LES JURIDICTIONS DE L’ORDRE ADMINISTRATIF
Les juridictions administratives sont chargées de juger les affaires impliquant les collectivités publiques : État, communes, départements, régions, et établissements publics. Les juridictions de l’ordre administratif en France incluent le tribunal administratif, la cour administrative d’appel et le Conseil d’État.
Les affaires examinées par les juridictions administratives concernent principalement des litiges liés aux décisions ou actes administratifs : contestation du montant d’un impôt, refus d’un permis de construire, proclamation des résultats électoraux, ou encore demandes de réparation de dommages causés par des ouvrages publics.
Les spécificité des juges des juridictions administratives :
Les juges administratifs se distinguent par plusieurs particularités par rapport aux juges de l’ordre judiciaire.
- L’autorité de la chose jugée
- Les principes directeurs de l’instance
- L’action en justice : définition, conditions
- Les preuves imparfaites (témoignage, présomption, aveu, serment)
- Les preuves parfaites : écrit, aveu judiciaire, serment
- La preuve littérale : acte sous seing privé / acte authentique
- L’admissibilité des preuves des actes et faits juridiques
1. Absence d’unité de corps et parcours de formation
Le statut des juges administratifs varie selon leur affectation : tribunal administratif, cour administrative d’appel ou Conseil d’État. Contrairement aux juges judiciaires, il n’existe pas de parcours de formation unique au sein de l’ordre administratif.
- Recrutement : La majorité des juges administratifs proviennent de l’École nationale d’administration (ENA), où ils suivent le même cursus que les futurs cadres de l’administration publique. Le choix de la carrière administrative ou judiciaire dépend souvent du classement final à l’ENA. Environ 75 % des juges des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel sont issus de l’ENA.
- Recrutement latéral : Certains juges sont recrutés par le gouvernement selon la procédure dite du « tour extérieur ». Ce mode de recrutement renforce la liaison entre la juridiction administrative et l’administration, ce qui conduit souvent à affirmer que « le juge administratif est l’administration qui se juge ».
2. Statut général de la fonction publique
Les juges administratifs sont fonctionnaires, soumis au statut général des fonctionnaires. Toutefois, pour garantir l’exercice indépendant de leurs fonctions, certains ajustements statutaires sont apportés.
- Inamovibilité : Contrairement aux magistrats judiciaires, les juges administratifs n’ont pas l’inamovibilité garantie par la Constitution (sauf pour les membres de la Cour des comptes). En revanche, leur carrière est encadrée par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel (CSTA), un organe indépendant qui formule des recommandations pour leur avancement et leur discipline.
- Avancement et indépendance : Pour les membres du Conseil d’État, leur indépendance repose davantage sur la tradition que sur des garanties statutaires formelles. Leur progression de carrière est souvent basée sur l’ancienneté, un choix destiné à limiter les pressions extérieures mais qui peut restreindre les possibilités d’évolution au mérite.
3. Absence de distinction entre siège et parquet
Dans les juridictions administratives, il n’existe pas de parquet ou de séparation entre les fonctions de siège et celles du ministère public, contrairement aux juridictions judiciaires. Les commissaires du gouvernement (maintenant appelés rapporteurs publics) sont membres de la juridiction.
- Rôle des rapporteurs publics : Ces juges, tels que les maîtres des requêtes au Conseil d’État ou les conseillers dans les tribunaux administratifs, ne représentent pas le gouvernement et sont totalement indépendants. Leur rôle consiste à proposer une solution juridique aux affaires, qu’ils présentent sous forme de conclusions. Les autres membres de la juridiction peuvent ou non suivre leurs conclusions.
- Exception pour la Cour des comptes : Seule la Cour des comptes dispose d’un parquet, qui intervient dans le contrôle des finances publiques.
Les différentes juridictions administratives :
Les juridictions administratives françaises se sont développées progressivement pour répondre aux besoins croissants de contentieux administratif. Jusqu’en 1953, le Conseil d’État (I) était la seule juridiction ordinaire en matière administrative. Puis, en 1953, les tribunaux administratifs (II) ont été créés, suivis par la mise en place des cours administratives d’appel (III) en 1987.
-
Tribunal administratif : Juge de premier ressort pour la plupart des litiges entre les particuliers et l’administration, sauf si un texte spécifique attribue cette compétence à une autre juridiction.
-
Cour administrative d’appel : Juge d’appel des décisions rendues par les tribunaux administratifs. Elle permet de réexaminer les dossiers en profondeur avant un éventuel pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.
