêt Costa c./ Enel, la Cour souligne qu’à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité CEE constitue un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des États membres. Elle évoque la nature spécifique originale du droit né du traité communautaire.
L’ordre juridique communautaire 3 traits spécifiques qui créent une différence de nature entre ces deux ordres :
• Dans l’ordre international, des transferts de compétences massifs au profit de l’Union ;
• en vertu de ces transferts, les institutions de l’Union européenne ont adopté un nombre considérable de règles de droit dérivé, qui s’adressent aux États membres et à leurs ressortissants, en leur reconnaissant des droits et en leurs imposant des obligations ;
• Selon la Cour de justice, cet ensemble normatif s’intègre dans le système juridique des États membres grâce au principe de primauté, en vertu duquel leur mise en œuvre ne requiert pas de mesures nationales supplémentaires.
Il arrive, dans l’ordre international, qu’il y ait certains transferts de compétences, et que certains actes adoptés soient self executing
Les normes conventionnelles internationales prétendent elles aussi à la primauté, mais seulement sur la scène internationale, où le droit international est indifférent aux régimes, aux statuts internes des normes internationales.
En ce qui concerne les normes communautaires, la primauté communautaire est bien plus ample, elle n’est pas qu’externe, elle s’impose aussi dans l’ordre juridique interne.
Cet ordre juridique est aussi original par rapport aux ordres juridiques des Etats membres de l’Union, bien qu’il y soit intégré (ce qui ne signifie pas qu’ils aient fusionnés). Cet ordre juridique communautaire s’est peu à peu vêtu d’oripeaux institutionnels. Il a fini par revendiquer une nature institutionnelle.
C’est la Cour de justice qui, en 1956, a défini le traité CECA comme la charte des communautés. Dès l’avis 1-76 de 1977, la Cour de justice présente le traité CEE comme la Constitution de la Communauté. Dans l’arrêt Parti écologiste Les Verts c./ Parlement européen du 23 avril 1986, la Cour définit le traité comme une charte constitutionnelle de base. Dans l’avis 1-91, elle évoque la charte constitutionnelle d’une communauté de droits.
La doctrine n’a pas été en reste en qualifiant le droit de l’UE de droit institutionnel. Si les traités sont abusifs, l’ordre juridique de l’Union n’est pas un ordre juridique étatique puisque l’Union n’est pas un Etat.
Selon une étude récente du professeur Olivier Beaud, il pourrait être pertinent de recourir à la notion de fédération (Théorie de la Fédération, 2006). Il en conclut que c’est une entité politique dans laquelle coexistent deux puissances publiques égales : la notion même de souveraineté n’a plus de sens.
Les actes juridiques qui fondent l’ordre juridique restent des traités dont les États membres demeurent les maîtres. On peut comparer les traités de base à une constitution (acte juridique suprême qui organise et sépare le pouvoir et donne des droits), même s’ils ne séparent pas le pouvoir. Les traités de base, désormais, garantissent les droits fondamentaux : il y a un droit communautaire des droits fondamentaux, de par les principes généraux de droit communautaire de la Cour de justice.
Il n’y a pas de traité de base européen unique puisqu’il n’y a pas de souverain européen, la souveraineté n’a pas sa place dans une fédération.
Le traité de Lisbonne a été élaboré de manière plus conventionnelle que le traité constitutionnel de l’Union européenne, et il reprend pour l’essentiel les innovations contenues dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe.
Avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Communauté existait, était fondée sur le traité CE, qui était le fondement de l’ordre juridique communautaire. Si l’on voulait élargir l’analyse au traité UE et aux piliers II et III, on pouvait parler de l’ordre juridique de l’Union.
Il était difficile de cerner les rapports de l’ordre juridique communautaire stricto sensu et de l’ordre juridique de l’Union. La jurisprudence a conclu que ce dernier était «un système juridique apparenté et distinct de celui de la Communauté» selon un arrêt du TPICE. Dans un arrêt du 3 septembre 2008, la Cour évoque la coexistence de l’Union européenne et de la Communauté en tant qu’ordres juridiques intégrés mais distincts.
• Les deux ordres sont distincts dans leur fondement : l’ordre juridique communautaire est fondé sur le traité CE, et l’ordre juridique de l’Union est fondé sur le traité UE. Ils sont par ailleurs distincts dans les normes de droit dérivé enrichissant respectivement ces deux ordres. Chacun des piliers II et III avait sa propre typologie juridique (décisions et décisions-cadre pour le pilier III, règlements et directives pour le pilier II). Mais ils sont apparentés, comme on le voit dans un arrêt de 2009, duquel la Cour de justice avait déduit de l’apparentement entre ordre juridique communautaire et ordre juridique de l’Union que les mesures nationales de mise en oeuvre d’une décision cadre de l’Union, adoptées dans le cadre du pilier III, devaient être conformes non seulement au traité UE, mais aussi au traité CE. L’adoption du traité de Lisbonne a rendu caduque cette analyse. On est donc désormais en présence d’un ordre juridique unifié.
Chapitre préliminaire : le système des compétences dans l’Union
La question des compétences et de leur répartition est capitale dans un Etat fédéral ou au sein de l’Union. Le traité de Lisbonne marque un incontestable progrès car il permet de se faire une idée sur cette question : il reprend les avancées du traité constitutionnel.
En 2003, ce système devait être simplifié, en particulier en ce qui concernait la répartition des compétences entre les Etats et l’Union.
Ce système ne se réduit pas à l’étude de la répartition des compétences : il faut connaître aussi un certain nombre de principes directeurs qui régissent ce système, tel que le principe de la compétence d’attribution, selon lequel l’Union n’a que les compétences que les Etats membres lui attribuent ; la compétence de droit commun appartient toujours aux Etats.
Section 1 : la répartition des compétences dans l’Union
Distinction entre compétences de base/ compétences d’exécution.
Dans l’arrêt Köster du 17 décembre 1970, la Cour de justice a mis en évidence la distinction entre les compétences qui trouvent directement leur base dans le traité même et le droit dérivé destiné à assurer leur exécution. L’acte de base doit simplement définir «les éléments essentiels de la matière sans avoir à régler tous les détails».
I. La répartition des compétences de base
A) La typologie générale des compétences
1. Définition de la typologie tripartite
a) L’insuffisance de la typologie bipartite originelle appliquée à la Communauté
Chaque fois que la Communauté avait une compétence, la compétence communautaire semblait être soit exclusive, soit concurrente.
1) D’une part l’existence de cette compétence communautaire interdisait aux Etats membres d’exercer toute compétence parallèle, d’intervenir.
2) D’autre part, les Etats conservaient dans la matière considérée leur propre compétence, tant que et dans la mesure où la Communauté n’avait pas exercé la sienne. La compétence devient peu à peu exclusive selon un mécanisme de préemption, privant dès lors les Etats membres de tout pouvoir d’action autonome.
Le traité de Maastricht a consacré le principe de subsidiarité, à précisé qu’il s’appliquait en dehors du champ des compétences exclusives. Il trouve à s’appliquer dans le champ des compétences non-exclusives.
Le traité d’Amsterdam a mis en place en 1997 le mécanisme de coopération renforcée : certains Etats peuvent engager un tel mécanisme avec l’autorisation de l’Union. Le traité a précisé que cela ne pouvait avoir lieu pour les compétences exclusives.
Une distinction était incomplète, ne permettait pas à elle seule d’envisager toutes les possibilités, pour 2 raisons :
– dès lors que la Communauté a été complétée par des formes de coopération, cette distinction est devenue impropre en matière de PESC et en ce qui concerne le 3ème pilier ;
– même à s’en tenir aux compétences prévues dans le pilier communautaire, il est apparu des cas où l’action de la Communauté, c’est-à-dire l’édiction d’actes, n’avait pas pour effet de priver les Etats membres d’action parallèle.
b) La consécration imparfaite d’une typologie tripartite par le traité de Lisbonne
Le traité de Lisbonne, en substituant l’Union à la Communauté, en effaçant la distinction entre les piliers, s’est débarrassé des difficultés liées à ces mêmes piliers. Il a donc pu codifier une typologie que la doctrine et la jurisprudence avaient déjà commencé à codifier
– les compétences exclusives de l’Union : Seule l’UE peut légiférer, les Etats ne peuvent le faire que s’ils y sont habilités (article 2§1 du traité UE modifié) ;
– les compétences partagées avec les Etats membres correspondent aux anciennes compétences concurrentes puisque les Etats peuvent les exercer dans la mesure où l’Union ne les a pas exercé elle-même (sinon, enclenchement du principe de préemption, qui peut être inversé si l’Union renonce à ses compétences et abroge ses propres actes) ;
– les compétences d’appui qui permettent de mener des actions pour appuyer, coordonner l’action des Etats, sans pour autant remplacer la compétence des Etats ; ici, pas de processus de préemption, les actions de l’Union ne peuvent comporter des mesures d’harmonisation des Etats membres.
Une nouvelle typologie consacrée de façon imparfaite. Ainsi, le traité de Lisbonne ne respecte pas toujours la logique des catégories qu’il distingue. Par exemple pour les compétences partagées, puisqu’il a prévu des exceptions, cas pour lesquels la compétence est partagée, mais l’intervention de l’Union ne peut pas avoir pour effet de priver les Etats de leurs propres compétences. Ces exceptions sont marginales, cela concerne la recherche et la coopération au développement avec des pays tiers, mais elles existent. La logique aurait voulu que ces deux matières soient inclues dans les compétences d’appui.
Le traité : met à part la compétence de l’Union en matière de PESC, qui aurait pu être considérée comme compétence partagée, mais qui impliquerait le principe de préemption. Il était alors envisageable d’en faire une compétence d’appui. Même chose en matière de politiques de coordination des politiques économiques et sociales, en créant une 5ème catégorie, alors qu’elles auraient pu faire partie des compétences d’appui.
2. Application de la typologie tripartite
a) Les compétences exclusives
Le traité dresse une liste exhaustive dans l’art 3 sur le fonctionnement de l’UE.
– La compétence pour l’établissement de l’union douanière et pour la conduite commerciale (la jurisprudence avait de longues dates considérées cette catégorie comme exclusive).
– Les compétences pour la mise en œuvre des règles de concurrence au sein du marché intérieur.
– Les compétences communautaires exclusives l’essentiel de la PAC, la politique de la pêche. Le traité ne maintient que la seule compétence des ressources de la pêche. Le reste de la PAC disparaît de cette catégorie.
– La politique de mise en œuvre de l’union monétaire, et donc la troisième phase de l’union économique et monétaire.
Les Etats membres ne sont pas censés intervenir dans le cadre de ces compétences exclusives Mais il n’est reste pas moins que :
· Des clauses du traité qui permettent dans certains cas et sous contrôle de la Commission aux États membres d’agir même dans le cadre des compétences exclusives. Ce n’est possible que pour des motifs impérieux d’intérêt général : l’ordre public, la protection de l’environnement.
· l’affirmation de la privation, en principe, pour les États, de toute compétence autonome méconnaît le fait que dans certains autres cas, les États peuvent continuer à agir, et spécialement lorsque l’action de l’Union a été déficiente (ex : vache folle).
Il arrive que les États reçoivent une habilitation spécifique pour agir, et les Etats soient alors les gestionnaires de l’intérêt commun.
b) Les compétences partagées
Evolution du fait du principe de préemption. Dès lors que l’Union se met à adopter des actes juridiques, la compétence perd de son caractère partagé et verse dans le domaine des compétences exclusives.
Les compétences devenues exclusives peuvent revenir dans le giron de la compétence partagée dès lors que l’Union abroge les actes qu’elle avait adoptée (ce qui n’est pas le cas pour les compétences exclusives par détermination du traité sauf révision de celui-ci).
Tant que l’Union n’a pas exercé sa compétence, les États peuvent l’exercer tout en se souvenant qu’ils agissent dans un domaine de compétences partagées, et donc non pas de façon souveraine. Ce principe oblige les Etats à exercer leurs compétences en veillant à ne pas compromettre l’exercice futur de la compétence européenne ; ils doivent même la favoriser.
– les règles et matières relatives à la mise en œuvre du marché intérieur à l’exception de la concurrence ;
– l’essentiel de la PAC ;
– les règles en matière de transport, de protection des consommateurs ;
– la compétence en matière d’énergie ;
– l’ensemble des compétences relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ), qui correspond à l’ancien pilier III et au volet communautarisé en la matière à cette époque.
c) Les compétences complémentaires ou d’appui
2 sortes de compétences :
– l’ensemble des anciennes compétences communautaires qui ne font partie d’aucune des catégories précédentes : l’action européenne en matière de coordination des politiques économiques et d’emploi, les compétences en matière d’éducation, de culture, de tourisme ;
– la compétence en matière de PESC.
B) Le cas particulier des compétences externes de l’Union
1. Les compétences externes explicites
À l’origine, la Communauté n’avait de compétences externes expressément attribuées que dans 2cas :
- pour conclure des accords tarifaires et commerciaux avec des Etats tiers ; cette compétence a été jugée par la Cour de justice comme étant une compétence exclusive ;
- pour conclure des accords d’association avec des Etats tiers ou avec des organisations internationales ; cette compétence a été jugée par la Cour de justice comme étant une compétence exclusive.
Une liste étoffée. La Communauté peut conclure des accords internationaux en matière d’environnement, de coopération au développement avec des Etats tiers, en matière de recherche ….
La compétence européenne explicite est une compétence partagée et non-exclusive car la disposition du traité qui la reconnait précise qu’elle ne préjuge pas de la compétence des Etats membres. Cela exclut en d’autres termes le processus de préemption dépossédant les Etats membres.
2. Les compétences externes implicites
Années 70, la jurisprudence a utilisé la théorie des compétences externes implicites. Les Etats membres sont souverains, ils acceptent de transférer certaines compétences, et la notion de compétence implicite est de nature à déplaire à ces Etats.
Dans un avis de 1991 (l’avis est utilisé dans les cas où la Communauté envisage de conclure un accord international pour vérifier si ce projet est compatible avec le traité UE), la Cour de justice a considéré que la compétence communautaire pour conclure des accords internationaux pouvait résulter d’une attribution explicite par le traité, mais également découler de manière implicite de ses dispositions.
a) Le principe consacré de compétences externes implicites
Dans un arrêt du 31 mars 1971 Commission c./ Conseil (ATER), la Cour a conclu que la compétence pour conclure des accords internationaux en matière de transport était une compétence dont était dotée la Communauté, alors qu’il n’y avait aucune disposition à ce propos dans le traité, en faisant simplement appel à des considérations du système général du droit communautaire, d’une logique interne au traité mise en évidence par la Cour en confrontant les dispositions les unes aux autres.
La Cour de justice explique que cela peut résulter non seulement de dispositions du traité, mais aussi d’actes pris dans le cadre des dispositions du traité par les institutions. La compétence externe, lorsqu’elle est implicite, se déduit de l’existence d’une compétence interne.
Dans l’arrêt Kramer du 14 juillet 1976, la Cour de justice déduit une compétence externe de la préexistence d’une compétence interne, alors que la Communauté n’a pas encore exercé sa compétence interne. La question est alors de savoir s’il faut que la compétence interne ait déjà été exercée ou pas pour que la compétence externe puisse être admise.
Au début, la doctrine a cru que la jurisprudence avait évolué entre 1971 et 1976. La doctrine pensait que deux conditions devaient être remplies en 1971 (existence d’une compétence interne et exercice de celle-ci), et qu’en 1976, il ne fallait plus que la première. Très vite, il est apparu que l’exercice préalable ou pas de la compétence interne était sans aucune incidence sur l’existence de la compétence externe implicite. Celle-ci peut être déduite d’une compétence interne dans la même matière. L’exercice préalable ou le non-exercice de la compétence interne ne produit de conséquences que sur le régime de la compétence externe.
b) La question de l’exclusivité des compétences externes implicites
L’enjeu est de savoir si la compétence externe implicite qui est déduite de la compétence interne sera une compétence exclusive ou partagée.
– Si la compétence interne dont est déduite l’existence d’une compétence externe a déjà été exercée par l’adoption d’actes juridiques unilatéraux, alors la Communauté dispose d’une compétence externe implicite qui présente un caractère exclusif. C’est la solution de l’arrêt ATER. Les Etats n’ont plus du tout le pouvoir de conclure avec des tiers des accords internationaux dans ce domaine ; seule la Communauté le peut.
– La justification donnée par la Cour à cette logique est que l’on ne peut pas séparer le régime des compétences internes et celui des compétences externes dans la même matière. Or, lorsque la compétence interne, dans un domaine de compétences partagées (le transport en l’occurrence), est exercée par la Cour, le processus de préemption s’enclenche et elle devient exclusive. Il est donc nécessaire de considérer que la compétence externe qui prolonge la compétence interne est aussi exclusive.
– En revanche, si la compétence interne existe mais n’a pas encore été exercée, le processus de préemption n’a pas été enclenché, elle reste partagée et la compétence externe implicite qui s’en déduit restera aussi partagée.
– Cette logique imparable a été confirmée dans un avis de la Cour de justice 1-94 rendu le 15 novembre 1994 au sujet d’un projet d’accord entre la Communauté européenne et l’Organisation mondiale du commerce.
Dans l’arrêt Accords Open Sky du 15 novembre 2002, la Cour de justice a admis que la compétence externe de la Communauté pouvait être considérée comme exclusive lorsque la compétence interne avait donné lieu à l’adoption d’actes juridiques unilatéraux, non pas avant la conclusion de l’accord international, mais à l’occasion de sa conclusion.
Il s’agit donc d’un assouplissement des critères jurisprudentiels jusqu’alors en vigueur pour reconnaître le caractère exclusif d’une compétence externe déduite de cette compétence interne.
Pendant longtemps, les traités n’en disaient rien puisque la jurisprudence s’en chargeait. Mais avec le traité de Lisbonne, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’enrichit de l’art 3§2 qui précise que «l’Union dispose également d’une compétence exclusive pour la conclusion d’un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l’Union [donc un acte interne] ou est nécessaire pour lui permettre d’exercer sa compétence interne [ce qui postule que l’Union n’a pas encore exercé sa compétence interne] ou dans la mesure où elle est susceptible d’affecter des règles communes [c’est-à-dire adoptées par l’Union et s’imposant à l’ensemble des Etats membres] ou d’en altérer la portée».
C’est la première fois que le traité admet que l’Union a des compétences externes en dehors des matières prévues. Dès lors, ces compétences deviennent explicites.
II. La répartition des compétences d’exécution
Lorsque des actes juridiques de portée générale sont adoptés sur le fondement du traité, il faut encore que ces actes soient mis en œuvre par des normes d’exécution, jusqu’à l’adoption, si nécessaire, d’actes de portée individuelle. Qui dispose de la compétence d’exécution ?
La compétence d’exécution incombe en premier lieu aux Etats membres sous le traité CE, et sous le traité de Lisbonne, l’art 4§3 du TUE modifié selon lequel «les Etats membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union». Les Etats sont titulaires de la compétence de droit commun en matière d’exécution. Pourquoi ?
– Raison de commodité : l’Union est dotée d’un appareil institutionnel et administratif qui n’est pas suffisant, mais chaque Etat membre a un tel système institutionnel et administratif suffisamment riche et dense pour mettre en œuvre le droit national, mais aussi le droit de l’Union.
– L’Union a toujours affiché sa volonté de voir les décisions «prises le plus près possible des citoyens» (préambule et article 1er du traité), en particulier les décisions d’exécution, et les appareils institutionnel et administratif nationaux sont les plus proches des citoyens.
– Risque : la même norme européenne peut ne pas être interprétée et exécutée de la même manière d’un Etat. Il y a risque théorique d’exécution non-uniforme du droit de l’Union. C’est pourquoi les traités prévoient toujours de pouvoir procéder directement, par le biais de la Commission ou du Conseil lui-même. L’article 291 du traité CE prévoit cette exécution directe en retenant que «lorsque des conditions uniformes d’exécution des actes juridiquement contraignants de l’Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences à la Commission ou, dans les cas spécifiques dûment justifiés et dans les cas prévus aux articles 24 et 26 du traité sur l’Union européenne, au Conseil».
A) L’exécution par les États membres
Ce sont les autorités de l’Etat (Parlement, Gouvernement, administration, juridictions) qui sont appelées à assurer l’exécution des actes européens. Dès lors, ces institutions étatiques sont appelées à pratiquer le dédoublement fonctionnel. En effet, avant même l’avènement de la construction européenne, ces institutions existaient déjà et mettaient en œuvre le droit national, et doivent maintenant assurer l’exécution du droit de l’Union.
La question qui se pose, lorsque ces institutions étatiques mettent en œuvre le droit de l’Union, est de savoir à quel titre le font-elles, sur la base de quel fondement juridique ? L’alternative est la suivante :
· On considère que bien qu’agissant pour l’exécution du droit de l’UE, elles demeurent fondamentalement des institutions étatiques, et dans ce cas, leur titre à agir réside dans la Constitution de l’Etat ;
· On considère que le dédoublement fonctionnel est tel que le titre sur le fondement duquel elles agissent n’est plus du tout national, et donc constitutionnel, mais directement européen, qu’il réside dans les traités eux-mêmes.
Quelle est la portée de cette discussion ? 2 conséquences concrètes :
o Si l’institution de l’Etat, chargée d’assurer l’exécution d’un acte européen, et que celui-ci est contraire à la Constitution de l’Etat, il y a un conflit majeur entre une norme du droit de l’Union et la Constitution de son Etat.
Que choisir entre loyauté communautaire ou constitutionnelle ?
o Le choix pourra être guidé par la conception que cette institution se fait de son titre à agir pour l’exécution du droit de l’Union. En pratique, les institutions étatiques semblent considérer, sans s’être prononcées sur ce point, que leur titre à agir demeure constitutionnel ; la jurisprudence française conclut ainsi, avec certaines nuances, à la suprématie de la Constitution ;
– Affirmer que le titre à agir de l’institution réside dans la Constitution conduit à lui reconnaître une autonomie ; c’est le principe qu’a admis la jurisprudence européenne de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats membres, et en leur sein, de leurs organes.
– Considérer en revanche que le titre à agir est européen, conventionnel, conduit à restreindre la portée de cette autonomie institutionnelle et procédurale.
1. Le principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats membres
Arrêt du 15 décembre 1971 International Fruit Company, la Cour a estimé que « la détermination des organes chargés d’exécuter le droit de l’Union et des procédures d’exécution relevait uniquement du système constitutionnel de chaque Etat ».
C’est à l’ordre juridique de l’Etat de déterminer si l’exécution de tel acte juridique de l’Union devra être assurée par les institutions centrales ou locales, par le pouvoir législatif ou exécutif, si le contentieux doit être confié à l’ordre judiciaire ou administratif, et s’il relève de la compétence juridique interne de l’Etat membre.
En France, l’exécution du droit de l’Union est essentiellement centrale. Au sein de l’Etat central, l’exécution relève dans un certain nombre de cas du Parlement (domaine de la loi), mais le plus souvent du fait du pouvoir exécutif (par voie d’ordonnance, de règlements, d’arrêtés).
Les mesures d’exécution attendues doivent par conséquent échapper au domaine de la loi. En effet, le Conseil d’Etat a estimé dans l’arrêt « Association Avenir de la langue française du 30 juillet 2003 » que pour assurer l’exécution du droit de l’Union, le pouvoir exécutif demeurait tenu de respecter la frontière entre le domaine de la loi et le domaine du règlement.
La prééminence de l’exécutif s’explique par le primat de l’exécutif dans le système constitutionnel français, et en particulier dans la conduite des affaires étrangères et européennes, et par le fait que les parlements nationaux sont assez absents du système institutionnel européen, à la différence des gouvernements des Etats puisqu’un membre de chaque gouvernement étatique siège au Conseil de l’Union.
L’exécution par la voie de décrets ou d’arrêtés est plus rapide et plus discrète que par la voie législative, mais cette autonomie institutionnelle et procédurale n’a pas libre cours : elle est encadrée.
2. L’encadrement de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats membres
Pourquoi brider l’autonomie institutionnelle et procédurale ? Car le principe d’autonomie «doit se concilier avec la nécessité d’une application uniforme du droit communautaire», du droit de l’Union. Derrière cette exigence, se profile un enjeu plus vital encore, qui est l’égalité des sujets de droit dans l’Union. Si la même norme européenne peut être exécutée comme bon lui semble par chaque Etat, cela conduit à une application différenciée, et donc à de la discrimination selon la nationalité, ou du moins selon le lieu où la norme est appliquée.
a) La marginalité de l’encadrement de l’autonomie institutionnelle
L’encadrement de l’autonomie institutionnelle est marginal car l’uniformité du droit de l’Union est indifférente à l’institution qui l’applique. L’appareil institutionnel s’enrichit de plus en plus d’organes plus ou moins liés dans leur existence au droit de l’Union et à la qualité d’Etats membres. Ainsi, chaque assemblée parlementaire française s’est dotée d’une délégation parlementaire pour les Communautés, puis pour l’UE, qui sont devenues des commissions chargées du droit de l’Union.
Depuis la Libération, il y a toujours eu un organe chargé de suivre l’application du droit de l’Union : c’était traditionnellement le Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération éco européenne, le SGCI, qui a été rebaptisé SCAE, Secrétariat général pour les affaires européennes.
Dans le secteur économique, puisque l’économie ouverte est imposée, l’Etat a dû se doter d’autorités administratives indépendantes (autorités de régulation) et d’agences dans les secteurs sensibles (communication, énergie) pour assurer la libre-concurrence entre les opérateurs économiques historiques (EDF-GDF) et des opérateurs nouveaux qui doivent être placés sur un pied d’égalité.
Le plus souvent, c’est par commodité que les Etats se dotent de telles institutions ; c’est une contrainte, mais les modalités sont libres.
b) Le large encadrement de l’autonomie procédurale
L’autonomie procédurale de l’Etat, la faculté de l’Etat de déterminer selon quelle procédure l’autonomie sera exécutée, est plus nettement encadrée :
• d’abord par la Commission européenne, qui veille à l’application du droit de l’Union selon le traité, qui est la gardienne des traités et du droit qui en dérive, qui dispose à cette fin de certains pouvoirs si l’exécution est imparfaite, qui peut attraire l’Etat récalcitrant devant la Cour de justice par une procédure de constatation de manquement de l’État à ses obligations européennes ;
• la jurisprudence européenne a développé un cadre et des principes pour encadrer la sanction par les Etats des violations du droit communautaire ; sanctionner ces violations est la forme la plus poussée de l’exécution du droit de l’Union ; cette question était cruciale, les Etats sont les bras séculiers de l’Union puisque la Communauté n’avait pas de compétence en matière pénale.
•Elle a bien pris la mesure de la nécessité d’encadrer cette compétence pénale pour éviter que la sanction d’un Etat à un autre soit différenciée ; ce cadre est constitué de deux principes :
– le principe d’équivalence : la jurisprudence veille à ce que les violations du droit de l’UE soient sanctionnées dans des conditions de fond et de procédure équivalentes ou analogues à celles mobilisées pour la violation d’une norme interne comparable ;
– le principe d’effectivité : la Cour veille à ce que la répression par l’État des violations du droit communautaire confère à la sanction encourue un caractère effectif, proportionné et dissuasif ; ce principe va plus loin que le précédant puisqu’il impose que la sanction de la violation du droit de l’Union soit suffisamment efficace, quitte à être plus sévère que celle d’une norme étatique comparable, alors que le principe d’équivalence requiert une égalité de traitement pénal.
Ces 2 principes, au delà de la question de la répression des violations du droit communautaire, sont applicables à toute forme d’exécution du droit de l’Union.
Il arrive que pour assurer l’uniformité d’application du droit de l’Union, d’une façon tout du moins plus certaine que par le jeu de l’encadrement du principe d’autonomie, il soit préférable de confier la compétence d’exécution directement aux institutions de l’Union : généralement à la Commission, plus exceptionnellement au Conseil.
B) L’exécution par les institutions de l’Union
1. La compétence exécutive de la Commission : la «comitologie»
Elle est à la fois déléguée et encadrée. Elle est déléguée car depuis l’origine, les traités prévoient que la Commission exerce les compétences que le Conseil lui confère pour assurer l’exécution du droit communautaire. C’est logique puisque la compétence exécutive de droit commun appartient aux États.
Quand les États n’assurent pas eux-mêmes cette exécution du droit communautaire, cela ne signifie pas qu’ils se désintéressent de cette compétence d’exécution. Or, quelle institution est composée de représentants des Etats membres ? Le Conseil. Il est donc normal qu’elle soit confiée dans certains cas à la Commission par le Conseil.
Mais le Conseil n’en n’use pas librement. Au départ, on aurait pu penser qu’elle était libre, et la jurisprudence précisait que le recours à la délégation par le Conseil de la compétence d’exécution à la Commission était d’un emploi facultatif, comme si le Conseil pouvait choisir librement soit d’exécuter lui-même, soit de confier cette tâche d’exécution à la Commission.
Mais tout a changé avec l’Acte unique européen en 1986 (modification du traité CE que l’on retrouve aujourd’hui dans le traité TFUE à l’article 291) : il a prévu que le Conseil délègue à la Commission le soin d’exécuter, mais il peut également se réserver, dans des cas spécifiques, la possibilité d’exercer directement la compétence d’exécution. À contrario, en dehors de ces cas spécifiques, le Conseil est tenu de déléguer à la Commission le pouvoir d’exécution.
Même s’il est tenu de déléguer, il garde largement la main sur les conditions dans lesquelles la Commission va exécuter, et cela de 2 façons :
– le Conseil est l’auteur ou le co-auteur de l’acte de base à exécuter ; s’il veut laisser la bride sur le cou de la Commission, il lui suffit d’adopter un acte de base suffisamment vague, ce qui laissera une grande marge de manœuvre à la Commission ; s’il veut la brider, il doit en adopter un déjà très détaillé, ce qui réduira le champ d’action de la Commission, qui ne pourra alors qu’adopter, par ses compétences partagées, des “mesurettes” d’exécution dans les interstices laissés vacants ;
– le Conseil n’a pas souhaité laisser la Commission sans surveillance : il a entendu au contraire placer celle-ci sous le contrôle de comités qu’il a créé à cette fin, et qui sont des relais du Conseil ; il en a tellement usé au fil des années que l’on parle désormais de comitologie, qui désigne la prolifération auprès de la Commission, et à l’investigation du Conseil, de comités chargés en pratique de surveiller l’exercice par la Commission de ses compétences exécutives.
a) Le principe de la «comitologie»
Au départ, c’était une simple pratique institutionnelle qui s’est développée en dehors de toute habilitation textuelle. Le développement de ces comités pouvait sembler être inspiré par le souci d’aider la Commission dans l’accomplissement de sa fonction d’exécution.
Mais ceux-ci ne sont pas créés par la Commission ou à sa demande, mais par le Conseil. C’est donc le Conseil qui est présent auprès de la Commission, et ce plus pour la surveiller et l’encadrer que l’aider dans l’exercice de sa compétence d’exécution. D’ailleurs, le traité de Lisbonne parle de l’encadrement, grâce à la comitologie, par les Etats voire du «contrôle» par les Etats des compétences exécutives de la Commission.
La Cour de justice n’y a vu nulle violation et a parfaitement accepté que le Conseil puisse déterminer les modalités imposées à la Commission pour assurer sa compétence d’exécution. Elle a été tellement compréhensive qu’elle l’a même admise dans des cas discutables.
En effet, dès lors que la Commission tient sa compétence d’exécution d’une délégation du Conseil, la comitologie ne devrait encadrer que l’accomplissement de mesures d’exécution par la Commission sur habilitation du Conseil, et elle ne devrait pas être autorisée à se prononcer en matière budgétaire, alors que l’exécution du budget est assurée par la Commission, sous sa propre responsabilité (elle tire cette compétence directement du traité), et non pas sur délégation du Conseil.
Par la suite, l’Acte unique européen a conféré pour la première fois un fondement textuel à la comitologie : il a consacré sa pratique et a invité le Conseil à rationnaliser cette pratique qui, jusqu’alors, se développait de manière anarchique selon le bon vouloir du Conseil.
Depuis, les traités prévoient que le Conseil peut soumettre l’exercice d’une compétence d’exécution par la Commission à certaines modalités que le Conseil définit au cas par cas, chaque fois qu’il délègue une compétence d’exécution à la Commission. Mais ces modalités doivent répondre à des principes et règles d’ordre général que le Conseil doit arrêter une fois pour toute par une décision adoptée à l’unanimité sur proposition de la Commission et après avis du Parlement européen.
Depuis 1986, le Conseil a été invité à adopter des critères généraux encadrant la comitologie, des décisions comitologie. C’est ce qu’il a fait en 1987, 1999 et en 2006.
Le traité de Lisbonne maintient cette invitation adressée au Conseil de rationnaliser la comitologie en fixant des principes et des règles d’ordre général, mais à ceci près que la procédure à suivre a quelque peu évolué (le traité les présente comme des règlements) : désormais, le Conseil ne statue plus à l’unanimité mais à la majorité qualifiée, il n’adopte plus cette réglementation comitologique sur proposition de la Commission, et le Parlement européen n’est plus seulement consulté mais il a aujourd’hui un véritable pouvoir de co-décision, puisque les règlements qui régissent la comitologie doivent être adoptés selon la procédure législative ordinaire, qui correspond à l’ancienne procédure de co-décision entre le Conseil et le Parlement.
Ces décisions comitologie prévoient selon quelles modalités procédurales la surveillance de la Commission par ces comités sera assurée. Elles ont créé plusieurs procédures alternatives.
b) Les procédures de «comitologie»
4 procédures de la – contraignante pour la Commission à la + contraignante :
la procédure de consultation : consiste lorsque la Commission est chargée d’assurer l’exécution d’un acte communautaire, à mettre en place auprès de la Commission un comité consultatif qui sera saisi simplement pour avis par la Commission du projet d’acte d’exécution qu’elle veut prendre ; quelque soit cet avis, la Commission demeure libre d’adopter ou non l’acte d’exécution ;
la procédure de gestion : a vocation à être mise en œuvre pour la gestion des politiques communes, plus contraignante car consiste en la mise en place d’un comité de gestion qui dispose de prérogatives plus manifestes ; s’il émet à la majorité qualifiée un avis négatif sur le projet d’acte d’exécution (assez rare), la Commission est dessaisie au profit du Conseil, qui adoptera les mesures exécutives ; elle permet à la Commission, avant de recevoir l’avis du comité de gestion, de mettre en œuvre à titre provisoire son projet d’acte d’exécution ;
la procédure de réglementation, le comité de réglementation mis en place auprès de la Commission dans des matières particulièrement sensibles (santé publique, sécurité alimentaire) est saisi du projet d’acte d’exécution ; s’il émet un avis négatif ou s’il n’émet aucun avis (silence = avis négatif), la Commission est à nouveau dessaisie au profit du Conseil et ne peut pas exécuter à titre provisoire l’acte qu’elle envisageait de prendre ;
la procédure de réglementation avec contrôle, établie par la décision comitologie de 2006, un champ d’application assez clairement défini ;
elle s’impose et doit être appliquée lorsque l’acte de base que la Commission s’apprête à exécuter est un acte adopté en co-décision par le Conseil et le Parlement, et lorsque la mesure d’exécution que s’apprête à prendre la Commission est une mesure de portée générale qui vise à modifier des éléments non-essentiels de cet acte de base. S’il s’agit de modifier des éléments essentiels, la jurisprudence Köster implique que la Commission n’ait aucune compétence pour cela.
Elle confère au législateur communautaire (désormais européen), on désigne par cette formule le Conseil des parlements européens ensemble, un pouvoir de véto à l’encontre de l’acte d’exécution en question. Est institué auprès de la Commission un comité de règlementation avec contrôle pour avis ;
■ En cas d’avis positif, la Commission ne se trouve pas totalement libre dans l’accomplissement de sa compétence d’exécution : en effet, le Conseil à la majorité qualifiée, et le Parlement à la majorité de ses membres, peuvent chacun séparément opposer leur véto à l’adoption de la mesure par la Commission ;
■ En cas d’avis est négatif ou s’il n’y en a pas, le Conseil se substitue à la Commission pour adopter cet acte ou un autre, mais il pourra se heurter au véto du Parlement, toujours à la majorité de ses membres.
La Commission est, dans tous les cas, susceptible de se voir dépossédée de sa compétence au profit du Conseil ou de personne si le Parlement européen émet son véto. Ce qui explique que cette procédure soit si contraignante et corrosive, on n’est plus tout à fait dans le registre de l’exécution : la Commission est invitée à modifier cet acte, certes dans ces éléments non-essentiels, mais tout de même.
Cette procédure de 2006 s’inspirait en réalité d’une innovation contenue dans le TCE de 2004 (jamais entré en vigueur) qui a été reprise ensuite par le traité de Lisbonne. Celui-ci prévoit la possibilité pour la Commission de prendre des actes délégués. Lorsque le législateur européen (Conseil et Parlement), soit en co-décision, soit l’un avec le concours de l’autre, adopte un acte de base, un acte législatif, celui-ci peut déléguer à la Commission le pouvoir de modifier ou de compléter cet acte de base dans ses éléments non-essentiels : c’est la reprise de la décision comitologique de 2006.
Tandis que la procédure de comitologie de 2006 n’était applicable que pour la modification d’un acte adopté en co-décision par le Parlement et le Conseil, en vertu du traité de Lisbonne, la possibilité d’adoption par la Commission d’actes délégués, qui peuvent modifier des éléments non-essentiels, est applicable que l’acte législatif en cause ait été adopté en co-décision entre le Conseil et le Parlement, ou selon tout autre procédé législatif. Le champ des possibles s’est donc élargi.
2 questions:
- En fonction de quels critères applique-t-on à la Commission une procédure plutôt qu’une autre ?
- Quelle est la part, quel est le rôle que le Parlement européen est appelé à jouer dans la mise en œuvre des procédures de surveillance ?
1) Les critères justifiant le choix d’une procédure de comitologie plutôt qu’une autre
Parmi les 4 procédures, seul le champ d’application de la quatrième procédure est assez clair.
Les décisions de comitologie qui mettent en place les 3 premières procédures entretiennent un flou artistique complet à cet égard. En conséquence, dans ce flou, le Conseil, auteur de l’acte de base, semble libre de choisir souverainement quelle procédure il imposera à la Commission. Le Conseil risque d’être tenté de choisir la procédure la plus contraignante pour la Commission. Bien évidemment, la jurisprudence veille et impose au Conseil, dans l’acte de base, de motiver rationnellement ses choix (sinon, atteinte à l’équilibre institutionnel de la Commission).
Rappelons que l’acte de base est adopté le plus souvent par le Conseil à l’initiative de la Commission ; c’est elle, pour l’essentiel, qui dispose le plus souvent du monopole de l’initiative dans l’adoption des normes. Elle soumet au Conseil des projets d’actes qu’il adopte ou pas.
Le projet d’acte de base qu’élabore la Commission comporte une disposition précisant les modalités d’exécution de cet acte, en particulier si elle sera assurée par les Etats membres, par la Commission ou bien par le Conseil. Si le choix se porte sur une exécution par la Commission, ce projet d’acte de base devra préciser la procédure de comitologie choisie ; on peut imaginer que la Commission aura spontanément tendance à prévoir dans le projet d’acte de base la mise en œuvre de la procédure de comitologie la plus souple pour lui, c’est-à-dire la procédure consultative.
Le Conseil pourrait ne pas l’entendre de cette oreille, et dans ce cas, il pourra modifier le projet d’acte de base et adopter un acte qui s’en distingue sensiblement, notamment en substituant à la procédure souple de comitologie une procédure un peu plus stricte. Il ne pourra le faire qu’en statuant à l’unanimité, car il y a une règle de vote au sein du Conseil selon laquelle, même lorsque le traité prévoit que le Conseil adopte tel type d’acte à la majorité, s’il tend à s’écarter de la proposition faite par la Commission, il ne pourra le faire qu’en statuant à l’unanimité, et ceci car la Commission est supposée élaborer des propositions qui visent à défendre l’intérêt général de l’Union, plutôt que l’intérêt particulier des Etats, et elle est, de plus, en pratique, supposée prendre en compte l’avis des petits Etats, afin d’éviter une dictature des grands Etats.
Si le Conseil, composé de représentants des Etats membres, entend s’écarter du projet, il devra statuer à l’unanimité, ce qui signifie que tout Etat aura un droit de véto.
2) Le rôle du Parlement européen dans la mise en œuvre des procédures de surveillance
À partir de l’instant où le Parlement européen est intervenu de plus en plus souvent et de manière de plus en plus décisive dans le processus d’édiction des actes de base, puisque la procédure de co-décision (née du traité de Maastricht et généralisée par le traité d’Amsterdam) n’a fait que s’étendre, il s’est mis à revendiquer une participation plus active à la surveillance concrète, par le biais de la comitologie, des actes d’exécution de la Commission.
