Les lois du service public

Les « lois » du service public (ou « lois de Rolland ») : principes fondamentaux du service public

Tous les services publics, qu’ils soient à caractère administratif (SPA) ou industriel et commercial (SPIC), et peu importe leur gestion par une personne publique ou privée, sont régis par des principes communs. Ces principes constituent ce qu’on appelle les « lois » du service public, ou encore les « lois de Rolland », du nom de Louis Rolland, qui les a formalisées dans les années 1930. Ces règles fondamentales s’appliquent sans nécessiter de texte juridique spécifique et garantissent que tous les services publics, indépendamment de leur nature, respectent des standards communs.

A) Les 3 grandes « lois »du service public :

  • Le principe d’égalité : Le principe d’égalité est sans doute le plus central parmi les « lois » du service public. Il postule que tous les usagers d’un service public doivent être traités de manière égale, sans discrimination fondée sur des critères tels que la nationalité, les opinions ou les conditions sociales.
  • Le principe de continuité : Selon ce principe, le service public doit être assuré de manière régulière et ininterrompue. En effet, les services publics répondent à des besoins essentiels et doivent être disponibles pour les citoyens sans interruption.
  • Le principe de mutabilité : Le principe de mutabilité exige que les services publics s’adaptent aux changements pour répondre aux besoins évolutifs de la société. En effet, les services publics doivent pouvoir évoluer pour rester pertinents face aux progrès technologiques, aux changements sociaux et aux nouvelles attentes des usagers.

1) Le principe d’égalité dans les services publics

Ce principe garantit que chaque citoyen accède aux services publics selon les mêmes conditions et normes. En vertu de ce principe, l’égalité de traitement doit être observée, même si des différences peuvent être justifiées par des situations objectives et pertinentes, comme des tarifs préférentiels pour des personnes en situation de handicap ou des étudiants. La jurisprudence administrative, en particulier celle du Conseil d’État, a souvent réaffirmé ce principe pour s’assurer que les services publics demeurent justes et inclusifs.

Deux aspects du principe d’égalité :

  1. Égalité devant le service public : Chaque usager doit avoir un égal accès aux services publics, sans distinction de nature discriminatoire. Toutefois, des modulations sont admises lorsque l’objectif du service le justifie. Par exemple, dans l’arrêt Commune de Dreux (Conseil d’État, 13 mai 1994), le Conseil a permis de limiter l’accès à un service public communal aux résidents, à condition qu’il y ait une légitimité rationnelle et que ce service soit facultatif.

  2. Égalité dans le service public : Une fois admis, les usagers doivent être traités de manière égale, particulièrement en termes de tarifs et de prestations. Cela implique l’interdiction de toute discrimination injustifiée parmi les bénéficiaires du service public. La jurisprudence autorise néanmoins certaines discriminations tarifaires pour les services publics facultatifs, mais ces discriminations doivent reposer sur des différences de situation significatives ou être motivées par l’intérêt général, selon l’arrêt Denoyez et Chorques (1974).

Le principe d’égalité dans le service public

2) Le principe de continuité : un service public ininterrompu

Un autre principe fondamental est celui de la continuité. Selon ce principe, le service public doit être assuré de manière régulière et ininterrompue. En effet, les services publics répondent à des besoins essentiels et doivent être disponibles pour les citoyens sans interruption.

Voir la fiche complète sur le principe de continuité :

Le principe de continuité du service public

Ce principe peut parfois entrer en conflit avec le droit de grève des agents publics, particulièrement dans les services essentiels tels que les transports, la santé et l’éducation. La jurisprudence a donc développé des solutions pour concilier la continuité du service public avec les droits des travailleurs. Par exemple, dans certains cas, le législateur impose un service minimum pour les services publics particulièrement sensibles.

Ce principe est explicitement reconnue comme ayant une valeur constitutionnelle depuis l’arrêt Conseil d’État du 25 juillet 1979, Droit de grève à la radio et à la télévision. La doctrine juridique souligne que cette continuité requiert des services publics de fonctionner de manière régulière et ininterrompue, dans des situations normales et exceptionnelles.