-
Conseil d’État : Juge administratif suprême, compétent en :
- Premier et dernier ressort pour les recours contre les décisions les plus importantes des autorités d’État,
- Appel dans des domaines spécifiques comme les contentieux électoraux,
- Cassation des décisions des cours administratives d’appel, dans laquelle il vérifie uniquement l’application correcte de la loi, sans réexamen des faits.
Tableau comparatif de la justice administrative en France
Juridiction | Rôle et compétence | Organisation | Territoire | Appel et réexamen |
---|---|---|---|---|
Conseil d’État | Juge suprême de l’ordre administratif ; fonctions consultatives et juridictionnelles | Sections administratives et contentieuses | National, siège à Paris (Palais Royal) | Juge de premier et dernier ressort, d’appel ou de cassation |
Tribunaux administratifs | Juge de premier degré pour la majorité des litiges administratifs | Formation à juge unique ou collégiale (3 juges) | 42 tribunaux (31 en métropole, 11 outre-mer) | Appel possible devant les cours administratives d’appel |
Cours administratives d’appel | Appel des décisions des tribunaux administratifs | 3 juges, siège en formation collégiale | 8 cours couvrant plusieurs départements | Recours en cassation devant le Conseil d’État pour certaines affaires |
I – Le Conseil d’État
Le Conseil d’État est la plus haute juridiction de l’ordre administratif en France, siégeant à Paris au Palais Royal. Il est présidé de droit par le Premier ministre, mais cette fonction est assurée, dans les faits, par le Vice-président du Conseil d’État.
Compétence
Le Conseil d’État remplit une double fonction :
- Fonction consultative : En tant qu’organe consultatif, il conseille le gouvernement et participe à l’élaboration des textes législatifs et réglementaires.
- Fonction juridictionnelle : En tant que juridiction administrative, il juge les litiges impliquant l’administration. Depuis la loi du 24 mai 1872, le Conseil d’État a acquis une indépendance vis-à-vis de l’exécutif, devenant un juge souverain et garant de l’application du droit administratif.
Formation
En raison de sa double mission, le Conseil d’État est organisé en deux grandes formations : les formations administratives et les formations contentieuses.
Formations administratives
Les formations administratives du Conseil d’État rendent des avis consultatifs au gouvernement dans le cadre de l’élaboration des lois et des règlements. Ces avis concernent notamment les projets de lois, d’ordonnances et de décrets importants.
Elles se divisent en plusieurs sections spécialisées :
- Section de l’intérieur
- Section des finances
- Section des travaux publics
- Section sociale
Ces sections sont consultées par le gouvernement pour la préparation des textes et décisions. Par ailleurs, il existe une Section du rapport et des études, qui rédige un rapport annuel pour le Président de la République. Ce rapport inclut des recommandations de réformes législatives, administratives ou réglementaires et présente un bilan de l’activité du Conseil d’État.
Formations contentieuses
Les formations contentieuses émanent de la Section du contentieux, chargée de statuer sur les litiges opposant l’administration et les administrés. Cette section est structurée de la manière suivante :
- Un président de section,
- Trois présidents adjoints,
- Un corps de conseillers d’État, de maîtres des requêtes et d’auditeurs.
La Section du contentieux est subdivisée en 10 sous-sections spécialisées, qui permettent de traiter un large éventail de contentieux administratifs.
Attributions contentieuses
Le Conseil d’État peut statuer sous différentes qualités, en fonction de la nature du litige :
- Juge de premier et dernier ressort : Pour les affaires les plus importantes (exemple : recours contre des décrets, élections nationales), le Conseil d’État statue directement sans possibilité d’appel.
- Juge d’appel : Dans certains cas, il est compétent pour juger en appel des décisions rendues par les juridictions administratives inférieures (exemple : les cours administratives d’appel).
- Juge de cassation : Le Conseil d’État agit également en tant que juge de cassation pour vérifier la conformité des jugements rendus par les juridictions administratives inférieures (tribunaux administratifs et cours administratives d’appel) avec le droit. Dans ce cas, il ne réexamine pas le fond mais se limite à contrôler la légalité de la décision.
II – Les tribunaux administratifs
Les tribunaux administratifs constituent les juridictions de premier degré de l’ordre administratif en France. Ils sont compétents pour juger l’ensemble des litiges administratifs de droit commun, contribuant ainsi à désengorger le Conseil d’État.