Le Parlement européen semblait pleinement pertinent, mais cette revendication était tout-à-fait abusive, et ce pour plusieurs raisons :
– À l’évidence, dans tout système politique, il n’entre pas dans les missions d’une institution parlementaire d’intervenir au stade de l’exécution (cela relève du pouvoir exécutif).
– Dans le cadre de l’UE, la compétence d’exécution de droit commun appartient aux Etats. Lorsqu’elle est attribuée par exception à la Commission, ce sont les Etats qui ont un intérêt juridique légitime à surveiller cette exécution, c’est-à-dire en réalité le Conseil ; il est donc normal qu’il surveille aussi activement. Par conséquent, il était naturel que le Conseil s’investisse autant, mais rien ne justifiait que le Parlement européen revendique une part aussi active aux côtés du Conseil.
– Lorsque le Conseil, par le biais des comités, surveille la compétence d’exécution de la Commission, ce n’est pas parce que le Conseil est l’auteur ou le co-auteur de l’acte de base à exécuter (si ça l’était, on pourrait admettre la prétention du Parlement), mais parce que la compétence d’exécution de droit commun appartient aux Etats membres, et par voie de conséquence, la comitologie est destinée à permettre à ces Etats, par l’intermédiaire du Conseil qui les représente, de surveiller la compétence d’exécution de la Commission. Le traité de Lisbonne clarifie les choses en soulignant que la comitologie vise au contrôle par les Etats membres, à travers le Conseil, de la compétence d’exécution de la Commission.
Le Parlement européen a commencé à obtenir satisfaction. La décision comitologie de 1999 a accordé un droit à la transmission par la Commission des documents relatifs à l’exécution des actes de base. Par ailleurs, le Parlement européen s’est vu reconnaître le pouvoir d’adopter des résolutions non-contraignantes, par lesquelles il peut exprimer son point de vue sur l’accomplissement de la compétence d’exécution par la Commission.
La décision comitologie de 2006, dans le cadre de la procédure de règlementation avec contrôle, a prévu que quel que soit l’avis du comité de comitologie, le Parlement détient un pouvoir de véto. Le Parlement européen a donc obtenu entièrement satisfaction. Le traité de Lisbonne, en consacrant la notion d’actes délégués, confirme cette victoire institutionnelle du Parlement européen.
2. La compétence exécutive du Conseil
a) L’étendue de la compétence d’exécution du Conseil
Elle serait à priori de faible étendue. Normalement, l’exécution est assurée par les Etats membres, et lorsque des conditions uniformes sont requises, le traité admet que cela soit fait par la Commission sur délégation du Conseil, et ce n’est que dans des cas précis que le Conseil assure cette exécution. En effet, dans l’ensemble des matières couvertes naguère par le pilier communautaire, à quoi s’ajoute désormais la compétence en matière de coopération pénale, le Conseil ne peut exercer lui-même la compétence d’exécution que dans des cas très spécifiques (traité CE puis TFUE dans son article 291).
Le traité ne définit pas ces cas spécifiques : le Conseil en décide donc lui-même. Paradoxalement, l’imprécision de cette notion n’a pas donné lieu à des abus de la part du Conseil. Le Conseil n’a pas retenu trop souvent, de façon abusive et injustifiée, sa compétence d’exécution. Cette autodiscipline s’explique par deux raisons :
• on voit mal quel intérêt aurait le Conseil à se charger lui-même trop souvent de l’exécution ; le Conseil n’a pas les moyens matériels d’assurer lui-même l’exécution systématique des actes du droit de l’Union ;
• par ailleurs, la jurisprudence veille à ce qu’il n’y ait pas de dérive : la Cour de justice exige en particulier que le Conseil motive les cas dans lesquels il estime que l’on est en présence de cas spécifiques requérant une exécution directe par le Conseil ; le traité de Lisbonne consacre cette jurisprudence en précisant que les cas spécifiques dans lesquels le Conseil exerce lui-même la compétence doivent être «dûment justifiés».
En ce qui concerne la PESC, qui assure l’exécution ? La PESC a toujours été très spécifique. Sous l’empire des traités antérieurs, la compétence d’exécution de la PESC appartenait aux Etats membres même, mais à défaut d’exécution par les Etats eux-même, elle était assurée par le Conseil.
Avec le traité de Lisbonne, lorsque l’exécution n’est pas faite directement par les Etats membres, elle est accomplie par le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (actuellement la britannique Catherine Ashton ; le traité constitutionnel avait voulu nommer ce fonctionnaire le “Ministre des affaires étrangères de l’Union”).
b) La procédure d’adoption des actes d’exécution
Ici, il faut faire un constat et en déduire une difficulté : le constat, c’est que lorsque le Conseil assure lui-même l’exécution des actes de base, il est lui-même dans un cadre de dédoublement fonctionnel.
La difficulté qui en découle est que les traités déterminent la procédure d’adoption des actes de base, précisent si le Conseil statue à l’unanimité ou à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission ou des Etats membres, s’il statue seul ou en co-décision avec le Parlement ou après simple consultation de celui-ci, mais ils ne disent rien de la procédure que le Conseil doit suivre pour adopter l’acte d’exécution.
Dans le silence du traité, il faut considérer que l’acte d’exécution devra être adopté en suivant la même procédure que celle suivie pour adopter l’acte de base. Cela impliquerait une certaine lourdeur, cela heurterait la lettre du traité, qui prévoit la seule compétence d’exécution du Conseil, et cela serait de mauvaise pratique institutionnelle que de mobiliser une procédure si lourde que celle de la co-décision pour un simple d’acte d’exécution.
C’est la raison pour laquelle la Cour de justice a admis que le Conseil, au titre de l’exécution, suive une procédure simplifiée qui implique la même règle de vote au sein du Conseil que pour l’adoption de l’acte de base, mais qui dispense le Conseil de solliciter l’intervention du Parlement européen, fusse simplement pour obtenir son avis.
Section 2 : les principes régissant le système des compétences de l’Union
I. Le principe de la compétence d’attribution de l’Union
A) La définition du principe de la compétence d’attribution
1. L’objet du principe
a) Son énoncé
À l’origine, il n’était pas énoncé dans les traités. Ce principe était si fondamental, si évident, que l’on n’avait pas pris la peine de le formuler. Toute la construction européenne est guidée par ce principe, il s’agit d’attribuer à l’Union, par le transfert de compétences, des pouvoirs que les Etats estiment préférables de ne pas exercer seuls.
Plus précisément, il y a toujours eu dans les traités des dispositions précisant que chaque institution agit dans la limite de ses attributions. On pouvait voir dans cette disposition une déclinaison, à propos de chaque institution, d’un principe plus général de la compétence d’attribution de l’Union. En réalité, cette clause visait à éviter les empiètements de compétences d’une institution sur l’autre. Il ne s’agissait pas de poser le principe de la compétence d’attribution de la Communauté par opposition à la compétence de droit commun des Etats.
La formulation exacte a été très tardive puisqu’on la doit au traité de Maastricht, en 1992, qui a ajouté au traité CE (article 5 alinéa 1er) une disposition selon laquelle «la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité».
Ce principe fut formulé à propos de la Communauté, mais pas pour l’Union puisqu’elle n’avait pas encore la personnalité juridique, et ne pouvait, par voie de conséquence, être bénéficiaire de transferts de compétences. Ce n’est donc que par analogie que l’on pouvait parler de principe de la compétence d’attribution de l’Union.
Avec le traité de Lisbonne, ce principe s’applique pleinement à l’Union, et il reprend la même formulation. Il précise que «le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union», puis il le définit dans son article 5§2 du traité UE modifié comme suit : «en vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les Etats membres lui ont attribués dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent».
Le traité de Lisbonne ajoute «toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux Etats membres».
Cette nouvelle formulation n’est pas exactement celle qu’avait retenu le traité de Maastricht, et la comparaison de ces deux dispositions le fait régulièrement apparaître. Le traité de Lisbonne durcit la définition de ce principe.
La nouvelle formulation procède de la volonté de retenir une conception plus stricte que par le passé de la compétence d’attribution, et ce au bénéfice des Etats membres. Le nouvel article 5 souligne que les compétences sont attribuées à l’Union par les Etats membres, manière de rappeler que la source originelle des pouvoirs de l’Union se trouve dans les Etats membres, et que celle-ci n’est qu’attributaire de ces pouvoirs par les traités. Elle retient par ailleurs une formule négative.
b) Son corollaire : la compétence de droit commun des Etats membres
Affirmer la compétence d’attribution de l’Union est idéologiquement neutre, Si l’on veut en tirer des conséquences déterminantes sur la nature juridique de l’Union, c’est peine perdue car le principe de la compétence d’attribution se rencontre aussi bien dans les organisations internationales classiques que dans les Etats fédéraux.
En revanche, sur le plan de la technique juridique, ce principe est lourd d’une conséquence : la compétence de droit commun appartient aux Etats, la compétence étatique est toujours présumée. Cette présomption n’est renversée que si l’on trouve dans les traités un titre de compétence au profit de l’Union.
Le traité de Lisbonne explicite cette présomption de compétence étatique en précisant que toute compétence non attribuée à l’Union appartient aux Etats. Il est nécessaire que les traités précisent les cas dans lesquels l’Union est compétente, mais que cela ne l’est pas pour les compétences des Etats membres. Cette compétence de droit commun s’impose dans le silence des clauses du traité.
Puisque les Etats ont la compétence de droit commun dans le silence des traités, sauf dispositions contraires, ce sont bien les Etats qui disposent du titre de compétence.
- Question : lorsque les Etats, exerçant leurs compétences de droit commun, mettent en œuvre les compétences qu’ils ont décidé de conserver, sont-ils affranchis de toute contrainte liée au droit de l’Union ?
- Réponse: le droit de l’Union européenne impose des normes supérieures à respecter tant pour l’Union que pour les Etats dans le cadre de l’exercice des compétences exclusives ou partagées.
Mais dans un cas de compétences réservées aux Etats, c’est-à-dire un cas de compétences qu’ils exerçaient avant même la construction de l’Union européenne, à priori, dans l’exercice de ces compétences réservées, les Etats sont totalement libres, et non disposés à subir les contraintes de l’Union. Cette idée est en partie fausse : il y a des principes communautaires, européens, qui transcendent la distinction entre compétences européennes et compétences réservées aux Etats. Il ne faut pas confondre le champ des compétences de l’Union et le champ d’application du droit de l’Union : les deux ne se superposent pas exactement, le champ des compétences de l’union es tplus étroit que le champ d’application du droit de l’union. Ce qui signifie que le champ d’application du droit d el’union couvre le champ de compétence. le second couvre le premier mais en déborde aussi largement.
Ex : le principe européen de non-discrimination, qui est un cheval de Troie communautaire ; c’est ce qu’illustre l’arrêt de la Cour de justice du 11 janvier 2000.
CJUE, 11 janvier 2000, Tanja Kreil Cette citoyenne allemande, officier supérieure de l’armée allemande, avait demandé son affectation à un poste de combat, ce que le pouvoir hiérarchique avait refusé par application d’une disposition constitutionnelle alors en vigueur qui interdisait aux femmes d’exercer un poste de combat dans l’armée. Elle a obtenu de la juridiction allemande un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice en interprétation du principe de non-discrimination, et en particulier en interprétation du champ d’application de celui-ci. Elle a obtenu de la Cour de justice la reconnaissance du fait que celui-ci était applicable à l’espèce, puisque la compétence mise en oeuvre par l’Etat allemand était une compétence en matière d’organisation de la défense nationale, qui n’a jamais été une compétence communautaire mais une compétence réservée. On aurait pu penser que le droit communautaire ne s’imposerait pas : la Cour de justice a souligné que le droit primaire et le droit dérivé visaient à éradiquer toute discrimination à l’égard des genres en matière d’accès à l’emploi. La Cour a retenu dans un autre arrêt que les règles nationales relatives au choix entre armée de métier et conscription échappait totalement à l’emprise du droit communautaire ; c’est pourtant là encore un choix relatif à l’organisation de la défense nationale. |
On peut citer un autre exemple avec l’arrêt du 7 janvier 2004 K.B : une personne transsexuelle avait demandé à l’état civil de son Etat d’enregistrer son changement d’identité sexuelle, ce qui avait été refusé par l’officier d’état civil. S’estimant victime d’une discrimination des genres prohibée par le droit communautaire, le requérant a obtenu un renvoi préjudiciel devant la Cour, et même si l’on pouvait penser qu’il s’agissait d’une compétence exclusive de l’Etat, la Cour a admis qu’il s’agissait d’une discrimination, et que refuser de modifier son état civil, c’était la priver d’un mariage avec une personne du sexe nouvellement opposé, et, en cas de veuvage, faute d’être liée par les liens du mariage civil, elle ne pourrait se voir verser une pension de réversion qui est, selon la Cour, en vertu de l’article 141 du traité CE, une rémunération. Un tel refus pouvait donc aboutir à une discrimination d’attribution de rémunération. L’Union s’immisce donc dans le droit des Etats.
La compétence étatique de droit commun risque toujours d’être méconnue par une boulimie normative de l’Union.
Qui assure la garantie du respect des compétences de droit commun des Etats, qui s’assure que l’Union n’empiète pas sur les compétences de droit commun ? C’est la Cour de justice, par diverses voies de droit, telles que :
• le recours en annulation contre un acte de l’Union entaché d’incompétence, c’est-à-dire qui empiéterait sur le domaine de compétences des Etats ;
• si les délais de recours sont expirés, par la voie d’exception d’illégalité ;
• enfin, indirectement par le biais d’un renvoi préjudiciel : si une juridiction nationale appelée à appliquer un acte communautaire soupçonne celui-ci d’être illégal, et ce notamment à l’égard des particuliers, d’être entaché d’incompétence, elle peut ou doit selon le cas adresser à la Cour de justice une question préjudicielle en appréciation de la validité de cet acte.
•Elle va donc dire si l’acte est illégal ou non : si ce n’est pas le cas, elle ne l’annulera pas ; la juridiction nationale de renvoi, sur la base de l’appréciation de la Cour, le laissera inappliqué à l’espèce.
La Cour de justice est donc le garant naturel de cette frontière, mais elle risque d’être soupçonnée d’être partiale, d’être plus encline à étendre les compétences de l’Union qu’à défendre le pré-carré des Etats. C’est le raisonnement qu’a tenu le tribunal constitutionnel allemand qui, dans un arrêt Maastricht de 1993, s’est déclaré lui aussi compétent pour juger de la légalité d’un acte communautaire. Ainsi, en cas d’illégalité, les autorités publiques allemandes se verraient empêchées de garantir l’application de la norme communautaire ainsi entachée d’incompétence dans l’ordre juridique allemand. Le juge constitutionnel allemand n’a qu’une confiance mesurée dans la Cour de justice.
Du côté du Conseil constitutionnel français, on peut dire qu’il s’est véritablement pris de passion pour le droit de l’Union, et depuis la décision du 10 juin 2004, il estime qu’«il n’appartient qu’au juge communautaire de contrôler le respect par une directive des compétences définies par les traités». Il manifeste donc beaucoup plus d’empathie à l’égard de la Cour de justice que le tribunal allemand.
Mais la prudence voire la défiance du juge constitutionnel allemand n’a pas été stérile car sa jurisprudence a vu le traité de Lisbonne reconnaître de façon plus stricte ce devoir de la Cour de justice de contrôler la frontière entre les compétences. Par ailleurs, le traité constitutionnel de 2004, qui n’a jamais vu le jour, apportait une touche de plus par rapport au traité de Lisbonne : il consacrait le principe de primauté du droit de l’Union européenne sur le droit des Etats, il précisait que les actes de l’Union européenne primaient sur le droit des Etats membres lorsqu’ils avaient été adoptés dans le cadre de l’exercice des compétences attribuées. Cela pouvait signifier à contrario que si un acte était adopté par l’Union européenne en dehors, au delà de ses compétences, il ne pourrait bénéficier du principe de primauté : c’est bien là la logique de la jurisprudence allemande.
Ce principe n’ayant pas été codifié dans le traité de Lisbonne, l’incise évoquée n’a pas d’illustrations actuellement.
2. La portée du principe : la compétence de droit commun des Etats membres
a) L’ambiguïté levée par le traité de Lisbonne (art. 5§2 TUE)
C’est un principe faussement clair. Il signifie que l’Union n’a pour compétences que celles qui lui ont été attribuées. Encore faut-il en identifier l’étendue.
Avant l’entée en vigueur du traité de Lisbonne, on se heurtait à une double difficulté car pas d eliste illustrative des compétences : or dans son énoncée ce principe était ambigu
• le traité de Nice ne présentait aucune liste des compétences de l’Union ;
• l’énoncé du principe de la compétence d’attribution renfermait en lui-même une ambiguité ; le traité communautaire énonçait dans son article 5 que la Communauté agissait dans la limite des compétences qui lui étaient conférées et des objectifs qui lui étaient assignés. D’où le pb d’interprétation entre le rapport entre la notion de compétences et d’objectifs.
•Se posait alors la question de savoir si l’article 5 imposait donc une ou deux conditions à la reconnaissance de la compétence communautaire. Il y avait à cet égard deux interprétations possibles :
– une première thèse retenait que les limites de l’action de la Communauté pouvaient résulter soit des compétences qui lui étaient attribuées, soit, en l’absence d’attribution, des objectifs qui lui étaient assignés. Il y a donc une portée extensive du principe selon cette interprétation, puisque la Communauté pouvait prétendre agir dans toute la mesure nécessaire pour la réalisation des objectifs qui lui étaient assignés ; cette première interprétation permettait une extension du compétence communautaire et une assignation
– une seconde thèse retenait quant à elle que la référence des objectifs ne devait pas être comprise comme une alternative à la condition d’attribution, mais comme une contrainte à la communauté supplémentaire dans l’exercice de la compétence attribuée à la communauté. Cela devenait donc plus restrictif et contraignant pour la Communauté.
Et dans l’exo de ses compétences l
Le traité de Lisbonne clarifie les choses puisqu’il retient le sens de la deuxième interprétation. À cette fin, la définition du principe d’attribution a été reformulée à l’article 5§2 du traité modifié : «en vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans la limite des compétences que les Etats membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux Etats membres».
b) La question des compétences implicites
Il est entendu qu’en vertu de ce principe de la compétence d’attribution, l’Union ne peut agir que si la compétence lui a été attribuée, mais faut-il qu’elle l’ait été explicitement ? On sait que non, mais une jurisprudence dense présente des compétences purement internes qui revêtent un caractère implicite.
La jp a admis que la compétence pouvait être explicite ou implicite
C’est ainsi que la Cour de justice avait pu reconnaître à la communauté une compétence implicite en matière pénale dans l’arrêt du 13 septembre 2005 Commission c./Danemark & co. Elle souligne que la matière pénale échappe à la compétence de la Communauté. La Cour a pourtant admis que la Communauté, à travers la Commission, était fondée à définir des catégories d’infractions et à imposer aux Etats l’édiction de sanctions pénales pour garantir la pleine effectivité des normes du droit communautaire. En d’autres termes, elle estime qu’il faut reconnaître à la Communauté une compétence en matière pénale nécessaire à la répression des infractions en droit communautaire.
Dans un arrêt de 2007, la Cour précise sa position en considérant que la compétence communautaire implicite en la matière est néanmoins matériellement circonscrite. La communauté avait une compétence en pénale mais elle ne pouvait pas permettre la nature et le quantum des peines.
L’évolution qu’a connu la rédaction du principe dans le traité de Lisbonne a pour but de rappeler que la source du pouvoir appartient aux Etats : l’Union ne peut agir que dans la limite de ses attributions.
Le traité de Lisbonne ne condamne pas tout recours à la théorie des compétences implicites, mais cela ressemble à une invitation de la Cour au Parlement à être moins productif en la matière, à moins chercher à étendre ce domaine des compétences implicites.
B) La mise en œuvre du principe de la compétence d’attribution
Ce principe implique que chaque fois que l’Union agit, on puisse identifier la base juridique sur le fondement de laquelle elle agit. Si elle ne parvient pas la preuve est faite qu’elle n’a pas la compétence donc doit s’abstenir. Cela oblige l’union a déterminer la base juridique à partir de laquelle elle agit.
Cette recherche poursuit plusieurs objectifs :
• il s’agit d’abord évidemment de s’assurer que l’Union prétend bien intervenir dans un domaine de compétences attribuées à elle par les Etats ;
• il s’agissait, au temps de la structure en piliers, de s’assurer que la Communauté agissait bien dans le cadre du pilier communautaire, et qu’elle n’empiétait pas sur le domaine des piliers II et III qui lui échappaient ;
• il faut par ailleurs déterminer selon quelles modalités l’Union va agir, quel type d’actes juridiques va-t-elle adopter (base juridique) , selon quelle procédure va-t-elle adopter ce type d’actes, et qui est a l’initiative de l’acte à adopter.
Toutes ces questions ne peuvent être tranchées que lorsque l’on a identifié de la base juridique donne lieu à un contentieux appelé le contentieux de la base juridique qui sert de fondement au principe, c’est-à-dire la disposition du traité qui déterminera les modalités d’action de l’Union.
De ce point de vue, le choix de la base juridique revêt un double enjeu :
• veiller à ce que le principe soit bien respecté,
• veiller à ce que, parmi les institutions de l’Union, aucune ne voit ses prérogatives légitimes méconnues.
La Cour de justice, lorsqu’elle est saisie d’une contestation à cet égard, veille à opérer un contrôle méticuleux du choix de la base juridique.
1. Le cas de la pluralité de bases juridiques
La jurisprudence a évolué : à l’origine, lorsque la Cour de justice était confrontée à un acte communautaire susceptible d’être fondé sur deux ou plusieurs bases juridiques différentes, elle estimait qu’elles pouvaient se cumuler. Mais cette solution n’a été tenable que tant que les traités ont été assez uniformes, tant que la procédure mise en oeuvre pour adopter l’acte était toujours la même (initiative de la Commission, décision du Conseil à la majorité, mise à l’écart du Parlement européen).
C’est devenu beaucoup plus difficile à tenir à partir de l’instant où les procédures d’adoption d‘actes communautaires se sont diversifiées, c’est-à-dire à partir de l’Acte unique de 1986. En effet, d’une base juridique à l’autre, la procédure à suivre n’était pas la même, ce qui posait difficulté. La Cour a considéré que dans le cas où un acte était susceptible de se réclamer de plusieurs bases juridiques à la fois, incompatibles entre elles, il fallait retenir la plus spécifique, ou celle qui correspondait le mieux à l’objet principal ou au centre de gravité de l’acte à adopter.
Ex : le traitement des déchets : soit l’objet est un service, soit l’objet est d’assurer la protection de l’environnement. Les deux bases étant incompatibles, il faut analyser l’acte.
Cette solution ne résout pas tous les problèmes, car l’on peut rencontrer un cas encore plus difficile, celui dans lequel l’acte en question ne vise pas principalement un objectif et accessoirement un autre, mais de manière équivalente les deux à la fois. La Cour a réactivé la théorie de la pluralité de bases juridiques. Cela suppose en principe que les deux bases juridiques qui correspondent aux deux objets ne soient pas incompatibles entre elles ; si c’est le cas, la théorie de pluralité de bases juridiques semble difficile à tenir.
La Cour a dans un cas récent considéré que l’acte devait être adopté en co-décision, c’est-à-dire selon la procédure la plus démocratique, la plus favorable au Parlement européen.
2. Le cas du défaut de base juridique spécifique : la clause d’adaptation
Lorsque l’on se trouve dans un cas de défaut de base juridique spécifique, il faut en premier lieu en tirer la conclusion que l’Union n’est pas compétente, que c’est aux Etats d’intervenir. Cette réponse doit être tempérée par l’existence dans les traités d’une clause d’adaptation, qui figurait à l’origine à l’article 308 du traité communautaire, et qui figure désormais à l’article 352 du TFUE.
La clause d’adaptation a évolué dans sa rédaction en vertu du traité de Lisbonne : selon l’article 308 du traité CE, «si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser dans le fonctionnement du marché commun l’un des objectifs de la Communauté sans que le traité ait prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet, le Conseil statuant à l’unanimité, sur proposition de la Commission et après avis du Parlement européen, prend les dispositions appropriées».
La logique était qu’une action communautaire était nécessaire, mais que les traités avaient oublié de conférer les pouvoirs, et que pour combler cette lacune, le Conseil devait prendre les mesures nécessaires. Cela visait à répondre au cas du défaut de base juridique par l’utilisation de la clause d’adaptation, celle qui suppléait l’absence de base juridique.
Le traité de Lisbonne apporte deux sortes de modifications :
• en ce qui concerne le champ d’application, c’est-à-dire les matières dans lesquelles cette clause est utilisable, il s’est élargi de façon considérable ; auparavant, elle ne figurait que dans le traité CE, elle n’était donc utilisable que dans le cadre du pilier communautaire.
•Désormais, du fait de l’effacement des piliers, elle est utilisable non seulement dans le cadre des anciennes compétences communautaires, mais également dans le cadre de l’ancien pilier III, c’est-à-dire dans le cadre de la coopération pénale, et même dans le cadre de la PESC.
•La nouvelle clause peut être utilisée pour la mise en oeuvre de toutes les politiques des traités.
• Il a encadré plus strictement le recours à cette clause en imposant des contraintes nouvelles :
– des contraintes procédurales : désormais, le Parlement européen doit approuver le recours à la clause d’adaptation, ce qui signifie qu’il peut s’y opposer ; lorsque la Commission prend l’initiative d’un recours, elle doit attirer l’attention des parlements nationaux sur cette initiative car le traité de Lisbonne leur reconnaît des pouvoirs de surveillance et de contrôle de l’intensité et de la fréquence des actions européennes, ce sont des sentinelles du principe de subsidiarité ;
– des contraintes matérielles : désormais, le recours à la clause ne peut pas permettre au Conseil d’adopter des mesures d’harmonisation des droits nationaux.
a) La clause d’adaptation, base juridique subsidiaire
Le Conseil, sur l’initiative de la Commission, ne peut recourir à la clause d’adaptation que pour compenser l’absence de base juridique pertinente à l’action de l’Union, et la Cour de justice veille au respect de ce caractère subsidiaire.
Si la clause d’adaptation n’avait pas ce caractère subsidiaire, il y aurait un risque de voir les institutions de l’Union utiliser abusivement cette clause, simplement pour écarter l’utilisation de la base juridique plus pertinente. En effet, l’enjeu est institutionnel et procédural : des Etats pourraient souhaiter un vote à l’unanimité pour détenir un droit de veto plutôt qu’un vote à la majorité, la tentation serait donc grande de tenir la base juridique à l’écart (car adoptée par un vote à la majorité) et de privilégier la clause d’adaptation (car adoptée par un vote à l’unanimité).
S’il y a une base juridique plus pertinente, le recours à la clause d’adaptation est interdit, mais s’il n’y a pas de base juridique, le recours n’est pas pour autant obligatoire, l’Union a la faculté de s’abstenir d’agir.
b) La raréfaction du recours à la clause d’adaptation
La clause d’adaptation a fait l’objet d’une utilisation intensive. Mais à partir de l’Acte unique européen de 1986, de la révision régulière des traités (traités de Maastricht, d’Amsterdam, de Lisbonne), le recours fréquent à la clause pouvait être considéré comme moins nécessaire ; c’est assez naturellement que ce recours à la clause d’adaptation a commencé à décliner en fréquence à partir du traité de Maastricht.
II. Les principes réglant l’exercice des compétences dans l’Union
Ces principes régissant l’exercice des compétences dans l’Union n’ont pas tous le même champ d’application :
• le premier d’entre eux, le principe de subsidiarité, commande le déclenchement et l’intensité de l’action de l’Union dans le domaine de ses compétences non-exclusives ;
• les autres principes régissent beaucoup plus largement l’exercice de toutes les compétences de l’Union ou des Etats.
A) Le principe de subsidiarité
1. La définition du principe de subsidiarité
L’origine du principe de subsidiarité réside dans deux idées :
• la première est le fait que l’on trouve injuste et inefficace de priver du pouvoir d’action une collectivité inférieure pour le conférer à la collectivité supérieure ;
• la seconde se trouve dans les Etats fédéraux, dans lequel le principe de subsidiarité va de pair avec le principe de suppléance qui vise à garantir un espace d’action suffisant aux entités fédérées tant que les problèmes n’excèdent pas leurs capacités, au besoin alors d’être soutenues par l’Etat fédéral dans les limites du principe de subsidiarité.
a) L’affirmation tardive du principe
Pendant longtemps, le principe de subsidiarité n’a pas été formulé dans les traités. La logique même de l’Union européenne est fondée sur ce principe.
Il a fait sa première entrée dans les traités avec l’Acte unique européen qui en a fait une première application en matière d’environnement, en considérant que la Communauté pouvait agir chaque fois que les objectifs environnementaux à atteindre semblaient plus à sa portée qu’à celle des Etats.
La véritable consécration réside dans le traité de Maastricht et plus particulièrement par l’achèvement du grand marché intérieur au début de l’année 1993. C’est de cette époque que date la prolifération normative de la Communauté européenne. C’est précisément en raison de cet épisode qu’en 1992, certains Etats ont eu peur de voir cet activisme normatif se prolongeait dans le temps : consacrer le principe de subsidiarité est apparu comme un moyen de tempérer cette extension.
Le préambule du traité UE évoque le lien toujours plus étroit entre les institutions et les citoyens, conformément au principe de subsidiarité. L’article 2 l’évoquait en disant que les objectifs de l’Union étaient atteints dans le respect du principe de subsidiarité.
Pour connaître sa définition, il fallait se reporter à l’article 5 du traité CE, qui a donné lieu en 1997 à un protocole relatif à l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le principe est régi par l’article 5§3 du traité UE, et aussi par un nouveau protocole qui abroge celui de 1997.
Le nouveau libellé du principe de subsidiarité est le suivant : «en vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée au niveau de l’Union».
• Le principe de subsidiarité ne peut jouer qu’en dehors du champ de compétences exclusives : c’est logique car il invite à comparer les mérites respectifs de l’action de l’Union et de l’action des Etats. Si celle-ci est la plus efficace, le principe commande à l’Union de s’abstenir, et inversement.
• L’Union intervient “seulement si et dans la mesure où” : ce principe revêt donc deux aspects :
■ il commande le déclenchement de l’action de l’Union,
■ il commande l’intensité de l’action de l’Union. Le principe comporte donc une dimension qui l’apparente au principe de proportionnalité.
b) La porté ambivalente du principe
Ce principe part du postulat selon lequel, dans les matières où l’Union et les Etats sont habilités à agir, les Etats sont à priori réputés les mieux placés pour agir. Cette présomption pourra être renversée s’il s’avère, au terme de la comparaison des mérites respectifs des actions de l’Union et des Etats, que c’est bien l’Union qui est la mieux placée pour remplir les objectifs de l’action. Il y a une part de subjectivité dans cette comparaison.
Ce principe évoque à la fois l’efficacité insuffisante de l’action des Etats et la meilleure performance de l’action de l’Union. Il y a là une ambiguité inhérente au libellé même de la disposition qui tient à la question de savoir si le traité impose une ou deux conditions pour qu’en vertu de la subsidiarité, l’action de l’Union soit justifiée.
• Pour justifier l’action de l’Union, il ne suffit que d’une condition : c’est une lecture de nature à rendre plus fréquentes les actions de l’Union. Cette thèse a pu se prévaloir pendant un temps d’un certain nombre d’arguments :
– le premier était tiré du protocole de 1997 puisqu’il mentionnait clairement «la condition susmentionnée» ;
– le second voulait qu’il soit logique de considérer la corrélation étroite entre l’action insuffisante des Etats et les meilleures performances de l’Union ; le traité CE, dans son article 5, exprime ce lien de causalité et de corrélation.
• Pour justifier l’action de l’Union, il faut deux conditions cumulatives : c’est une lecture de nature à restreindre la fréquence des actions de l’Union. Cette thèse a pu se prévaloir de plusieurs arguments, notamment tirés du protocole de 1997 et d’autres dispositions :
– il était question de faire référence «aux conditions» ;
– on peut imaginer que l’action des Etats soit insuffisante, sans pour autant que cela signifie que l’Union pourrait faire mieux, et vice versa.
Il était difficile de trancher entre ces deux thèses. Le traité de Lisbonne clarifie la situation en faveur de la deuxième thèse. Pour autant, l’ambiguité perdure un peu, la lettre du traité de Lisbonne ne permet pas de la lever complètement ; en revanche, la volonté des rédacteurs du traité va clairement dans le durcissement de l’utilisation des actions de l’Union, c’est-à-dire dans le sens de la deuxième thèse.
Tout porte à croire que les auteurs du traité ont voulu que l’évaluation de l’efficacité de l’action des Etats soit prise en compte de la façon la plus exhaustive possible, ce qui est de nature à souligner que l’action des Etats peut se suffire à elle-même.
Ce principe de subsidiarité est un principe à double tranchant : il a été conçu et défini comme une digue contre la prolifération des interventions de l’Union, mais selon l’usage qui en est fait, le principe de subsidiarité pourra conduire à justifier ces actions.
Le protocole de 1997 constatait explicitement ce double sens, puisqu’il soulignait que le principe de subsidiarité pouvait étendre et restreindre l’action de l’Union.
La pratique du recours à ce principe s’est traduit par un bilan plutôt positif, qui montre que ce principe a eu tendance à modérer la fréquence des interventions de l’Union.
2. La garantie du principe de subsidiarité
Cette garantie peut d’abord résulter de l’auto-limitation des institutions. En 1993, elles ont adopté un accord inter-institutionnel qui a débouché sur le protocole de 1997 annexé au traité d’Amsterdam, qui prévoyait un certain nombre de mécanismes d’autorégulation pour éviter que le Conseil seul ou avec le Parlement européen adopte(nt) des actes qui ne se justifiaient pas vraiment, au regard du principe de subsidiarité par exemple.
Le contenu de cet accord a été repris dans le nouveau protocole annexé au traité de Lisbonne, ce qui souligne que la première des garanties est la vigilance des autorités elles-mêmes.
Par ailleurs, le traité de Lisbonne prévoit deux sortes de garanties, une juridictionnelle et une politique.
a) La garantie juridictionnelle du principe
1) Une extension matérielle
Il faut observer que le domaine du contrôle juridictionnel du respect du principe de subsidiarité s’est étendu. Sous l’empire des traités antérieurs au traité de Lisbonne, le principe était défini à l’article 5 du traité CE, et était applicable, sous le contrôle de la Cour de justice, dans le cadre du pilier communautaire. Il était aussi évoqué dans le préambule et dans son article 2. En conséquence, il était aussi supposé applicable dans le champ des piliers intergouvernementaux. Mais cette affirmation méritait d’être largement nuancée pour deux raisons :
• dans le cadre du pilier relatif à la PESC, la Cour de justice n’avait aucun titre à statuer, ni pour protéger le principe de subsidiarité, ni pour garantir le respect de toute autre règle de droit ;
• dans le cadre du pilier III, le principe de subsidiarité était applicable, mais il n’était pas certain qu’il soit justiciable de la Cour, qu’il soit garanti par celle-ci. Cela tenait à une particularité du traité UE qui restreignait la justiciabilité de ses propres dispositions. Il comportait un article 46 qui dressait la liste limitative des dispositions qui étaient susceptibles d’être justiciables, et l’article 2 n’y figurait pas.
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ces incertitudes sont levées car le traité nouveau a pour dessein d’étendre l’application du principe aux matières relevant du pilier communautaire et du pilier III (coopération pénale). Ce qui concerne la PESC reste exclu.
2) Les modalités de contrôle
Selon quelles modalités le contrôle juridictionnel exercé par la Cour de justice du respect du principe se produit-il ? À priori, essentiellement par les recours directs :
• recours en annulation contre un acte émis par l’Union réputé illicite car le principe de subsidiarité aurait exigé que l’Union n’agisse pas ;
• recours en carence contre une abstention de l’Union réputée illicite car le principe de subsidiarité aurait exigé que l’Union agisse ;
• recours en responsabilité de l’Union pour l’astreindre à réparer les conséquences dommageables de son action ou de son abstention lorsque celle-ci a causé un préjudice.
Ces recours pourront être exercés par les Etats ou les institutions, mais cela semble plus incertain pour les personnes physiques et morales. Cela tient au fait que ce principe régit l’exercice des compétences entre l’Union et les Etats.
Pour la même raison, il est probable que la Cour de justice n’ait pas à remplir son office de garantie juridictionnelle du principe par la voie du renvoi préjudiciel.
3) L’intensité du contrôle
Puisque la Cour de justice est amenée à contrôler le recours au principe de subsidiarité, se pose la question de savoir quels sont les termes de ce contrôle. Elle semblait s’en tenir à un contrôle assez formel : elle vérifiait simplement que l’acte adopté avait été dûment motivé au regard du principe de subsidiarité. La jurisprudence a resserré son contrôle puisqu’elle est passée d’un contrôle portant sur la forme à un contrôle portant sur la nécessité de l’action.
b) La garantie politique du principe
C’est une avancée considérable du traité de Lisbonne, une audace déjà évoquée dans le traité constitutionnel (jamais adopté). Cette garantie politique se fait en amont et en aval.
1) La garantie politique en amont
Les parlements nationaux peuvent intervenir en amont : en vertu d’un double protocole, ils sont destinataires de toutes les propositions d’actes législatifs européens, c’est-à-dire ceux qui seront adoptés par le Conseil et le Parlement ensemble, ou bien par l’un ou l’autre avec la collaboration de l’autre. Cela permet que chacune des chambres puissent se saisir de ces projets et émettent à leur égard un avis motivé en ce qui concerne le respect du principe de subsidiarité. Les institutions tiennent compte de ces avis.
Le traité de Lisbonne va plus loin puisqu’il organise un système de droit de vote des parlements : chaque parlement dispose de deux voix ; si la somme des avis motivés négatifs atteint le tiers et même, en matière de coopération pénale, le quart des voix distribuées entre les vingt-sept parlements nationaux, le projet doit être réexaminé par la Commission.
Le traité prévoit en ce qui concerne les projets d’actes législatifs appelés à être adoptés selon la procédure législative ordinaire que si la Commission, après réexamen du projet, maintient son projet initial, soit ce maintien a lieu dans son droit, soit il a lieu dans une hostilité franche, et dans ce cas, le conflit doit être arbitré par le législateur européen, c’est-à-dire le Conseil et le Parlement. Chacune de ces institutions peut donner raison soit à la Commission soit aux parlements nationaux. Si le Conseil, à une majorité de 55% de ses membres, ou si le Parlement européen, à la majorité des suffrages exprimés, donnent raison aux parlements nationaux, l’examen du projet ne peut être poursuivi.
2) La garantie politique en aval
Les parlements nationaux peuvent aussi intervenir en aval : chaque parlement national dispose d’un recours en annulation fondé sur la violation par un acte législatif du principe de subsidiarité.
En ce qui concerne la France, s’est posée la question de savoir si le traité de Lisbonne pouvait être ratifié sans révision constitutionnelle préalable. Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 13 décembre 2007, selon laquelle il fallait à plusieurs titres réviser au préalable la Constitution.
Le Conseil a conclu qu’il était nécessaire de la réviser pour assurer la mise en oeuvre en droit interne des avis motivés et du recours à la Cour de justice. C’est ainsi que la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a instauré l’article 88-6 qui permet au parlement français de voter des résolutions pour l’émission des avis motivés dans le cadre du contrôle préventif de conformité des actes au principe de subsidiarité, mais également pour former un recours devant la Cour de justice contre un acte législatif qui méconnaîtrait le principe de subsidiarité selon le parlement requérant.
L’expression «former un recours» répond à la question de savoir quel est le rôle que remplit le Parlement : c’est un rôle de transmission des recours du Parlement français au Parlement européen.
B) Les autres principes
1. Le principe de proportionnalité
C’est un élément de fond commun à tous les systèmes juridiques. Il est depuis l’origine implicitement présent dans tous les traités dès lors qu’une disposition subordonne l’adoption d‘un acte juridique de l’Union à son caractère nécessaire.
La Cour de justice, dans le silence des traités, en a fait très tôt, sous l’empire de la CECA, un principe général du droit communautaire. Elle a confirmé cette jurisprudence sous l’empire du traité CEE dans l’arrêt du 20 février 1979 Société anonyme Buitoni c./ Forma.
Elle s’est attachée à assurer le respect de ce principe en veillant à tenir compte du pouvoir discrétionnaire dont peut disposer la Communauté.
Elle prône un contrôle restreint du principe de proportionnalité. La Cour n’a censuré que les actes communautaires qui révélaient une appréciation manifestement erronée ou disproportionnée aux buts poursuivis.
Il a fallu attendre le traité de Maastricht pour qu’une disposition explicite consacre ce principe.
a) Sa consécration
«L’action de la communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité» disposait l’article 5 du traité CE. Il n’a fait que codifier la jurisprudence antérieure, mais cette codification n’est que partielle car le principe général issu de la jurisprudence impose le respect de ce principe à la Communauté mais aussi aux Etats membres.
