Les juridictions internationales et européennes
L’organisation juridique internationale repose sur un principe fondamental : la souveraineté des États. Chaque État est indépendant et, en théorie, égal aux autres sur la scène internationale. Contrairement aux systèmes nationaux, il n’existe pas de pouvoir supérieur qui puisse contraindre les États à accepter les décisions d’une juridiction. Cela rend l’organisation juridique internationale relativement rudimentaire en comparaison avec les systèmes juridiques internes bien établis.
- Les juridictions internationales ont été créées pour régler les litiges entre États, mais elles fonctionnent différemment des juridictions nationales. Leur compétence repose principalement sur le consentement des États. Autrement dit, pour qu’une juridiction internationale puisse statuer sur un litige, l’État concerné doit accepter d’être jugé. Ce principe est basé sur le volontariat, en raison du respect de la souveraineté étatique.
- Contrairement au système international, les juridictions européennes fonctionnent dans un cadre juridique plus intégré, en particulier grâce à l’Union européenne et au Conseil de l’Europe. Ces organisations ont mis en place des juridictions dont les décisions sont contraignantes pour les États membres, qui ont accepté de transférer une part de leur souveraineté pour permettre une application plus uniforme du droit.
Tableau : Juridictions internationales et européennes
Juridiction | Rôle principal | Limites/Compétence |
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Cour internationale de justice (CIJ) | Résolution des différends entre États et avis consultatifs pour l’ONU | Compétence acceptée volontairement par les États |
Cour pénale internationale (CPI) | Jugement des crimes internationaux (génocide, crimes de guerre) | Non-reconnaissance par certains États (ex : États-Unis, Chine) |
Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) | Protection des droits fondamentaux après épuisement des recours nationaux | Influence sur les législations nationales, décisions non contraignantes |
Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) | Interprétation et application uniforme du Droit de l’Union européenne | Procédures préjudicielles pour garantir l’application cohérente en Europe |
I ) Les juridictions internationales
La Cour internationale de justice (CIJ) règle les différends entre États sous réserve de leur acceptation, tandis que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) protège les droits fondamentaux en Europe. La CEDH, basée sur la Convention européenne des droits de l’homme, agit de manière subsidiaire après l’épuisement des recours nationaux, influençant la législation des États, comme en France avec la réforme de la garde à vue.
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A) Cour internationale de justice (CIJ)
- Siège : La Haye, Pays-Bas
- Création : 1945, dans le cadre des Nations Unies
- Rôle : La CIJ est l’organe judiciaire principal de l’ONU. Elle règle les différends entre États et donne des avis consultatifs sur des questions juridiques soumises par des organes internationaux comme l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité de l’ONU.
- Compétence : La CIJ n’est compétente que si les États parties acceptent sa juridiction. Elle traite des litiges comme les conflits territoriaux, les différends commerciaux entre États, et les violations du Droit international.
- Limites : Les décisions de la CIJ ne sont contraignantes que pour les États qui acceptent d’y participer, ce qui limite son champ d’action dans les cas où les États refusent de se soumettre à son jugement.
B) La Cour pénale internationale (CPI)
- Siège : La Haye, Pays-Bas
- Création : 2002, avec l’adoption du Statut de Rome de 1998
- Rôle : La CPI a pour mandat de poursuivre et de juger les individus responsables des crimes internationaux les plus graves : génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et, depuis 2018, crime d’agression.
- Compétence : La CPI est compétente pour juger les crimes commis par des individus lorsque les États membres ne sont pas en mesure ou refusent de le faire. Elle peut être saisie par les États parties, par le Conseil de sécurité de l’ONU, ou par le procureur de la CPI.
- Limites : Certains États, comme les États-Unis, la Russie ou la Chine, n’ont pas ratifié le Statut de Rome et ne reconnaissent pas la compétence de la CPI, ce qui limite l’efficacité de la Cour.
C) l’exemple de la CEDH
La Cour européenne des droits de l’homme est une juridiction internationale chargée de la protection des droits fondamentaux en Europe. Elle assure que les États signataires de la Convention européenne respectent leurs engagements et permettent aux particuliers de contester les violations de leurs droits après l’épuisement des voies de recours nationales. Son impact est tangible, comme en témoigne l’influence de ses décisions sur des pratiques nationales, notamment en France.