Origine
Les tribunaux administratifs ont été créés par le décret du 30 septembre 1953, qui a remplacé les anciens conseils de préfecture, fondés par Napoléon sous le Consulat en l’an VIII (1799-1800). Cette réforme visait à renforcer l’indépendance et l’efficacité de la justice administrative, en consacrant les tribunaux administratifs comme juridictions de droit commun pour les litiges administratifs.
Organisation territoriale
Aujourd’hui, il existe 42 tribunaux administratifs en France, dont 31 en métropole et 11 en outre-mer. Chaque tribunal administratif siège généralement dans le chef-lieu de son ressort territorial, qui couvre entre un et plusieurs départements en fonction de la densité des affaires à traiter. Les tribunaux administratifs les plus récents ont été créés pour répondre aux besoins d’un contentieux administratif en croissance continue.
Formation et fonctionnement
Les tribunaux administratifs statuent :
- À juge unique : dans certains cas simples ou urgents, un juge unique peut trancher l’affaire.
- En formation collégiale : pour les affaires plus complexes, le tribunal administratif siège en formation collégiale de trois juges, parfois élargie pour des dossiers particulièrement importants.
La collégialité est privilégiée pour garantir une décision plus équilibrée et permettre une meilleure prise en compte des différents aspects juridiques du litige.
Compétence
Les tribunaux administratifs sont compétents pour traiter au premier degré la majorité des litiges opposant les citoyens à l’administration, sauf si la loi confère cette compétence à une autre juridiction administrative. Ils jouent ainsi un rôle fondamental dans la protection des droits des administrés face aux décisions de l’administration.
Les principales matières traitées par les tribunaux administratifs incluent :
- Le contentieux fiscal : litiges portant sur les impôts, taxes et contributions.
- Le contentieux électoral : contestations des élections locales (élections municipales, départementales, régionales).
- Les travaux publics et urbanisme : litiges relatifs aux permis de construire, aux décisions d’urbanisme, ou aux indemnités d’expropriation.
- Le contentieux de la fonction publique : litiges entre les fonctionnaires et leurs administrations (promotion, licenciement, sanctions disciplinaires).
III. – Les cours administratives d’appel
Les cours administratives d’appel constituent le deuxième degré de juridiction dans l’ordre administratif. Elles jouent un rôle crucial dans le traitement des affaires administratives en appel, allégeant ainsi la charge de travail du Conseil d’État.
Origine
Les cours administratives d’appel ont été créées par la loi du 31 décembre 1987 pour désencombrer le Conseil d’État, qui, jusqu’alors, exerçait les fonctions de juge d’appel dans la plupart des affaires administratives. Cette réforme visait à permettre au Conseil d’État de se concentrer davantage sur son rôle de juge de cassation et sur les affaires d’importance nationale.
Compétence
Les cours administratives d’appel sont compétentes pour juger en appel les décisions des tribunaux administratifs dans la plupart des litiges administratifs. Elles interviennent principalement comme juge d’appel de droit commun pour :
- Les affaires de pleine juridiction : litiges où le juge administratif dispose d’un pouvoir d’appréciation complet, tels que les affaires de responsabilité administrative, les litiges contractuels impliquant l’administration, et certains contentieux fiscaux.
- Les contentieux de la fonction publique : décisions relatives aux conflits entre fonctionnaires et administrations.
Certaines matières, cependant, demeurent de la compétence du Conseil d’État en tant que juge d’appel direct :
- Les recours pour excès de pouvoir dans des domaines spécifiques, qui impliquent le contrôle de la légalité des actes administratifs sans pouvoir d’appréciation sur le fond.
- Certains litiges électoraux et contentieux particuliers (comme les élections européennes et les élections aux assemblées des collectivités territoriales d’outre-mer).
Organisation territoriale
Actuellement, il existe 8 cours administratives d’appel en France, situées à :
- Paris
- Lyon
- Marseille
- Nantes
- Bordeaux
- Nancy
- Douai
- Versailles (créée plus récemment pour répondre à l’accroissement des contentieux).
Les cours administratives d’appel ont un ressort territorial large : chaque cour couvre plusieurs départements et peut être compétente pour des affaires provenant de plusieurs régions.
Rôle dans la justice administrative
Les cours administratives d’appel permettent un double degré de juridiction en matière administrative, garantissant ainsi aux justiciables un droit de recours en appel pour la révision des décisions rendues par les tribunaux administratifs.