Le traité de Lisbonne en reprend largement la substance dans son article 5§2 du traité UE tout en en modifiant un peu les termes puisqu’il stipule que «en vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités». Il maintient dans l’ombre la dimension du principe de proportionnalité qui s’adresse aux Etats.
Ce principe demeure donc un principe jurisprudentiel. Néanmoins, sa nouvelle formulation comporte quelques changements :
• le principe est pour la première fois nommé ;
• il impose des contraintes non seulement quant au contenu de l’acte à adopter, mais également à la forme que l’acte devra adopter.
•L’article 5§2 est explicité par l’article 296 du TFUE qui précise que lorsque les traités ne prévoient pas le type d’actes à adopter, les institutions choisissent ce type d’actes dans le respect notamment du principe de proportionnalité ;
• la nouveauté n’est que partielle car avant le traité de Lisbonne, le protocole de 1997, désormais abrogé, contenait des dispositions analogues sur le nécessaire choix à effectuer.
b) Ses rapports avec le principe de subsidiarité
Les deux principes figurent dans le même article et ont fait l’objet depuis 1997 d’un protocole unique. Ils ne sont pas étrangers l’un à l’autre, ils ont des points communs mais aussi des différences.
Leurs champs d’application ne coïncident pas totalement. Le champ d’application du principe de subsidiarité ne s’est jamais appliqué qu’à l’exercice des compétences de la Communauté, et qu’en dehors du champ des compétences communautaires exclusives, et cela est toujours vrai avec l’Union.
À l’inverse, le principe de proportionnalité est applicable à toutes les interventions de l‘Union, dans les champs de compétences exclusives et partagées, mais aussi aux Etats membres.
En ce qui concerne les fonctions assignées aux deux principes, le principe de subsidiarité vise deux fonctions, cela résulte de la formulation même (l’Union agit “seulement si et dans la mesure où”). Le point commun est que le principe de proportionnalité régit aussi l’intensité de l’action, sauf qu’il ne commande pas le déclenchement de cette action.
2. Le principe de coopération loyale
Il a été désigné par le passé de fidélité communautaire. Ce n’est que la traduction dans la construction européenne du principe de bonne foi. Il est adressé aussi bien aux Etats membres qu’à l’Union elle-même et ses institutions.
a) Le principe de coopération loyale des Etats
C’est d’abord avant tout une coopération loyale des Etats à l’égard de l’Union. Cette exigence impose aux États trois sortes d’obligations que l’article 4§3 du traité UE décrit :
• une obligation positive de résultat : les Etats doivent prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations qui découlent des traités ;
• une obligation positive de moyen : les États membres doivent faciliter l’accomplissement par l’Union de sa mission ;
• une obligation négative d’abstention : les États doivent s’abstenir de toute mesure pouvant mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union.
Ces deux dernières obligations s’imposent aux États dans l’exercice de toutes leurs compétences, même réservées.
On pourrait penser que ce principe fait double emploi avec les obligations particulières que les traités imposent aux États. Il ne se substitue pas aux obligations plus précises des traités, mais il en renforce l’autorité.
Dans certains cas particuliers, il peut arriver qu’un Etat soit condamné pour manquement à l’obligation de coopération loyale, alors qu’il n’est pas possible de trouver un motif plus précis.
Il régit aussi les rapports des Etats membres entre eux. Ce principe a été le fait de la jurisprudence dans le silence des traités, la Cour de justice considérant que l’efficacité de l’Union dépendait pour une bonne part des relations entre les États membres. Cela a été explicité dans les traités à propos de la coopération entre Etats, qui traite de la loyauté et la solidarité mutuelle entre les Etats dans la mise en œuvre de la PESC.
Depuis que la structure en piliers s’est effacée, la PESC n’est plus la seule affaire de l’Etat, mais aussi celle de l’Union, qui a la personnalité juridique, et il y a donc une exigence pour « les Etats de respecter l’action de l’Union en la matière ».
b) Le principe de coopération loyale appliqué aux institutions
Cela concerne le Parlement, le Conseil et la Commission, qui concourent au processus normatif. La jurisprudence a admis que ces institutions devaient faire preuve dans leurs relations réciproques de loyauté entre elles, mais aussi vis-à-vis des Etats membres.
Désormais, le traité de Lisbonne exprime cette dimension en affirmant que l’Union et les Etats se respectent et s’assistent mutuellement. Le traité CE ne traitait pas de la loyauté interinstitutionnelle (dimension verticale), il précisait tout au plus que le Conseil ou la Commission pouvaient organiser les modalités de leur coopération. Une déclaration commune détaillait ces modalités. Le traité de Nice prévoyait que l’’obligation de coopération loyale art 10 TFUE régissait les relations entre institution et cela pouvait conduire à la conclusion d’accord institutionnel.
La jurisprudence a pris la mesure de cette exigence de loyauté interinstitutionnelle dans le domaine crucial de la compétence budgétaire : il y avait jusqu’alors une distinction entre les dépenses obligatoires et les dépenses non obligatoires car les prérogatives du Conseil et du Parlement pour l’adoption du budget étaient différentes selon qu’ils étaient en présence de l’une ou l’autre de ces catégories. La jurisprudence a sollicité un dialogue interinstitutionnel.
Lorsque le Conseil, pour prendre une décision, un règlement ou une directive, doit consulter le Parlement européen, que se passe-t-il si ce dernier tarde à se prononcer ? La Cour de justice a conclu qu’en cas de tardiveté, et donc de non-loyauté, le Conseil pouvait se dispenser de cette obligation.
L’article 13 du traité UE prévoit que « les institutions pratiquent entre elles une coopération loyale ».
Titre I : les normes |
Les normes sont applicables sur des territoires constitués par les Etats membres de l’Union européenne, mais aussi par les territoires extra-européens dont les Etats assurent la responsabilité des relations extérieures.
Au delà de ce principe de base, on entre dans les méandres complexes d’une application différenciée du droit de l’Union à d’autres territoires : les composantes ultra-marines, les pays et territoires d’outre mer de certains Etats membres, et les territoires situés aux extrêmes limites de l’UE.
Un certain nombre de ces territoires sont soumis au droit de l’Union européenne sous réserve de particularités destinées à prendre en compte la spécificité de ces territoires (éloignement géographique). Le Conseil a le pouvoir d’adopter des mesures d’adaptation du droit de l’Union.
Parfois, les spécificités sont telles que le droit de l’Union ne s’applique pas, sauf selon un régime d’association qui vise à l’établissement de relations étroites (économiques) entre l’Union européenne et ces territoires, qui n’y sont pas vraiment étrangers puisqu’ils relèvent de la souveraineté de certains Etats membres.
Enfin, il y a des territoires dans lesquels le droit de l’Union européenne ne s’applique pas (nord de la Turquie CHYPRE, où le droit de l’Union est suspendu).
Chapitre 1er : les sources normatives
Le droit primaire = l’ensemble des normes contenues dans les traités. Les institutions adoptent un nombre considérable d’actes qui en dérivent, on parle de droit dérivé.
Section 1 : le droit primaire
Se compose des clauses expresses contenues dans les traités et des apports considérables de la jurisprudence du fait de son pouvoir créateur. On prend la mesure de la diversité de ce droit primaire, mais le point commun entre ces diverses normes primaires conventionnelles et jurisprudentielles est qu’elles constituent la Constitution de l’Union.
I. La diversité du droit primaire
A) Les aspects conventionnels du droit primaire
1. La place des traités
a) La richesse des instruments conventionnels
On est en présence d’instruments de formes diverses.
– Il y a d’abord les traités au sens strict : le vieux traité EURATOM qui perdure, le TUE modifié par le traité de Lisbonne, et le TFUE qui ressemble grosso modo à l’ancien traité communautaire.
– Ils ont fait l’objet au fil du temps de modifications d’ampleur globale, mais aussi de modifications plus spécifiques :
· ainsi, il y a eu en 1965 un traité de fusion des exécutifs entre la CEE, la CECA et l’EURATOM afin que ces trois communautés se partagent les mêmes institutions “exécutives”, le Conseil et la Commission ;
· en 1970, révision des procédures budgétaires au sein du traité CEE et adoption d’un système de ressources financières propres ;
· en 1976, révision du TUE pour permettre l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct.
On ne peut pas oublier les divers traités d’adhésion sur le fondement desquels l’Union s’est élargie au cours du temps.
- Les protocoles, annexés aux traités, ont la même valeur juridique que ceux-ci. Ils en font partie intégrante des traités eux même.
- Les déclarations. On peut s’accorder sur le fait qu’elles peuvent servir d’instruments d’interprétation des traités. On distingue deux catégories :
· Celles que la conférence intergouvernementale adopte elle-même car elles recueillent l’assentiment de tous les Etats membres ; on peut y voir des accords simplifiés, ne faisant pas l’objet de ratification, ou des instruments concertés non conventionnels ;
Celles dont la conférence intergouvernementale se contente de prendre acte car elles n’émanent que de certains Etats membres seulement, elles ne reflètent nullement une intention commune à l’ensemble des Etats membres.
Au regard de la diversité de ces sources, il existe un principe d’autonomie de chaque traité par rapport à l’autre. La jurisprudence ne peut qu’appliquer ce principe car il est expressément prévu dans les clauses des divers traités.
Ainsi, le TUE comprend des dispositions particulières relatives à la PESC malgré l’effacement de la structure en piliers ; son article 40 prévoit que les dispositions relatives à la PESC n’influencent pas les dispositions du TFUE relatives aux «procédures et à l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union visées aux articles 3 à 6», c’est-à-dire :
• les compétences exclusives en matière d’union douanière, de concurrence nécessaire au fonctionnement du marché intérieur, de politique monétaire, de politique commune de la pêche, de politique commerciale commune, de conclusion d’un accord international lorsqu’elle est prévue dans un acte législatif de l’Union ou nécessaire,
• mais aussi les compétences partagées en matière de marché intérieur, de politique sociale, de cohésion économique, sociale et territoriale, d’agriculture et de pêche (sauf PCP), d’environnement, de protection des consommateurs, de transports, de réseaux transeuropéens, d’énergie, d’espace de liberté, de sécurité et de justice, de santé publique, de recherche, de développement technologique et de l’espace, de coopération au développement et de l’aide humanitaire,
• et enfin des compétences pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des Etats membres en matière de protection et d’amélioration de la santé humaine, d’industrie, de culture, de tourisme, d’éducation, de formation professionnelle, de jeunesse, de sport, de protection civile et de coopération administrative.
La jurisprudence ne s’est pas interdit d’assurer une certaine cohérence d’un traité à l’autre en en interprétant un à la lumière de l’autre :
• le traité communautaire comportait depuis l’origine un article 12 prohibant les discriminations par rapport à la nationalité ; la CJCE a considéré qu’en raison de l’importance de ce principe, il devait trouver à s’appliquer aussi dans le cadre du traité EURATOM, alors que celui-ci ne comportait pas de telle disposition ;
• concernant l’application des règles de procédure, la CJCE a admis que dans le cadre du traité communautaire, qui pourtant ne l’avait pas prévu à l’origine, le recours en annulation puisse être exercé dès 1983 contre des actes du Parlement européen (cela avait été omis car pendant longtemps, jusqu’aux années 70, le Parlement européen n’avait aucun pouvoir normatif) ;
• la CJCE s’est inspiré du traité CE, et plus précisément de la disposition qui organise un système de renvoi préjudiciel des juridictions nationales à la CJCE soit pour lui demander l’interprétation d’une norme communautaire, soit pour apprécier la validité d’un acte communautaire ; dans le cadre du traité instituant la CECA, seul le renvoi préjudiciel en appréciation de la validité d’un acte communautaire était prévu, et avec l’interprétation de la jurisprudence, le renvoi préjudiciel en interprétation d’une norme communautaire est devenu possible.
b) L’autorité des traités
Que les traités s’imposent aux actes de droit dérivé adoptés sur leur base est évident ; les traités ont donc omis de les préciser. Cette primauté vaut également à l’égard des traités internationaux conclus par l’Union.
Plus complexe est la question de l’autorité des traités de base (TU, TFUE) sur les accords internationaux conclus non pas par l’Union mais par les Etats membres. Cette question oblige à faire plusieurs distinctions, à se demander quel est l’ordre de succession entre les normes incompatibles en cause.
• Si les accords conclus par les Etats membres (entre eux ou avec des tiers) le sont postérieurement aux traités européens de base, alors ils doivent y être conformes pour pouvoir s’imposer.
•Cette règle se déduit du droit international des traités, surtout si tous les Etats membres ne sont pas parties à l’accord ; elle se déduit aussi et surtout en vertu du droit de l’Union parce que la conclusion postérieure d’accords qui comportaient des clauses incompatibles avec le droit de l’Union s’analyserait comme un manquement et pourrait valoir à l’Etat des poursuites devant la Cour de justice diligentées par la Commission.
• Si les accords ont été conclus antérieurement aux traités européens de base, cela oblige à une nouvelle distinction :
– Lorsque l’accord international en question a été conclu entre Etats membres, comme il n’y a pas de tiers concernés, en cas d’incompatibilité, l’accord international doit céder, s’effacer devant la clause contraire du traité de base. Il n’y a pas d’incompatibilité lorsque le traité de base lui-même admet l’existence de ces accords internationaux conclus antérieurement (l’article 350 du TFUE mentionne l’«union régionale», c’est l’accord du Bénélux qui est visé ici) ;
– lorsque l’accord international en question a été conclu entre Etats membres et des tiers, l’article 351 du TFUE pose en principe que les droits et obligations résultant de ces accords ne sont pas affectés par les dispositions des traités.
Ce principe de l’intégrité des accords internationaux envers les traités de base doit être nuancé : la jurisprudence de la CJCE distingue les droits et les obligations. Les Etats membres ayant conclu l’accord international sont réputés avoir renoncé aux droits qu’ils tiennent de ces accords lorsque ceux-ci sont incompatibles avec le droit de l’Union européenne.
Cela n’est pas possible en ce qui concerne leurs obligations. La CJCE admet qu’elles perdurent, mais surtout, que les Etats membres ont une obligation de moyen pour mettre un terme à ces éventuelles incompatibilités (ex : clause de dénonciation ou de retrait). Il peut arriver qu’il y ait une incompatibilité irréductible car ce n’est pas une obligation de résultat mais de moyen ; dans ce cas, c’est le pragmatisme du juge qui s’impose.
- Ainsi, un accord international prohibait le travail de nuit pour les femmes, ce qui s’opposait au principe de non-discrimination : l’accord de l’OIT continue à s’imposer car il prévoit une obligation de ne pas faire aux Etats membres qui en font partie.
- Dans l’arrêt du 3 septembre 1998 Kadi, la CJCE était confrontée à un problème lié à l’exécution par les Etats membres de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international, notamment en recourant à des retenues, à un gel des financements. Cela ne se faisait-il pas au détriment des droits de la défense ?
- La CJCE a affirmé qu’en toute hypothèse, l’article 351 du TFUE ne saurait permettre la remise en cause des principes qui relèvent du fondement même de l’ordre juridique de l’Union ; même pour accomplir leurs obligations souscrites vis-à-vis des tiers, les Etats membres ne peuvent déroger aux droits fondamentaux.
2. La révision des traités
a) Les procédures de révision
1) La procédure ordinaire
Avant le traité de Lisbonne, c’était la même procédure pour tous les traités de base selon l’article 48 du traité UE. La Commission ou tout gouvernement d’un Etat membre peut soumettre au Conseil de l’Union un projet de révision des traités. Le Conseil consulte le Parlement européen et la Commission ou, si elle est concernée, la Banque centrale européenne.
Sur la base de ces avis, le Conseil prend sa décision : s’il est d’accord, il convoque une conférence inter-gouvernementale (CIG) chargée d’arrêter les amendements au traité.
La révision devait ensuite faire l’objet d’une ratification selon les règles constitutionnelles propres à chaque Etat membre dans chacun d’entre eux.
Le traité de Lisbonne apporte quelques modifications :
- le Parlement européen était mis à l’écart ; désormais, il a le pouvoir de présenter des projets ;
- l’article 48 du TUE précise que ces projets de révision peuvent tendre à accroître ou à réduire les compétences de l’Union. Cela porte un coup fatal au dogme européen de l’engrenage, la fuite en avant (on ne cessait jamais les révisions dans le sens de la construction européenne) ; désormais, on peut revenir sur des attributions de compétences qui ont été accordées ;
- les parlements nationaux se voient notifiés des projets dont le Conseil est saisi ;
- le Conseil européen consulte le Parlement, la Commission et éventuellement la BCE, et s’il se montre favorable au projet de révision, il constitue et convoque une convention chargée d’élaborer plus précisément le texte de la révision.
Malgré l’échec du traité constitutionnel de 2005, basé sur cette procédure, on s’aperçoit que le traité de Lisbonne retient l’idée d’une révision des traités qui ne serait plus uniquement l’affaire des gouvernements des Etats. Mais cela est tempéré par le fait que le Conseil européen peut aussi décider de ne pas recourir à la procédure de la convention, d’en revenir au système classique de la conférence inter-gouvernementale, lorsqu’il estime que l’ampleur des modifications à apporter au traité ne justifie pas le recours à la convention.
2) Les procédures simplifiées
Elles existaient déjà dans le cadre du traité CE : le traité de Lisbonne conserve les cas de révision simplifiée existant déjà avant, auxquels il ajoute deux nouvelles procédures.
Elles sont plus ou moins simplifiées par rapport à la révision ordinaire, selon qu’elles permettent ou non de faire l’économie de la phase par laquelle se termine toujours une révision, c’est-à-dire la ratification étatique par les États membres selon leur procédure constitutionnelle propre. Les États conservent le dernier mot, et chacun d’eux a un droit de véto.
• Les procédures simplifiées avec ratification étatique
Ces procédures simplifiées avec ratification étatique existaient avant le traité de Lisbonne qui les a maintenu. Elle permettent de réviser tel ou tel point des traités de base selon une procédure simplifiée.
La révision ne donne pas lieu à la rédaction d’un traité en bonne et due forme dans le cadre d’une conférence inter-gouvernementale ou d’une convention, mais à une délibération au sein du Conseil qui adopte à son issue une décision, qui révisera la traité.
L’acte dont il est question n’a rien à voir avec les actes de droit dérivé qui prennent le nom de décision car celle-ci ne pourra entrer en vigueur qu’après avoir fait l’objet d’une ratification par chacun des Etats membres.
Illustrations :
• il était prévu pour la communautarisation partielle du troisième pilier qu’elle aurait pu se poursuivre de façon simplifiée par une décision du Conseil soumise à ratification étatique ;
• la même procédure a été prévue et maintenue par le traité de Lisbonne pour compléter les droits attachés à la citoyenneté de l’Union ;
• pour la mise en place de ressources propres au budget de l’Union : en 1970, le budget de la Communauté n’a plus été nourri par les contributions des Etats membres, mais par des ressources fiscales propres ;
• c’est par une décision du Conseil soumise à ratification que peut être définie une procédure électorale uniforme pour l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct ; c’est ainsi qu’en 1976 fut adoptée la réforme du mode d’élection du Parlement, désormais directement élu par les peuples européens.
Le traité de Lisbonne conserve tous ces cas de procédure de révision antérieurs. Il ajoute une nouvelle procédure de révision simplifiée de portée beaucoup plus générale puisqu’elle permettra d’adopter des dispositions nouvelles modifiant les traités relatives aux politiques et actions internes de l’Union.
C’est le même genre de procédure qui s’appliquera, mais avec un objet beaucoup plus large. En compensation, le traité de Lisbonne précise qu’elle ne peut conduire à accroître les compétences de l’Union, c’est-à-dire qu’il faut nécessairement en passer par la procédure de révision ordinaire.
• Les procédures simplifiées sans ratification étatique
Elles existaient avant le traité de Lisbonne : c’est ainsi que peut être révisé l’essentiel du protocole annexé au traité relatif au statut de la CJCE. La révision du statut de la Cour était opérée par le Conseil statuant à l’unanimité, chaque Etat avait un droit de véto, mais désormais, elle est adoptée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée avec le Parlement.
Mais ce système connaît une véritable consécration dans le traité de Lisbonne : il institue tout d’abord des clauses passerelles de portée générale, ce sont deux dispositions de l’article 48 qui sont mises en oeuvre par le Conseil européen statuant à l’unanimité.
• Par ces décisions, il peut décider de remplacer la règle du vote à l’unanimité prévue dans les traités par une règle de vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil. Elle peut avoir lieu par simple décision du Conseil européen, sans recourir à la ratification ensuite par les Etats membres.
• La même clause passerelle existe pour permettre le passage d’une procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire : le traité prévoit que les institutions peuvent adopter des actes législatifs, actes adoptés en collaboration par le Conseil et le Parlement européen. La procédure est spéciale dès lors qu’elle fait intervenir le Parlement européen pour demander son avis, son approbation ou son amendement. L’acte adopté en co-décision l’est adopté de concert par le Conseil et le Parlement.
•Cette clause passerelle permet au Conseil européen à l’unanimité, sans autre formalité, de substituer dans tel ou tel cas les procédures législatives spéciales à la procédure législative ordinaire.
Ces deux clauses passerelles requièrent l’accord du Parlement européen, il n’y a pas de procédure de ratification étatique, mais les parlements nationaux sont informés de la décision du Conseil de les mettre en oeuvre, et chacun d’eux dispose du droit propre de s’y opposer.
Le traité de Lisbonne ajoute une clause passerelle spécifique car elle est applicable pour la seule révision des dispositions relatives au droit de la famille, dès lors que ces mesures ont une incidence transfrontalière. Dans ce cas, les traités prévoient en la matière que les institutions statuent en adoptant des actes législatifs selon une procédure législative spéciale de simple consultation du Parlement européen.
En vertu de la clause passerelle spécifique, le Conseil peut décider de remplacer la procédure législative spéciale par la procédure législative ordinaire, qui accroît le rôle du Parlement européen.
Il en va différemment de clauses passerelles sectorielles.
b) La question des limites au pouvoir de révision
Il y a, à tout le moins, une limitation ou un encadrement procédural de la révision : les Etats membres ne sauraient réviser les accords entre eux en dehors des formes prévues. Ces diverses procédures de révision ne sont pas interchangeables, chacune a son champ d’application propre. Cela n’exclut pas le fait que de simples pratiques s’imposent aux traités : c’est l’exemple du compromis du Luxembourg, au terme duquel la règle de vote à l’unanimité du Conseil a été transformée pour un vote à la majorité qualifiée.
N’y a-t-il pas des limites matérielles, des limites de fond ? Tout est-il révisable dans les traités, ou bien y a-t-il des normes intangibles ?
Les traités sont l’oeuvre libre des Etats souverains. Il faut s’intéresser à l’avis 1-91 qui portait sur un projet d’accord international que la Communauté envisageait de conclure pour mettre en place un espace économique européen.
Il prévoyait la mise en place d’une juridiction propre à cet espace, mais la CJCE a émis une objection en faisant valoir que cet accord ne prévoyait pas l’obligation pour cette juridiction nouvelle d’interpréter les clauses de l’accord sur cet espace, comparables par leur objet aux articles du traité CE, dans un sens conforme à l’interprétation retenue par elle-même. Elle y voyait un projet d’accord qui ressemblait à de nombreux égards au traité CE, mais qui serait resté libre d’interpréter les clauses sans tenir compte de sa propre interprétation. La Cour poursuit en affirmant que la révision du traité CE qui serait nécessaire pour surmonter cette incompatibilité ne saurait remédier à cette incompatibilité.
Dans une seconde bouture, ce projet d’accord a renoncé à créer une juridiction nouvelle, et c’est ainsi que l’accord a pu être conclu, sans réviser le traité. Il y avait donc dans le traité CE des clauses intangibles, non révisables, qui accordent le monopole de l’interprétation et de l’application du présent traité à la CJCE. Cela a entraîné deux faux sens :
• quand la Cour a affirmé qu’elle ne permettrait pas cela, elle ne voulait pas dire que toute révision des traités était interdite, mais que ce projet en question n’était pas adapté ; elle ne voulait donc pas dire qu’il y avait des limites matérielles ;
• cinq ans plus tard, dans un avis 2-94 rendu en 1996, il s’agissait d’un projet d’accord international d’adhésion de la Communauté à la CESDH, dotée d’une juridiction propre, la Cour de Strasbourg. La CJCE risquait de se trouver face à une juridiction concurrente, la CEDH. Elle a émis un avis négatif, soulignant que ce projet revêtait une envergure institutionnelle nécessitant une révision des traités, mais à aucun moment, elle n’a laissé entendre que cela était impossible.
On s‘est demandé si l’acquis communautaire était une limite de la révision des traités. Celui-ci veut qu’ils soient par principe non révisables, maintenus et développés. Deux remarques viennent contredire cette interprétation de l’acquis communautaire :
• lorsque les traités antérieurs affirmaient la nécessité du maintien et de l’accroissement de l’acquis, ce n’était pas une prescription juridique ;
• et même si cela en avait été une, on voit mal sur quel fondement les Etats auraient pu s’interdire à l’avenir de défaire par la révision ce qu’ils avaient fait depuis des années.
La jurisprudence a admis qu’en vertu d’une clause expresse des traités, une compétence attribuée à la Communauté pourrait être restituée aux Etats. Un tel retour en arrière ne peut être implicite, mais il est possible de revenir sur un acquis communautaire.
Le traité de Lisbonne confirme tout à fait cela, puisque la révision des traités peut tendre à l’accroissement ou à la réduction des pouvoirs de l’Union.
B) Les aspects jurisprudentiels du droit primaire
Le droit de l’Union n’échappe pas au pouvoir créateur de la jurisprudence. La CJCE a trouvé l’occasion de laisser se déployer tout son zèle interprétatif.
L’interprétation créatrice vaut tant pour le droit primaire que pour le droit dérivé, mais elle a revêtu ses aspects les plus saillants pour le droit primaire, elle en a été un puissant facteur d’évolution.
La CJCE a été à l’origine d’une œuvre prétorienne monumentale, les principes généraux communautaires.
1. La jurisprudence, facteur d’évolution du droit primaire
a) Les méthodes audacieuses d’interprétation du juge communautaire
La CJCE a mobilisé des méthodes d’interprétation très audacieuses chaque fois qu’elle s’est trouvée face à une clause des traités qui lui a paru insuffisante, du fait de divergences linguistiques, ou parce que sa rédaction ne permettait pas de servir le but d’intégration poussée qu’elle entendait servir.
Elle n’a pas inventé de méthodes nouvelles de toute pièce, mais a utilisé les méthodes classiques, en poussant leur logique au point ultime du service de l’interprétation.
Ex : le principe de l’effet utile écarté au profit de l’interprétation maximaliste.
L’interprétation téléologique consiste à interpréter un texte à la lumière du but qu’il vise ou qu’on lui assigne. Au sens des organisations internationales, c’est une méthode subsidiaire quand l’interprétation littérale ne suffit pas, ou à la rigueur au soutien de celle-ci, alors que selon la Cour, elle s’y substitue dès que nécessaire.
L’interprétation systémique consiste à interpréter un énoncé à la lumière de son concept, pour retenir l’interprétation la plus cohérente. Au sens de la CJCE, contrairement aux organisations internationales, elle peut aller à l’encontre de l’interprétation littérale, et ne fait pas seulement appel au contexte normatif proche de la clause, mais à un contexte entendu au sens large.
b) Les apports considérables de la jurisprudence communautaire
Pendant les vingt-trente premières années de la construction européenne, la Cour a fait preuve d’un véritable activisme jurisprudentiel, on parlait de révision judiciaire des traités. La CJCE a fait un usage très intensif de ces méthodes.
Elle s’est transformée en véritable moteur de l’intégration, c’est elle qui a permis le développement de l’intégration et l’approfondissement de l’intégration communautaire car elle en jetait les bases qui figuraient mal dans les traités.
- Ainsi, le principe de primauté du droit communautaire sur les droits étatiques ne figure pas dans les traités, mais la Cour l’a quand même consacré.
- Le principe de l’effet direct, qui permet à certaines normes de créer directement des obligations, sans avoir besoin pour cela de mesures internes de mise en oeuvre, a été étendu à d’autres actes que les règlements, jusqu’à en faire une règle de principe.
- Elle a contribué au développement de la théorie des compétences implicites.
Cette période d’activisme est-elle toujours d’actualité ? Non, elle a cessé à la fin des années 80, et ce pour deux raisons :
• vient un temps où la marge d’invention se réduit au fil des progrès de la jurisprudence ;
• la Cour de justice a “levé le pied” précisément au moment où les traités ont commencé à faire l’objet de révisions régulières et globales (à partir de l’Acte unique de 1986) ; en effet, tant que l’on s’en tenait aux traités dans leur version originelle de 1957, la construction communautaire risquait fort de stagner ; la Cour de justice, faute de voir les réformes nécessaires au développement de la construction communautaire, a pris les devants.
•Dès lors que les pouvoirs se sont investis de ce devoir, il n’y avait plus de raison que la Cour de justice conserve ce pouvoir : c’est l’arrêt du 25 juillet 2002 Union des petits agriculteurs relatif au recours en annulation : il est ouvert au requérant institutionnel, ainsi qu’aux particuliers, à la condition qu’ils justifient d’un intérêt à agir, c’est-à-dire qu’ils soient directement affectés par cet acte dont ils demandent l’annulation. La Cour de justice a considéré que le critère du lien individuel était prévu par le texte du traité CE en son article 230, et que s’il devait être question d’assouplir ce critère ou de le supprimer, cela ne relevait nullement de l’office du juge mais de la Constitution.
•La Cour de justice met donc les clefs en main des Etats, c’est à eux d’assumer les changements qu’ils requièrent.
Les audaces de la Cour de justice sont moins nombreuses mais elles sont acquises.
2. La jurisprudence, source de principe généraux du droit communautaire
Ces principes généraux ont une origine jurisprudentielle, qui est un acte de droit dérivé ; mais les arrêts de principe font jurisprudence, et le principe général consacré à cette occasion ne relève pas du droit dérivé mais du droit primaire, tout comme les traités. Cela s’explique pour plusieurs raisons :
- les principes généraux partagent avec les traités une fonction de structuration de l’ordre juridique communautaire, ils en sont indissociables, c’est l’ensemble qui constitue le droit primaire et la Constitution du droit de l’Union ;
- ils sont consubstantiels aux traités, il est donc logique qu’ils partagent avec les traités la même valeur juridique suprême.
Les principes généraux, lorsqu’ils touchent aux droits fondamentaux, figurent dans les traités en plus d’être des principes jurisprudentiels (selon l’ancien article 6 du traité UE).
Ces principes, en conséquence, s’imposent à l’ensemble des normes de droit dérivé, et donc des institutions, mais aussi aux Etats membres lorsqu’ils exécutent le droit de l’Union, et quand ils agissent dans le champ d’application du droit de l’Union.
Ainsi, le Conseil d’Etat n’a pas hésité, dans l’arrêt du 3 décembre 2001 Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, à admettre la primauté des principes généraux du droit communautaire sur la loi nationale, en précisant qu’il s’agit de la primauté des principes généraux ayant la même valeur juridique que le traité.
En conséquence, que se passerait-il en cas de conflit ? Faute de hiérarchie entre les deux, la seule solution consisterait en leur conciliation, et c’est bien la logique retenue par la Cour de justice dans un arrêt du 12 juin 2003 Schmidberger : il y avait un conflit entre le principe de libre circulation des marchandises et la liberté de manifester.
La Cour n’invente pas ces principes généraux, le juge s’inspire de l’idée de droit (Georges Burdeau). Elle les a puisé dans des sources diverses.
a) Les sources endogènes des principes généraux
Elles se dédoublent : la Cour a puisé à la source des traités eux-mêmes (malgré parfois le silence des traités) et à la source des droits des Etats membres.
1) Les principes inspirés des traités eux-mêmes
Quelques exemples :
- le principe de l’effet direct existait déjà à propos des règlements, et la Cour l’a étendu bien au delà ;
- le principe de coopération loyale a été généralisé alors qu’il avait une portée restreinte ;
- le principe d’égalité entre hommes et femmes.
La Cour créé cela dit de réels principes :
- le principe de primauté a été créé de toute part ;
- le principe de l’équilibre institutionnel, en vertu duquel la Cour de justice tranche les conflits de compétence entre institutions, les problèmes d’irrégularité procédurale d’adoption des actes juridiques, ne figurait pas dans les traités, la Cour l’a énoncé.
2) Les principes inspirés des droits des États membres
La Cour n’a pas totalement inventé cette source puisque dans le domaine de la responsabilité, le traité de Rome et celui de Lisbonne prévoient qu’en matière de responsabilité extra-contractuelle de la Communauté, celle-ci devait réparer les conséquences dommageables de ses actes conformément aux principes généraux communs aux droits des Etats membres.
Pour élaborer la jurisprudence en matière de responsabilité de la Communauté, la Cour était fermement et expressément invitée à s’inspirer de la jurisprudence administrative existant dans les Etats membres.
La Cour a généralisé cette méthode pour élever au rang de principes généraux de droit communautaire des principes importants dans de nombreuses législations : elle travaille sur la base du droit comparé.
Il est arrivé que la Cour consacre des principes comme principes généraux du droit alors qu’elle n’en avait trouvé l’expression que dans un très petit nombre d’Etats membres : c’est le cas du principe de confiance légitime, qui n’existe pas formellement en droit français mais seulement en droit allemand.
Sur la base de ces deux sources endogènes, la moisson des principes généraux communautaires a été considérable.
- Il y a d’abord les principes consacrant des droits fondamentaux inspirés des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres.
- Il y a d’autres principes généraux du droit, tels que le principe de confiance légitime, le principe de la prohibition de l’abus de droit (1999), le principe de proportionnalité, le principe d’accessibilité et de clarté de la règle de droit, le principe de non-rétroactivité des règles de droit, le principe de bonne administration et le principe de continuité du service public.
b) Les sources exogènes des principes généraux
Elles proviennent du fait que l’Union est un sujet de droit international doté de la personnalité juridique, soumise au droit international et aux coutumes internationales.
Le droit communautaire devrait-il demeurer totalement imperméable aux coutumes internationales ? Il faut distinguer deux niveaux d’analyse.
1) Les coutumes internationales sont-elles applicables à l’Union Européenne en sa qualité de sujet de droit international ?
Oui, on ne voit pas pourquoi l’Union serait le seul acteur international à en être dispensé. Mais cela a tardé à être consacré par la jurisprudence de façon très nette, cela n’est venu qu’au moment où la Cour a pu trancher cette question. C’est l’arrêt Racke du 16 juin 1998 dans lequel elle affirme que les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit coutumier international qui lie les institutions et fait partie de l’ordre juridique (à propos de la règle pacta sunt servanda).
Auparavant, la Cour avait admis qu’un certain nombre de coutumes internationales puissent s’appliquer à la Communauté, telles que le principe général de bonne foi, le principe de loyauté, qui est l’expression particulière du premier, mais aussi le principe de l’effet relatif des conventions en vertu duquel il ne lie que les parties et n’a d’effets ni favorables ni défavorables.
2. Les coutumes internationales sont-elles susceptibles de régir les relations intra-européennes ?
La Cour s’est montrée beaucoup plus prudente : elle n’a pas exclut que la coutume internationale ait une telle portée, mais elle n’accepte l’inclusion de celle-ci dans les rapports intra-européens que sous bénéfice d’inventaire, elle fait le tri, et ce en fonction de la compatibilité du principe coutumier avec la spécificité de l’ordre juridique de l’Union.
C’est ainsi par exemple qu’elle a admis l’applicabilité aux relations intra-communautaires du principe de droit international selon lequel un Etat ne peut refuser l’accès à son territoire de ses propres ressortissants.
En revanche, elle a catégoriquement refusé la réserve de non-réciprocité, et ce :
- en raison de la nature même du droit de l’Union, qui ne créé pas uniquement des rapports entre Etats mais qui prévoient des droits et obligations en direction des particuliers,
- car les traités ont prévu depuis l’origine une procédure en cas de manquement d’un Etat à ses obligations, avec une sanction juridictionnelle ; c’est l’arrêt du 13 novembre 1964 Commission c./ Luxembourg et Belgique.
Ce droit primaire constitue la «Constitution» de l’Union.
II. L’objet du droit primaire comme “Constitution” matérielle de l’Union
Il n’y a pas formellement de Constitution pour deux raisons :
- la constitution est l’acte fondateur d’un État ; l’Union n’est pas un État ; l’Union n’a donc pas de constitution ;
- une constitution est un acte unilatéral, alors qu’un traité est un acte multilatéral, il y a donc une spécificité de chacun de ces actes.
Dans les deux cas, ces objections peuvent être remises en cause (article 16 de la DDHC, assimilation d’une constitution à un pacte et non à un acte unilatéral). La seule objection pertinente est que l’Union n’est pas une entité titulaire de la souveraineté qui lui permettrait d’exercer le pouvoir constituant.
A) L’enracinement progressif de l’Union de droit
Le droit primaire enrichie les principes généraux du droit communautaire, c’est un droit où se sont épanouis ces grands principes. Le droit primaire d’origine jurisprudentielle est tardivement consacré dans les traités (article 6§3 du TUE), il remplit la seconde fonction d’une constitution entendue au sens d’aujourd’hui, celle de garantir les droits, à telle point que l’Union a pu se présenter comme un Etat de droit, il faut parler d’Union de droit désormais.
1. La consécration jurisprudentielle des droits fondamentaux
Une telle consécration n’était pas gagnée d’avance car les traités se fichaient de la protection des droits fondamentaux aux origines. Il s’agissait de mettre en place un marché concurrentiel ouvert : seuls les principes qui intéressaient ce dessein justifiaient leur consécration, comme le principe de non-discrimination en raison de la citoyenneté.
Les Cours constitutionnelles allemande et italienne, à la fin des années soixante, ont dénoncé cette lacune des traités en matière de protection des droits fondamentaux : s’est alors enclenché un processus de consécration jurisprudentielle de ces principes auprès de la Cour de justice (avec des arrêts en 1969 et 1970), puis, s’en est suivi dans un second temps un phénomène de confirmation de ces droits fondamentaux qui, pendant quinze-vingt ans, n’ont eu qu’une réalité jurisprudentielle.
a) Le processus à l’œuvre
Ce processus de consécration jurisprudentielle n’a pas suffit à calmer les craintes des Cours constitutionnelles allemande et italienne puisqu’au milieu des années 70, chacune d’elles a adopté une jurisprudence de fronde contre les normes de droit communautaire susceptibles d’être adoptées et d’entrer en vigueur en violation des droits fondamentaux.
- C’est ainsi que dans son arrêt du 27 décembre 1973 Frontini, la Cour constitutionnelle italienne affirmait que les normes communautaires ne pourraient pas s’imposer dans l’ordre juridique italien dès lors qu’elles violeraient les principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel italien.
- Même chose dans son arrêt du 29 mai 1974 Solange I, où la Cour constitutionnelle allemande a affirmé qu’elle refuserait d’accorder le bénéfice de la primauté sur les normes internes aux normes communautaires tant que l’ordre juridique communautaire ne garantirait pas un niveau comparable de protection des droits fondamentaux.
La Cour de justice en a été stimulée, et s’est attachée dans les années suivantes à rassurer les Cours constitutionnelles et à développer une jurisprudence très fertile en la matière. Dans le mutisme des traités, elle a dû cumuler deux sources d’inspiration :
- les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres : elle s’est estimée tenue de puiser à cette source pour en déduire des principes généraux du droit communautaire garantissant les mêmes droits fondamentaux que dans les ordres constitutionnels des Etats ;
- les indications fournies par les instruments internationaux auxquels les Etats membres ont adhéré :
– dans le cadre de l’ONU : la DUDH, adoptée en 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966,
– dans le cadre du Conseil de l’Europe (institution distincte des communautés et désormais de l’Union européenne) : la CESDH, qui revêt une signification particulière car elle a été ratifiée par tous les Etats membres de la Communauté à l’époque (c’est désormais un passage obligé avant toute adhésion future).
La Cour de justice s’inspirant de la CESDH, il en résulte que celle-ci fait l’objet d’une interprétation par la CEDH mais aussi par la Cour de Luxembourg : peuvent donc apparaître des divergences d’interprétation. Ce fut le cas en matière de consécration de l’inviolabilité du domicile ; il était question de savoir si cette inviolabilité s’étendait aux locaux professionnels, en particulier aux sièges sociaux : la CEDH acceptait l’extension du champ d’application, alors que la Cour de justice s’y opposait. Celle-ci a dû se raviser et suivre l’interprétation large du champ d’application de l’inviolabilité du domicile dégagée par la CEDH.
Ces divergences sont rares car le dialogue des juges est réel : la CEDH n’hésite pas à s’inspirer de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg pour hisser son propre niveau de protection des droits fondamentaux ; ce fut récemment le cas par rapport à l’adage non bis in idem (il ne doit pas y avoir deux sanctions pour la même faute), puisque la CEDH s’est alignée sur l’interprétation restrictive de la Cour de justice ; cette dernière n’est donc pas indifférente à la jurisprudence de la CEDH.