Origine et contexte de la CEDH
La Cour européenne des droits de l’homme est une institution juridictionnelle née dans le cadre du Conseil de l’Europe, une organisation distincte de l’Union européenne. Créé après la Seconde Guerre mondiale en 1949 pour promouvoir la démocratie, les droits de l’homme, et l’État de droit, le Conseil de l’Europe a initialement réuni les pays de l’Europe occidentale durant la guerre froide. Avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, son champ s’est élargi à de nombreux pays, dont la Turquie, la Russie (jusqu’à son exclusion en 2022), et d’autres nations non membres de l’Union européenne.
Le Conseil de l’Europe a adopté en 1950 la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Contrairement à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui n’a qu’une valeur déclarative et n’engage pas les États sur le plan juridictionnel, la Convention européenne est dotée d’un mécanisme de protection juridictionnelle permettant de sanctionner les États qui ne respectent pas leurs engagements.
Le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
La CEDH, basée à Strasbourg, est l’organe juridictionnel chargé de veiller au respect des droits et libertés inscrits dans la Convention. Son rôle est d’assurer que les États signataires appliquent bien les principes qu’ils ont acceptés en ratifiant la Convention.
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Saisine de la Cour : Les particuliers, les groupes de particuliers et même les États peuvent saisir la CEDH s’ils estiment qu’un État a violé l’un des droits garantis par la Convention. Cependant, la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Cela signifie que le justiciable doit avoir porté son affaire devant toutes les juridictions nationales compétentes avant de pouvoir s’adresser à la CEDH. Ce principe garantit que les juridictions nationales ont d’abord l’opportunité de constater et corriger elles-mêmes les violations des droits de l’homme.
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Subsidiarité de l’intervention de la CEDH : La CEDH intervient de manière subsidiaire. C’est-à-dire que le juge national est en premier lieu compétent pour juger des violations des droits de l’homme. Ce n’est que lorsque le système national échoue que la CEDH peut être sollicitée. Cela souligne la complémentarité entre la justice nationale et européenne.
L’impact des décisions de la CEDH sur le droit français
Les décisions de la CEDH ont une incidence considérable sur les systèmes juridiques nationaux, y compris celui de la France. Par exemple, la pratique française de la garde à vue a été jugée incompatible avec les exigences de la Convention européenne, notamment en matière de respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Cette décision a conduit à une réforme profonde de la garde à vue en France, en renforçant les droits des personnes arrêtées, comme l’accès à un avocat dès le début de la détention.
La portée des décisions de la CEDH
La CEDH ne statue pas sur le fond du litige national (comme la culpabilité ou l’innocence dans une affaire pénale), mais se contente de constater qu’un État a manqué à ses engagements au titre de la Convention européenne. Lorsque la CEDH reconnaît qu’un État a violé la Convention, elle peut :
- Condamner l’État à verser des dommages et intérêts à la victime pour réparer le préjudice subi.
- Recommander des mesures pour remédier à la violation, mais elle ne peut pas annuler une décision judiciaire nationale ou imposer directement de nouveaux jugements.
Cependant, en matière pénale, une décision de la CEDH peut permettre, dans certains cas, de rouvrir le procès au niveau national, si l’État concerné dispose de mécanismes juridiques internes permettant une telle révision.
La CEDH : une juridiction internationale influente
Bien que la CEDH ne soit pas un ultime recours au sens strict, car elle ne rejuge pas le fond des affaires, elle reste une juridiction internationale de référence dans le domaine des droits de l’homme. Les États membres du Conseil de l’Europe, y compris la France, sont tenus de se conformer aux arrêts de la CEDH et d’adapter leur législation si elle est jugée non conforme à la Convention.
II) Les juridictions européennes
L’Union européenne (UE) dispose de deux principales juridictions pour garantir le respect du Droit de l’Union européenne (DUE) : le Tribunal de l’Union européenne (TUE) et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Ces juridictions jouent un rôle essentiel dans l’application uniforme des règles européennes et dans la régulation des actions des institutions européennes et des États membres.
Le Tribunal de l’Union européenne (TUE)
Le Tribunal de l’Union européenne, également appelé Tribunal de première instance, est chargé de juger en première instance les affaires qui concernent notamment :
- Les recours introduits par des particuliers, des entreprises ou des États membres contre les actes des institutions de l’UE, notamment la Commission européenne.