En puisant dans ces deux sources constitutionnelles et conventionnelles, la Cour de justice est parvenue à ériger un corpus de droits fondamentaux qui a fini par convaincre les Cours constitutionnelles allemande et italienne. Cela a donné corps à une communauté de droits dans l’arrêt du 23 avril 1986 Parti écologiste les Verts c./Parlement européen.
• Dans l’arrêt du 8 juin 1984 Granital, la Cour constitutionnelle italienne est revenue sur sa position initiale de l’arrêt Frontini.
• Ce fut la même chose en Allemagne puisque la Cour constitutionnelle a, dans son arrêt du 22 octobre 1986 Solange II, inversé la proposition de 1974 : désormais, la Cour énonce qu’elle ne fera pas obstacle à la primauté des normes communautaires sur les normes internes aussi longtemps que le niveau communautaire de protection des droits fondamentaux sera équivalent à celui prévalant dans l’ordre juridique allemand.
•Elle n’exige donc pas un niveau identique au cas par cas, mais un niveau comparable pour l’essentiel à celui requis par l’ordre constitutionnel allemand.
b) L’oeuvre accomplie
Elle est considérable, et l’on peut dresser une liste selon deux catégories des droits fondamentaux consacrés par la Cour en tant que principes généraux du droit communautaire :
• les droits substantiels, qui comprennent les libertés fondamentales que doit affirmer, reconnaître et garantir la Cour de justice ; entre autres, la liberté religieuse, la liberté d’association, la liberté syndicale, le droit au respect de la vie privée, le droit au respect de l’inviolabilité du domicile, la liberté d’expression, le principe de dignité de la personne, le principe de non-discrimination (qui implique le traitement différent de situations identiques) ;
• les droits formels, relatifs aux conditions de mise en oeuvre des droits, avec le principe de non-rétroactivité de la loi pénale (sauf plus douce), les droits procéduraux, c’est-à-dire les droits d’action en justice destinés à obtenir la garantie par le juge des droits substantiels (principe du contradictoire, droit au procès équitable, droit au juge, présomption d’innocence).
Ces droits fondamentaux s’imposent à l’Union, mais lient également les Etats membres lorsque ceux-ci mettent en oeuvre le droit de l’Union et lorsqu’ils agissent au delà du secteur du droit de l’Union sans le mettre en oeuvre au sens strict. En revanche, ils n’y sont pas tenus lorsqu’ils mettent en oeuvre leurs compétences exclusives.
Pendant longtemps, ces droits fondamentaux sont demeurés de simple nature jurisprudentielle, avant d’être confirmés conventionnellement.
2. La confirmation conventionnelle des droits fondamentaux
Dès 1977, les institutions ont adopté une déclaration commune en ce sens, qui s’analyse au mieux comme un accord inter-institutionnel, et qui n’a pas la valeur des traités. Les Etats membres ont imposé de fait à tout candidat à l’adhésion future qu’il respecte les droits fondamentaux avant même de devenir un Etat membre. C’est l’ensemble de ces droits fondamentaux qui a fait l’objet d’une consécration explicite dans le texte des traités, et ce de deux façons complémentaires :
• la jurisprudence communautaire a bénéficié d’une clause en confirmant et en consolidant les acquis ;
• les références aux droits fondamentaux se sont diversifiées.
a) La consolidation de la jurisprudence de la Cour de justice
Cette consolidation est l’apport du traité de Maastricht de 1992 qui a intégré l’article F§2 (puis 6§2 après le traité d’Amsterdam) dans le traité sur l’Union. C’est la synthèse de vingt ans de jurisprudence. Désormais, il n’est plus nécessaire de connaître la jurisprudence pour comprendre le mécanisme.
Le traité d’Amsterdam est allé plus loin et a permis à la Cour de justice de se fonder sur cet article 6§2 pour promouvoir les droits fondamentaux dans la mesure de la compétence que lui reconnaissaient les traités CE et UE. Le fait de donner compétence à la Cour de justice pour le mettre en oeuvre peut sembler insignifiant, mais en réalité, cela présente deux effets importants :
• pour la première fois, la Cour de justice dispose d’un titre explicite de compétences pour garantir les droits fondamentaux, et notamment interpréter à cette fin la CESDH ;
• jusqu’alors, elle avait développé sa jurisprudence dans le cadre du pilier communautaire, mais avec le traité d‘Amsterdam, la Cour de justice venait d’acquérir une compétence pour statuer dans le cadre du troisième pilier désormais réduit à la coopération policière et judiciaire en matière pénale ; ce cadre procédural est certes moins favorable mais c’est mieux que rien ; en effet, l’extension de l’office de la Cour de justice comme juge des droits fondamentaux par rapport au contenu du III ème pilier constitue une avancée considérable.
Depuis le 1er décembre 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il reprend la formule de l’article 6§2 du traité UE et est devenu l’article 6§3. Il confirme la codification antérieure, la consolidation antérieure de la jurisprudence communautaire, et celle-ci s’accompagne de deux progrès :
• le premier résulte de la formulation même de l’article :
– avant, l’article énonçait «l’Union respecte», formulation dont on pouvait déduire les obligations de l’Union et de ses institutions, mais qui laissait planer la question de savoir si elles s’imposaient aussi aux Etats membres, même s’il n’y avait aucune raison d’en douter ;
– désormais, l’article prévoit que «les droits fondamentaux font partie du droit de l’Union», ce qui signifie qu’ils s’imposent autant aux institutions qu’aux Etats, il n’y a donc plus aucune doute pour son application aux Etats membres ;
• le second est une conséquence particulière de l’effacement de la structure en piliers : la coopération en matière pénale obéit désormais au droit commun ; avant le traité de Lisbonne, la Cour de justice n’avait pas de droit de cité dans le cadre de la PESC, qui conserve une très grande spécificité car il n’y a toujours pas d’office de la Cour de justice dans ce domaine.
•L’article 275 du TFUE prévoit que les personnes physiques ou morales peuvent exercer des recours en annulation contre les décisions européennes adoptées au titre de la PESC qui prévoient des mesures restrictives à leur encontre.
La protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union européenne passe toujours par le prisme du droit communautaire et de ses principes généraux.
b) La diversification des références aux droits fondamentaux
Le traité de Maastricht a fait de la promotion des droits de l’homme un objectif de la coopération politique au développement.
Le traité d’Amsterdam a eu un apport plus considérable encore : l’article 6 s’est enrichi d’un §1er formulé comme suit «l’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’Etat de droit» (il s’agit maintenant de l’article 2 du TUE modifié), tout en explicitant davantage en quoi consistaient ces principes fondamentaux de l’Union appelés désormais valeurs de l’Union.
Leur respect est la condition explicite de l’adhésion d’un nouveau candidat à l’Union, et leur violation est susceptible de donner lieu à une procédure politique de suspension contre l’Etat membre (y compris suspension du droit de vote du représentant au sein du Conseil).
Il prévoit aussi une compétence spéciale pour lutter contre un certain nombre de discriminations.
Enfin, il a aussi fait une référence appuyée aux droits sociaux fondamentaux tels qu’énoncés dans la Charte sociale européenne de 1961 et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux (qui n’a pas de force juridique contraignante).
C’est donc un bilan positif par rapport à la lacune originelle mais pourtant, il est question depuis les années 90 de parachever cette Union de droit, sans pour autant renier les acquis de la jurisprudence communautaire.
B) Le parachèvement recherché de l’Union de droit
Ce parachèvement de l’Union de droit s’est caractérisé par la création d’une agence des droits fondamentaux dont le siège est à Vienne et qui, sans le moindre pouvoir contraignant, diffuse les informations requises en matière de droits fondamentaux, et constitue un attribut de coordination.
Deux moyens ont été imaginés pour parachever l’Union de droit :
• l’adhésion de la Communauté européenne (nouvellement Union) à la CESDH, ce qui a été écarté par la Cour de justice,
• la dotation de l’Union d’une Charte des droits fondamentaux pour rendre plus visible encore la clause de consolidation de la jurisprudence ; elle a été élaborée en 1999 et proclamée en 2000. Cette voie était conçue comme le moyen de remédier à la première solution, et le traité de Lisbonne a choisi de cumuler les deux moyens.
1. La perspective de l’adhésion de l’Union à la CESDH
Quel est l’enjeu et la portée d’une telle perspective d’adhésion ? Un point est acquis depuis longtemps : la CESDH sert de source d’inspiration à la jurisprudence de la Cour de justice pour consacrer et promouvoir comme principes généraux du droit communautaire des droits fondamentaux proclamés par la Convention et garantis par la CEDH.
Ce n’est pas une source formelle du droit de l’Union européenne car la Convention est un instrument international qui n’est pas directement intégré à l’ordre juridique de l’Union, puisque celle-ci n’est pas partie à cette convention. Ainsi, les droits qu’elle protège ne sont pas garantis par le droit de l’Union européenne, mais seulement par le prisme des droits fondamentaux.
Cette question de l’adhésion a été envisagée avant que l’Union ne se substitue à la Communauté. Cette solution a été écartée par la Cour de justice dans l’avis important du 28 mars 1996 2-94 où la Cour de justice était saisie d’un avant-projet d’accord d’adhésion de la Communauté à la CESDH.
a) L’adhésion de la Communauté écartée par la CJUE
Dans cet avis de 1996, la Cour de justice avance deux motifs juridiques :
• aucune disposition des traités ne donne compétence à la Communauté pour édicter des règles générales en matière de protection des droits fondamentaux, et donc pour conclure des traités en la matière ;
• cela entraînerait un changement substantiel du régime de protection des droits communautaires et fondamentaux d’instaurer la Communauté dans un ordre institutionnel distinct ; cela entraînerait un bouleversement d’envergure constitutionnelle qui ne pourrait être possible qu’après une révision préalable du traité communautaire.
L’hostilité de la Cour de justice était prévisible en raison des effets néfastes que pouvait avoir l’adhésion sur l’autonomie de l’ordre juridique communautaire par rapport à celui de la Convention, ainsi que sur le statut de la Cour de justice, soumise alors à la concurrence de la Cour de Strasbourg.
Tant que la Communauté n’adhérait pas à la CESDH, la Communauté en tant que telle ne pouvait être attrait devant la CEDH ni jugé par elle ; bien entendu, cela ne signifiait pas que la CEDH ne pouvait pas se prononcer sur la conformité du droit communautaire à la Convention. Au contraire, elle le faisait depuis longtemps en jugeant le respect des droits fondamentaux de la CEDSH par les Etats membres lors de la mise en oeuvre par ceux-ci du droit communautaire.
• Dans l’arrêt du 18 février 1999 Matthews c./Royaume-Uni, la CEDH a jugé la conformité à la Convention des modalités d’organisation des élections européennes par le Royaume-Uni à Gibraltar : la Cour avait admis qu’elles relevaient du droit de suffrage protégé par la Convention qui prévoyait le droit pour les citoyens de participer à l’élection du corps législatif à intervalles réguliers.
• Dans l’arrêt du 30 juin 2005, la CEDH a constaté que le niveau de protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire était équivalent aux standards conventionnels de protection de ces droits, sans exclure toutefois qu’un conflit puisse exister à l’avenir.
•La CEDH n’est pas compétente pour statuer sur le respect par l’Union européenne et ses institutions des droits fondamentaux. Des requérants ont essayé d’agir contre tous les Etats membres en même temps, et la CEDH a estimé qu’un jour ou l’autre se poserait la question de savoir si elle avait la compétence de le faire.
On ne peut donc exclure que la CEDH soit érigée en Cour suprême de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’où la nécessaire hostilité de la Cour de justice.
b) L’adhésion de l’Union prévue par le traité de Lisbonne
Le traité de Lisbonne surmonte l’obstacle que constitue l’avis 94 et prend au mot la Cour de justice qui disait qu’une révision des traités pourrait rendre possible cette adhésion.
C’est ce que dit l’article 6§2 nouveau en usant de la formule «l’Union adhère», qui pourrait laisser penser que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne devait avoir ipso facto pour effet cette adhésion ; ce n’est évidemment pas le cas car il faut réviser la CESDH, ainsi qu’obtenir l’accord des vingt Etats parties à la Convention n’étant pas membres de l’Union européenne, tout comme l’accord des vingt-sept Etats membres de l’Union européenne.
L’article 6§2 présente donc une possibilité subordonnée à la conclusion par l’Union d’un accord international sur décision du Conseil avec approbation du Parlement européen (selon l’article 218 du TFUE).
La procédure d’adhésion et de conclusion de cet accord d’adhésion s’écarte de la procédure prévue par le traité constitutionnel, et ce sur deux points, qui rendent l’aboutissement du processus d’adhésion plus aléatoire :
• la décision du Conseil devra être prise à l’unanimité au lieu de la majorité qualifiée, comme cela était prévu dans le traité constitutionnel de 2005 ;
• lorsque cet accord aura été conclu avec approbation du Parlement, il devra être soumis à un processus de ratification par tous les Etats membres de l’Union selon leurs règles de ratification respectives.
Il faut noter que les négociations ont déjà été engagées à l’été 2010.
Par ailleurs, il y a un protocole annexé au traité de Lisbonne qui fixe les conditions destinées pour l’essentiel à préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union européenne : tout est fait pour que l’adhésion future de l’Union à la CESDH n’altère pas cette spécificité.
• L’adhésion ne doit affecter ni les compétences de l’Union ni les attributions de ses institutions : cela peut sembler discutable car cela pourrait être interprété comme si l’Union, avec le traité de Lisbonne, n’aurait pas davantage de compétences en la matière par rapport à avant ; c’est également discutable car le simple fait d’adhérer à la Convention prouve qu’elle a un titre de compétence nouveau en la matière, ce qui signifie que l’adhésion ne peut ni affecter les compétences de l’Union ni modifier la répartition des compétences entre l’Union et les Etats.
• Les recours exercés devant la CEDH en cas de violation présumée des principes de la Convention par le droit de l’Union européenne (particuliers ou Etats extérieurs à l’Union) devront respecter la clef de répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres.
L’accord d’adhésion ne devrait pas permettre aux Etats membres de déroger à leurs engagements communautaires, ni de ne pas soumettre un différend relatif à l’application ou à l’interprétation des traités à un mode de règlement différent de celui prévu par le traité.
Autrement dit, les Etats membres se sont engagés à s’en remettre à la Cour de justice, et aucun ne pourra agir contre un autre autre Etat membre ou contre l’Union elle-même devant la CEDH, ce qui signifie alors que l’Union ne pourra être attraite devant la CEDH que par des particuliers ou des Etats tiers par rapport à l’Union.
Le protocole vise aussi à maintenir la situation particulière de tout ou partie des Etats membres vis-à-vis de la Convention, au regard notamment des protocoles souscrits par chacun.
2. Le destin de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Vers la fin des années 90, il est acquis que la Communauté n’adhèrera pas à la CESDH, mais le souci de parachèvement pousse les Etats membres à envisager d’adopter un catalogue de droits fondamentaux propres à l’Union. Deux comités successifs ont été chargé en 1999 et en 2004 du soin de rédiger le texte d’une Charte des droits fondamentaux.
Cette convention était composée d’un représentant par État membre, d’un représentant de la Commission, de seize parlementaires européens et de trente représentants des Parlements nationaux. Sous la présidence de l’Allemand Roman Herzog, l’objectif est atteint le 7 décembre 2000 en marge du Conseil européen de Nice qui conduit à la conclusion du traité de Nice.
Le texte de la Charte des droits fondamentaux modifié par la convention Giscard de 2004 a été intégré au traité constitutionnel.
Les Etats membres la ratifient et la Charte acquiert l’autorité juridique suprême commune aux traités, mais dans sa version remaniée de 2004, sa portée s’en trouve émoussée.
a) La mutation radicale de la valeur juridique de la Charte
Avant le traité de Lisbonne, la Charte n’avait pas été intégrée dans le corps même du traité de Nice, elle n’avait pas l’autorité qui s’attache au droit primaire de l’Union. Elle n’avait été que déclarée solennellement et reprise dans un document sous la signature de chacune des trois institutions. On était donc en présence, au mieux, d’un accord inter-institutionnel, ou, comme l’a dit le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 5 janvier 2005 Mlle Deprez et M. Baillard, d’un acte inter-institutionnel : la Charte appartenait donc à une catégorie juridique difficile à cerner. C’est une sorte de soft law.
La doctrine s’est rendue à l’évidence que les juridictions concernées n’en méprisaient pas le texte mais y faisaient au contraire référence : le Tribunal de première instance, pour confirmer ses positions en guise d’arguments confirmatifs dans un arrêt de 2002, a tenté d’élargir par un revirement de jurisprudence l’accès des personnes physiques et morales au recours en annulation contre des actes de portée générale, mais ce fut en vain car la Cour de justice a brisé dans l’oeuf cette jurisprudence naissante.
Du côté de la Cour de Strasbourg, le même constat a été réalisé.
Ce fut la même chose de la part de certaines juridictions nationales : le Conseil d’Etat s’en est tenu au constat selon lequel la Charte était dépourvue de l’autorité qui s’attache à un traité dans son arrêt du 5 janvier 2005, voire même de «force juridique» dans l’arrêt du 10 avril 2008 Conseil national des barreaux.
Le tribunal constitutionnel espagnol fut quant à lui très audacieux puisqu’il s’est fondé sur le texte de la Charte en novembre 2000, c’est-à-dire dès avant sa proclamation en décembre 2000. Il en fut de même en Italie.
La Cour de justice de Luxembourg s’est montrée d’abord très réservée en s’abstenant de répondre aux sollicitations des parties et des juridictions nationales qui la saisissaient de questions préjudicielles. Sa jurisprudence a évolué au cours des années, avec un cap en deux temps :
• arrêt du 27 juin 2006 Parlement c./ Conseil : un certain nombre d’actes communautaires de droit dérivé font eux-mêmes référence à la Charte ; si elle ne constitue pas un instrument juridique contraignant, le législateur communautaire a cependant entendu en reconnaître l’importance ;
• arrêt du 3 mai 2007 Advocaten Voor de Wereld : à partir de cet arrêt, la Cour de justice, à propos du principe de légalité des délits et des peines, ne s’appuie pas sur la Charte à titre subsidiaire mais en tant que source première, avant même la classique référence à la CESDH.
Avec le traité de Lisbonne, toutes ces évolutions jurisprudentielles perdent de l’intérêt puisque désormais, par la référence qu’y fait l’article 6§1, la Charte acquiert la valeur du traité lui-même.
Si l’on observe le cheminement prévu par le traité constitutionnel de 2005 et celui du traité de Lisbonne, on constate que le but atteint est le même, mais que les voies pour y parvenir ont été différentes : le traité constitutionnel incluait dans ces clauses le texte même de la Charte, alors que le traité de Lisbonne se contente d’une clause de renvoi à la Charte sous la forme de cet article 6§1. Il y a là indiscutablement une régression symbolique, mais juridiquement, cela ne change rien au fait que la Charte a désormais la même valeur juridique que les traités. La Cour de justice l’a expressément signalé dans son arrêt du 19 janvier 2010 Seda Kücükdeveci c./Swedex.
La Charte semble donc avoir vocation à être la pièce maîtresse du système des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais elle n’est pas pour autant la seule pièce du puzzle. Se pose alors la question de la concurrence entre ces instruments, et la question de savoir lequel est susceptible de devenir l’instrument principal.
À cet égard, la Charte souffre d’un handicap lourd : un protocole relatif à son application au Royaume-Uni et à la Pologne (qui sera étendu à la République Tchèque par un autre protocole qui sera annexé à la prochaine révision des traités) vise à neutraliser la portée de la Charte de deux manières :
• il s’ingénie à souligner qu’elle se borne à codifier l’état antérieur du droit, et minimise donc sa portée ;
• il exclut sa justiciabilité devant les juridictions de ces Etats.
C’était le prix à payer pour que ces trois Etats acceptent sa consécration juridique, mais en conséquence, elle ne peut prétendre être un instrument commun aux vingt-sept Etats membres.
b) L’évolution partielle du contenu de la Charte
La Charte a été élaborée par la Convention Herzog en 2000, puis reprise par le traité de Lisbonne en 2007 par une clause y faisant référence, laquelle précise qu’il s’agit de celle telle qu’elle a été adaptée le 12 décembre 2007 : il y a eu entre 2000 et 2007 un processus de réécriture par la Convention Giscard, qui lui avait fait subir des changements importants.
Ces changements ne portent pas sur la formulation des droits mais sur les dispositions générales régissant l’interprétation et l’application de la Charte qui figurent dans son dernier chapitre. Or, ces dispositions générales, et les modifications connues en 2004, sont d’une importance déterminante car elle commandent l’interprétation et la mise en oeuvre des articles de la Charte.
La Charte telle qu’elle est consacrée par le traité de Lisbonne est, au regard des droits consacrés, la même qu’en 2000, mais elle est différente au regard de ses modalités d’application, certaines étant la reprise de la version originelle, et d’autres étant des rajouts ou des modifications de la Convention de 2004.
• Ce qui ne change pas
Il s’agit de la formulation des droits, des libertés et des principes énumérés dans la Charte, en différents titres et chapitres.
• Au chapitre 1er, consacré à la dignité, la charte prohibe les pratiques eugéniques, et c’est ce qui suit qui est intéressant : «notamment celles qui ont pour but la sélection des personnes». Cela signifie que constituent aussi des pratiques eugéniques celles qui ont un autre but, mais qui ont pour effet nécessaire ces pratiques eugéniques.
•Il traite de la dignité humaine, du droit à la vie, du droit à l’intégrité de la personne, et de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ainsi que de l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé.
• Au chapitre second, consacré aux libertés, on y trouve la formulation de droits et libertés classiques : droit à la liberté et à la sûreté, respect de la vie privée et familiale, protection des données à caractère personnel, droit de se marier et de fonder une famille, liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’expression et d’information, liberté de réunion et d’association, liberté des arts et des sciences, droit à l’éducation, liberté professionnelle et droit de travailler, liberté d’entreprise, droit de propriété, droit d’asile, et enfin la protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition.
• Au chapitre troisième, consacré à l’égalité, on trouve le principe d’égalité de droit, le principe de non-discrimination, la diversité culturelle, religieuse et linguistique, l’égalité entre hommes et femmes, les droits de l’enfant, les droits des personnes âgées et l’intégration des personnes handicapées.
• Au chapitre quatrième, consacré à la solidarité, on trouve le droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise, le droit de négociation et d’actions collectives, le droit d’accès aux services de placement, la protection en cas de licenciement injustifié, le droit à des conditions de travail justes et équitables, l’interdiction du travail des enfants et la protection des jeunes au travail (en somme, l’interdiction du travail des enfants), la vie familiale et la vie professionnelle, la sécurité sociale et l’aide sociale, la protection de la santé, l’accès au services d’intérêt économique général, la protection de l’environnement et des consommateurs.
• Un cinquième chapitre est consacré à la la citoyenneté européenne
• Enfin, un ultime chapitre sixième est consacré à la justice, avec le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, la présomption d’innocence et les droits de la défense, les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines et le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction.
Ne change pas non plus les règles originelles d’application de la Charte :
• elle ne s’applique qu’aux institutions et aux organes de l’Union, ainsi qu’aux Etats membres, mais uniquement lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l’Union ;
• elle ne créé aucune compétence ou tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et les taches de l’Union prévues aux traités (ni extension, ni restriction) ;
• elle comprend une clause générale de limitation des droits et libertés consacrés, les restrictions ne sont admises que si elles sont nécessaires et proportionnées ;
• un certain nombre de dispositions de la Charte sont également consacrées dans le cadre de la CESDH, mais également par les constitutions des Etats membres, ce qui suppose une articulation : la Charte doit être interprétée dans le sens des traités, mais elle peut aller au delà du champ conventionnel et offrir une plus grande protection.
• Ce qui change
La Convention de 2004 a apporté un certain nombre de modifications sous la forme de trois ajouts qui ont tous pour objet et effet de réduire la portée de la Charte : c’est la rançon de la constitutionnalisation de celle-ci.
• La Charte doit être interprétée par les juridictions de l’Union et des Etats membres en prenant dument en considération les explications établies sous l’autorité de la Convention de 2000 mise à jour par la Convention de 2004 ; c’est un document annexe qui, pour chaque article, apporte des commentaires présentés comme élaborés en vue de guider l’interprétation de la Charte (même si elles n’ont pas de valeur juridique).
•L’ambiguïté réside dans le sens dans lequel elle doit être interprétée : développement ou restriction de la portée de la Charte ? À l’évidence, dans le sens de sa restriction puisque la référence à ces explications a été voulue par les membres britanniques de la Convention de 2004, qui étaient fortement sceptiques et hostiles à la Charte. Reste à savoir si la Cour de justice se laissera contraindre.
• Elle faisait une distinction entre les principes d’un côté et les droits et libertés de l’autre aux origines : cette distinction est explicitée dans la version de 2004, les droits et libertés sont respectés par l’Union et ses Etats membres, et les principes sont observés par eux-mêmes. La différence entre respecter et observer est considérable par rapport à l’applicabilité : en effet, l’invocation devant le juge des principes n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes. L’invocabilité est donc extrêmement réduite et contrainte.
• Les droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles des Etats membres doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions : c’est une concession faite aux traditions constitutionnelles communes. Ainsi, le niveau de protection de la Charte ne peut être plus élevé que celui des traditions constitutionnelles.
Deuxième section : le droit dérivé
I. Les actes unilatéraux
Ils entrent en vigueur après l’accomplissement des mesures de publicité qui permettent de mettre à la connaissance des sujets de droits l’existence de ces actes.
• S’il s’agit d’un acte de portée générale (règlement et directive adoptés en collaboration ou par le Conseil ou la Commission seul, directives du Conseil ou de la Commission adressées à tous les Etats membres), ils sont publiés au Journal officiel de l’Union européenne.
•Le défaut de publication n’est pas sanctionné par la nullité mais par l’inopposabilité au sujet de droit qui s’en prévaut (Etats membres exclus).
• S’il s’agit d’un acte sans portée générale, une simple notification aux intéressés est requise : le défaut de publicité entraîne, en plus de leur inopposabilité, leur invalidité.
A) La typologie des actes unilatéraux
Les actes unilatéraux étaient prévus par l’article 249 du traité CE à l’origine ; ils ont été repris par l’article 288 du TFUE.
Le traité de Lisbonne reprend la typologie ancienne alors que le traité constitutionnel envisageait de la refondre. Le traité de Lisbonne ajoute sa pierre à l’édifice car la typologie, certes inchangée, englobe un ensemble d’actes plus vastes que par le passé. Cela dit, même étendue à la matière pénale, cette nomenclature classique ne couvre pas la totalité des actes de l’Union : il y a d’autres actes juridiques en dehors.
1. La nomenclature des actes unilatéraux
L’article 288 du TFUE prévoit quatre catégories, parmi lesquelles il faut préciser que les avis et recommandations ne lient pas, ils n’ont pas d’effet contraignant ; les juridictions sont tenues de prendre les recommandations en considération, ils peuvent donc faire l’objet d’un renvoi préjudiciel en interprétation devant la Cour de justice (contrairement aux avis), ils ont un effet incitatif.
Les trois autres types d’actes sont pleinement obligatoires, à ceci près que la jurisprudence récente a exclu de cette force obligatoire les préambules et considérant de ces actes.
Il faut distinguer les règlements et les décisions, obligatoires dans tous leurs éléments, et d’autres part les directives, qui lient tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.
a) Le règlement et la décision, actes obligatoires dans tous leurs éléments
Seul leur caractère obligatoire les rapproche : en effet, le régime de publicité est différent, le régime contentieux est distinct, puisque par exemple, le recours en annulation des particuliers contre une décision dont ils sont destinataires ne pose pas de souci, alors que celui contre un règlement est plus difficile.
1) Le règlement, acte de portée générale
Dans le cadre de la CECA, on parlait de décisions générales. Il est de portée générale selon l’article 288 du TFUE car il n’est pas applicable à des destinataires identifiés ou identifiables mais à des catégories envisagées abstraitement et dans leur ensemble selon la jurisprudence.
Il est obligatoire dans tous ses éléments, il est en principe autosuffisant, mais il y a une tendance ancienne de la part des institutions de l’Union à adopter des règlements incomplets, qui n’épuisent pas la matière et appellent des règlements subséquents ou des actes adoptés par les Etats membres.
Il est directement applicable dans tout Etat membre : il faut y voir la manifestation la plus tangible de l’intégration de l’ordre juridique de l’Union dans les ordres juridiques étatiques, c’est une logique moniste. Cela a deux conséquences :
• il bénéficie de l’effet immédiat, il est obligatoire dès son entrée en vigueur ;
• il bénéficie par nature de l’effet direct, c’est-à-dire l’aptitude d’un acte, ici le règlement, à produire par lui-même des droits ou obligations dans le chef des particuliers, sans nécessiter pour cela de mesures complémentaires européennes et étatiques.
Il y avait une distinction entre les actes législatifs (adoptés en co-décision) et non-législatifs (adoptés seuls) :
• le traité constitutionnel avait cru bon de séparer les actuels règlements en deux catégories (règlements législatifs, appelés lois européennes, et règlements non-législatifs, appelés règlements européens) ; le règlement européen au sens du traité constitutionnel, par rapport à la loi européenne, était soit un règlement d’exécution, soit un traité de base ;
• le traité de Lisbonne conserve la distinction mais s’est abstenu d’en déduire des appellations.
2) La décision, acte de portée en principe individuelle
Généralement, c’est un acte individuel ; dans le cadre de la CECA, elle s’appelait décision individuelle. Le traité de Lisbonne précise que lorsqu’elle désigne des destinataires, elle n’est obligatoire que pour ceux-ci. Les destinataires peuvent être des Etats, des particuliers.
Elle peut être adoptée sur le fondement d’un autre acte de droit dérivé, mais parfois sur le fondement direct des traités (acte de nomination à divers postes de l’Union par exemple). Dans ce cas, elle peut ne pas correspondre à la catégorie des actes individuels.
Le traité de Lisbonne, à la différence des traités antérieurs, prévoit qu’une décision peut ne pas désigner de destinataires : en conséquence, qu’est-ce que c’est ? Est-ce une décision de portée générale ? Non, ce serait une absurdité. Pour résoudre l’énigme, il faut faire référence aux décisions d’espèce, qui régissent des situations juridiques sans qu’il s‘agisse d’un acte de portée générale ni d’un acte de portée individuelle (typiquement, la déclaration d’utilité publique en matière d’expropriation en droit administratif).
Quand le traité de Lisbonne suggère qu’une décision puisse ne pas avoir de destinataires, elle entend faire place à la catégorie particulière des décisions d’espèce, c’est une nuance que le traité constitutionnel passait sous silence.
Ex : la décision par laquelle le Conseil décide de recourir à la révision simplifiée des traités, surtout celle sans ratification.
L’acte par lequel le Président du Parlement européen constate que le budget de l’Union est définitivement arrêté.
La distinction entre les décisions individuelles et d’espèce permet de comprendre ce que signifie la formulation «une décision peut revêtir un caractère législatif» (c’est-à-dire être adoptée en co-décision) : les décisions individuelles ne justifient pas une procédure lourde, contrairement aux décisions d’espèce.
b) La directive, acte obligatoire quant au résultat à atteindre
La directive est un acte obligatoire quant au résultat à atteindre selon l’article 288 du TFUE qui reprend l’article 249 du TCE.
1) Les caractères de la directive
On pourrait dire qu’elle est obligatoire dans tous ses éléments, à condition de préciser qu’en principe, ses éléments ne portent que sur le résultat à atteindre, puisqu’elle reste muette quant aux modalités par lesquelles ce résultat doit être atteint.
Ce n’est pas une simple recommandation, même si elle portait ce nom dans le traité CECA ; il ne faut pas non plus l’assimiler à la directive en droit administratif français, acte par lequel l’administration entend exercer son pouvoir d’appréciation en matière économique. Ce n’est pas un acte incitatif ou un acte fixant un cadre d’action, mais un acte unilatéral pleinement obligatoire quant au résultat à atteindre.
Elle ne se suffit pas à elle-même, elle nécessite des interventions nationales de mise en oeuvre : ce sont les actes de transposition de la directive en droit interne. La CJUE y voit une forme de législation ou de règlementation indirecte.
La directive est aussi formellement un acte individuel, ou collectif, non réglementaire, puisque ses destinataires sont identifiés, ce sont les Etats ; quand elle est adressée à tous les Etats membres, elle revêt en pratique une portée générale (normalement, seulement un ou quelques Etats) ; en conséquence, la mesure de publicité utilisée pour ces directives adressées à tous les Etats membres est la publication, propre aux actes de portée générale, et non la notification.
Le traité constitutionnel prévoyait des changements auxquels le traité de Lisbonne a renoncé :
• un changement de dénomination : puisque le traité constitutionnel proposait une distinction entre les actes législatifs (faisant intervenir le Parlement européen) et les actes non-législatifs, il voulait renommer la directive par le terme loi-cadre lorsqu’il y avait une procédure législative, et par le terme de règlement européen lorsqu’il n’y en avait pas. Cette innovation était mal venue pour deux raisons :
– elle revenait à désigner sous deux vocables différents un acte juridique présentant les mêmes caractères,
– parmi les actes non-législatifs, on désignait par le même terme de règlement européen des actes aussi différents que le règlement actuel et la directive actuelle ;
• une modification de la marge d’appréciation que la directive doit laisser aux Etats dans la détermination des moyens nécessaires à l’atteinte du résultat : le traité utilisait l’expression «quant au choix de la forme et des moyens», cette précision devait lutter contre une tendance à adopter des directives de plus en plus détaillées, qui régissaient dans le détail les modalités propres à atteindre cet objectif ; quand la directive comporte autant de dispositions impératives, lorsqu’elle est précise et inconditionnelle, l’acte de transposition de la directive se réduit à un simple acte de retranscription de la directive.
2) La transposition des directives
Les États ont l’obligation, dans un délai déterminé dit de transposition, d’assurer la transposition complète de la directive dans l’ordre juridique interne, c’est-à-dire d’adopter les mesures nécessaires prescrites pour atteindre le résultat. Passé ce délai, c’est un manquement qui est susceptible de faire l’objet de poursuites devant la CJUE.
Cette obligation existe depuis l’origine des communautés européennes et repose sur un double fondement :
• le principe de coopération loyale
• les termes même de l’article 288 du TFUE, qui dispose que «la directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens».
L’obligation de transposition a désormais en France un doublon constitutionnel : depuis la décision du 10 juin 2004, le Conseil constitutionnel affirme qu’il y a une exigence constitutionnelle de transposition des directives qui découle de l’article 88-1 de la Constitution. Le Conseil d’Etat, depuis l’arrêt d’assemblée du 8 février 2007 Arcelor, a adopté la même attitude (mais il parle quant à lui d’obligation constitutionnelle). Cela a une incidence importante sur le plan contentieux :
• le Conseil constitutionnel, juge de la constitutionnalité, refuse en principe de contrôler la conventionnalité de la loi, c’est-à-dire la conformité aux traités ou aux actes qui en délivrent ; mais en raison de l’exigence constitutionnelle de transposition, il estime depuis la décision du 27 juillet 2006 que lorsqu’il est saisi d’une loi qui a pour objet de transposer une directive, il doit contrôler le respect par cette loi de l’obligation constitutionnelle de transposition, ce qui implique de sa part qu’il vérifie que la loi transpose correctement la directive, c’est-à-dire un contrôle de conventionnalité, mais qui est restreint : il ne censurera la loi qu’en cas de non-transposition manifeste, en cas d’incompatibilité manifeste de la loi et de la directive.
• Lorsque la loi de transposition dont le Conseil constitutionnel est saisi est en réalité une loi pure et simple de transcription, l’obligation constitutionnelle implique que le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la constitutionnalité de la loi car ce contrôle pourrait entraver la transposition, et conduirait nécessairement à un contrôle incident de la directive. Cette incompétence connaît une exception : le Conseil constitutionnel accepterait tout de même d’en contrôler la constitutionnalité, et donc indirectement la directive elle-même, dans le cas où cette loi, c’est-à-dire cette directive, porterait atteinte à un principe inhérent de l’identité constitutionnelle de la France.
• L’obligation a conduit le Conseil constitutionnel à adopter une attitude particulière lorsqu’une loi de transposition d’une directive est censurée par lui pour un motif totalement étranger à la directive elle-même (vice de procédure dans l’adoption de la loi de transposition, incompétence négative) ; dans ce cas, dans le cadre du contrôle préventif de constitutionnalité de l’article 61 de la Constitution, la loi ne peut pas être promulguée, ce qui revient à ne pas respecter l’obligation communautaire de transposition ; c’est pourquoi le Conseil constitutionnel a retenu dans un cas, dans la décision du 19 juin 2008, la possibilité de reporter dans le temps la prise d’effet du jugement d’inconstitutionnalité, ce qui permet au Président de la République de promulguer la loi, de manière à ce que l’obligation communautaire soit respectée, et durant le délai, il appartient au Parlement d’adopter une nouvelle loi de transposition purgée de toute inconstitutionnalité.
C’est une obligation de faire, cela requiert de la part de l’Etat l’obligation d’accomplir des actes positifs. La CJUE admet l’hypothèse d’une dispense de transposition formelle et textuelle dans le cas où l’ordre juridique de l’Etat est spontanément, d’ores et déjà, conforme aux exigences de la directive dès l’instant où celle-ci est adoptée. Mais cela suppose que l’ordre juridique soit totalement conforme, et que la directive n’ait pas imposé aux Etats d’adopter des actes juridiques faisant référence à la directive. Cette hypothèse est donc extrêmement rare.
L’obligation de transposition est enserrée dans des contraintes qui encadrent l’autonomie procédurale des Etats membres.
• Il y a des contraintes formelles : l’Etat est en principe libre de choisir le type d’acte de transposition qui lui paraît le plus adapté, mais ce choix doit s’exercer dans le respect du principe d’équivalence, ce qui implique que l’acte de transposition devra être de nature équivalente à celle des actes adoptés pour régir la matière dans le domaine de la directive.
•Il y a aussi le principe d’effectivité, il faut adopter un acte à la force contraignante incontestable selon la jurisprudence, et revêtant la clarté et la précision requise. C’est pourquoi la CJUE est réticente à l’égard des transpositions par simples circulaires, actes juridiques internes à l’administration et inopposables aux tiers (du moins pour les circulaires interprétatives). Elle est carrément hostile quand l’acte de transposition réside dans une pratique administrative, susceptible d’être infléchie au gré des choix de l’administration.
• Il y a des contraintes matérielles : avant l’expiration du délai, l’Etat n’est pas tenu d’avoir déjà adopté l’acte de transposition, mais il doit s’abstenir de prendre des dispositions qui pourraient compromettre la transposition future. C’est le principe de coopération loyale, c’est la jurisprudence de la Cour de justice du 18 décembre 1997 Inter Environnement Wallonie, que le Conseil d’Etat applique parfaitement.
•Une fois le délai arrivé à échéance, l’Etat doit avoir adopté le ou les actes de transposition, sauf hypothèse exceptionnelle de dispense. Cela soulève la question de savoir s’il est conforme au droit communautaire d’adopter, dans le délai de transposition, un acte de transposition tout en en suspendant les effets à titre provisoire au delà de l’expiration du délai de transposition. La jurisprudence communautaire est très hostile à ce cas de figure (1994, Land de Bavière), mais jusqu’à présent, la CJUE n’a pas clairement tranché ce cas pour affirmer son incompatibilité avec le droit communautaire. La suspension provisoire ou le report d’entrée effective peut parfois se justifier pour des raisons tenant à la sécurité juridique.
•Une fois que l’acte de transposition est adopté, il doit en principe être appliqué de manière à assurer de façon effective l’accomplissement du résultat prescrit par la directive. La transposition n’est pas un acte accompli une fois pour toute, il doit être mis à jour au fil du temps, car des changements de circonstances peuvent justifier la modification du cadre de transposition de la directive.
Ex : la directive oiseaux de 1979 qui impose aux Etats un objectif de protection des oiseaux migrateurs, ou du moins des espèces protégées ; depuis lors, les connaissances scientifiques de cette flore ont conduit à adopter des modifications (date de chasse).
2. Les autres actes unilatéraux
a) Les actes hors nomenclature
1) Les actes hors nomenclature prévus par le Traité
Les actes hors nomenclature sont parfois prévus par les traités. C’est le cas en particulier des règlements intérieurs adoptés par toutes les institutions de l’Union. Ils s’imposent aux institutions qui les ont adoptés et sont donc invoquables à leur encontre devant le juge de l’Union.
Il s’agit aussi d’un certain nombre d’actes aux dénominations variables prévus par les traités et réservés à des matières très peu intégrées :
• c’est le cas en matière d’emploi, il est question de lignes directrices, d’actions d’encouragement ;
• c’est le cas également en matière de politique sociale, où il question de mesures, d’orientations.
Ce ne sont pas des règlements, pas des directives, pas des décisions, et se pose la question de la détermination de leur autorité juridique : cela correspond à la catégorie de la soft law, c’est plus incitatif que prescriptif. L’autorité très incertaine de ces actes dépendra dans chaque cas de l’intention de leurs auteurs, de l’attitude de leurs destinataires.
2) Les actes hors nomenclature nés de la pratique
D’autres actes hors nomenclature ne sont pas prévus par le traité : des actes du Conseil, de la Commission, des actes conventionnels sous la forme d’arrangements de nature administrative entre un Etat et une institution.
Ces actes hors nomenclature, issus de la pratique, ont proliféré, ce qui a rendu inintelligible le système juridique européen. Plusieurs dispositions visent à endiguer le flot excessif de ces actes hors nomenclature, mais il n’est pas certain que ces dispositions atteignent cet objectif.
L’article 296 §1 du TFUE prévoit que lorsque les traités ne précisent pas quel type d’acte doit être adopté, les institutions le choisissent au cas par cas sous le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité (c’était déjà prévu dans le protocole de 1988).
Lorsque la CJUE est confrontée à un tel acte, elle en détermine l’autorité, et notamment le statut contentieux, non pas en se fiant à sa forme et à sa destination, mais à la seule volonté de l’auteur ; elle se demande s’il a une portée obligatoire et s’il pourra donc faire l’objet d’un recours en annulation.
b) Les nomenclatures spécifiques
C’est un héritage de la structure de l’Union en piliers : une nomenclature était propre à chaque pilier, il y avait une nomenclature particulière en matière de PESC et de coopération pénale.
1) La nomenclature résurgente des actes propres à la PESC
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et l’effacement de la structure en piliers, la nomenclature en matière de PESC a survécu même si elle a été réaménagée. Avant le traité de Lisbonne, elle prévoyait que le Conseil européen adoptait des principes et des stratégies communes, afin qu’il puisse prendre sur leur base des actions ou positions communes.
Le traité de Lisbonne recourt à d’autres formulations. Ces actes sont des décisions d’un genre particulier dont l’objet est variable, qui vise à adopter des stratégies (adoptées alors par le Conseil européen), sur la base desquelles on adopte des actes, des décisions qui dictent les positions communes.
Ce qui confirme que les actes pris en matière de PESC n’entrent toujours pas dans la nomenclature de droit communautaire, c’est que le traité de Lisbonne précise qu’il ne peut être adopté d’actes législatifs en matière de PESC.
Le Conseil d’Etat français a eu l’occasion de juger en 2006, avant le traité de Lisbonne, qu’une action commune décidée par le Conseil ne créé d’obligations qu’à l’égard des Etats membres, de sorte qu’elles sont par elles-même dépourvues d’effets en droit interne et sont donc non-invocables dans l’ordre administratif.
2) La nomenclature révolue des actes relatifs à la coopération pénale
Reste l’ancienne nomenclature du pilier III : avant le traité de Lisbonne, la coopération en matière pénale passait par l’adoption d’actes obéissant à une nomenclature atypique. Le Conseil était appelé à adopter des positions communes dont la portée juridique restait largement indéterminée, ainsi que deux catégories d’actes juridiques vraiment obligatoires :
• les décisions-cadres (telles le mandat d’arrêt européen), qui s’apparentaient aux directives communautaires en ce qu’elles liaient les Etats membres quant au résultat à atteindre, tout en leur laissant la compétence quant à la forme et aux moyens, mais, à la différence des directives, le traité sur l’Union européenne précisait qu’elles ne pouvaient entraîner d’effet direct (alors que c’est le cas pour les directives malgré le mutisme du traité communautaire) ;
• les décisions, elles aussi obligatoires, ne pouvaient pas non plus entraîner d’effet direct.
La CJUE pouvait connaître de ces actes dans la limite des compétences juridictionnelles qui lui étaient accordées dans ce pilier (renvoi préjudiciel en interprétation de ces actes, recours en annulation) ; elle pouvait aussi statuer sur tout différend entre Etats membres concernant les mesures de mise en oeuvre de ces actes de droit dérivé dans le pilier III.
Avec le traité de Lisbonne, cette nomenclature spécifique a perdu toute spécificité et est entrée dans le droit communautaire : les institutions adoptent désormais des règlements, des directives et des décisions. Il est mis un terme à la spécificité de cette catégorie d’actes.
Il faut néanmoins mentionner une certaine réserve : il existe un protocole annexé au traité de Lisbonne relatif à une période transitoire de cinq ans consécutivement à l’entrée en vigueur du traité. Il comporte un article 9 qui précise que les effets juridiques des actes adoptés sur la base du traité sur l’Union sont préservés aussi longtemps que ces actes juridiques n’auront pas été modifiés ou abrogés. Il en résulte deux interprétations différentes :
• cette disposition vise à éviter une rupture juridique née de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ; les décisions-cadres sont rebaptisées directives et ont un effet direct ;
• cette disposition signifie que les actes adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne conservent leurs caractéristiques particulières aussi longtemps qu’ils ne sont pas modifiés ni abrogés ; les décisions-cadres et les décisions continuent à être qualifiées comme telles et ne peuvent avoir d’effet direct.
B) La nature des actes unilatéraux
Ces actes révèlent-ils l’existence d’un véritable pouvoir législatif dans le droit de l’Union, et méritent-ils donc d’être dénommés lois ?
1. L’émergence progressive d’une distinction entre actes législatifs et non législatifs
Pendant très longtemps, le droit positif ne permettait absolument pas de considérer qu’il y avait dans la Communauté une fonction législative et que certains actes méritaient d’être qualifiés d’actes législatifs.
a) L’identification longtemps incertaine d’une fonction législative dans l’Union
Elle correspondait à une entreprise pour le moins incertaine. On pouvait s’appuyer sur la distinction entre les actes de base fondés sur les traités et les actes d’exécution. On pouvait être tenté d’en déduire que les premiers étaient des actes législatifs et les seconds des actes administratifs, les seconds devant être conformes aux premiers. Mais ce n’était qu’une analogie.
Pouvait-on aller plus loin, et considérer que parmi les actes de base, certains méritaient d’être considérées comme des actes législatifs ? Cela s’avérait très compliqué car les traités n’ont jamais définis des critères matériels de distinction entre les actes législatifs et non législatifs, il n’existait pas de listes des matières relevant de la loi. On pouvait simplement retenir que la matière conservait la place qu’elle occupait en droit interne, mais les conceptions étaient différentes d’un pays à l’autre.
On pouvait au contraire considérer un critère formel, en vertu duquel le Parlement européen aurait un pouvoir décisionnel, lequel ferait apparaître le caractère législatif de la matière. C’était une voie hasardeuse car elle procédait d’un mimétisme par rapport aux systèmes juridiques des Etats membres.
b) L’affirmation progressive d’un pouvoir législatif dans l’Union
Néanmoins, on a vu s’affirmer l’existence d’un pouvoir législatif communautaire malgré les obstacles. Cette affirmation est venue des audaces sémantiques des institutions.
• La CJUE évoquait certains actes de la CECA comme des actes quasi-législatifs, comme des actes du législateur communautaire, et cette notion a parfois été utilisée de façon abusive car elle l’utilisait pour la Commission exerçant un pouvoir discrétionnaire. Ces formulations récurrentes accréditaient la thèse de l’émergence d’un pouvoir législatif communautaire.
• Le Parlement européen s’est auto-désigné Parlement à l’époque où les traités le désignaient simplement d’assemblé.
• Le Conseil a adopté en 2000 un règlement intérieur dans lequel il se présentait comme le législateur.
Cette affirmation s’est faite dans le silence des traités, et la consécration s’est faite avec le traité de Lisbonne.
2. La consécration récente de la distinction entre actes législatifs et non législatifs
Le traité de Lisbonne ne va pas aussi loin que le traité constitutionnel, il n’utilise pas les étiquettes, mais conserve la distinction symbolique très forte entre les actes législatifs et les actes non législatifs. À la différence du traité constitutionnel, il n’évoque qu’allusivement les actes non législatifs, qui se définissent en creux par rapport aux actes législatifs.
Cette distinction est par ailleurs nuancée par une nouvelle catégorie d’actes, les actes délégués.
a) Le critère et la portée de la distinction
1) Le critère
Le critère de distinction n’est pas un critère matériel : ce qui permet de l’affirmer, c’est que, certes, les actes législatifs définissent selon le traité les éléments essentiels d’une matière, mais ils peuvent aussi bien contenir des éléments non-essentiels. En l’absence de critère matériel, chaque fois que les institutions doivent adopter un acte, c’est cette disposition qui précise s’il aura un caractère législatif ou non.
La distinction est donc fondée sur un critère formel, organique et procédural, car ils sont adoptés soit par le Conseil et le Parlement européen conjointement selon la procédure législative ordinaire, soit par l’une de ces institutions avec la participation de l’autre, selon des procédures variables qui s’appellent procédures législatives spéciales, qui donnent au Parlement tantôt un pouvoir d’approbation, tantôt un pouvoir d’amendement.
On comprend en creux, les actes législatifs étant définis, de quel type d’actes sont composés les actes non-législatifs : ce sont les décisions du Conseil européen ou des autres institutions, pour l’essentiel des règlements et directives adoptés par le Conseil seul ou la Commission seule sans intervention du Parlement européen : c’est l’intervention consultative du Parlement qui donne le caractère législatif à l’acte.
2) La portée
Cette distinction a plusieurs mérites :
• elle fait clairement apparaître où se situe la légitimité dans l’Union, c’est-à-dire dans les Etats représentés par le Conseil, et dans les citoyens européens, et la conjonction de ces deux sources de légitimité est nécessaire pour justifier l’adoption d‘actes qui, par leur importance, méritent d’être considérés comme des actes législatifs ;
• cette distinction esquisse une forme de séparation des pouvoirs car la Commission est systématiquement exclue de l’adoption des actes législatifs, elle n’en est, très souvent, qu’à l’origine.
•Il y a toutefois une atténuation, puisque le Conseil est à cheval entre la fonction législative et la fonction exécutive.
Cette distinction a aussi des faiblesses :
• on ne peut que relever un manque de netteté puisque le critère procédural et organique du caractère législatif d’un acte tient à l’intervention du Parlement européen quelle qu’elle soit ; ce critère est large, cela finit par lui faire perdre toute signification ;
• en plus, elle se caractérise par un manque de fiabilité car dans quelques cas, le critère est contredit et conduit à l’adoption d’actes qui ne sont pas législatifs, en particulier le cas des actes adoptés sur le fondement de l’article 109 du TFUE, c’est-à-dire les règlements utiles en vue de l’application des aides accordées par les Etats.
Il aurait fallu considérer de façon radicale qu’un acte était législatif si le Parlement co-décidait ou avait un pouvoir d’approbation de l’acte. C’est une lacune du traité de Lisbonne, cela pourra être amélioré.
Le traité ne dit rien sur les conséquences de la distinction sur le plan contentieux : ainsi, que l’acte soit législatif ou non, les conditions de recevabilité sont les mêmes.
En ce qui concerne les conséquences de la distinction sur la hiérarchie des normes, l’avenir précisera si elle en a, le traité ne le précise pas pour l’instant. Il ne précise pas en particulier s’il faut établir une hiérarchie parmi les actes législatifs, entre ceux qui font l’objet d’une procédure législative ordinaire et ceux qui font l’objet d’une procédure législative spéciale.
Il n’y a pas de précision non plus quant à la hiérarchie entre les actes législatifs et non législatifs : ceci dit, lorsque l’acte non législatif est une mesure d’exécution d’un acte législatif, l’acte non législatif est subordonné à l’acte législatif. Mais l’acte non législatif peut très bien être directement fondé sur les traités et ne pas être un acte d’exécution : dans ce cas, devra-t-il être hiérarchisé avec un acte législatif lui-même fondé sur les traités ? La jurisprudence tranchera ce point le jour où la question se posera.
Cette distinction entre actes législatifs et non législatifs est nuancée par une catégorie presque intermédiaire d’actes juridiques, nouvellement consacrée par le traité de Lisbonne, celle des actes délégués.
b) Une distinction nuancée par la catégorie des actes délégués
Selon l’article 290 du TFUE, un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non-législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non-essentiels de l’acte législatif.
Cela appelle plusieurs remarques :
• À contrario, les éléments essentiels d’un acte législatif ne peuvent faire l’objet d’une délégation à la Commission pour les modifier.
• Ce faisant, le traité de Lisbonne consacre une pratique antérieure qui était utilisée surtout dans des matières spécialement techniques, par laquelle un règlement ou une directive adopté par le Conseil ou par le Conseil et le Parlement européen permettait à la Commission de déroger à cet acte dans ses éléments non essentiels, ce que la jurisprudence avait d’ailleurs admis. Cette pratique a fait l’objet d’une nouvelle procédure de comitologie, la quatrième du nom, celle qui a été établie par la décision comitologie 2006 et qui institue la procédure dite de règlementation et de contrôle pour encadrer l’exercice par la Commission du pouvoir normatif qui lui est ainsi délégué.
• Cette catégorie des actes délégués peut faire penser aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution française en vertu duquel le Parlement peut, par une loi d’habilitation, autoriser le Gouvernement pendant une durée limitée à légiférer lui-même par ordonnance, à adopter des actes relevant du domaine de la loi, celles-ci pouvant modifier ou abroger des lois existantes. Mais l’analogie ne peut pas aller très loin pour deux raisons :
– les ordonnances de l’article 38 de la Constitution ont un caractère hybride, matériellement législatives et formellement réglementaires ; on ne peut pas en dire autant des actes délégués puisque le traité de Lisbonne précise que ces actes ont un caractère non législatif (ils sont adoptés par la Commission), ils ne peuvent modifier que des éléments non essentiels d’un acte législatif européen ;
– l’analogie ne doit pas être exagérée parce que l’encadrement de la délégation consentie à la Commission est beaucoup plus rigoureux que l’encadrement de la délégation du pouvoir législatif dans le cadre de l’article 38 de la Constitution. En effet, le traité de Lisbonne précise que l’acte législatif qui délègue le pouvoir de modification à la Commission doit délimiter explicitement les objectifs, le contenu, la portée, et la durée de la délégation de pouvoir. Par ailleurs, l’acte législatif peut ménager au profit du Conseil et du Parlement européen un pouvoir de révocation de la délégation en cours de route.
Cette notion nouvelle d’acte délégué pose une autre difficulté qui tient au fait qu’elle cohabite avec une notion beaucoup plus ancienne, celle des actes d’exécution. Peut-on faire aisément la différence entre un acte délégué, qui peut modifier ou abroger des éléments non essentiels d’un acte législatif, et les actes d’exécution, qui visent quant à eux à adopter des mesures complémentaires à celles que l’acte de base a adopté en définissant les aspects essentiels de la matière ?
Le critère des éléments essentiels est fondamental : l’acte de base prévoit les éléments essentiels, l’acte dérivé le surplus. Cela suffit à démontrer que la nuance est ténue entre les actes délégués qui peuvent modifier ou compléter ou abroger des éléments non essentiels d’un acte législatif et les actes d’exécution qui visent à apporter des éléments non essentiels en complément d’un acte de base qui régit les aspects essentiels de la matière.
Il y a là une difficulté dont les auteurs du traité de Lisbonne n’ont probablement pas pris la mesure et qui contribue à compliquer la compréhension des systèmes juridique et normatif européen. La difficulté est d’ailleurs d’autant plus ennuyeuse que le régime juridique des actes délégués et celui des actes d’exécution ne sont pas exactement les mêmes : sans prétendre à l’exhaustivité, un acte délégué ne peut être adopté que par la Commission, tandis qu’un acte d’exécution peut parfaitement être adopté par le Conseil (il doit l’être en principe par les Etats membres selon la compétence de droit commun). Pour déterminer quel est le régime juridique applicable à un acte de la Commission, il faut au préalable déterminer si cet acte est un acte délégué ou un acte d’exécution, et la nuance entre ces deux notions est suffisamment ténue pour que cet exercice de qualification juridique soit aléatoire.
II. Les actes plurilatéraux
Ces actes, qui sont le fruit d’un accord de volontés, peuvent être soit des actes internes à l’Union, soit des accords internationaux conclus par l’Union.
A) Les accords internes à l’Union
Ils peuvent être soit des accords conclus entre les institutions, soit des accords conclus entre Etats membres.
1. Les accords inter-institutionnels
a) Leur existence
Les traités communautaires n’ont jamais totalement ignoré cette catégorie particulière d’accords inter-institutionnels, en particulier l’article 193 du traité CE qui prévoyait que les modalités d’exercice du pouvoir d’enquête du Parlement européen seraient déterminées d’un commun accord entre les institutions du triangle institutionnel (Parlement, Conseil et Commission).
De façon plus générale, l’article 218 du TCE prévoyait que le Conseil et la Commission organisent d’un commun accord les modalités de leur collaboration. Il s’agissait ici du fondement d’accords bilatéraux.
Au delà de ces deux références textuelles, les accords inter-institutionnels se sont largement développés en marge des traités du fait de la pratique. Celle-ci a donné naissance à des accords extrêmement variés, par leur dénomination d’abord (déclarations communes, entre plusieurs institutions, codes de conduites …), par leur forme (accords formels ou simples échanges de lettres entre les Présidents des institutions), ainsi que par leur objet.
En effet, la plupart des accords inter-institutionnels avaient un objet procédural : il s’agissait de déterminer les conditions communes de mise en oeuvre d’une procédure normative entre plusieurs institutions. C’est ainsi qu’il y a eu des accords inter-institutionnels sur la mise en oeuvre de la procédure de co-décision, sur la mise en oeuvre de la procédure budgétaire qui associe le Conseil et le Parlement européen en particulier, et qui, jusqu’au traité de Lisbonne, établissait des distinctions parmi les dépenses entre les dépenses obligatoires, pour lesquelles le Conseil avait le dernier mot, et les dépenses non obligatoires, pour lesquelles le Parlement européen avait le dernier mot. Toute la difficulté était de qualifier une dépense donnée d’obligatoire ou non ; cela supposait un accommodement entre ces deux institutions, et c’est par la voie des accords inter-institutionnels que ces aménagements ont été arrêtés.
Les accords inter-institutionnels n’ont pas eu uniquement une visée procédurale : en 1993, un accord inter-institutionnel a été conclu sur l’application du principe de subsidiarité. Par ailleurs, avant de devenir partie intégrante du droit primaire de l’Union, la Charte des droits fondamentaux se donnait à voir comme un accord inter-institutionnel, ou à tout le moins, comme un acte inter-institutionnel.
Il a fallu attendre le traité de Nice pour que, pour la première fois, soit tenté un encadrement de cette pratique extrêmement variée, mais celui-ci a pris une forme très timide, celle d’une simple déclaration annexée au traité. On pouvait en tirer quelques enseignements :
• d’une part, la conclusion de tels accords n’était pas prescrite comme une obligation, c’était une faculté ;
• d’autre part, la déclaration de Nice visait à exclure les accords bilatéraux, en raison du fait qu’en excluant la troisième institution du triangle institutionnel, ces accords étaient de nature à nuire à ses intérêts et à ses prérogatives institutionnelles.
•La déclaration posait donc en principe que les accords inter-institutionnels étaient conclus entre les trois institutions, sous réserve évidemment de l’article 218 du TCE qui prévoyait explicitement que deux institutions sur trois seulement organisaient les modalités de leur coopération par le biais d’un accord inter-institutionnel, et, bien évidemment, une simple déclaration accolée au traité de Nice ne pouvait pas conduire à remettre en cause une disposition explicite du droit primaire. Sur le fondement de cet article, le Conseil et la Commission continuaient à pouvoir conclure des accords bilatéraux ;
• il était précisé que ces accords ne pouvaient nullement modifier ni compléter les dispositions des traités.
Il a donc fallu attendre le traité de Lisbonne pour que soit enfin consacrée au plus haut niveau l’existence de ces accords inter-institutionnels en vertu de l’article 295 du TFUE qui stipule que «le Parlement européen, le Conseil et la Commission organisent d’un commun accord les modalités de leur coopération». À cette fin, ils peuvent conclure entre eux des accords inter-institutionnels qui peuvent revêtir le cas échéant un caractère contraignant.
Cet article nouveau consacre la prohibition des accords bilatéraux, et l’article 218 du TCE qui prévoyait ces accords bilatéraux entre le Conseil et la Commission est désormais abrogé.
Le traité prévoit que ces accords peuvent revêtir un caractère contraignant, reste à déterminer quelle peut être la portée contraignante de ces accords.
b) Leur autorité
On est tenté de comparer ces accords inter-institutionnels à des actes donnant naissance, sinon à une coutume, du moins à des conventions de la constitution. En droit constitutionnel britannique, c’est un accord de volonté entre acteurs politiques pour régir leur conduite. Mais ils n’ont qu’une autorité politique.
Ils ne peuvent être opposables aux tiers, mais en revanche, ils peuvent être imposés à leurs auteurs sur le fondement de l’adage «patere legem quam ipse fecisti» (tu dois subir la loi que tu as toi-même faite) : puisque les institutions décident de conclure des accords entre elles, elles doivent s’y plier.
La CJUE a admis cet effet contraignant en annulant une décision du Conseil contraire à un arrangement qu’elle avait conclu avec la Commission. Mais le Tribunal de première instance est allé encore plus loin en 2002, en admettant la recevabilité d’un recours en annulation contre un accord conclu entre le Parlement et la Commission, lequel était exercé par des membres du Parlement européen, que l’on peut considérer comme des tiers. C’est peut être une voie ouverte à l’opposabilité aux tiers
2. Les accords entre Etats membres
a) Les conventions para-communautaires
Au sens strict, cette expression désignait un certain nombre d’accords conclus entre Etats membres dans les matières prévues à l’article 293 du TCE, en particulier pour l’exécution des décisions de justice, sur l’élimination d’une double imposition d’un Etat membre à l’autre.
Ces accords ont donné lieu à la conclusion de conventions très importantes : Bruxelles I et II, de 1968 et 1998, sur l’exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale. Elles sont désormais remplacées par des règlements communautaires.
Elles entretenaient un rapport ambivalent avec le droit communautaire : elles n’étaient pas sans lien avec lui, puisque leur conclusion était prévue par lui, parce qu’elles ne pouvaient avoir pour parties que les seuls Etats membres, parce qu’elles étaient conclues à l’initiative de la Commission dans le cadre du Conseil de l’Union, et parce que certaines avaient attribué une compétence préjudicielle à la CJUE pour interpréter les clauses.
Mais d’un autre côté, c’était des conventions de droit international qui ne faisaient pas partie du droit communautaire, elle n’étaient pas incluses dans l’acquis communautaire, et ne relevaient en principe pas de la compétence de la Cour de justice, mais seulement dans l’hypothèse où la convention l’avait elle-même prévue.
On pouvait étendre la notion à des accords conclus entre Etats membres à des sujets connexes mais sans qu’ils y aient été invités, et ce de façon spontanée : c’est ainsi que fut conclue la Convention de Rome en 1980 sur la détermination de la loi applicable aux obligations contractuelles, et la Convention de Luxembourg de 1989 sur le brevet communautaire, et les accords de Schengen du milieu des années 80, quand la Communauté n’avait aucune compétence en matière de régulation des flux migratoires et du droit d’asile.
b) Les conventions conclues dans le cadre de l’ex-pilier III de l’Union
Le TUE comprenait une disposition qui permettait aux Etats membres de conclure en matière de coopération pénale des conventions entre eux. Compte tenu de l’abrogation de cette disposition, le traité de Lisbonne doit être interprété comme ne permettant plus cette coopération.
Ces conventions du pilier III se distinguaient des conventions para-communautaires sur deux points :
• elles n’entreraient en vigueur qu’après ratification par les Etats selon leur procédure de ratification propre ;
• le TUE donnait à la CJUE une compétence pour interpréter à titre préjudiciel ces conventions et pour régler éventuellement les différends entre Etats membres à la convention.
c) Les «décisions des représentants de gouvernements des Etats membres réunis au sein du Conseil»
C’est une expression officielle qui ne doit pas tromper : ce ne sont pas des actes unilatéraux adoptés par le Conseil (sinon ce serait des actes imputables à l’Union faisant partie de l’ordre juridique de l’Union), mais des accords inter-étatiques conclus dans le cadre diplomatique qu’offre le Conseil (mais qui n’est pas l’auteur de l’acte) ; la nuance est ténue.
On est ici en présence d’accords internationaux en forme simplifiée, qui deviennent obligatoires du seul fait de leur signature par les représentants des gouvernements des Etats.
B) Les accords internationaux
Ce sont des accords internationaux conclus par l’Union européenne car elle possède la personnalité juridique et notamment la personnalité internationale.
Sont-ils des actes de droit dérivé ? À priori, on devrait conclure par la négative car ces accords n’ont pas pour auteurs exclusifs les institutions de l’Union, mais en principe, le Conseil, et aussi des tiers, des Etats tiers et des organisations internationales tiers. Pour autant, il y a deux arguments qui tendent à une réponse affirmative :
• ils sont tout de même conclus sur le fondement des traités européens qui confèrent compétence à l’Union pour conclure de tels accords ;
• la CJUE n’a pas hésité à considérer que ces accords constituaient, en ce qui concerne l’Union européenne, des actes pris par l’une de ses institutions. Que justifie une telle analyse ? C’est la possibilité de contrôler, notamment dans le cadre du recours en annulation, la compatibilité de ces accords aux traités.
1. Le contrôle de leur compatibilité aux traités de base
Le fait qu’un tel contrôle soit prévu et ait lieu indique-t-il que ces accords internationaux faisant l’objet du contrôle sont subordonnés aux traités de base servant de référence au contrôle ? Cela dépend. En effet, le seul mode de contrôle ayant été prévu est un contrôle préventif : on ne peut rien en déduire en matière de hiérarchie des normes. La thèse de la subordination devient pertinente quand on constate que la CJUE, dans le silence des traités, a prévu aussi, en plus, un contrôle à postériori.
a) Le contrôle préventif
Sous l’empire des traités antérieurs au traité de Lisbonne, à l’époque de la structure en piliers, des accords internationaux pouvaient être conclus dans ce cadre, mais le contrôle préventif n’était envisagé que dans le traité CE, c’est-à-dire dans le cadre du pilier communautaire, à l’article 300§6 du TCE, repris par l’article 218 du TFUE : désormais, il pourra aussi porter sur les accords internationaux pris par l’Union en matière de coopération pénale et peut-être même en matière de PESC.
Ce contrôle fait songer au mécanisme prévu par la Constitution française à l’article 54 qui permet au Conseil constitutionnel de contrôler la conformité à la Constitution d’un engagement international, et si celui-ci se voit doté d’une clause contraire, l’autorisation de ratification n’est pas possible sans révision constitutionnelle préalable.
Le contrôle prend la forme d’une demande d’avis adressée à la CJUE par le Conseil, la Commission ou tout Etat membre ou par le Parlement européen. Elle peut porter aussi bien sur le contenu de l’accord que sur la compétence de l’Union européenne pour le conclure, voire sur la procédure de conclusion. Cette demande doit être adressée à la CJUE avant la conclusion, mais à un stade suffisamment avancé des négociations pour que le contenu de l’accord projeté soit déjà suffisamment élaboré, pour que la CJUE se prononce en connaissance de cause.
En cas d’avis négatif, le traité prévoit que l’accord ne peut entrer en vigueur sauf modification de celui-ci ou révision des traités : c’est la reprise de l’article 300§6 du TCE, il aurait fallu préciser que la négociation était possible. Si la forme prise par l’intervention de la CJUE est un avis, il s’agit en réalité d’une véritable décision contraignante, ce n’est pas un avis consultatif.
Ce contrôle semblait devoir être interprété comme excluant toute possibilité de contrôle ultérieur, mais l’Union européenne a envisagé puis mis en oeuvre cette hypothèse.
b) Le contrôle à posteriori
Un tel contrôle est très surprenant car une fois conclu, l’accord lie l’Union à ses partenaires contractuels : sa responsabilité internationale peut être engagée. La CJUE s’est tout de même engagée dans cette voie.
Dans l’avis 1-75 du 11 novembre 1975, la Cour de justice a affirmé que les accords internationaux conclus par l’Union pouvaient lui être soumis :
• soit directement par la voie du recours en annulation contre la décision du Conseil de conclure cet accord,
• soit par la procédure du renvoi préjudiciel.
Elle a par la suite, à plusieurs reprises, admis les recours en annulation contre des décisions de conclusion d’un accord international par le Conseil. Dans la plupart des cas, le recours visait exclusivement la décision du Conseil ; le contenu n’était pas mis en cause. Mais dans un arrêt de 1998, en admettant le recours, la CJUE a contrôlé à travers cette décision le contenu même de l’accord.
Chaque fois que le recours en annulation s’est conclu par l’annulation de la décision, l’Union se trouvait confrontée à un cas de figure désagréable : l’accord continuait à lier l’Union d’un point de vue international, mais était dépourvu de base légale en droit interne.
Comme l’Union européenne ne peut être déliée de ses engagements sur la scène internationale, la seule solution consiste :
• soit à adopter une nouvelle décision de conclusion dans les plus brefs délais qui puisse servir de base légale à l’accord,
• soit, quand le contenu même de l’accord était incompatible avec les traités, à réviser les traités.
La CJUE, consciente de la difficulté dans laquelle elle plaçait l’Union en admettant sa compétence, prévoit, lorsqu’elle annule la décision, que les effets passés de celle-ci demeurent acquis, la rétroactivité est limitée.
2. Leur autorité sur les Etats membres et sur les institutions
a) Le cas simple des accords conclus par l’Union
L’article 216 du TFUE précise que ces accords lient les institutions de l’Union et les Etats membres. Cela vaut pour les actes de droit dérivé qui pourraient être adoptés sur le fondement de ces accords, et aussi pour les actes mixtes, à cheval entre les compétences de l’Union et des Etats membres. Leurs clauses peuvent être invoquées devant les juridictions nationales et sont susceptibles d’effet direct.
Les institutions doivent adopter des actes de droit dérivé conformes à ces accords, ils doivent être interprétés d’une manière qui les rend conformes, et en cas d’illégalité, ils doivent pouvoir être annulés pour méconnaissances des accords internationaux.
b) Le cas révolu des accords conclus au nom de l’Union dans le cadre des piliers intergouvernementaux
Ces accords conclus au nom de l’Union dans le cadre des piliers intergouvernementaux liaient les Etats membres puisqu’ils étaient conclus par eux. L’Union elle-même n’ayant pas la personnalité juridique, elle ne pouvait être réputée l’auteur de ces accords.
Ils pouvaient être conclus par décisions du Conseil, expression par les Etats membres de leur consentement à être liés à ces accords. Cela posait des problèmes dans les cas où le Conseil devait statuer à la majorité : faute d’être dans la majorité, les Etats membres s’étant abstenu ou n’y ayant pas consenti ne pouvaient être considérés comme liés. Le TUE en dispose expressément, puisqu’aucun accord ne peut lier un Etat membre dont le représentant déclare au sein du Conseil qu’il doit se conformer à ses propre règles constitutionnelles ; c’est le système de l’abstention constructive.
On a assisté à un processus de personnalisation de l’Union européenne, et elle finissait donc par conclure ces accords. Avec le traité de Lisbonne, l’Union européenne a la personnalité juridique, et par voie de conséquence, en toute matière, y compris la PESC et la coopération pénale, l’Union a la capacité de conclure elle-même des accords internationaux.
c) Le cas particulier de la substitution de l’Union aux Etats membres dans les accords avec des tiers
C’est l’hypothèse dans laquelle les Etats membres ont conclu avec des tiers des accords dans des matières qui, par la suite, ont été transférées à l’Union. Dans ce cas, avant le transfert de compétences en la matière, les accords ont pour parties les Etats membres ; mais à partir de l’instant où le transfert a eu lieu, on observe une substitution de l’Union aux Etats membres désormais privés de la compétence ; toutefois, la compétence suppose un caractère exclusif, car si elle a un caractère partagé, l’Union devient partie aux accords aux côtés des Etats membres.
Cela a reçu application dans les accords du GATT sur le commerce international, mais la même logique n’a pas pu valoir en ce qui concerne la CESDH car les Etats n’ont jamais transféré à l’Union de compétences en matière de protection des droits fondamentaux. C’est pour cela que la CJUE avait conclu en 1996 à l’impossible conclusion par la Communauté d’un accord sur les Droits de l’homme.
Avec le traité de Lisbonne, l’Union est appelée à conclure un tel accord aux côtés des Etats membres.
Chapitre 2 : l’effectivité normative
L’effectivité normative correspond à la garantie du respect de ces normes. Le célèbre arrêt du Tribunal de première instance du 10 juillet 1990 Tetra Pak c./ Commission est une illustration de ce principe.
Il faudrait parler de juridictions de droit commun de l’application du droit de l’Union. Le fait que les juridictions des Etats membres soient les premières juridictions appelées à appliquer le droit de l’Union n’apparaît pas explicitement dans le texte des traités : ceux-ci n’évoquent explicitement que les juridictions établies par les traités. Mais cette effectivité des juridictions étatiques est sous-jacente aux traités eux-mêmes.
• L’existence du renvoi préjudiciel qui permet ou oblige, selon le cas, les juridictions nationales à poser à la Cour de justice les questions relatives à l’appréciation de la validité des normes du droit de l’Union européenne qu’elles sont appelées à mettre en oeuvre dans les procès qui leurs sont soumis, en est une preuve.
• Cette réalité est également sous-jacente à l’article 274 du TFUE qui précise que les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas de ce chef soustraits à la compétence des juridictions nationales. Ils pourront l’être par le juge national qui pourra, de ce fait, être amené à appliquer le droit de l’Union.
• Cette réalité est enfin également sous-jacente à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui consacre le droit pour tout justiciable à un recours effectif devant tout tribunal, c’est-à-dire n’importe lequel, y compris et en premier lieu les juridictions des Etats membres. La jurisprudence consacrée sur ce point par le traité de Lisbonne affirme que les Etats membres doivent établir les voies de recours nécessaires pour assurer la protection juridictionnelle effective des justiciables dans les domaines couverts par le droit de l’Union.
•Le juge interne n’est pas le juge de la seule application des normes nationales, mais aussi des normes de l’Union, et assure donc par là l’effectivité de ces normes.
Les juridictions nationales bénéficient donc du principe d’autonomie institutionnelle et surtout procédurale. En effet, pour la Cour de justice, cet office du juge national comme juge communautaire de droit commun est un office qui doit être rempli dans le cadre habituel des règles nationales de procédure contentieuse. En d’autres termes, le traité communautaire n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue de la garantie communautaire, des voies de droit particulières autres que celles prévues de façon générale par le droit national. Le droit de l’Union voit sa garantie juridictionnelle assurée par les juridictions nationales selon les mêmes procédés et voies de recours que celles applicables pour la garantie du droit national.
Néanmoins, ce principe d’autonomie n’est pas absolu : la Cour de justice l’encadre, car si elle lui lassait libre cours, il y aurait un risque très sérieux que les disparités des droits processuels nationaux conduisent à une garantie du droit communautaire différente d’un Etat à l’autre, ce qui porterait atteinte à l’uniformité de l’application du droit de l’Union dans l’ensemble des Etats membres.
Le principe d’équivalence requiert que le droit de l’Union puisse bénéficier des mêmes conditions d’effectivité juridictionnelle que les normes nationales comparables, et le principe d’effectivité oblige à écarter les règles procésuelles nationales lorsque leur mise en oeuvre conduirait à rendre impossible ou excessivement difficile la garantie de l’effectivité par le juge du droit de l’Union :
• ainsi, doit être écartée la disposition qui prévoit le dépôt d’une caution, ce qui est trop dissuasif aux yeux de l’Union ;
• doit aussi être écartée toute règle nationale qui ferait peser trop lourdement la charge de la preuve sur le demandeur ;
• doit être écartée, selon l’arrêt du 9 mars 1978 Simmenthal, les règles nationales qui obligent à saisir la Cour constitutionnelle de l’Etat avant de pouvoir obtenir la garantie juridictionnelle par le juge national de la règle invoquée du droit de l’Union, ce détour nécessaire étant apparu comme contraire à l’exigence d’effectivité du droit de l’Union par la Cour de justice.
Cette question de l’encadrement de l’autonomie des juridictions nationales en leur qualité de juridictions européennes de droit commun soulève le problème de l’examen d’office par le juge des moyens tirés de la violation du droit de l’Union : lorsque les justiciables omettent de se prévaloir du droit de l’Union contre une norme nationale contraire, le juge a-t-il la faculté, l’obligation de soulever d’office cette question ? Les solutions retenues par le droit national sont variables d’un Etat à l’autre.
• La jurisprudence judiciaire française consacre globalement l’obligation pour le juge de relever d’office les moyens relatifs au droit de l’Union, ce qui est le meilleur gage d’effectivité du droit de l’Union, même si les parties omettent de s’en prévaloir. Cette solution s’impose y compris dans les cas où le relevé d’office d’une norme nationale quelconque est exclu ou facultatif : ainsi, lorsqu’une norme européenne est en cause, elle bénéficiera du relevé d’office obligatoire par le juge.
• Il en va différemment dans la jurisprudence administrative : le Conseil d’Etat, du moins lorsqu’il s‘agit de la mise en oeuvre et de l’invocation d’une directive, se refuse actuellement à astreindre le juge administratif au relevé d’office de conclusions tendant à l’application du droit de l’Union (c’est l’arrêt SA Morgan du 11 janvier 1991).
•Depuis 2006, il y a eu des avancées spectaculaires de la juridiction administrative dans la pleine prise en compte des exigences du droit de l’Union. Cette inflexion dépend de la pression exercée par la jurisprudence communautaire.
•Quelle est la position de la jurisprudence de la Cour de justice sur la question du relevé d’office ? À priori, elle rend une jurisprudence dont la ligne directrice est difficile à cerner. Dans un premier temps, elle a paru hésiter entre deux attitudes :
■ imposer au juge national le relevé d’office pour la plus grande garantie, la plus grande effectivité juridictionnelle du droit de l’Union ; c’est ce qui ressort de l’arrêt du 14 décembre 1995 Peter Broeck ;
■ le problème, c’est que dans un arrêt du même jour, Van Schijndel, la Cour de justice a semblé adopter une autre attitude, qui consistait à s’en tenir au principe d’équivalence, c’est-à-dire à aligner au profit du droit communautaire les solutions prévues à propos de telles normes nationales comparables.
Ces deux attitudes semblaient incompatibles, et le fait qu’elles aient été adoptées le même jour prolongeait cette hésitation. Mais il semble que la ligne directrice de cette jurisprudence soit inspirée moins par l’exigence d’effectivité du droit de l’Union que par le souci de faire prévaloir en toute circonstance les intérêts du justiciable. Cette tendance est démontrée par deux arrêts tardifs :
■ un du 7 juin 2007 Van Der Weerd dans lequel la Cour de justice affirme que le droit de l’Union n’exige pas l’obligation du relevé d’office, et ce quelle que soit l’importance de la norme européenne en cause, dès lors que les justiciables ont une véritable possibilité d’invoquer le droit de l’Union, sous entendu, il n’y a pas lieu d’exiger du juge national qu’il pallie la carence argumentative des plaideurs ; la Cour de justice semble plus encline à se préoccuper de l’intérêt des parties ;
■ un du 25 novembre 2008 Heemskerk dans lequel la Cour de justice soutient qu’il est licite au regard du droit de l’Union d’interdire au juge national de relever d’office un moyen dès lors que l’application de la norme volontairement délaissée par les parties aurait pour effet de les placer dans une situation plus défavorable que si elles n’avaient pas eu recours au juge.
La Cour de justice est manifestement entrée dans une période où elle est moins intégriste que par le passé, elle était beaucoup plus intransigeante auparavant. C’est le signe d’un possible assouplissement, marginal sans doute, mais quand même sans précédent, et révélateur des exigences relatives à la garantie de l’effectivité du droit de l’Union. Que sont ces exigences ? Ce sont deux principes essentiels que la Cour de justice a forgé elle-même en vue de la plus grande effectivité possible du droit de l’Union.
• Le premier de ces principes est celui de l’effet direct, consacré en 1963.
• Le second est le principe de primauté, consacré en 1964.
La chronologie et la logique ne font pas bon ménage ici, car seules quelques normes communautaires bénéficient de l’effet direct, alors que toutes les normes européennes bénéficient du principe de primauté.
Première section : la primauté du droit de l’Union européenne
Ce principe déploie ses effets dans les ordres juridiques étatiques au détriment de toute norme nationale contraire ; c’est dire que la force d’intégration et de contrainte de ce principe ne pouvait pas manquer de susciter des réactions réticentes voire hostiles des juridictions nationales.
I. La consécration du principe de primauté en droit communautaire
A) Les fondements du principe de primauté
Il ne faut pas se tourner du côté des traités, silencieux sur ce point fondamental, mais vers la Cour de justice, qui a pris en effet conscience très tôt de la lacune des traités. Elle a compris que le droit communautaire, sans la primauté, était mort-né.