- Les litiges liés à la concurrence, aux aides d’État, aux marques, ainsi que d’autres affaires relevant du droit de l’UE.
Le Tribunal est souvent saisi lorsqu’un acte pris par une institution européenne, comme une décision ou une réglementation, est contesté. Par exemple, une entreprise peut saisir le Tribunal pour demander l’annulation d’une décision de la Commission européenne concernant une amende infligée pour infraction aux règles de la concurrence.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
La Cour de justice de l’Union européenne est l’instance suprême de l’UE en matière judiciaire. Elle est composée de deux juridictions :
- La CJUE proprement dite, qui se prononce en dernier ressort sur les affaires relevant du DUE.
- Le Tribunal de l’UE (TUE), qui fait partie intégrante du système mais agit en première instance.
La CJUE a plusieurs rôles essentiels :
- Contrôle des actes des institutions de l’UE : Elle peut être saisie pour annuler un acte jugé contraire au DUE.
- Contrôle des États membres : Elle veille à ce que les États membres respectent leurs obligations issues des traités européens et du DUE. Si un État ne respecte pas ses engagements, la Commission ou un autre État membre peut introduire un recours devant la CJUE pour sanctionner cette infraction.
Le recours en annulation et le recours en manquement
Deux types de recours sont particulièrement importants dans le cadre des juridictions européennes :
- Le recours en annulation : Ce recours permet à un particulier, une entreprise ou un État membre de demander l’annulation d’un acte juridique adopté par une institution de l’UE (par exemple, une décision de la Commission européenne). Si la Cour juge l’acte contraire au droit de l’UE, elle peut l’annuler.
- Le recours en manquement : Ce recours est utilisé lorsque la Commission européenne ou un État membre estime qu’un autre État membre ne respecte pas ses obligations européennes. Si la CJUE constate le manquement, l’État fautif peut être contraint de modifier ses lois ou sa pratique administrative et de payer des sanctions financières.
Le rôle d’interprétation du Droit de l’Union européenne
L’un des rôles les plus cruciaux de la CJUE est d’assurer l’interprétation uniforme du Droit de l’Union européenne dans tous les États membres. Pour éviter les divergences d’interprétation entre les juges nationaux, la CJUE intervient par le biais de la procédure préjudicielle.
- Procédure préjudicielle : Lorsqu’un juge national rencontre une difficulté dans l’interprétation ou l’application d’une règle de l’UE au cours d’un procès, il peut (ou doit, s’il s’agit de la dernière instance) saisir la CJUE pour lui demander de clarifier la signification de cette règle. La CJUE se prononce alors sur l’interprétation correcte, que le juge national devra suivre pour trancher l’affaire en cours.
Par exemple, si un tribunal français a du mal à interpréter une directive européenne sur la protection des consommateurs, il peut demander à la CJUE d’éclairer la portée de la directive. La décision d’interprétation rendue par la CJUE sera contraignante et appliquée non seulement par ce tribunal, mais aussi par tous les tribunaux des États membres confrontés à une situation similaire.
En 2024, les juridictions européennes continuent de s’adapter à l’évolution du Droit de l’Union européenne et à la gestion des litiges en constante augmentation. Parmi les évolutions notables :
- Accélération des procédures : La CJUE et le TUE ont mis en place des mécanismes pour accélérer le traitement des affaires, notamment en matière de protection des droits fondamentaux et de propriété intellectuelle.
- Renforcement des sanctions : Les recours en manquement se sont multipliés, notamment en ce qui concerne le respect de l’État de droit et les politiques de protection de l’environnement.
Les juridictions européennes, à travers la CJUE et le TUE, garantissent l’application uniforme du Droit de l’Union européenne dans tous les États membres. En veillant à l’interprétation correcte des règles européennes, elles permettent de maintenir une cohérence juridique au sein de l’UE et de garantir que les institutions comme les États membres respectent les principes et obligations qui en découlent. La procédure préjudicielle, en particulier, assure que le Droit de l’UE est appliqué de manière uniforme dans tous les systèmes juridiques nationaux, tandis que les recours en annulation et en manquement renforcent la discipline des États membres et des institutions.