1. La construction jurisprudentielle du principe
La construction jurisprudentielle du principe s’est faite par le célèbre arrêt du 15 juillet 1964 Costa c./Enel. Elle y affirme le principe de primauté du droit de l’Union issu d’une source autonome en ces termes : «le droit né du traité ne pourrait se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit».
On a pu dire à bon droit, selon Pierre Pescatore, que ce principe de primauté était une condition existentielle du droit communautaire, c’est-à-dire une condition sans laquelle le droit communautaire n’existait plus. La Cour de justice, par plusieurs formules jurisprudentielles, a exprimé cette même idée selon laquelle le principe de primauté était consubstantiel au droit communautaire, inhérent à sa nature même.
Dans cet arrêt, la Cour de justice se réfère à cette fin, au regard du traité, son intention est de prouver qu’elle ne créé pas le principe, mais qu’elle le met au jour sur la base d’une analyse systémique mais aussi textuelle du traité.
a) Les arguments systémiques
Cela consiste à tirer toutes les implications des transferts de compétences, des transferts d’attribution que les Etats membres ont consenti aux communautés. Celles-ci sont en mesure d’adopter un corps de droit applicable aux Etats membres et à leurs ressortissants.
Le corollaire est l’impossibilité pour les Etats de s’affranchir par des normes nationales contraires des règles édictées par les communautés. La logique même de ces transferts implique nécessairement selon la Cour de justice le principe de primauté.
Le second argument est tiré de la nécessaire application uniforme du droit communautaire dans l’ensemble des Etats membres. L’objectif premier des traités communautaires est la mise en place d’un marché économique commun, ce qui nécessite la mise en place de règles économiques communes, c’est-à-dire adoptées mais surtout appliquées de façon uniforme. Or, si les Etats peuvent s’affranchir au gré de leurs caprices des règles communautaires, s’en est fini de cette uniformité.
Selon la Cour de justice, la force exécutoire du droit communautaire ne saurait varier d’un Etat à l’autre à la faveur de législations internes ultérieures sans mettre en péril les buts du traité.
Le troisième argument veut que la Cour de justice affirme que les obligations contractées dans le traité ne seraient pas inconditionnelles mais seulement éventuelles si elles pouvait être mises en cause par des actes internes contraires. La portée obligatoire des actes pris par le traité implique nécessairement le principe de primauté.
b) Les arguments de texte
Leur avantage est qu’ils accréditent bien la thèse selon laquelle la Cour de justice se borne à formuler le principe de primauté. Quels sont ces arguments ? Il y en a trois :
• le principe de non-discrimination à raison de la nationalité : depuis l’origine, le traité prohibe non pas toutes les formes de discrimination, mais la discrimination à raison de la nationalité, car les auteurs du traité avaient en vue la libre-concurrence et la libre-circulation des personnes et des marchandises des éventuelles discriminations à raison de la nationalité.
•La Cour de justice en a déduit en 1964 que si le principe de primauté ne s’imposait pas, alors il serait possible aisément de contrarier l’application du droit communautaire d’un Etat à l’autre, ce qui entraînerait immanquablement des discriminations à raison de la nationalité ;
• dans certains cas, les Etats membres ont le droit d’agir unilatéralement, et il peut même arriver qu’ils aient le droit de déroger au traité, mais cela en raison d’une clause du traité ; la Cour dit qu’il ne serait pas nécessaire d’avoir prévu des cas particuliers d’affranchissement du droit communautaire si le principe de primauté n’existait pas ;
• la Cour de justice s’appuie sur le régime juridique particulièrement favorable que le traité réserve au règlement : les règlements communautaires sont directement applicables dans tous les Etats membres ; cette disposition, qui n’est assortie d’aucune réserve n’aurait aucune portée s’il était possible, à loisir, à tout Etat de contrevenir à la force obligatoire du règlement en adoptant des normes contraires ; le principe de primauté est donc omniprésent.
2. La confirmation textuelle du principe
Le principe n’a pas été confirmé par les textes, après une tentative discrète et un abandon retentissant.
a) Une confirmation discrète désormais révolue
Il fut bien un temps où les traités ont procédé à une confirmation, mais elle est désormais révolue. Elle a pris deux formes complémentaires :
• avec le traité de Maastricht, fut consacrée la notion d’acquis communautaires ; les articles 2 et 3 du TUE évoquaient la nécessité de développer et préserver cet acquis communautaire ; cela recouvrait à l’évidence l’ensemble de l’acquis normatif ; il fallait réserver une bonne place aux acquis jurisprudentiels, et parmi ceux-ci, le principe cardinal de primauté ;
• en vertu du traité d’Amsterdam, et plus précisément d’un protocole annexé à ce traité sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, était évoqué le fait que l’application de ces deux principes ne portait pas atteinte «aux principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire» ; s’agissant du principe de primauté, il consiste à dire que la norme européenne prime sur la norme nationale qui lui est contraire ; il s’agissait donc d’une confirmation allusive du principe de primauté.
b) Une confirmation éclatante finalement abandonnée
Avec le traité de Lisbonne, ces deux vecteurs de confirmation ont disparu. S’il y a un nouveau protocole relatif à l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité et abrogeant le précédent, il ne comporte pas cette formule transparente.
Il y a là une régression qui n’est pas étonnante quand on sait que le traité de Lisbonne a renoncé de façon éclatante à la formulation du traité établissant une constitution pour l’Europe qui comportait un article 1-6 en vertu duquel «la Constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union, dans le cadre des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des Etats membres» : il s’agissait, pour la première fois, de poser ce principe jurisprudentiel ancien et fondamental.
Cette disposition permettait aussi de réaffirmer la compétence d’attribution, laquelle reconnaît la primauté si les normes sont adoptées dans le cadre des compétences attribuées à l’Union. C’est exactement ce qu’avait dit la Cour constitutionnelle allemande dans son arrêt Maastricht de 1993. Une déclaration jointe au traité précisait que cet article reflétait la jurisprudence existante de la Cour de justice. Le traité de Lisbonne renonce purement et simplement à la codification du principe de primauté.
Est-ce à dire pour autant qu’il s’y oppose et que par son silence, il le remet en cause ? Non, pas du tout, car conscient du risque de voir ce silence interprété de la sorte, les rédacteurs du traité ont pris une décision relative à la primauté qui vise à réaffirmer la permanence de ce principe de primauté. Joint à cette déclaration, un avis du service juridique du Conseil précise que le fait que ce principe ne soit pas inscrit dans le traité de Lisbonne ne modifie en rien son existence et la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice.
Le principe de primauté n’est pas devenu un principe textuel, il n’est toujours qu’un principe jurisprudentiel.
B) La portée du principe
1. Une primauté «externe» et «interne»
L’on est ici en présence d’un principe inhérent à l’ordre juridique de l’Union européenne, qui est lui-même intégré aux ordres juridiques des Etats membres, il est donc impossible de le qualifier d’interne ou d’externe.
À priori, le fait que le droit de l’Union prétende à sa propre primauté ne devrait pas surprendre : après tout, le droit international, dont le droit communautaire est issu à l’origine, prétend lui-même à sa propre primauté. Un Etat ne saurait s’affranchir du droit international sous prétexte de son droit interne.
a) Le dépassement de la conception internationale de la primauté
La conception communautaire de la primauté conduit à un dépassement de la conception internationaliste classique. Le droit international obéit à une logique dualiste, c’est-à-dire à une logique de séparation radicale entre l’ordre international et les ordres étatiques. Les conséquences sont que :
• le droit international considère les droits étatiques et les règles internes aux Etats comme de purs faits ;
• par ailleurs, le droit international affirme sa propre primauté dans l’ordre juridique international (oui à la primauté externe) ; en revanche, il est indifférent, et ce parce qu’il y est contraint, au statut de la norme internationale dans l’ordre juridique des Etats (non à la primauté interne).
b) La spécificité de la conception européenne de la primauté
Parce que l’ordre juridique de l’Union est intégré aux systèmes juridiques de ses Etats membres, la primauté de ses normes est aussi bien «externe» qu’«interne». La primauté «externe» classique est présente, un Etat membre ne saurait se prévaloir devant la Cour de justice d’une règle nationale pour s’affranchir du respect du droit de l’Union ; le fait d’invoquer l’invocation d’une norme nationale contraire au droit de l’Union ne saurait justifier un manquement de l’Etat à ses obligations communautaires.
Le recours en constatation de manquement pour violation du droit communautaire par le droit interne concrétise le droit communautaire et sa primauté externe. Dans l’arrêt Costa contre Enel, la Cour de justice s’est bien gardée d’invoquer l’existence d’un recours en manquement.
En ce qui concerne la primauté «interne», la Cour de justice n’a jamais nié le fait que le droit né du traité ne saurait se voir judiciairement opposer.
Dans l’arrêt Simmenthal de 1978, elle a affirmé que les normes communautaires faisaient partie intégrante, avec rang de priorité, de l’ordre juridique applicable sur le territoire de chaque Etat membre. Il appartient donc aux Etats, dans leur propre ordre juridique, de garantir la primauté du droit de l’Union. En cas de contentieux, cela implique que le juge national fasse prévaloir autant que possible la norme communautaire sur la norme nationale contraire au nom du principe de primauté. En amont, cela implique de la part des autorités normatives de l’Etat des obligations :
• d’abord une obligation de s’abstenir d’adopter des dispositions contraires aux actes communautaires, le principe de primauté a pour objet d’empêcher la formation d’actes nationaux contraires ;
• il y a aussi l’obligation positive de mettre pleinement en oeuvre la norme communautaire et d’éliminer toute norme nationale contraire.
2. Une primauté générale et absolue
a) La primauté de tout le droit de l’Union
C’est l’ensemble du droit né de l’Union qui bénéficie de la primauté, pas seulement le droit primaire mais aussi le droit dérivé, les règlements, les décisions, les directives, les accords internationaux de l’Union. Tout cet ensemble en bénéficie de façon équivalente.
Le principe de primauté a prospéré bien avant le traité de Lisbonne, et en particulier après l’avénement par l’Union européenne du traité de Maastricht, c’est-à-dire à une époque où l’Union était constituée en piliers.
Le principe de primauté du droit communautaire déployait-il seulement ses effets dans le pilier central ou s’étendait-il aussi aux piliers II et III ? Le principe pouvait-il profiter aux normes du pilier III, primaires ou dérivées, relatives à la coopération pénale ? Oui, la jurisprudence l’a affirmé dans un arrêt du 16 juin 2005, où elle a estimé que le droit national devait être interprété de manière conforme aux prescriptions d’une décision-cadre du Conseil.
b) La primauté sur tout le droit interne
Elle s’impose sur tous les Etats membres. C’est ainsi que la norme communautaire s’impose à toute disposition interne contraire provenant de la loi nationale, qu’elle soit antérieure ou postérieure à la norme en question (arrêt Simmenthal de 1978).
Plus largement, les normes du droit de l’Union priment sur toutes dispositions nationales, sur toutes pratiques administratives ou judiciaires qui contreviendraient au droit de l’Union.
1) La primauté du droit communautaire sur les décisions de justice devenues définitives
Il est si absolu qu’il va jusqu’à s’imposer à des décisions de justice devenues pourtant définitives. C’est l’audace qui caractérise l’arrêt Lucchini du 16 juillet 2007. La Cour de justice semble considérer que le principe du respect de l’autorité de chose définitivement jugée devrait céder face au droit communautaire.
Par la suite, la jurisprudence s’est attachée à tempérer la décision retenue dans cet arrêt, faisant état de la spécificité du contexte et des faits de cet arrêt. Il ne fallait donc pas en déduire une remise en cause systématique des décisions de justice devenues définitives dès lors qu’elles s’avèrent différentes du droit communautaire, selon un arrêt du 3 septembre 2008. La Cour de justice ne semble plus convaincue de sa légitimité à faire valoir une conception aussi absolue, même si celle-ci est envisageable.
2) La primauté du droit communautaire sur les normes constitutionnelles
Ce principe est si absolu qu’il s’applique aussi à l’égard des normes constitutionnelles, c’est-à-dire au sommet de la hiérarchie interne des normes.
La Cour de justice a posé ce principe en termes qui ne souffrent aucune exception dans son arrêt du 17 décembre 1970 Internationale Handelsgesellschaft : elle affirme que le principe de primauté s’impose à toute norme constitutionnelle, qu’elle ait pour objet la garantie des droits fondamentaux, ou qu’elle ait pour objet de dénoncer les principes d’une structure d’une norme internationale (principe de répartition des pouvoirs au sein de l’Etat, notamment entre le centre et la périphérie, éventuellement le principe de laïcité). L’invocation de l’atteinte portée aux normes constitutionnelles n’affecterait en rien l’application de ce principe de primauté.
Dans l’arrêt du 9 mars 1978 Simmenthal, la Cour est même allée jusqu’à affirmer que, dans l’hypothèse où le droit constitutionnel national imposerait au juge de l’application du droit communautaire d’opérer un renvoi préjudiciel au juge constitutionnel, alors que ce juge ordinaire est également amené à opérer un renvoi préjudiciel vers la Cour de justice, la juridiction étatique devrait faire valoir la seconde obligation sur la première.
Bien qu’il s‘agisse d’une jurisprudence ancienne, elle a trouvé un écho très fort et très récemment en France du fait de la QPC. Celle-ci amène le juge à, au terme d’un filtrage, renvoyer la QPC devant le juge constitutionnel (ce qui correspond à l’hypothèse 1) ; mais il peut arriver dans le même temps qu’elle soit mise en concurrence avec la violation d’une norme constitutionnelle obligeant le juge à renvoyer devant la Cour de justice (c’est l’hypothèse 2).
Ce principe de primauté de la norme communautaire sur la norme constitutionnelle contraire est un principe absolu qui, même dans la période récente, a été maintenu tel quel. On a pensé que la Cour de justice était encline à mettre de l’eau dans son vin, mais il n’en est rien, les espèces jurisprudentielles invoquées à l’appui de cette thèse de l’infléchissement du principe de primauté ne sont pas très convaincantes. Ainsi, dans l’arrêt Oméga du 14 octobre 2004, la Cour de justice a admis que l’Allemagne puisse déroger à la libre circulation des services afin d‘assurer la garantie du principe constitutionnel allemand très important de la dignité de la personne (mise en place de jeux qui consiste à prendre une personne pour cible). La Cour de justice a admis cette dérogation, mais de là à en déduire qu’elle a abandonné les exigences de la primauté face à un principe constitutionnel, c’est aller trop vite en besogne :
• le principe de dignité est aussi consacré au niveau communautaire dans les principes généraux ;
• le principe de libre circulation des services peut connaître lui-même des dérogations en vertu des traités eux-mêmes.
Dans un autre arrêt du 12 septembre 2006, la Cour de justice a admis qu’un Etat membre puisse accorder le droit de participer aux élections européennes à des personnes qui n’avaient ni la nationalité de cet Etat, ni la nationalité d’un autre Etat membre. La Cour de justice dément cette idée du droit communautaire en admettant qu’il soit dérogé ainsi au droit de vote attribué aux citoyens de l’Union au nom d’une tradition particulière, celle du Royaume-Uni, qui accordait le droit de vote à Gibraltar à des citoyens de Commonwealth, qui ne sont ni britanniques, ni ressortissants d’aucun autre Etat membre.
On ne peut pas vraiment dire que la Cour de justice a fait prévaloir cette tradition particulière sur le droit de l’Union car elle dit que les traités ne permettent pas de savoir si le droit de participer aux élections européennes doit être considéré comme réservé aux seuls citoyens de l’Union : ce point n’est pas tranché par le traité.
Ce genre d’affaires laissent quand même à s’interroger sur le futur du principe de primauté.
• La Cour de justice a donné l’exemple, et du point de vue communautaire, le mauvais exemple ; dans l’arrêt Kadi du 3 septembre 2008, la Cour de justice affirme que la nécessité pour l’Union, sujet de droit international, de mettre en oeuvre les règles de droit international, telles que les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU en matière de lutte contre le terrorisme international (et plus particulièrement, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, par le gel des avoirs bancaires des associations ou groupements réputés soutenir les organisations terroristes), ne saurait s’accomplir au mépris des principes fondamentaux du droit de l’Union européenne (droit à un procès équitable et au respect de la défense).
•Quand la Cour de justice affirme cela, elle manifeste une revendication du droit de l’Union à l’autonomie par rapport au droit international ; par analogie, les Etats membres, et leurs juridictions constitutionnelles en particulier, pourraient se targuer d’une telle analogie en invoquant l’arrêt Kadi.
• La Cour de justice a d’ores et déjà donné des signes d’un tel assouplissement : dans une conception stricte de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union, cela devrait conduire à imposer en toute circonstance au juge national de soulever d’office des conclusions tendant à assurer la primauté et la garantie du droit de l’Union ; or, la Cour de justice ne va pas dans ce sens, elle a une position beaucoup plus contrastée.
•La Cour de justice a tempéré le principe qu’elle avait posé en 2007, après l’avoir affirmé, c’est là encore le signe d’un prochain assouplissement de sa position.
Faute de consacrer ce principe, le traité de Lisbonne contient quand même la déclaration qui confirme la permanence du principe, mais cela n’exclut pas que ce principe, permanent dans son essence, puisse connaître des évolutions dans sa mise en oeuvre, et ce pour deux raisons :
• la déclaration, qui n’a pas la valeur juridique des traités, rappelle la permanence du principe dans les conditions définies par la jurisprudence ; cela n’exclue pas que celle-ci évolue et que les conditions définies par elles ne s’assouplissent ;
• l’article 4§2 relatif à la clause d’identité constitutionnelle prévoit que l’Union respecte l’identité nationale des Etats membres, inhérente à leur structure constitutionnelle, fondamentale et politique ; la montée en puissance de ce principe devrait conduire, ou pourrait justifier que la Cour de justice assouplisse la conception qu’elle retient traditionnellement du principe de primauté.
•Un exemple récent va dans ce sens : lorsque la QPC est entrée en vigueur en vertu de la loi organique du 10 décembre 2009, un problème s’est posé pour le droit de l’Union : elle a prévu que, dans le cas où la même disposition législative fait l’objet d’une double critique sous la forme d’abord d’une QPC (critique constitutionnelle) mais aussi sous la forme d’un moyen tiré de la violation du droit de l’Union ou du droit international en général, le juge devant lequel est soulevée cette QPC doit traiter prioritairement celle-ci puis sa conventionnalité. La question s’est donc posée de savoir si, en retardant la garantie effective de la primauté de la norme communautaire invoquée, cette QPC ne contrevenait pas aux exigences du droit de l’Union.
•La Cour de cassation, saisie d’une QPC, a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice pour savoir ce qu’il en était de ce principe de compatibilité. Dans la décision du 22 juin 2010 Melki et Abdeli, la Cour de justice s’est refusée à trancher la controverse : la Cour de cassation affirme l’inconventionnalité de la primauté accordée au traitement de la QPC dans sa décision du 16 avril 2010, et de l’autre côté, le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel, respectivement par deux décisions des 12 et 14 mai 2010 M. Senad Rujovic, affirment qu’il n’y a aucun problème de compatibilité. La Cour de justice s’est montrée sensible aux affirmations de ces derniers, mais s’est contentée de préciser dans quelles conditions cela pouvait être compatible avec les exigences de l’Union européenne.
II. La réception du principe de primauté en droit français
Pendant longtemps, la question des rapports entre l’ordre juridique étatique et l’ordre juridique communautaire n’a pu s’établir que sur le fondement de l’article 55 de la Constitution. Il pose le principe de la primauté des traités régulièrement conclus sur les lois sous réserve de réciprocité. Cela ne concerne pas exclusivement les traités européens.
Il a fallu ensuite tenir compte de l’article 88-1 introduit par la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, préalable à la ratification par la France du traité de Maastricht. Cet article consacre solennellement la participation de la France à l’Union européenne en vertu des traités qui l’ont institué et, en dernier lieu, en vertu du traité de Lisbonne.
La réception soulève deux difficultés : peut-on admettre que le principe de primauté aille jusqu’à s’imposer sur le droit constitutionnel ? Dans l’affirmative, quel est le meilleur juge pour assurer la garantie juridictionnelle de la primauté du droit de l’Union sur la loi ?
A) Le principe discuté de la primauté du droit de l’Union sur la Constitution
C’est la question la plus épineuse : les jurisprudences allemande et italienne manifestaient déjà cette difficulté dans les années 70-80 (Solange I et Frontini). Plus récemment, lorsque fut mis en place le mandat européen dans le cadre d’une décision-cadre de 2002, la question de la conformité de ce dispositif par rapport aux constitutions internes a soulevé, dans plusieurs Etats membres, des difficultés telles qu’il a fallu parfois en arriver à une révision constitutionnelle.
Les jurisprudences des Cours constitutionnelles nationales développent une notion assez nouvelle en droit constitutionnel européen, celle de l’identité constitutionnelle de l’Etat. Cela semble être une limite ultime à la construction européenne, et techniquement, à la primauté.
À s’en tenir à une approche classique des choses, on se trouve face à deux prétentions inconciliables :
• la prétention communautaire à la primauté totale,
• la prétention constitutionnelle au refus de cette primauté totale.
La solution devra passer par des compromis.
1. La position des juridictions administratives et judiciaires
a) La primauté refusée par le Conseil d’Etat
La position du Conseil d’Etat est désormais clarifiée, il refuse la primauté communautaire. Dans l’arrêt Sarran du 30 octobre 1998, le Conseil d’Etat affirmait que la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’appliquait pas dans l’ordre interne aux normes constitutionnelles, on y voyait la réaffirmation de la primauté de la Constitution sur le traité en général, et l’on pensait que cela vaudrait en cas de conflit. Ce présage a été confirmé en deux temps :
• l’arrêt SNIP du 3 décembre 2001 où le Conseil d’Etat affirme que le principe de primauté du droit de l’Union européenne «ne saurait conduire, dans l’ordre interne, à remettre en cause la suprématie de la Constitution» ;
• l’arrêt du 8 février 2007 Arcelor par lequel le Conseil d’Etat réaffirme sa jurisprudence Sarran dans un cadre conflictuel entre une loi constitutionnelle de 1998 et le droit de l’Union. Il retient que la suprématie conférée aux engagements internationaux ne saurait s’imposer dans l’ordre interne aux normes de valeur constitutionnelle.
•Le Conseil d’Etat est confronté à un cas très particulier, le contrôle de la légalité d’un décret de pure et simple transcription d’une directive communautaire (la directive est précise est inconditionnelle). Ce règlement de transcription est critiqué par l’invocation de principes constitutionnels (principe d’égalité, liberté d’entreprendre…), mais le Conseil d’Etat est conscient que contrôler la constitutionnalité du décret, qui n’est qu’un décret de transposition, revient à contrôler la constitutionnalité de la directive elle-même : c’est pour cela qu’il réaffirme le principe de la suprématie de la Constitution.
•Le Conseil d’Etat a l’idée, à la suite de son rapporteur public, d’aménager ce contrôle de constitutionnalité du décret, et donc incidemment de la directive, selon des modalités particulières :
– ou bien le principe constitutionnel invoqué a un exact équivalent communautaire ; dans ce cas, le Conseil d’Etat procède, selon une figure acrobatique et savante, à une requalification du moyen ; il opère une translation, selon la formule de Mattias Guyomar, du contrôle de constitutionnalité vers le contrôle de conventionnalité, sans renoncer au premier, et donc au principe de primauté, mais en l’exerçant par d’autres moyens ;
– ou bien il n’a pas d’équivalent communautaire européen, ce qui signifie que ce principe constitutionnel est spécifique, et dans ce cas, le Conseil d’Etat exercera le contrôle de constitutionnalité incident de la directive, que cela plaise ou non à la Cour de justice ; dans ce cas là, le Conseil d’Etat fera prévaloir la primauté de la Constitution.
b) La primauté acceptée par la Cour de cassation ?
Une telle interrogation se pose suite à l’observation de deux arrêts importants : l’arrêt Fraisse du 2 juin 2000 et l’arrêt Abdeli et Melki du 16 avril 2010.
1) L’arrêt Fraisse du 2 juin 2000
L’arrêt Fraisse, de prime abord, ressemble à s’y méprendre à l’arrêt Sarran du Conseil d’Etat de 1998. En effet, les faits de la cause sont analogues (revendication de l’exercice du droit de suffrage aux élections en Nouvelle-Calédonie) ; par ailleurs, la Cour de cassation, face au moyen tiré de la violation de la CESDH et du Pacte International sur les droits civils et politiques, oppose la même fin de non-recevoir que le Conseil d’Etat en considérant que la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas dans l’ordre interne aux normes de rang constitutionnel.
La fin de non-recevoir est formulée dans les mêmes motifs, si ce n’est que que la Cour de cassation ne recoure par au fondement de l’article 55 de la Constitution.
Il y a cela dit dans cet arrêt un aspect absent de l’arrêt Sarran : la requérante invoquait non seulement des stipulations internationales, mais aussi le TUE, et en particulier l’article 6§2 (devenu §3 depuis le traité de Lisbonne) en vertu duquel l’Union respecte les droits fondamentaux et notamment les droits de suffrage. La Cour de cassation répond ici que le droit invoqué n’entre pas dans le champ d’application du droit de l’Union européenne, qui n’est donc pas invoquable en l’espèce.
On peut se demander quelle aurait été l’attitude de la Cour de cassation si le droit invoqué entrait dans le champ d’application du droit de l’Union européenne. La question reste posée à la Cour de cassation qui a globalement eu une jurisprudence plus ouverte au droit de l’Union européenne que le Conseil d’Etat ; pour autant, celui-ci a largement ouvert sa jurisprudence aux particularités et spécificités du droit de l’Union européenne.
2) L’arrêt du 16 avril 2010
Ce second arrêt, moins significatif, a vu la Cour de cassation demander à titre préjudiciel à la Cour de justice si le caractère prioritaire des QPC était compatible avec le principe de primauté et l’exigence d’effectivité immédiate du droit de l’Union européenne.
Certains ont soutenu que, par cet arrêt mettant en doute la compatibilité avec le droit de l’Union européenne le caractère prioritaire des QPC, la Cour de cassation élevait un conflit entre la Constitution et le droit de l’Union européenne. C’est une erreur d’analyse car la Cour de cassation ne mettait pas en cause l’euro-compatibilité du principe même, mais l’euro-compatibilité du caractère prioritaire donné à la QPC, lequel ne résulte pas de la Constitution, et en particulier de l’article 61-1 : ce caractère a été conféré par une loi organique mettant en oeuvre cette nouvelle voie de droit. En conséquence, si la Cour de cassation soulevait l’hypothèse d’un conflit, c’était un conflit entre la loi organique et le droit de l’Union européenne, conflit banal qui se résout très classiquement par la mise à l’écart de la loi, laquelle a été considérée comme nécessaire par la Cour de cassation .
Des observateurs ont fait remarquer que cet arrêt avait été rendu au visa d’abord de l’article 267 du TFUE, qui organise la procédure de renvoi préjudiciel à la Cour de justice, et ensuite seulement au visa de la Constitution. De là à en déduire que la Cour de cassation manifestait par là son adhésion à la thèse de la primauté du droit de l’Union européenne, c’est faire feu de tout bois, et en tirer une telle conséquence est très discutable.
2. La position du Conseil constitutionnel
a) Une position longtemps indéfinissable
Cette position a pendant longtemps été indéfinissable, et ce pour plusieurs raisons.
1) Le seul contrôle préventif institué par la Constitution
La Constitution organise seulement un contrôle préventif des engagements internationaux en général au regard de la Constitution selon son article 54 ; d’une part, il est d’application générale, et d’autre part, on a tendance parfois à en déduire à tort des conséquences en matière de hiérarchie des normes :
• certains soutiennent que l’organisation d’un contrôle de l’engagement international à la Constitution est le signe de sa subordination à la Constitution ;
• d’autres avancent que le fait que ce contrôle aboutisse à un jugement d’inconstitutionnalité peut être résolu par la révision de la Constitution, ce qui serait le signe cette fois de la soumission de celle-ci à l’engagement international.
•
En réalité, l’article 54 met au prise une norme, la Constitution, et un texte, l’engagement international, qui n’est pas encore une norme car il a seulement été signé et pas encore été ratifié (le contrôle est préventif). En conséquence, de quelle manière pourrait-on en tirer des conclusions en terme de conflits entre normes, puisque l’engagement n’est pas une norme ?
2) L’absence d’occasion de se prononcer du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel, pendant longtemps, n’a pas eu l’occasion de se prononcer directement sur cette question de hiérarchie. Le seul principe qu’on pouvait en tirer était l’immunité des traités définitivement conclus. Ainsi, dès qu’un traité est définitivement conclu, il n’est plus possible de contester sa conformité à la Constitution.
Cela pourrait signifier qu’un traité en vigueur, même inconstitutionnel, s’imposerait : c’est la thèse de la primauté de l’engagement sur la Constitution. Mais, puisqu’il est interdit de le contester, comment démontrer son inconstitutionnalité ? Cette idée est donc indémontrable, on ne peut rien tirer de ce principe d’immunité constitutionnelle.
b) Une position désormais exprimée : la primauté tempérée par une réserve
Le Conseil constitutionnel parle désormais d’une primauté tempérée du droit de l’Union européenne sur la Constitution, et ceci depuis une décision du 10 juin 2004 en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité des lois de transposition des directives européennes. C’est dans ce cadre que le Conseil constitutionnel a formulé sa position en deux temps.
1) La décision du 10 juin 2004, premier temps de la position
Par la décision du 10 juin 2004 et quelques autres de l’été 2004, le Conseil constitutionnel affirme que la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu’en raison d’une disposition expresse contraire de la Constitution.
Dès ce premier temps, le Conseil constitutionnel manifestait son adhésion à la thèse de la primauté du droit de l’Union européenne, ici incarné par une directive, sur la norme constitutionnelle.
Ainsi, en principe, l’obligation de transposition s’impose, y compris si la directive en question est contraire à la Constitution (ce qui manifeste donc la primauté de la directive sur la Constitution). Il y a cela dit quelques tempéraments :
• quel est le fondement de l’exigence de transposition de la directive ? C’est la Constitution elle-même, elle résulte de l’article 88-1. Le Conseil constitutionnel admet donc la primauté de la directive sur la Constitution, mais en vertu de la Constitution elle-même : c’est donc elle qui consent à sa propre subordination, et ainsi, manifeste sa suprématie.
• par ailleurs, cette primauté connait une réserve, une exception, si elle contrevient à une disposition expresse de la Constitution : le Conseil constitutionnel a précisé dans la décision du 29 juillet 2004 que cette disposition ne devait pas avoir d’équivalent dans l’ordre juridique de l’Union européenne, c’est l’hypothèse où la directive contrevient à une disposition constitutionnelle qui n’est pas protégée par le droit de l’Union européenne, sous la forme en particulier d’un principe général du droit communautaire.
•Cela a été bien reçu par la doctrine, mais néanmoins, si elle comprend que le Conseil constitutionnel tempère la primauté du droit de l’Union européenne sur la Constitution, la réserve formulée au travers de la notion de disposition expresse est extrêmement mal conçue pour deux raisons :
— cela suggère une distinction dans la Constitution entre le texte écrit et les normes constitutionnelles issues de la jurisprudence (alors qu’en réalité tout est imbriqué) ;
— un juge constitutionnel est enclin à protéger la suprématie de toute la Constitution ou, s’il décide de faire un tri, à protéger la suprématie de ce qui est véritablement fondamental ; le problème, c’est qu’il n’y a pas de lien entre le caractère fondamental et le caractère exprès.
Cela a donc conduit le Conseil constitutionnel à corriger le tir dans un deuxième temps.
2) La décision du 27 juillet 2006, deuxième temps de la position
La deuxième étape a été franchie avec la décision du 27 juillet 2006 qui retient que «la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti».
Le Conseil constitutionnel reformule donc sa réserve au principe de primauté du droit de l’Union européenne : il n’est plus question de cette notion critiquable de disposition expresse, mais de principes ou règles inhérents à l’identité constitutionnelle de la France.
Cette notion nouvelle ressemble à la clause européenne de respect des identités constitutionnelles nationales, prévue dans le traité constitutionnel de 2004 et repris depuis lors dans le traité de Lisbonne à l’article 4§2 qui dispose que «l’Union respecte l’égalité des Etats membres devant les traités ainsi que leur identité nationale inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles».
Cette notion de principe inhérent, qui pourrait conduire à s’opposer à la transposition d’une directive contraire, reste indéterminée, cela peut être des principes fondamentaux, mais c’est certain qu’ils sont spécifiques (qu’on ne les trouve pas dans le droit de l’Union européenne), ce dernier critère paraît bien convenir à la notion d’identité.
Cette réserve existe, de sorte que la primauté consentie au profit du droit de l’Union européenne demeure tempérée, mais il ne faut pas en exagérer l’importance pratique (même si l’importance politique est, elle, très grande). C’est en effet très discutable car cette réserve ne couvre qu’un petit nombre de dispositions constitutionnelles, elle ne pourrait éventuellement être utilisée que dans le cas particulier où le Conseil constitutionnel est confronté au contrôle de constitutionnalité d’une loi de transposition d’une directive si précise et inconditionnelle, selon l’expression consacrée, que la loi de transposition se réduirait à un acte de pure et simple transcription de la directive.
Dans ce cas en effet, contrôler la constitutionnalité de la loi de transcription de la directive reviendrait nécessairement à contrôler la constitutionnalité de la directive elle-même, ce à quoi le Conseil constitutionnel se refusera en principe, sauf dans le cas où le principe constitutionnel invoqué est inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.
B) La garantie assurée de la primauté du droit de l’Union sur la loi
Ici, il est question de l’application particulière du traité quel qu’il soit sur la loi. Ce principe de primauté s’impose, il est assuré par le juge national, et plus précisément en France par les juridictions ordinaires en raison de l’incompétence traditionnelle du Conseil constitutionnel pour contrôler la conformité des lois aux traités en général.
La situation est compliquée car le Conseil constitutionnel a admis des cas limités de contrôle par ces soins de la loi, de principes relevant du droit de l’Union européenne. On aurait pu considérer que l’on ouvrait la voie à une remise en cause plus générale de son incompétence. Depuis peu, cette perspective est révolue.
1. Une garantie globalement assurée par les juridictions ordinaires
C’est le résultat de l’affirmation par le Conseil constitutionnel de son incompétence pour contrôler la conformité des lois au droit international en général, et au droit européen en particulier.
a) L’incompétence générale du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel l’a affirmé pour la première fois dans la décision du 15 janvier 1975 relative à la loi dépénalisant l’IVG. Sur le fondement de cette incompétence, le Conseil constitutionnel a refusé de contrôler la conformité des lois qui lui étaient soumises, en l’espèce à la CESDH, et plus largement à l’ensemble des normes internationales, mais aussi en particulier au regard du droit de l’Union européenne, primaire ou dérivé.
Cette incompétence, qui valait jusqu’à présent dans le cadre du contrôle préventif, est désormais étendue au cadre du contrôle à posteriori par la voie d’une QPC. Le Conseil constitutionnel l’a confirmé dans une décision du 12 mai 2010.
Quels sont les fondements de cette incompétence ? Le Conseil constitutionnel s’en est expliqué en 1975 :
• les dispositions de la Constitution ne prescrivent ni n’impliquent que le respect du principe de primauté du traité sur la loi posé à l’article 55 doive être assuré dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, et ce pour la raison qu’une loi contraire à un traité ne serait pas pour autant contraire à la Constitution.
• À s’en tenir à l’article 55, cet argument est vrai : il pose le principe de la primauté du traité sur la loi dans le cadre précisément d’une violation de la loi ; ce principe n’a de sens et de raison d’être que dans l’hypothèse d’un conflit entre la loi et le traité ;
• la différence de nature entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité, qui tient au fait de la reconnaissance de la primauté du traité sur la loi, garantit par le contrôle de conventionnalité, est relative et contingente, en particulier parce qu’elle est subordonnée à une condition de réciprocité (article 55 de la Constitution), alors qu’à l’inverse, la sanction du contrôle de constitutionnalité est absolue et définitive, puisque dans le cadre de l’article 61 de la Constitution, la loi inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni entrer en vigueur.
•Le Conseil constitutionnel voulait dire qu’il n’était pas adapté d’exercer le contrôle de conventionnalité dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. En revanche, laisser le contrôle de conventionnalité aux juridictions ordinaires, au moment de l’application de la loi, est adapté. Il s’en justifie par deux raisons :
– au moment où il statue, le traité est appliqué car la condition de réciprocité est respectée, le juge écartera l’application de la loi au cas d’espèce ;
– au moment où il statue, la traité n’est pas appliqué car la condition de réciprocité n’est pas respectée, il applique alors la loi.
Il y a quand même une faiblesse dans le raisonnement du Conseil constitutionnel : il fondait l’essentiel de son raisonnement sur le caractère contingent, au motif que le traité ne prime sur la loi que dans la mesure où il est appliqué correctement par les autres parties, et donc sous réserve de réciprocité. La doctrine a fait valoir que cette décision avait été rendu à propos de la CESDH, laquelle est soustraite au principe de réciprocité en tant que traité humanitaire.
Cette réserve de réciprocité n’est pas appliquée à l’Union européenne, la Cour de justice a insisté sur le fait qu’elle n’a pas sa place dans l’ordre juridique communautaire : si un Etat membre ne remplit pas ses obligations communautaires, les autres Etats membres peuvent s’en plaindre à la Commission et, en l’absence de réponse de celle-ci, à la Cour de justice par le biais d’un recours en constatation de manquement, mais ils ne sauraient se faire justice eux-même en refusant à leur tour d’appliquer leurs propres obligations communautaires (une telle loi du Talion entre Etats membres reviendrait à ruiner la construction européenne).
b) La compétence corrélative des juridictions ordinaires
Par cette décision, le Conseil constitutionnel lance un appel implicite aux juridictions ordinaires pour qu’elles exercent ce contrôle de conventionnalité qu’il laisse choir.
Cela dit, ce n’était pas chose facile de répondre à cet appel car les juridictions ordinaires se considèrent généralement non pas comme les censeurs de la loi, mais comme les serviteurs de celle-ci. Elles considéraient que le principe de primauté ne s’adressait pas à elles, qu’il ne leur appartenaient pas d’en garantir l’exercice.
Avant 1975, lorsque le traité était postérieur à la loi, les juges ordinaires appliquaient la règle selon laquelle le traité primait sur la loi ; si la loi était postérieure, elle ne pouvait pas subir ce contrôle de conventionnalité. Cette position était connue sous le nom de doctrine Matter, avocat général ayant systématisé cette jurisprudence dans l’ordre judiciaire ; du côté du Conseil d’Etat, on parlait de jurisprudence des semoules (en raison d’un arrêt rendu le 1er mars 1968 Syndicat général des fabricants de semoule de France).
À partir de l’instant où le Conseil constitutionnel affirme en 1975 que le contrôle de conventionnalité n’est pas son affaire, il faut bien que quelqu’un l’exerce, sauf à admettre que l’article 55 de la Constitution pose un principe sans aucune garantie. C’est la raison pour laquelle il a fallu, d’abord de la part de la Cour de cassation très rapidement, puis du Conseil d’Etat plus tardivement, abandonner la jurisprudence Matter et la jurisprudence des semoules.
1) La rapide réaction de la Cour de cassation
Dans l’arrêt du 24 mai 1975 Société des cafés Jacques Vabre, la Cour de cassation renverse la jurisprudence Matter et accepte d’exercer désormais le contrôle de conventionnalité de la loi, qu’elle soit antérieure ou postérieure au traité.
Elle accepte en conséquence ensuite de le faire pour les actes administratifs règlementaires qui ont une valeur inférieure à la loi. Selon la Cour de cassation, cela vaut de façon générale, y compris lorsque le juge judiciaire ne statue pas en matière pénale. De jurisprudence constante et classique (arrêt du Tribunal des conflits du 16 juin 1923 Septfonds), le juge judiciaire n’a plénitude de juridiction pour exercer le contrôle de légalité des actes administratifs qu’en matière pénale.
Il faut donc déduire de la position de la Cour de cassation que le contrôle de conventionnalité des actes administratifs se distingue du contrôle de légalité des actes administratifs. La Cour de cassation a une jurisprudence contraire à celle du Tribunal des conflits, qui adopte la même position pour le contrôle de conventionnalité que celle retenue dans l’arrêt Septfonds s’agissant du contrôle de légalité des actes administratifs.
Il est probable que la jurisprudence évolue sur ce point dans un sens ou dans l’autre.
2) La réaction tardive du Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat a tardé à réagir : faisant la sourde oreille, le Conseil constitutionnel a du se faire entendre une seconde fois par une décision du 3 septembre 1986 par laquelle il a réitéré son incompétence pour contrôler la conventionnalité de la loi, et en précisant explicitement cette fois ci qu’il appartenait au juge ordinaire de le faire.
Il a fallu encore trois ans pour qu’il renverse la jurisprudence des semoules par l’arrêt d’assemblée du 20 octobre 1989 Nicolo. Le Conseil d’Etat constate que les dispositions de la loi de 1977 sur l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct ne sont pas incompatibles avec le traité de Rome de 1957.
Ce renversement de jurisprudence a une portée très large : le Conseil d’Etat accepte de contrôler la conventionnalité de la loi au regard de la CEsDH, des traités communautaires, des principes généraux du droit communautaire et de l’ensemble du droit communautaire dérivé, qu’il s’agisse des règlements (arrêt du 24 septembre 1990 Boisdet), des directives à l’issue du délai de transposition (arrêt du 28 février 1992 SA Rothmans international France), allant même jusqu’à admettre que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée du fait de la loi inconventionnelle, mais il s’agissait alors seulement d’une responsabilité sans faute (selon le régime très restrictif de la jurisprudence SA La Fleurette du 14 janvier 1938).
Il résulte encore que, lorsqu’une loi se révèle contraire au droit communautaire (par exemple, aux objectifs d’une directive), l’autorité réglementaire doit s’abstenir de prendre les mesures d’exécution de cette loi. Il en résulte aussi que le législateur, qui a souvent l’habitude de valider des actes administratifs illégaux, afin de les mettre à l’abris d’une action contentieuse, ne saurait en aucun cas valider des actes administratifs contraires aux traités en général, et au droit communautaire en particulier, et ce pour quelque motif que ce soit.
La jurisprudence Nicolo a développé tous les effets possibles et inimaginables de ce contrôle de conventionnalité, mais restait un point non clarifié à propos du référé. Traditionnellement, le Conseil d’Etat considérait que le juge administratif des référés n’avait pas la compétence pour contrôler en urgence la conventionnalité de la loi, et ce en vertu de deux raisons :
• il doit statuer de façon superficielle,
• il doit se prononcer sur le caractère à première vue sérieux des moyens invoqués.
Il résultait de la jurisprudence traditionnelle Carminati (systématisée par une ordonnance de référé du Conseil d’Etat du 30 décembre 2002) qu’il ne relevait pas de ce juge de se prononcer comme tel.
Le Conseil d’Etat, par une ordonnance du 16 juin 2010 Diakité, fait que le juge administratif des référés accepte d’assumer ce contrôle de conformité de la loi au droit de l’Union européenne, en dépit de l’urgence dans laquelle il doit statuer.
2. Les perspectives révolues d’évolution
Au fil du temps, à partir de la fin des années 90, le Conseil constitutionnel a été amené à prendre en compte une évolution du droit constitutionnel liée à l’introduction dans la Constitution en 1992, en vue de la ratification du traité de Maastricht, d’un titre 14 consacré à l’Union européenne.
À l’intérieur figuraient et figurent toujours plusieurs articles de la Constitution destinés à permettre des transferts de compétences contraires à la souveraineté (article 88-2) afin de reconnaître le droit de vote et l’éligibilité aux citoyens de l’Union européenne n’ayant pas la nationalité française pour les élections municipales (article 88-3).
Le législateur a voulu précéder ces dispositions d’un préambule solennel et éloquent : l’article 88-1. La question s’est posée de savoir si ces articles n’avaient pas pour effet de constitutionnaliser le droit de l’Union européenne.
Répondre par l’affirmative revenait à déduire que le contrôle de la constitutionnalité des lois l’obligeait à contrôler la conformité de ces lois aux articles 88-1 et suivants de la Constitution, et par conséquent, à contrôler aussi la conformité de ces lois aux stipulations des traités auxquelles faisaient référence les articles 88-1 et suivants en les constitutionnalisant de ce fait.
Le Conseil constitutionnel a commencé par faire droit à cette analyse doctrinale, avant de la refuser catégoriquement.
a) La reconnaissance de la portée circonscrite des articles 88-1à 88-3 de la Constitution
Le Conseil constitutionnel a reconnu une portée constitutionnalisatrice aux articles 88-3 puis 88-1 de la Constitution. Lorsque le législateur organique a adopté la loi organique relative au droit de vote et d’éligibilité des citoyens de l’Union européenne résidant régulièrement en France sans en avoir la nationalité aux élections municipales, lorsqu’il a mis en oeuvre l’article 88-3, le Conseil constitutionnel en a été saisi.
Dans sa décision du 20 mai 1998, il a considéré qu’il lui revenait de contrôler la constitutionnalité de la loi organique à la Constitution toute entière, notamment à l’article 88-3, lequel avait subordonné la constitutionnalité de la loi organique à sa conventionnalité aux traités auxquels il faisait référence. Le Conseil constitutionnel a donc contrôlé la loi organique selon les articles du traité en cause (8B du TCE devenu 19&20 du TUE) et de la directive communautaire du 19 décembre 1994 adoptée sur le fondement des principes de ces traités.
Le Conseil constitutionnel semblait avoir mis ici le doigt dans un engrenage accréditant la thèse de la constitutionnalisation des traités.
Dans sa décision du 10 juin 2004, il a déduit de l’article 88-1 de la Constitution l’exigence constitutionnelle de transposition des directives pour en déduire ensuite, dans sa décision du 27 juillet 2006 que de ce fait, il lui appartenait désormais de contrôler la compatibilité des lois ayant pour objet de transposer des directives au regard de celles-ci.
Pour la deuxième fois, le Conseil constitutionnel admet sa compétence pour exercer le contrôle «d’unionité» de la loi (de conformité de la loi au droit de l’Union européenne) via l’exigence constitutionnelle de transposition fondée sur l’article 88-1 de la Constitution.
b) Le refus de reconnaître une portée générale à l’article 88-1 de la Constitution
On aurait pu reconnaître à la suite de ces premiers indices jurisprudentiels que l’article 88-1 de la Constitution avait pour effet de constitutionnaliser toutes les dispositions du droit de l’Union européenne.
L’article ne fait pas mention des directives et de l’obligation de transposition, il fait simplement référence aux traités de base ayant fondé l’Union européenne, et le Conseil constitutionnel en déduit l’obligation constitutionnelle de transposition. Comment est ce possible ?
Juridiquement, il y a une seule explication : les traités posent le principe de l’obligation de transposition qui nait du principe de coopération loyale des Etats membres et qui est une obligation de résultat. Cela ne s’explique que par la constitutionnalisation via l’article 88-1 de la Constitution de ces deux principes.
En conséquence, s’il y a constitutionnalisation de deux principes, pourquoi n’y a-t-il pas constitutionnalisation de l’ensemble des traités ? Ça n’a pas de sens, mais le Conseil constitutionnel a choisi de refuser de tenir l’article 88-1 de la Constitution comme une norme de constitutionnalisation de l’ensemble du droit primaire de l’Union européenne.
On sentait bien sa réticence à s’engager dans une voie aussi audacieuse, laquelle s’est traduite par un refus dans la décision du 12 mai 2010 : «nonobstant la mention dans la Constitution du traité de Lisbonne, il ne revient pas au Conseil constitutionnel de contrôler la compatibilité d’une loi avec les stipulations de ce traité».
Si le Conseil constitutionnel était allé plus loin, cela signifierait qu’il aurait attiré à lui le contrôle de conformité de tout le droit de l’Union européenne, cela aurait été le conduire à retirer au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation une compétence qu’il leur a abandonné en 1975, c’était ouvrir la voie à une guerre des juges, chose à laquelle il s’oppose en raison d’une volonté pacifiste, mais surtout du fait que la QPC ne devra son succès qu’à la coopération entre le Conseil constitutionnel et les Cours suprêmes chargées de filtrer les QPC.
Deuxième section : l’effet direct du droit de l’Union
Le propre d’une norme d’effet direct est de créer directement, dans le chef des particuliers, des droits et des obligations, sans qu’elles aient besoin pour cela de normes complémentaires. La logique veut que ces droits et obligations puissent être ensuite invocables par les bénéficiaires des Etats membres devant les juridictions nationales. On est tenté de lier l’invocabilité et l’effet direct, mais il convient en réalité de les dissocier.
I. Le principe de l’effet direct
A) La définition du principe de l’effet direct
1. L’affirmation du principe
a) Les fondements du principe
Ce principe a été affirmé par la Cour de justice, dégagé par la jurisprudence dans le quasi-silence des traités de base. Ni le TCE ni aujourd’hui le TFUE n’emploient la notion d’effet direct. Tout au plus, le TCE devenu TFUE, précise dans son article 288, au sujet du règlement, qu’il est directement applicable dans tout Etat membre.
On pouvait y voir la reconnaissance de l’effet direct des seuls règlements. Toute l’oeuvre de la Cour de justice a été d’étendre ce principe : c’est l’apport de l’arrêt du 5 février 1963 Van Gend En Loos.
Dans cet arrêt, la Cour de justice affirme que l’ordre juridique communautaire a pour sujet non seulement les Etats membres mais également leurs ressortissants ; elle en déduit donc que le droit communautaire indépendant de la législation des Etats peut créer des charges mais aussi engendrer, au profit des Etats, des droits entrants dans leur patrimoine juridique. C’est ainsi que la Cour de justice pose le principe général de l’effet direct du droit communautaire.
Ce faisant, elle n’a pas inventé de toute pièce un concept nouveau : la notion d’effet direct existe aussi en droit international. Mais il y a deux différences fondamentales :
• en droit de l’Union européenne, l’effet direct est présumé, cela peut conduire à la généralisation de cet effet direct, alors que dans l’ordre juridique international, l’effet direct est tout à fait exceptionnel car les règles régissent les rapports inter-étatiques, alors que le droit communautaire précise qu’il n’a pas pour seul sujet les Etats membres, mais aussi et surtout leurs ressortissants ;
• en droit international, le principe de l’effet direct n’existe que si le traité l’a prévu ou si, dans le silence de celui-ci, la volonté des membres en témoigne clairement ; en droit communautaire, ce n’est pas une présomption de volonté des parties qui détermine l’existence de l’effet direct, mais un faisceau d’indices qui, lorsque le traité remplit les critères qui le prédisposent à remplir cet effet direct, voit l’existence de ce principe attestée.
La Cour de justice énumère dans l’arrêt des éléments qui ont tous en commun de démontrer que le droit communautaire a pour sujets principaux, au delà des Etats membres, leurs propres ressortissants :
• ainsi, l’objectif du TCE est l’instauration d‘un marché commun dont le fonctionnement concernera pour l’essentiel les ressortissants, opérateurs économiques et consommateurs ;
• le Préambule, qui vise l’union sans cesse plus étroite des peuples de l’Union européenne, s’adresse donc aux peuples de l’Union européenne ;
• cela implique la création d’un système institutionnel doté de pouvoirs normatifs qui affectent non seulement les Etats, mais aussi les ressortissants, ;
• la Cour de justice souligne également qu’à travers certaines de ces institutions, en 1963, et plus précisément le Parlement européen et le Comité économique et social, les ressortissants de l’Union européenne sont appelés à intervenir effectivement ;
• il y a enfin l’existence du renvoi préjudiciel, c’est la procédure par laquelle une juridiction nationale sollicite une réponse auprès de la Cour de justice au regard d’une difficulté, laquelle réponse sera appliquée aux parties au procès, qui sont presque toujours des particuliers entre eux ou des particuliers avec la puissance publique.
b) L’intérêt du principe
Le principe de l’effet direct, avec le principe de primauté, est le plus puissant des leviers de l’intégration juridique européenne. C’est un moyen capital pour garantir le respect du droit communautaire dans les ordres juridiques des Etats membres, et ce à deux égards :
• le principe, par définition, consiste à considérer qu’une norme communautaire peut être la source immédiate de droits et d’obligations, sans solliciter l’intervention législative ou règlementaire des Etats ; avec ce principe, l’effectivité du droit communautaire est soustraite au pouvoir normatif des Etats ;
• le principe s’accompagne de la capacité pour les justiciables d’invoquer pleinement le droit qu’il tire directement de la norme d’effet direct, ou bien le droit qui se déduit de l’obligation qui s’impose à autrui et dont ils sont les créanciers ; cela fait, de l’ensemble des justiciables, des sentinelles du respect du droit de l’Union, chacun pourra se pourvoir devant le juge national, invoquer le droit communautaire pour contester la violation par une loi interne.
•Bien sûr, la Commission est la gardienne des traités, c’est elle qui diligente les actions en constatation d’un manquement ; mais une condamnation pour manquement ne fait pas cesser le manquement, n’en répare pas les conséquences dommageables ; il faut par ailleurs que le manquement ait déjà eu lieu (action répressive de la Commission), alors que l’invocation par le justiciable peut avoir un effet préventif ; c’est tout l’intérêt, pour l’intégration juridique européenne, du principe de l’effet direct.
2. La concrétisation du principe
Le principe de l’effet direct est protéiforme. Il faut en déterminer l’amplitude et les critères, la présomption dont il résulte peut être renversée.
a) L’amplitude variable de l’effet direct
Par définition, la règle de l’effet direct produit des droits ou des obligations dans le chef des particuliers. Cela exclut par principe les normes qui visent simplement à régir des rapport inter-étatiques ou inter-institutionnels ou entre Etats et institutions.
• Le cas le plus simple est celui dans lequel la norme en question créé directement un droit au profit d’un particulier, attribue explicitement ce droit à ce particulier. Elle produit alors un effet direct complet ; le particulier pourra se prévaloir de ce droit en invoquant la norme en question à l’encontre de quiconque : l’Etat, la puissance publique, l’effet direct sera alors vertical, mais aussi à l’encontre d’autres particuliers( entreprise) , il sera alors horizontal.
• Il y a le cas de la norme qui ne créé pas directement un droit au profit du particulier, mais plus une obligation qui induit un droit pour un tiers, lequel pourra alors se prévaloir de l’effet direct à l’encontre du seul débiteur de l’obligation : si le bénéficiaire de ce droit est l’Etat, l’effet direct ne pourra être que vertical ; si c’est un particulier, l’effet sera horizontal : l’effet direct sera partiel.
b) Les critères souples de l’effet direct
Ce principe résulte d’un faisceau d’indices qui permet au juge communautaire de déterminer si l’acte remplit les conditions techniques de l’effet direct. Ainsi, seules les dispositions «inconditionnelles et suffisamment précises» peuvent avoir l’effet direct (selon l’arrêt Ratti de 1979), «claires et inconditionnelles» (selon l’arrêt Van Gend En Loos de 1963), «complètes et juridiquement parfaites» (selon l’arrêt Lütticke de 1966).
L’effet direct suppose la réunion de trois critères (sauf à unir les critères 1 et 2 ou les critères 2 et 3) :
- la clarté et précision de la norme ou sa précision ;
- la complétude de la norme, qu’elle soit autosuffisante ;
- Être ’inconditionnalité de la norme, sa pleine effectivité ne doit pas être subordonnée à une condition suspensive.
La jurisprudence communautaire, tout en imposant ces trois critères, dont le caractère cumulatif pourrait réduire le champ d’application de l’effet direct, retient de chacun d’eux une conception suffisamment souple pour éviter que leur cumul ait un effet réducteur sur le champ d’application de l’effet direct.
- Ainsi, une norme insuffisamment claire pourra bénéficier de l’effet direct si elle peut faire l’objet d’une simple interprétation par la jurisprudence ;
- de la même façon, la norme dont l’effectivité est subordonnée à la satisfaction d’une norme suspensive pourra bénéficier de l’effet direct, celui-ci sera différé à la satisfaction de la condition suspensive (exemple type de la directive) ;
- de même, la norme qui nécessite des mesures complémentaires peut néanmoins bénéficier de l’effet direct dès lors qu’elles doivent être adoptées dans l’exercice de compétences liées ; en d’autres termes, le contenu de l’acte complémentaire est pré-déterminé par la norme communautaire qui pourra, de ce fait, se faire reconnaître un effet direct.
D’où viennent ces trois critères ? Quand une norme bénéfice de l’effet direct, c’est qu’elle est source d’un droit, d’une obligation, ou des deux. Le juge national doit pouvoir la mettre en œuvre soit en lieu et place de la norme contraire, soit à la place d’un vide juridique : elle doit être appliquée directement et immédiatement par le juge national. Dans le cas où la norme intervient en lieu et place de la norme nationale contraire, cela produit un effet d’exclusion ou d’éviction (écarter la norme contraire nationale) et en second lieu, elle produira un effet de substitution.
Le juge national, s’il veut être en mesure d’appliquer lui-même la norme communautaire au cas d’espèce, doit s’assurer qu’elle est suffisamment précise, inconditionnelle ou auto-exécutoire, sinon, il devra remplir ces conditions à sa place, ce qui condamnerait le juge à s’arroger un pouvoir qu’il n’a pas, à se faire législateur. Les conditions d’effet direct s’explique par les potentialité d’effet direct. L’effet direct n’est pas systématique
B) Le domaine du principe de l’effet direct
1. L’effet direct variable des différentes normes du droit de l’Union
La reconnaissance et la portée différenciée de l’effet direct varient selon le type de normes en question.
a) Effet direct et normes conventionnelles
Les normes primaires du droit de l’Union européenne bénéficient-elles de l’effet direct ? Cela dépend, il n’y a pas de règle générale, c’est un effet direct sélectif.
· Certaines bénéficient de l’effet direct le plus large, cas horizontal et vertical : Ce sont celles expressément adressées aux entreprises, celles relatives à l’interdiction des discriminations ou au principe de libre circulation des travailleurs, de façon plus générale des personnes.
· Certaines ne peuvent avoir qu’un effet direct vertical car elles s’adressent aux Etats pour leur imposer des obligations de faire ou de ne pas faire ; les bénéficiaires des droits qui en découlent ne peuvent les invoquer que devant les Etats ; c’est le cas par exemple des droits de douanes et des taxes d’effets équivalents, de l’interdiction des aides publiques à certains opérateurs économiques avant autorisation de la Commission.
· Ceux qui sont privées de tout effet direct, soit parce qu’elles n’intéressent que les relations entre Etats, entre institutions ou entre Etats et institutions, soit parce qu’elles sont de portée tellement générale, comme les traités-cadres, qu’elles ne remplissent pas le critère de précision, elles requièrent des mesures complémentaires prises de façon discrétionnaire.
Les accords internationaux conclus par l’Union européenne ont un effet direct exceptionnel : en effet, les normes européennes sont des traités internationaux comme les autres, il est logique qu’elles ne bénéficient pas de la présomption d’effectivité directe et de faire prévaloir la logique internationale, ce qu’illustre l’arrêt de la Cour de justice du 9 septembre 2008 FIAMM «les effets, dans la Communauté, des dispositions d’un accord conclu par celle-ci avec des Etats tiers ne sauraient être déterminés en faisant abstraction de l’origine internationale des dispositions en cause». Il ne suffit pas que la disposition remplit les critère habituel, il faut que l’intention des parties révèlent la volonté de ne pas l’exclure.
En somme, la présomption d’effectivité directe ne joue pas et en plus, il faut remplir les trois critères : c’est donc très rare.
Ex : les accords du GATT se sont vus refuser tout effet direct en 1972, la Cour de justice faisait valoir qu’en cas de différends, le mécanisme de résolution tendait à retirer toute juridicité véritable à ces stipulations.
La même solution a été retenue pour les accords fondant l’OMC, non seulement par continuité avec la décision retenue pour les accords du GATT, mais aussi parce que les USA ne reconnaissent pas l’effet direct dans l’ordre américain, donc ça ne sert à rien de le reconnaître dans l’ordre juridique de l’Union.
b) Effet direct et normes unilatérales
· Les règlements ont un effet direct par nature selon l’article 288 TFUE ; en effet, la Cour de justice avait affirmé dans les années 1970 (dans l’arrêt du 14 décembre 1971 Politi) « qu’en raison de sa nature même, il était apte à conférer des droits (dans l’arrêt du 4 décembre 1974 Van Duyn), le règlement produit un effet direct de plein droit et dans son ensemble ». un règlement produit toujours des effets directs.
Le règlement produit-il un effet direct sans avoir à en remplir les critères, en particulier la précision et la complétude ? La pratique a développé des règlements incomplets, qui ne régissent pas intégralement la matière qu’ils entendent régir. Ils requièrent des mesures complémentaires, sous la forme de règlements subséquents ou de mesures nationales.
Ex : Depuis les années 70, depuis que l’Union européenne a des ressources fiscales, elle adopte des règlements pour la détermination de l’assiette par exemple, mais sans préciser les modalités de recouvrement.
En conséquence, depuis 2001, la Cour de justice retient que dans certains cas, ces règlements pourraient se voir retirer l’effet direct faute d’être autosuffisants. Elle l’a laissé entendre dans
– un arrêt du 11 janvier 2001 MONTE ARCOSU, et l’a confirmé en 2004.
· Les décisions ont un effet direct différencié en fonction de leur objet ou de leur destinataire, car tout dépend si la décision créé des droits, des obligations et à qui elle s’adresse. Hormis l’hypothèse de la décision d’espèce, ce sont des actes qui visent des destinataires particuliers :
• lorsque la décision s’adresse à des particuliers,
– Si elle leur reconnaît des droits, le titulaire pourra invoquer le droit et la décision à l’encontre de l’Etat et d’autres particuliers ; il y a donc un effet direct horizontal et vertical ;
– S’il s’agit d’obligations, les tiers à qui la décision ne s’adresse pas pourront l’invoquer à l’encontre du destinataire débiteur de l’obligation ; il y a donc un effet direct horizontal ;
• lorsque la décision s’adresse aux Etats, il n’y a pas d’effet direct horizontal ; toutefois, une telle décision est susceptible de produire un effet direct vertical ascendant, c’est-à-dire que le particulier pourra invoquer la décision en tant qu’elle impose à l’Etat une obligation pour obtenir du juge que l’Etat exécute cette obligation.
2. L’effet direct longtemps discuté des directives
Il a enfin été consacré mais au terme d’un processus extrêmement controversé. La directive est obligatoire dès son entrée en vigueur (c’est l’application du principe de primauté), mais peut-elle bénéficier d’un effet direct ? À priori, le fait qu’elle s’adresse toujours aux Etats n’est pas un obstacle à la reconnaissance de son effet direct car l’obligation de transposition des directives peut constituer indirectement un droit pour le particulier.
En revanche, une objection sérieuse est émise à l’encontre de l’effet direct : elle n’est jamais autosuffisante, elle fixe un résultat à atteindre mais laisse les moyens à la détermination des Etats membres.
Le traité communautaire, en son article 288 TFUE, a omis de préciser si elle pouvait être d’effet direct. La Cour de justice, dans son arrêt du 4 décembre 1974 Van Duyn, a admis non pas que les directives avaient toujours un effet direct, mais qu’elles pouvaient en bénéficier.
« Si le traité reconnaît l’effet direct par nature des règlements, il n’en résulte pas que d’autres catégories d’actes ne peuvent bénéficier d’effets analogues ». L’effet direct de la directive est donc concevable.
a) L’affirmation audacieuse de l’effet direct des directives
En principe, la directive voit son effectivité accomplie par le biais de l’acte de transposition. Mais il arrive souvent que des Etats récalcitrants laissent passer le délai de transposition sans être accomplis. L’Etat s’expose donc à une action en constatation de manquement, qui n’est ouverte qu’à la Commission ou à un autre Etat membre, et pas aux particuliers qui, les premiers, auraient eu intérêt à cette transposition.
L’idée est de permettre à un particulier de s’en prévaloir devant le juge national à divers titres, y compris à lui demander de faire application de la directive au cas d’espèce, en dépit de l’absence de transposition de la directive. C’est pour cela qu’il faut reconnaître à la directive la possibilité de produire un effet direct.
Il résulte de cette jurisprudence qu’une directive, si elle remplit les critères, est susceptible de produire un effet vertical et ascendant, ce qui signifie qu’un particulier qui tire de la directive un droit subjectif peut en demander le respect à une instance qui l’oppose à l’Etat (mais pas à un particulier). Cet effet direct possible est donc susceptible d’être appliquée en droit interne dans le contentieux répressif par les juridictions pénales et dans le contentieux administratif par le juge administratif. C’est donc en conséquence devant le Conseil d’Etat que s’est posée la question de savoir si l’on pouvait admettre un tel effet direct.
Pendant longtemps, le Conseil d’Etat s’est fermement opposé à la reconnaissance de tout effet direct, même simplement vertical, des directives. Dans l’arrêt d’assemblée du 22 décembre 1978, il était question de la contestation de l’arrêté d’expulsion dont avait fait l’objet Cohn Bendit : le Conseil d’Etat a considéré que faute d’effet direct, les directives ne pouvaient pas être ainsi invoquées à l’encontre d’un acte administratif individuel. Il y avait un conflit frontal entre la CJUE et le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat a commencé à arrondir les angles de cette jurisprudence, tout en maintenant qu’une directive ne pouvait pas être directement invoquée à l’encontre d’un acte administratif individuel ; elle le pouvait par contre à l’égard d’un acte administratif réglementaire. Dans les années 80, le Conseil d’Etat a admis l’effet direct de la directive à l’encontre d’un acte administratif individuel à condition que l’invocation de la directive serve à contester la légalité de l’acte réglementaire, ou même d’une loi, servant de base légale, de fondement, à l’acte administratif individuel dont l’annulation été demandée.
La jurisprudence du Conseil d’Etat s’est peu-à-peu rapprochée de celle de la CJUE, le conflit a fini par se réduire à peu de choses, c’est-à-dire au cas particulier de la directive directement invoquée sans contestation par voie d’exception de la légalité de l’acte réglementaire, ou même d’une loi, servant de base légale, de fondement, à l’acte administratif individuel dont l’annulation était demandée.
De son côté, la CJUE a fait quelques pas dans le sens du Conseil d’Etat en réitérant sa jurisprudence de 1974 en des termes plus discrets, en omettant les termes «effet direct» et «applicabilité directe» à propos des directives.
Le Conseil d’Etat ne s’opposait pas à toute forme d’invocabilité de la directive devant lui en refusant l’effet direct des directives : en effet, il l’acceptait par la voie de l’exception.
Au bout du compte, l’abandon en 2009 de la jurisprudence Cohn Bendit n’était que l’aboutissement d’une évolution préparée depuis de longues années. Cet abandon formel a été le fait de l’arrêt d’assemblée Perreux du 30 octobre 2009. Elle demandait au juge administratif de faire lui-même application de la directive et d’imposer à l’administration le renversement de la charge de la preuve. Le Conseil d’Etat a profité de cette occasion pour poser un principe nouveau : dans une première partie, il refait la synthèse de l’état actuel de la jurisprudence, et notamment des avancées qu’elle a accepté depuis l’arrêt Cohn Bendit ; dans un second temps, il parachève l’évolution en affirmant qu’«en outre, tout justiciable peut se prévaloir à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive lorsque celle-ci n’a pas été transposée dans le délai requis». Il n’est donc plus nécessaire de recourir à la voie de l’exception.
Le Conseil d’Etat cherche à déterminer si la directive remplit les critères de l’effet direct, car dans l’affirmative, il pourra accéder à la requête. Dans ce cas particulier, il va s’y refuser car la directive ne remplissait pas les critères de l’effet direct : elle permettait aux Etats de procéder au renversement de la charge de la preuve, mais acceptait au contraire de ne pas y procéder dans le cadre des procédures contentieuses inquisitoriales, dans lesquelles le juge mène les débats, par opposition à la procédure accusatoire, or, le contentieux administratif, et le recours pour excès de pouvoir en particulier, sont des procédures inquisitoires, dans lesquelles le renversement de la charge de la preuve peut être mis de côté.
Ce qui a poussé le Conseil d’Etat à changer sa jurisprudence :
• les développements jurisprudentiels auxquels a donné lieu l’article 88-1 de la Constitution : depuis 2004, on en déduit une exigence communautaire de transposition, et une obligation constitutionnelle ;
• les conclusions du rapporteur public Guyomar ; il faisait valoir qu’il fallait que le Conseil d’Etat sorte de l’isolement dans lequel il se trouvait du fait de son refus d’admettre l’éventuel effet direct des directives, vis-à-vis tant de la CJUE que des juridictions des autres Etats membres que de la Cour de cassation elle-même ; il faisait savoir que l’on pouvait dire que la jurisprudence Van Duyn était acceptée par les Etats membres ; dans le cadre du pilier III de l’Union européenne désormais révolu, le traité sur l’Union européenne prévoyait que les décisions et décisions cadres, analogues aux directives, ne pouvaient produire d’effet direct.
Finalement, le Conseil d’Etat ne se soumet-il pas à l’interprétation de la CJUE ?
b) La portée circonscrite de l’effet direct des directives
C’est un effet direct subsidiaire : il n’a vocation à jouer que dans des circonstances particulières, celles dans lesquelles, à l’issue du délai de transposition, la directive n’est toujours pas correctement transposée (absence de transposition, transposition incomplète ou imparfaite, transposition formelle de la directive par des actes qui ne sont pas appliqués, arrêt de 2002 Mark & Spencer’s). Le palliatif à ce défaut de transposition est la reconnaissance de l’effet direct de la directive.
L’effet direct est différé : il faut attendre l’écoulement du délai de transposition. Comme tout acte, la directive ne peut prétendre à l’effet direct qu’à condition d’être inconditionnelle, c’est-à-dire après la réalisation de la condition suspensive de l’écoulement du délai.
C’est un effet direct partiel : par nature, l’acte n’est adressé qu’aux Etats membres qui ont pour but d’atteindre l’obligation prescrite par la directive ; peuvent en découler des droits pour les particuliers, respectés et mis en oeuvre dès lors que l’obligation de l’Etat est remplie. Il en résulte plusieurs conséquences :
• la directive ne peut être invoquée qu’à l’encontre de l’Etat puisqu’il en est le destinataire ; cela signifie en premier lieu que l’effet direct ne peut être que vertical ; la CJUE a refusé l’effet direct horizontal car cela reviendrait à méconnaître la distinction entre la directive et le règlement ;
• l’effet direct de la directive ne pourra prévaloir que dans un sens ascendant, c’est-à-dire de la part du particulier, à son profit, au détriment de l’Etat ; il est évidemment exclu que l’Etat se prévale d’une directive qu’il n’a pas respecté et transposé.
Sinon, l’effet direct est admis de la façon la plus large possible : l’effet direct de la directive peut produire ses effets à l’encontre des particuliers, de l’Etat agissant contre la puissance publique ou comme le ferait une personne privée, c’est l’effet direct oblique, contre les collectivités, les entreprises publiques des personnes de droit privé agissant dans le cadre de la délégation de service public.
II. La dissociation entre l’effet direct et l’invocabilité
Les normes européennes d’effet direct sont à l’évidence invocables devant le juge national. Cela signifie-t-il pour autant qu’en l’absence d’effet direct, les normes ne sont pas invoquables ? Dans l’arrêt Van Gend En Loos, les juges ont semblé lier les deux. Retenir une telle jurisprudence aurait été paradoxal car seules auraient pu être sanctionnées par le droit national les normes communautaires auxquelles l’effet direct était reconnu. Les normes communautaires obligatoires dépourvues d’effet direct n’auraient pu être invoquables devant le juge national, juge européen de droit commun.
Toutes les normes communautaires bénéficient de la primauté, elles sont invocables qu’elles aient ou non la caractéristique de l’effet direct. La jurisprudence a donc choisi de dissocier l’effet direct et l‘invocabilité, laquelle est renforcée, complète.
L’invocabilité minimale des normes communautaires, effet direct ou non, peut viser à configurer le droit interne de l’Etat selon les exigences communautaires, mais aussi viser à réparer les conséquences dommageables par la violation du droit national.
L’invocabilité renforcée se distingue car le juge peut interpréter le droit national conformément à la norme communautaire d’effet direct en permettant au juge d’écarter la norme nationale contraire et y substituer la norme d’effet direct ; elle permet de condamner l’Etat à réparer les conséquences dommageables et à appliquer aussi directement au cas d’espèce la norme communautaire à la place.
Cette dissociation entre l’effet direct et l’invocabilité minimale joue seulement pour les accords internationaux conclus par les Etats : l’effet direct est donc exceptionnel, et la logique de dissociation ne peut pas jouer car elle n’existe pas en droit international.
A) L’invocabilité de configuration du droit interne au droit de l’Union
Elle est destinée à configurer le droit interne à la norme communautaire afin d’éviter ou de résoudre l’écart qui sépare ou qui risque de séparer le droit interne du droit communautaire.
Entre cette invocabilité d’interprétation conforme et l’invocabilité d’exclusion, il y a une invocabilité préventive, c’est ce que l’on appelle parfois l’invocabilité de prévention, qui concerne le cas particulier de l’invocation d’une directive avant l’expiration du délai de transposition (jurisprudence Wallonie de 1997) : la directive peut être invoquée pour que l’Etat s’abstienne de prendre des mesures nationales qui compromettent l’application de la directive. Elle peut se transformer en invocabilité d’exclusion.
1. L’invocabilité d’interprétation conforme
Ceci a pour but de prévenir les conflits. Elle s’est imposée en deux temps selon la jurisprudence de la Cour de justice. L’interprétation conforme peut être utile au juge national, et le juge est tenu de faire primer les interprétations du droit national qui le rendent conforme au droit de l’Union. Comme toute forme d’invocabilité minimale, elle bénéficie à toute norme communautaire, d’effet direct ou non.
La jurisprudence administrative admet cette forme d’invocabilité minimale du droit communautaire indépendamment même de tout effet direct.
2. L’invocabilité d’exclusion
Ceci a pour but de tirer les conséquences du conflit constaté. Elle est admise depuis longtemps par la jurisprudence qui en tire un certain nombre d’implications :
• dans l’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, il est énoncé que le juge national est tenu, si nécessaire, de laisser inappliquée de sa propre autorité toute disposition contraire de la législation nationale, même s’il n’en a pas reçu le pouvoir par les autorités nationales qui régissent son office ;
• le juge national peut aussi être appelé en amont à suspendre provisoirement l’application d’une norme nationale dont la conformité au droit communautaire paraît douteuse avant de régler le litige au fond ; dans un arrêt de 1990, le juge a retenu que ce pouvoir de suspension à titre conservatoire existait y compris si le droit processuel national lui refusait une telle compétence.
Pendant longtemps, la Cour de justice a fait usage de cette invocabilité d’exclusion à propos de normes communautaires toutes d’effet direct. La dissociation s’est faite en 2000, lorsque la CJUE a admis l’invocabilité d’exclusion de la directive sans s’interroger sur l’existence d’un effet direct.
Ensuite, dans l’arrêt Unilever Italia du 26 septembre 2000, elle a admis l’invocabilité d’exclusion d’une directive dans un litige inter-individuel, cas de figure où la directive ne pouvait prétendre bénéficier d’aucun effet direct.
La jurisprudence administrative française a pleinement admis l’invocabilité d’exclusion des directives pour une demande d’abrogation d’un acte administratif illégal contraire aux normes communautaires, et ce sans se préoccuper de l’effet direct : c’est l’arrêt d’assemblée du 3 février 1989 Compagnie Alitalia.
B) L’invocabilité de réparation des dommages causés par la violation du droit de l’Union
Il n’est pas question d’empêcher ni de remédier à une violation du droit de l’Union, mais de la sanctionner par la condamnation à une obligation de la réparer. La jurisprudence a admis dès les années 60 cette obligation, mais il a fallu attendre un arrêt du 19 novembre 1991 Francovich et complété par un du 5 mars 1996 Brasserie du pécheur pour qu’elle soit systématisée par la CJUE : la Cour de justice a posé le principe de la responsabilité de l’Etat pour des dommages causés à des particuliers par des violations du droit communautaire lui étant imputables.
L’invocabilité de réparation n’est pas liée au caractère direct de la norme violée ; elle a été admise notamment à propos de directives non transposées à l’issue du délai de transposition, alors qu’elles ne satisfaisaient pas à l’exigence de précision nécessaire à l’effet direct.
Quand il y a une norme avec effet direct, l’invocabilité est le corollaire nécessaire de l’effet direct.
1. La régime de la responsabilité de l’Etat
a) Les règles européennes d’engagement de la responsabilité étatique
Ces règles ont été définies par la Cour de justice parce qu’elle a estimé que c’était une question qui relevait de son office interprétatif. Le problème est que les traités de base sont silencieux sur la responsabilité de l’Etat du fait de la violation du droit communautaire. La Cour de justice a estimé devoir s’inspirer des principes fondamentaux du droit communautaire et des principes généraux communs à tous les Etats membres en matière de responsabilité de la puissance publique.
A ainsi été faite une analogie par la jurisprudence entre la responsabilité de l’Etat du fait de la violation communautaire et la responsabilité de l’Union européenne en cas de violation du droit communautaire : l’article 340 du TFUE oblige l’Union européenne à réparer les dommages causés par ses institutions ou ses agents conformément aux principes généraux communs aux droits des Etats. Les traités de base n’ont évoqué que la responsabilité de l’Union, et cette disposition des traités renvoyaient pour cela aux principes. La Cour de justice a repris ce régime de responsabilité pour créer le régime de responsabilité des Etats membres du fait de la violation par ceux-ci du droit communautaire. Deux séries de raisons :
• cet article fait référence à des principes généraux qui sont communs aux ordres juridiques des Etats membres et n’en est qu’une expression particulière ; ce sont les mêmes principes qui doivent régir la responsabilité de l’Etat lorsqu’il viole le droit de l’Union européenne ;
• du point de vue de la victime, la violation est la même qu’elle ait été commise par l’Union européenne ou par les Etats membres.
Trois conditions sont requises pour que la responsabilité de l’Etat soit engagée et mise en oeuvre :
• il faut une violation d’une règle européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ; ceux-ci pourront alors invoquer la norme européenne violée pour obtenir réparation des conséquences dommageables de cette violation ; cette condition ne dément pas la dissociation entre les formes d’invocabilité minimale et la notion d’effet direct ;
• il faut que cette violation soit suffisamment caractérisée selon la Cour de justice, il doit s’agir d’une méconnaissance manifeste et grave ; c’est le cas par exemple lorsque la violation a perduré dans le temps, à l’issue d’un arrêt de manquement, lorsque la Cour de justice aura constaté l’incompatibilité entre le droit national et le droit communautaire par le biais d’un renvoi préjudiciel ; c’est à la juridiction nationale qu’il appartiendra d’apprécier si la violation est suffisamment caractérisée ou pas pour engager la responsabilité de l’Etat ; elle dépendra d’un certain nombre de facteurs (degré de clarté de la norme européenne, marge de manoeuvre de l’Etat, violation intentionnelle ou non, erreur de droit inexcusable ou pas, comportement d’une institution communautaire ayant induit en erreur l’Etat) ;
• il faut un lien de causalité entre la violation et le dommage.
b) Les règles nationales de la mise en oeuvre de la responsabilité étatique
C’est au droit national qu’il appartient de déterminer s’il faut faire une distinction entre l’Etat lui-même et l’agent qui a agit, et comment ces deux types de responsabilité peuvent s’agencer, de savoir quelle sera l’ampleur de la réparation, laquelle doit être adéquate selon la Cour de justice (principe d’équivalence et d’effectivité de la réparation).
2. L’imputation de la violation
Peu importe l’organe concerné, la violation est imputée à l’Etat.
a) La violation imputable aux autorités législatives et exécutives
La violation peut être imputable aux autorités exécutives mais aussi au législateur. En ce qui concerne ce dernier, pour la Cour de justice, que la violation soit imputable à une collectivité territoriale, à un fonctionnaire de l’Etat ou à un organisme autonome de l’appareil exécutif, la responsabilité de l’Etat est engagée, de même lorsqu’elle est imputable au législateur (arrêt Francovich et Bonifaci du 19 novembre 1991), même si c’est à ce propos que la réception de la jurisprudence communautaire a parfois été litigieuse.
Selon le juge administratif, lorsque la violation dommageable du droit communautaire est imputable à un acte administratif, la responsabilité de l’État n’est plus engagée non plus sans faute mais, depuis 1992, en raison d’une responsabilité pour faute qui oblige à la réparation intégrale sans que le pouvoir réglementaire puisse exclure cette responsabilité et cette réparation intégrale.
La situation était bien plus compliquée lorsque le dommage était imputable à une loi : la responsabilité de l’Etat du fait des lois est une responsabilité sans faute ; l’arrêt d’assemblée du 14 janvier 1938 Société La Fleurette prévoit une responsabilité sans faute doublement restrictive (le législateur peut exclure toute responsabilité, et lorsqu’elle est engagée, elle est fondée sur le principe d’égalité devant les charges publiques, et seul est réparé le dommage anormal et spécial, et non pas toute forme de dommage).
Cette jurisprudence n’était pas suffisante pour la Cour de justice dans le cas où la loi avait créé un dommage par la violation du droit communautaire ; le Conseil d’Etat a réussi pendant un temps à trouver des accommodements, avec l’arrêt du 28 février 1992 Société Arizona Tobacco : il a fait semblant d’imputer la responsabilité non pas à la loi elle-même mais à un règlement. Ce genre d’arrangements n’étaient pas toujours possibles, le Conseil d’Etat a voulu changer de jurisprudence par les juridictions inférieures, puis par la CEDH elle-même qui, dans un affaire Dangeville c./ France du 16 avril 2002, a condamné la France pour son régime trop restrictif de responsabilité de l’État du fait des lois.
Le Conseil d’État a du revirer de jurisprudence dans l’arrêt Gardedieu du 8 février 2007 en retenant que «la responsabilité de l’État du fait des lois est susceptible d’être engagée […] en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France» : il y a une dérogation dans le cas où la loi à l’origine du dommage est contraire à une convention internationale en général ; dans ce cas, le régime de responsabilité est identique à la responsabilité pour faute, qui ne peut être écartée par le législateur, et le dommage doit être intégralement réparé (le législateur ne parle pas de faute mais on peut considérer que la notion est présente dans l’arrêt).
b) La violation imputable à une décision juridictionnelle
À première vue, imputer à l’Etat les conséquences dommageables d’une décision de justice semblait problématique. Dans l’arrêt du 30 septembre 2003 Köbler, la Cour de justice admet que la responsabilité de l’Etat soit engagée quand la violation du droit communautaire découle d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort. Il n’y a ainsi pas d’atteinte à l’autorité de la chose définitivement jugée par l’engagement de la responsabilité de l’Etat car l’action en réparation n’a pas le même objet et n’a pas nécessairement les mêmes parties que celles présentent à l’instance pour violation (identité d’objet, de cause et de partie).
La Cour de justice, soucieuse de reconnaître la particularité des décisions de justice, du régime dans lequel la fonction juridictionnelle s’opère de façon indépendante au sein de l’Etat, tempère son appréciation : en effet, il ne s’agit pas de toute violation mais d’une violation manifeste du droit communautaire applicable, c’est-à-dire dans des cas forts limités.
La responsabilité de l’Etat ne donc peut être engagée qu’en raison d’une violation manifeste par le juge du droit communautaire applicable et après épuisement des voies de recours internes.
Les conditions processuelles nationales qui encadreront l’action en responsabilité diligentée contre l’Etat sur le fondement d’une décision juridictionnelle devenue définitive violant le droit communautaire doivent être organisées de telle sorte qu’elles se conforment exactement à la jurisprudence Köbler. S’il y a des restrictions à cette action en responsabilité, ce sera contraire au droit communautaire.
1) Le contentieux administratif
En cette matière, il faut une décision de justice administrative qui a entraîné la violation du droit communautaire. Le Conseil d’Etat a eu pendant longtemps une jurisprudence qui excluait la responsabilité de l’Etat du fait d’une faute lourde commise par la juridiction administrative lorsqu’elle résultait du contenu même d’une décision de justice.
Cette jurisprudence ancienne, l’arrêt Darmont du 29 décembre 1978, était d’application générale, quelle que soit la nature de la faute.
Le Conseil d’Etat a fini par rejoindre la jurisprudence Köbler avec un arrêt du 18 juin 2008 Gestas ; pour la première fois, le Conseil d’Etat admet que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d’une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.
Cela ne renverse pas complètement la jurisprudence Darmont, ce n’est qu’une dérogation puisque la décision de justice administrative n’a pas besoin d’être définitive : les exigences de la jurisprudence Köbler sont néanmoins satisfaites.
2) Le contentieux judiciaire
Il n’existe pas de jurisprudence équivalente susceptible d’entrer en conflit avec la jurisprudence Köbler. Cela dit, l‘article L.141-1 du Code de l’organisation judiciaire limite l’obligation pour l’Etat de réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice judiciaire qu’aux seuls cas de faute lourde ou de déni de justice.
Il faut considérer que cette disposition doit être interprétée dans un sens permettant de faire droit à la jurisprudence Köbler au regard de l’absence de jurisprudence nationale sur ce point.
Titre 2 : le contentieux
Pour la nécessaire uniformité du droit de l’Union européenne, un juge unique, la CJUE, doit intervenir. Les juridictions nationales ne peuvent pas censurer les violations du droit de l’Union européenne par des institutions, c’est donc la CJUE qui s’en charge.
La CJUE se compose de la Cour de justice elle-même, du Tribunal de première instance de l’Union européenne et de tribunaux spécialisés, comme le tribunal de la fonction publique.
L’effectivité du droit de l’Union européenne est visible de par les renvois préjudiciels des juridictions nationales et par le biais des recours directs des particuliers directement devant la Cour de justice.
La CJUE est une juridiction internationale car elle est fondée sur des traités et peut trancher des différends inter-étatiques, soit par le biais d’un compromis, soit par l’action en constatation de manquement introduit par un autre Etat membre.
Cette juridiction est très spécifique et ce pour quatre raisons :
• la CJUE est obligatoire en vertu des traités pour tous les Etats membres, alors que la juridiction internationale est facultative, subordonnée et encadrée par les limites du consentement de l’Etat ;
• la compétence de la CJUE est une compétence exclusive ; certains litiges doivent obligatoirement être jugés par cette juridiction, alors qu’il est possible en droit international de recourir au compromis ou à l’arbitrage pour certains litiges plutôt qu’à un jugement ;
• le prétoire de la CJUE est accessible aux personnes physiques et morales, alors que c‘est exceptionnel en matière de justice internationale (seulement en matière pénale ou administrative de certaines organisations internationales) ;
• l’effectivité des décisions de justice internationale dépendent du bon vouloir des Etats, alors que les décisions de la CJUE bénéficient de la même force exécutoire que les décisions nationales et peuvent faire l’objet d’une exécution forcée.
Certains se demandent donc si elle ne serait pas devenue une juridiction interne, mais évidemment non, et ce pour deux raisons :
• elle n’a pas le pouvoir d’annuler ou de réformer les actes de droit interne contraire au droit communautaire ;
• elle n’est pas une cour suprême fédérale par rapport aux cours souveraines nationales ; il n’y a pas de mécanisme d’appel ou de pourvoi contre les décisions du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation devant la CJUE.
Néanmoins, la Cour de justice s’apparente à divers égards à une juridiction interne car elle remplit tour à tour des fonctions analogues à celles des juridictions internes :
• rôle de juge constitutionnel lorsqu’elle veille au respect des traités ; contrôle préventif de compatibilité des traités avec un projet d’accord international de l’Union (analogie avec l’article 54 de la Constitution) ;
• rôle de juge administratif car elle est garante de la légalité communautaire ;
• rôle de juridiction de type politique lorsqu’elle se prononce sur les manquements par les membres de la Commission des devoirs attachés à leur charge.
Chaque juridiction nationale est quotidiennement appelée à appliquer le droit de l’Union, donc à l’interpréter, donc éventuellement aussi à être confrontée à l’affirmation d’un plaideur en vertu de laquelle telle disposition serait contraire au droit communautaire.
Étant juge de droit commun, il est en principe normalement habilité à interpréter le droit de l’Union, voire même à se prononcer sur la validité d’une norme européenne qu’il serait amené à appliquer.
Il y a bien sûr le risque de la pluralité d’interprétation. Le premier recours aurait été d’ériger la Cour de justice en cour suprême, chose que les Etats membres auraient refusé. La solution qui a été retenue fut l’application d’un principe de coopération entre les juridictions nationales et la Cour de justice, et non pas un principe de hiérarchie. Cela se concrétise par la procédure de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice.
Chapitre 1er : les renvois préjudiciels
Ce mécanisme était prévu par l’article 234 du TCE et était applicable pour les matières du pilier communautaire et du volet communautarisé du pilier III (coopération en matière civile relative à circulation des personnes, visa, asile, etc… ).
Il y avait un mécanisme particulier pour le pilier III résiduel (coopération en matière pénale) : l’article 35 du traité UE ancien aménageait un système de renvoi préjudiciel très spécifique puisqu’à la différence de ce qui s’appliquait en vertu de l’article 234 du TCE, le mécanisme de l’article 35 du TUE était subordonné à l’acceptation par chaque Etat de la compétence de la Cour de justice.
L’effacement de la structure en piliers est un élément de simplification dans ce domaine. Le mécanisme est désormais régi par l’article 267 du TFUE, mais pendant une période transitoire de cinq ans à compter de la signature du traité de Lisbonne, le régime dérogatoire de l’article 35 devra s’appliquer pour les actes pris avant le traité de Lisbonne.
La PESC est soustraite à la compétence préjudicielle de la CJUE.
Le mécanisme du renvoi préjudiciel se divise en trois temps (les deux derniers peuvent être regroupés) :
• le renvoi préjudiciel,
• l’arrêt préjudiciel,
• le juge national tranche l’instance au regard de l’arrêt préjudiciel.
Première section : le renvoi par le juge national
Il n’est pas totalement libre et est soumis à certaines conditions.
I. Les conditions du renvoi
A) Les conditions tenant à l’auteur du renvoi
C’est l’article 267 du TFUE qui évoque un tel renvoi par une juridiction d’un Etat membre. Cela exclut immédiatement le renvoi préjudiciel par les parties elles-même, que ce soit individuellement ou ensemble, mais cela exclut aussi le renvoi par une juridiction d’un Etat tiers ou par une juridiction internationale. Cette règle est interprétée par la jurisprudence dans un double souci :
• l’ouverture la plus large du renvoi préjudiciel dans l’intérêt de la meilleure application du droit de l’Union. La recevabilité d’un renvoi préjudiciel par une juridiction d’un territoire d’outre mer est simplement soumis à un régime d’association par rapport au droit de l’Union, ce qui témoigne de la souplesse d’interprétation de la Cour de justice. La recevabilité du renvoi préjudiciel introduit par la Cour d’appel du Bénélux, juridiction commune à trois Etats membres, en témoigne également ;
• l’autonomie du renvoi préjudiciel, puisqu’elle ne fait pas dépendre la recevabilité du renvoi de la qualification juridictionnelle dont bénéficie ou pas cette instance. Ce qui compte, c’est que l’on ait affaire, du point de vue organique, à une juridiction ayant des activités juridictionnelles.
1. Les critères organiques de la juridiction
Dans la plupart des cas, il n’y a pas de difficultés particulières : l’organe considéré comme juridiction au plan international a toutes les chances de bénéficier de cette qualification au niveau communautaire.
Il y a néanmoins des cas où la Cour de justice a développé une méthode du faisceau d’indices : c’est l’arrêt du 30 juillet 1966 Vaassen Göbbels, confirmé par un arrêt du 17 septembre 1997 Dorsch Consult. Ces indices sont les suivants :
• l’établissement par la loi de l’organe en question,
• la nomination de ses membres par l’autorité publique,
• le caractère permanent de cet organe,
• le caractère obligatoire de sa juridiction pour trancher les différends relevant de sa compétence,
• le fait que celle-ci consiste à trancher des litiges,
• le fait qu’ils doivent être tranchés au regard d’une procédure contradictoire,
• le fait que l’organe en question doivent trancher ces litiges en droit,
• l’indépendance.
Ainsi, par exemple, cette méthode a conduit a refusé le renvoi préjudiciel opéré :
• par des juridictions arbitrales,
• par tel organe statuant sur des réclamations fiscales ne satisfaisant pas le critère de l’indépendance à l’égard de l’administration fiscale.
À l’inverse, elle a admis des renvois opérés par des organes qui pouvaient statuer en équité, et non pas seulement en droit.
2. L’approche fonctionnelle de la juridiction
La juridiction doit être amenée à opérer un renvoi préjudiciel pour rendre son jugement selon l’article 267 du TFUE. Il en résulte nécessairement que la recevabilité du renvoi préjudiciel est conditionnée par l’éventualité du jugement rendu en droit, peu importe la matière en présence.
Le Conseil constitutionnel français se refuse à opérer des renvois préjudiciels pour des contrôles à priori de la constitutionnalité des lois à la Cour de justice car l’article 61 de la Constitution impose au Conseil constitutionnel de statuer dans le délai d’un mois, voire de huit jours en cas d’urgence demandée par le Gouvernement : il y a donc une incompatibilité matérielle, pratique.
En sera-t-il de même pour le contrôle à posteriori, c’est-à-dire dans le cadre de la QPC ? Il pourrait en aller différemment vu que le délai est de trois mois et vu que celui-ci est prescrit par la loi organique, laquelle est subordonnée au droit de l’Union, et donc à l’article 267 du TFUE (alors que l’article 61 de la Constitution est en conflit avec la norme communautaire).
Il faut, quelle que soit la matière, que le juge de renvoi soit appelé à rendre une décision de justice en vue de laquelle il opère ce renvoi préjudiciel. Mais il peut arriver que cette perspective se soit évanouie :
• le juge peut soit avoir fini par statuer au fond entre temps,
• soit parce qu’un incident de procédure, tel le désistement des parties, a pu mettre un terme au jugement.
Il faut donc une décision à venir présentant un caractère juridictionnel : c’est très important dans les cas particuliers où l’organe de renvoi est un organe qui remplit à la fois des fonctions juridictionnelles mais aussi non-juridictionnelles (consultatives, normatives par l’exercice d’un pouvoir règlementaire ou d’un pouvoir d’adoption d’actes). Ainsi, si le renvoi est opéré au titre d’une fonction juridictionnelle, il sera recevable, et inversement, il ne le sera pas.
Ex : c’est le cas pour les ordres professionnels, lesquels peuvent parfois remplir des fonctions juridictionnelles en matière disciplinaire, et qui dans d’autres cas remplissent des fonction de gestion administrative de la profession : ce sera recevable dans le premier cas mais pas dans le second.
Ceci étant dit, la notion de jugement à venir est assez largement entendue : le jugement peut être purement déclaratoire, statuer à titre provisoire (telle une ordonnance de référé, il appartient alors au juge des référés de déterminer si l’urgence qui s’impose à lui est compatible avec une procédure préjudicielle nécessairement longue).
B) Les conditions tenant à la question posée
1. Les conditions formelles
a) Les conditions générales
Y a-t-il un délai de renvoi ? C’est au juge national qu’il appartient d’apprécier le meilleur moment de l’instance pour opérer un tel renvoi. Ceci étant, du point de vue de la Cour de justice, il peut être opportun de ne pas renvoyer trop tôt, afin que les faits de la cause éclairant la question préjudicielle soient parfaitement établis.
b) La condition propre au renvoi en appréciation de validité
Ceci doit être nuancé lorsqu’il s’agit d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité. En effet, la Cour de justice, depuis un arrêt du 9 mars 1994 TWD, estime qu’un renvoi en appréciation de validité est irrecevable s’il a été opéré par le juge national à la demande d’une partie qui aurait été recevable à agir en annulation devant le juge communautaire contre l’acte communautaire de droit dérivé dont la validité est mis en doute dans le cadre du renvoi préjudiciel et qui s’en serait abstenue.
La Cour de justice fait jouer une sorte d’exception de recours parallèle : le renvoi préjudiciel est irrecevable car il y avait un recours parallèle en annulation qui n’a pas été exercé. La Cour de justice cherche à éviter que le renvoi préjudiciel serve de session de rattrapage au plaideur négligent ayant laissé s’écouler le délai de deux mois pour agir en annulation. Pour autant, cette position est discutable pour deux raisons :
• elle est fondée sur l’idée implicite selon laquelle le renvoi préjudiciel est opéré par le justiciable, alors que ce n’est pas le cas, il est opéré par le juge national et lui-seul (il peut refuser la demande des parties et aller à l’encontre de leur volonté en l’autorisant) ;
• cette jurisprudence est sévère dans le cas où l’illégalité de l’acte communautaire en cause peut très bien n’apparaître au grand jour qu’au fil des usages.
Cette jurisprudence implique le cas particulier de l’irrecevabilité du renvoi en appréciation de validité dans le cas où la partie à l’origine de ce renvoi était recevable à opérer un recours en annulation et ne l’a pas fait en temps utile.
2. Les conditions substantielles
a) Les conditions relatives à l’objet de la question préjudicielle
Il faut être en présence d’une question qui porte sur l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une norme communautaire. Cela implique deux exclusions :
• le renvoi préjudiciel est irrecevable si la question a pour objet d’amener la Cour de justice à se prononcer sur les faits de la cause ;
• la Cour de justice n’a pas à être saisie de questions l’invitant à se prononcer sur le droit national ; la Cour de justice n’a pas à se prononcer sur la validité du droit national, mais il n’en est pas moins vrai que bien souvent, des questions préjudicielles en interprétation du droit de l’Union européenne vise en réalité à faire ressortir l’incompatibilité entre le droit national et le droit de l’Union européenne ainsi interprété ; par ailleurs, la question préjudicielle ne peut porter non plus sur l’interprétation du droit national, mais il peut arriver que le droit national reprennent la substance même du droit communautaire, étendant parfois son champ d’application ; dans ce cas, la Cour de justice admet la recevabilité de la question de l’interprétation du droit de l’Union européenne, bien que celle-ci revienne à interpréter le droit national puisque celui-ci reprend les termes de la norme communautaire.
b) La condition relative à l’utilité de la question préjudicielle
L’appréciation de l’utilité du renvoi dépend de l’appréciation du juge, indépendamment de l’avis des parties. Elle s’impose à la Cour de justice qui considère qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité des questions dont elle est saisie, appliquant ici une saine répartition des compétences entre le juge de renvoi, le juge du principal, et la Cour de justice, le juge de l’application du droit.
Des limites ont été posées par la jurisprudence au pouvoir d’appréciation du juge de renvoi en vue d’éviter l’engorgement du rôle de la Cour de justice qui risquerait d’être encombré de questions préjudicielles inutiles.
• Est irrecevable une question préjudicielle qui ne prendrait pas sa source dans un litige réel mais dans une construction procédurale arrangée (parties qui s’entendent dans une sorte de procès fictif pour obtenir le renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de justice pour obtenir une invalidité du droit national vers laquelle tendent conjointement les intérêts des parties).
• La Cour de justice exige que le point de droit faisant l’objet de la question préjudicielle ne soit pas sans aucun rapport avec la réalité du litige.
II. La mise en œuvre du renvoi
A) Le caractère facultatif ou obligatoire du renvoi
Le renvoi préjudiciel est-il obligatoire ou facultatif ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur la formulation de l’article 267 du TFUE :
• la juridiction dont les décisions sont susceptibles de recours en voie interne a la faculté d’opérer un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice ;
• la juridiction dont les décisions sont insusceptibles de recours en voie interne n’a pas la faculté d’opérer un renvoi préjudiciel mais est tenue de saisir la Cour de justice.
L’article a opéré un compromis raisonnable. Ces règles n’étaient pas applicables dans les même termes avant le traité de Lisbonne en ce qui concernait les renvois préjudiciels dérogatoires dans deux matières :
• en ce qui concerne le volet communautarisé du pilier III, le libellé hésitait entre la faculté et l’obligation de renvoi par les juridictions statuant en dernier ressort : était retenue que ces juridictions demandent à la Cour de justice, si elles l’estimaient nécessaire, qu’elle réponde à une question préjudicielle ;
• en ce qui concerne la coopération policière et judiciaire en matière pénale, le renvoi était très particulier car il était toujours facultatif et nécessitait de la part des Etats qu’ils consentent à la compétence préjudicielle de la Cour de justice dans les matières du pilier III ; la France, dans un élan européiste, avait fait le choix de l’acceptation la plus large du renvoi par toutes les juridictions, se laissant la possibilité qu’il devienne obligatoire.
Ce régime dérogatoire disparait avec le traité de Lisbonne sous réserve d’une période de transition de cinq ans.
1. L’encadrement partiel de la faculté de renvoi
a) Le principe de la liberté du juge national ne statuant pas en dernier ressort
Le juge national ne statuant pas en dernier ressort à une faculté d’appréciation sur l’opportunité de renvoyer ou de ne pas le faire. Il ne peut être contraint ni par les parties ni par des règles processuelles nationales. Le juge national doit pouvoir s’affranchir de la contrainte constitutionnelle pour opérer le renvoi au moment qu’il juge opportun. Lorsque le juge national estime ne pas avoir la nécessité de renvoyer, ce peut être parce qu’il estime pouvoir s’en sortir tout seul.
• Si cette question de droit communautaire est une question d’interprétation, il est parfaitement fondé à se livrer lui-même à une interprétation spontanée du droit de l’Union, avec le risque que son interprétation soit déviante, laquelle pourra aisément être corrigée tôt ou tard par la jurisprudence correcte des juridictions suprêmes de l’ordre considéré, lesquelles sont en principe tenues à une obligation de renvoi.
• S’il s’agit d’une question d’appréciation de validité, les choses sont un peu plus compliquées : on ne peut laisser n’importe quel juge national décider qu’un acte communautaire est invalide. Il serait possible d’y remédier tôt ou tard, mais cela ne serait pas pleinement satisfaisant, c’est pourquoi a été instituée une obligation partielle de renvoi en appréciation de validité.
b) L’exception : l’obligation partielle de renvoi en appréciation de validité
Contre la lettre de l’article 267 du TFUE, la Cour de justice a imposé une obligation partielle de renvoi en appréciation de validité pour le juge de renvoi ne statuant pas en dernier ressort. La position de la Cour de justice, depuis un arrêt du 22 octobre 1987 Foto-Frost qui a fait jurisprudence sur ce point, est de distinguer deux cas de figure :
• si le juge national qui s’interroge sur la validité d’un acte de droit dérivé de l’Union considère qu’il est valide par rapport aux normes supérieures du droit de l’Union, il pourra sans renvoyer confirmer cette présomption de conformité et l’appliquer à l’espèce ;
• s’il incline dans le sens de l’invalidité de l’acte, alors il doit au préalable surseoir à statuer et adresser à la Cour de justice un renvoi préjudiciel pour s’assurer de la pertinence de son sentiment. Cela s’impose à toutes les juridictions.
Cette jurisprudence laisse planer un malaise : il faut prendre la mesure de la préoccupation de la Cour de justice, qui est de garantir l’uniformité de l’application du droit de l’Union, éviter que certaines juridictions déclarent un acte invalide et refusent de l’appliquer au cas d’espèce. Une telle façon de faire devrait valoir pour l’interprétation préjudicielle, et pas seulement pour l’appréciation de validité. Même à s’en tenir au cas de la question préjudicielle en appréciation de validité, le raisonnement asymétrique fait peu de cas des intérêts des justiciables : la Cour de justice n’a en tête que les intérêts supérieurs de l’Union, elle ne peut supporter l’idée qu’une norme qu’elle considère valide soit écartée par le juge national, mais n’applique pas la même logique de raisonnement dans le cas inverse, elle s’accommode du fait qu’une norme invalide ne puisse pas être écartée par les justiciables.
La Cour de justice s’attache à l’effectivité du droit de l’Union plus qu’à sa licéité.
2. L’assouplissement partiel de l’obligation de renvoi
a) L’ambiguïté de l’article 267 du TFUE (ex-article 234 du TCE)
On ne sait pas s’il s’agit d’une obligation impérative ou plus nuancée. Les deux thèses peuvent également être soutenues.
• On peut soutenir la thèse de l’obligation absolue, impérative de renvoi, qui ne ferait aucune place au discernement du juge, et à l’appui de cette interprétation, on peut retenir un argument textuel. Si l’on compare les deux formulations pour les juridictions statuant en dernier ressort ou en premier ressort, dans le premier cas, le juge national de dernier ressort est tenu de renvoyer toute question préjudicielle qui se pose à lui, même s’il est convaincu qu’elle n’est pas nécessaire, alors que ce n’est pas le cas dans le second cas.
• D’un autre côté, on peut considérer qu’il est raisonnable de laisser au juge statuant en dernier ressort une faculté de discernement dans l’exercice de cette obligation de renvoi préjudiciel :
– l’obliger systématiquement à procéder à ce renvoi pourra conduire au renvoi de questions préjudicielles farfelues ;
– par ailleurs, la décision de renvoi appartenant au juge et non aux parties, cela reviendrait à conférer le pouvoir de renvoi aux parties elles-même et non pas au juge.
b) Les tempéraments jurisprudentiels à l’obligation de renvoi
La Cour de justice, très raisonnablement, n’interprète pas l’article 267 du TFUE indépendamment de la fonction qu’il remplit : dans son arrêt Cilfit du 6 octobre 1982, elle précise que la fonction du renvoi préjudiciel est d’éviter que ne pérennisent des opinions nationales divergentes. La Cour de justice a écarté l’hypothèse d’une interprétation stricte et intégriste tendant à une obligation systématique de renvoi préjudiciel par le juge national statuant en dernier ressort : il est donc fondé à ne pas procéder au renvoi qui lui semble manifestement irrecevable ; par ailleurs, il y a des limites de deux ordres :
• la première, d’ordre général, concerne l’hypothèse d’une question déjà tranchée par une décision préjudicielle de la Cour, ou plus largement par la jurisprudence de la Cour ; dans ce cas, lorsque la réponse à la question découle nécessairement d’une jurisprudence antérieure parfaitement établie, le juge national, bien que statuant en dernier ressort, sera dispensé de son obligation de renvoi préjudiciel ;
• la seconde est propre au renvoi préjudiciel en interprétation par le jeu de la théorie de l’acte clair ; la dispense est admise dans le cas où la norme à interpréter est considérée comme suffisamment claire pour se dispenser du renvoi. Cette théorie est venue de juridictions nationales ayant rang de cours suprêmes et rétives au renvoi obligatoire. Cela a été très clairement le cas du Conseil d’Etat français qui a inauguré cette théorie par l’arrêt du 19 juin 1964 Société des pétroles Shell. Cela dit, dire qu’un acte est clair signifie bien qu’il a été interprété ; le Conseil d’Etat avait même soutenu dans l’arrêt Cohn-Bendit du 22 décembre 1978 qu’il ressortait clairement que les directives ne pouvaient avoir d’effet direct (c’est l’«obscure clarté» du traité CE).
•Depuis, la Cour de justice a admis cette théorie, mais ce pour mieux l’étouffer : la Cour de justice retient que l’appréciation de la clarté supposée de cet acte doit tenir compte des caractéristiques propres au droit communautaire et à l’interprétation communautaire. Elle érige pour cela trois principes :
– cette clarté doit résulter de la comparaison des diverses versions linguistiques de l’acte communautaire en cause ;
– l’appréciation de la clarté doit tenir compte de l’autonomie conceptuelle partielle du droit communautaire ;
– l’appréciation de la clarté doit être opérée à la lumière de l’ensemble des dispositions communautaires, de leur finalité et de leur évolution.
B) La décision de renvoi
1. La décision de renvoi proprement dite
Elle prend la forme d’un acte juridictionnel soumis aux règles processuelles et aux formes du droit national.
2. Les mesures conservatoires accompagnant le renvoi
La décision de renvoi à la Cour de justice oblige à suspendre l’instance en cours puisque le renvoi n’est recevable qu’à la condition d’être le préalable, d’être nécessaire au prononcé par le juge de renvoi de son jugement. Dans cet intervalle, il peut s’avérer nécessaire de prendre des mesures provisoire.
• Si la question préjudicielle est une question d’interprétation du droit communautaire, elle peut viser à porter un jugement sur l’interprétation du droit national au regard du droit communautaire ; dans ce cas, la Cour de justice retient que le juge de renvoi doit avoir la faculté de surseoir à l’application de la mesure nationale dont la conformité au droit communautaire est incertaine. Elle précise que le juge national doit avoir cette faculté y compris si le droit processuel national ne lui reconnaît pas cette faculté.
• Si la question préjudicielle est une question d’appréciation de validité d’une norme dérivée du droit de l’Union, le juge national a-t-il ou non la faculté de surseoir à l’exécution des actes nationaux de mise en oeuvre de cette norme de l’Union dont la validité est discutée, est mise en doute, à titre préjudiciel ? Elle y est plus réticente, mais l’admet tout de même, à la condition en particulier que ce sursis soit précédé d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité. Cela n’ajoute rien s’il s’agit d’une juridiction statuant en dernier ressort, mais s’il s’agit d’une autre juridiction, cela ouvre un cas supplémentaire d’obligation de renvoi par rapport à la lettre de l’article 267. La Cour de justice n’admettra ce sursis qu’à la condition que les moyens tendant à démontrer cette invalidité présentent un caractère sérieux et que le risque de voir la norme communautaire appliquée dans l’intervalle implique un préjudice difficilement réparable.
•Il n’y a qu’une exception à cette obligation de renvoi préjudiciel en appréciation de validité préalablement au sursis : quand un renvoi préjudiciel a déjà été opéré par une autre juridiction nationale (ce qui est possible vu le nombre d’Etats membres).
Deuxième section : le jugement du renvoi par la Cour de justice
I. La compétence préjudicielle de la Cour de justice
A) Le domaine de la compétence préjudicielle de la Cour de justice
Il faut distinguer l’interprétation et l’appréciation préjudicielle de validité en ce qui concerne un certain domaine.
1. Le domaine réservé à l’interprétation préjudicielle
Elle concerne le droit primaire.
a) Les traités
Avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la détermination des normes conventionnelles primaires susceptibles de faire l’objet d’une question préjudicielle était complexe.
• L’ensemble des clauses du TCE pouvaient faire l’objet d’un renvoi préjudiciel sur le fondement de l’article 234 de ce traité, avec une mention particulière relevant du volet communautarisé (maîtrise des flux migratoires, asile, coopération judiciaire en matière civile).
• En ce qui concernait les clauses du TUE, il fallait faire un tri : seules certaines dispositions de ce traité étaient justiciables de la Cour. Tel était le cas des dispositions relatives au pilier III (coopération policière et judiciaire en matière pénale) sur le fondement de l’article 35 du TUE. Cet article ne prévoyait l’interprétation préjudicielle que des actes de droit dérivé.
•Au delà de ces dispositions, quelques rares autres dispositions pouvaient faire l’objet de cette question préjudicielle : les dispositions finales du traité, l’article 6§2 ancien du TUE (respect par l’Union des droits fondamentaux en tant que PGD communautaires), lesquels n’appartenaient à aucun pilier, d’où la question de savoir quelle procédure fallait-il mettre en oeuvre.
Le traité de Lisbonne simplifie la donne puisqu’il prévoit que la Cour de justice est compétente pour se prononcer à titre préjudiciel sur l’interprétation des traités. Cette formulation englobe le TFUE (dispositions de l’ancien TCE et dispositions relevant de l’ancien pilier III pour lequel désormais l’interprétation préjudicielle obéit au régime de droit commun, sans qu’il soit besoin de faire appel au régime dérogatoire de l’ex-article 35 du TUE) et le TUE (à l’exception notable des dispositions relatives à la PESC).
b) Les normes jurisprudentielles
Sont visés les principes généraux du droit communautaire, qui font corps avec le droit primaire de l’Union et qui ont la même valeur.
Sont également visés les arrêts de la Cour de justice, qui sont l’instrument formel de la jurisprudence. Ils font partie des actes adoptés par les institutions de l’Union (la Cour de justice étant une institution de l’Union).
Si l’on s’en tenait à cette analyse, il faudrait considérer que ces arrêts devraient faire l’objet de l’interprétation préjudicielle, mais aussi de l’appréciation préjudicielle de validité. Le problème, c’est qu’on imagine mal une juridiction nationale demander à la Cour d’apprécier la validité de son propre arrêt, et ce pour deux raisons :
• la Cour ne peut être juge et partie ;
• on ne peut méconnaître l’autorité de chose jugée qui s’attache aux décisions de la Cour.
Le seul moyen de remettre en cause la validité d’un arrêt de la Cour est le recours en révision. Les arrêts ne peuvent donc tout au plus faire l’objet que d’un renvoi préjudiciel en interprétation. Ils peuvent aussi faire l’objet d’un recours en interprétation organisé par les statuts de la Cour : ne risque-t-il pas d’y avoir double emploi ? Non car ce recours peut avoir lieu à la demande d’une partie à l’instance devant la Cour ou à la demande d’une institution, alors que le renvoi préjudiciel en interprétation est déclenché par le juge de renvoi. Les auteurs ne sont donc pas les mêmes.
2. Le domaine commun à l’interprétation préjudicielle et à l’appréciation préjudicielle de validité
a) Les actes unilatéraux
Le TCE prévoyait des restrictions d’importance inégale à la compétence de la Cour en matière de renvoi préjudiciel des actes de droit dérivé. La première consistait à permettre à la Cour de justice de se prononcer sur l’interprétation ou la validité des actes des seules institutions (Conseil, Commission, Parlement européen, Cour des comptes, BCE).
Cette expression des “seules institutions” excluait le renvoi préjudiciel concernant les actes adoptés par les organes qui n’étaient pas formellement qualifiés d’institutions (comité économique et social, comité des régions, banque européenne d’investissement, conseil européen, et tous les organes de diverses natures).
Le traité de Lisbonne étend largement le champ d’application en mettant un terme à ces restrictions : il n’y a plus ces limitations organiques puisque sont éligibles au renvoi préjudiciel les actes adoptés par les institutions de l’Union (Conseil européen compris) et les actes adoptés par les organes et organismes de l’Union.
Cette extension organique du champ du renvoi préjudiciel ne sera pas contrariée sur le plan formel puisqu’est maintenue la jurisprudence antérieure en vertu de laquelle l’acte faisant l’objet du renvoi peut avoir n’importe forme, n’importe quelle caractéristique.
En ce qui concerne les actes adoptés en matière de coopération judiciaire en matière pénale, l’ancien article 35 prévoyait une possibilité de renvoi à l’égard des décisions-cadres, à l’exclusion des positions communes que pouvait adopter le Conseil de l’Union. Ce silence devait conduire à exclure ce type d’actes de droit dérivé de la compétence de la Cour de justice, laquelle avait comblé cette lacune par sa jurisprudence dans l’arrêt Gestoras du 27 février 2007.
b) Les accords internationaux
La Cour de justice, dans l’arrêt du 30 avril 1974 Haegeman, a admis que les conventions internationales faisaient pleinement partie de l’ordre juridique communautaire. C’est la justification de la soumission de ces accords à la compétence préjudicielle interprétative de la Cour de justice.
Se posait la question de savoir s’ils pouvaient faire l’objet d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité. La Cour de justice n’en a pas exclu l’éventualité, et l’a même semble-t-il admise dans l’avis 1-75. Admettre un tel renvoi, c’est ouvrir la voie à la difficulté précédemment rencontrée : c’est placer l’Union entre le respect du droit primaire de l’Union et le respect de l’engagement international.
Cela porte sur les stipulations de l’accord lu-même, sur les actes qui en dérivent, sur les accords mixtes conclus avec des Etats, sur les accords conclus par les Etats membres auxquels l’Union a ensuite succédé (accords du GATT).
B) L’exercice de la compétence préjudicielle de la Cour de justice
1. La procédure
C’est une procédure contradictoire, la décision de renvoi prise par le juge national doit être notifiée par le greffe de la Cour de justice aux parties au procès devant le juge de renvoi, aux Etats membres eux-mêmes, à la Commission, ainsi qu’à l’institution dont l’acte fait l’objet du renvoi préjudiciel.
Cela détermine le périmètre du débat contradictoire : seuls les bénéficiaires de la notification pourront participer au débat contradictoire devant la Cour de justice, et au terme de celui-ci, elle rendra sa décision de renvoi préjudiciel.
La phase d’instruction peut être très longue : le règlement de procédure de la Cour a prévu diverses procédures exceptionnelles destinées à accélérer la procédure préjudicielle, à quoi s’ajoute la possibilité pour la Cour de justice de se dispenser de conclusions de l’avocat général. Ces mesures semblent avoir porté leur fruit : le délai moyen d’instruction est aujourd’hui de dix-sept mois (au lieux de vingt-quatre), et peut être réduit à moins de trois mois lors de la mise en oeuvre des procédures d’urgence.
2. Les pouvoirs de la Cour
Elle a un certain pouvoir de reformulation des questions préjudicielles qui lui sont adressées, soit pour les adapter à sa compétence, soit pour en faire mieux apparaître la substance. La Cour de justice pourra être amenée à transformer une question préjudicielle en interprétation en question préjudicielle d’appréciation de validité ou à prolonger une question préjudicielle en interprétation en question préjudicielle d’appréciation de validité.
La Cour de justice peut considérer dans certains cas qu’elle doit dépasser l’objet précis de la question préjudicielle qui lui est posée : la réponse est plus large que la question.
Le Conseil d’Etat français a, dans un premier temps, considéré que l’autorité de l’arrêt de la Cour ne pouvait porter que sur la partie de la réponse relative à la question posée selon sa jurisprudence du 26 juillet 1985 ONIC, le reste ne pouvant lier le juge national. Il est revenu sur sa position dans l’arrêt du 11 décembre 2006 Société De Groot En Slot.
La Cour de justice peut aussi estimer inutile de répondre à une question qui lui a été posée lorsqu’il y en a plusieurs et que la réponse apportée à la première rend sans objet les questions suivantes. C’est bien au juge de renvoi qu’il appartient au premier chef de prendre la responsabilité de la manière dont il formule ses questions préjudicielles.
La réponse apportée par la Cour doit être assez précise pour être utilisable par le juge de renvoi, mais aussi suffisamment abstraite pour ne pas empiéter sur l’office du juge de renvoi qui est seul juge du fond.
Cette difficulté de s’en tenir à ce compromis concerne le cas de la question interprétative, la réponse étant binaire en matière de question préjudicielle en appréciation de validité. S’agissant de celle-ci, l’appréciation de validité d’une norme de droit dérivé se fera selon les normes de droit primaire évidemment, mais aussi selon les normes de droit dérivé qui lui sont supérieures.
Il y a une parenté étroite entre le renvoi préjudiciel en appréciation de validité et le recours en annulation : ce sont deux voies différentes qui concourent au contrôle de la légalité des actes de l’Union. Le recours en annulation n’est accessible aux particuliers que dans des conditions assez strictes puisqu’il faut démontrer l’existence d’un lien direct et individuel ; il est donc des cas dans lesquels le particulier n’a pas accès au prétoire de la Cour par cette voie ; il peut y accéder indirectement par la voie d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité. On ne saurait complètement les assimiler, ne serait-ce que parce que les pouvoirs de la Cour ne sont pas les mêmes dans les deux cas.
II. L’arrêt préjudiciel
A) L’autorité de l’arrêt préjudiciel
Ces arrêts présentent un caractère déclaratoire : la Cour de justice emploie d’ailleurs la formule «la Cour de justice dit pour droit». Mais ils ont également l’autorité juridique des décisions de la Cour.
• La Cour de justice, quant à la nature de l’autorité, dans l’arrêt Vünche, a employé la notion d’autorité de chose jugée.
• En ce qui concerne la portée, la distinction erga omnes et inter partes ne convient pas très bien : l’arrêt préjudiciel n’a pas qu’une autorité relative puisqu’un autre juge national ou même le même dans une autre affaire pourront en tirer les conséquences nécessaires sans opérer un nouveau renvoi ; elle n’est pas pour autant absolue car les autres juges ou même le même juge dans une autre affaire pourront opérer un nouveau renvoi.
Ce sont deux voies complémentaires.
1. L’autorité de l’arrêt préjudiciel en interprétation
La Cour de justice, alors qu’elle emploiera plus tard l’expression “autorité de chose jugée” dans l’arrêt Vünche, avait parlé, dans son arrêt Da Costa du 27 mars 1963, de l’autorité de l’interprétation, de l’autorité de chose interprétée de l’arrêt préjudiciel.
Cette notion d’autorité de chose interprétée est assez satisfaisante car elle convient fort bien à l’objet même de l’arrêt préjudiciel qui est de procéder à une interprétation et de l’imposer. Celle-ci fait corps avec l’acte interprété lui-même, et cette interprétation consubstantielle à l’acte interprété s’imposera au juge de renvoi et, le cas échéant, à toute juridiction appelée à appliquer la norme interprétée.
En cas de méconnaissance, tout organe de l’Etat agissant de la sorte pourrait voir sa décision entachée d’illégalité et faire l’objet de toutes les voies de recours de droit interne. Le juge national ne peut prétendre s’affranchir de l’interprétation préjudicielle sans prendre la précaution de poser une nouvelle question préjudicielle à la Cour de justice.
2. L’autorité de l’arrêt préjudiciel en appréciation de validité
Il faut raisonner par analogie, mais celle-ci ne peut pas être poussée à son terme parce que l’arrêt préjudiciel concluant à l’invalidité de l’acte en cause n’entrainera pas sa disparition de l’ordonnancement juridique.
La détermination de la nature de l’arrêt préjudiciel en appréciation de validité oblige à prendre en compte les deux cas de figure possibles :
• s’il conclut à la validité de l’acte en cause, il ne fait que confirmer une présomption de validité dont jouissait l’acte en question depuis son origine ;
• s’il conclut à l’invalidité de l’acte en cause, il s’adresse au juge de renvoi pour qu’il en tire les conséquences dans l’instance qui se déroule devant lui ; néanmoins, la CJUE a considéré qu’il constituait une raison suffisante pour que tout autre juge soit fondé à considérer l’acte en question comme invalide. La portée de cet arrêt dépasse le seul office du juge a quo. Il s’adresse à tous les organes de l’Etat, aux institutions de l’Union européenne elles-même, et en particulier celle l’ayant édicté, qui est appelée à tirer les conséquences de l’arrêt préjudiciel rendu par la Cour. Pourtant, l’article 267 du TFUE ne dit rien des conséquences à tirer par l’institution l’ayant adopté. La CJUE a une fois de plus procédé par analogie av