1. Exigences de la continuité en période normale et de crise

En période de crise, la théorie des circonstances exceptionnelles permet à l’administration d’user de mesures qui seraient illégales en temps normal pour assurer la continuité. Cette position a été fondée par l’arrêt Heyriès (Conseil d’État, 28 juin 1918)

2. Implications pour l’administration, ses cocontractants et les usagers

  • Pour l’administration, la continuité des services essentiels tels que la santé et la sécurité est primordiale. En cas de manquement, l’administration peut être tenue responsable, comme illustré par Conseil d’État du 13 février 1987, Touchebœuf.
  • Les concessionnaires doivent garantir un service continu sauf en cas de force majeure.
  • Les usagers ont droit à cette continuité mais ne peuvent exiger le maintien de services facultatifs, comme confirmé par l’arrêt Vannier (1961).

3. La continuité et le droit de grève

Le droit de grève, bien que reconnu par la Constitution de 1946, est limité par le principe de continuité. L’arrêt Dehaene (1950) a affirmé que l’autorité réglementaire pouvait limiter ce droit pour certains fonctionnaires afin d’assurer la continuité des services publics.

3) Le principe de mutabilité : l’adaptabilité face aux évolutions

Le troisième principe, celui de mutabilité, exige que les services publics s’adaptent aux changements pour répondre aux besoins évolutifs de la société. En effet, les services publics doivent pouvoir évoluer pour rester pertinents face aux progrès technologiques, aux changements sociaux et aux nouvelles attentes des usagers. Cela confère aux services publics une flexibilité indispensable pour assurer un service de qualité.

Adaptation et souplesse au service de l’intérêt général

Les services publics évoluent dans un cadre en perpétuelle mutation. Les conditions dans lesquelles ils fonctionnent ne sont jamais figées, et l’évolution du contexte, bien que souvent imprévisible, impose aux services publics de faire preuve de flexibilité dans la mise en œuvre de leurs missions. C’est dans cette optique que le principe de mutabilité ou d’adaptation trouve son fondement : il traduit la nécessité pour les services publics de s’ajuster en fonction des circonstances changeantes, notamment pour mieux assurer l’intérêt général.

L’importance de l’adaptabilité dans les services publics

Au fil du temps, le progrès technique n’a fait que s’intensifier, ce qui oblige les services publics à s’adapter constamment aux évolutions pour maintenir leur efficacité et répondre aux besoins de la population. Ce principe de mutabilité pousse ainsi les responsables de services à adapter leurs prestations en fonction des innovations et des progrès, ce qui garantit que les services publics demeurent modernes et performants. Le Conseil d’État, dans son arrêt du 10 janvier 1902 intitulé Compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen, a donné une première reconnaissance à ce principe en autorisant une collectivité à modifier le mode d’éclairage public, en passant du gaz à l’électricité. Cela illustre l’essence même du principe : apporter une amélioration du service rendu aux usagers en fonction des évolutions techniques.

Le rôle du principe de mutabilité dans les contrats administratifs

Le principe de mutabilité s’applique également aux contrats administratifs. En effet, l’administration contractante dispose de la faculté de contraindre son cocontractant à ajuster les modalités d’exécution du contrat afin de répondre aux besoins de la population et aux nouvelles avancées technologiques. Cette capacité d’adaptation permet aux services publics de demeurer en phase avec les évolutions, sans être entravés par des conditions contractuelles rigides. Cependant, cette prérogative accordée à l’administration pose une question centrale : constitue-t-elle une obligation légale qui conférerait aux usagers des droits similaires en termes d’adaptation des services ?

Les limites des droits des usagers face à la mutabilité

À l’heure actuelle, le principe de mutabilité demeure une prérogative administrative, et il ne se traduit pas nécessairement en droit pour les usagers. Cela signifie que bien que les services publics puissent s’adapter, les administrés ne peuvent pas automatiquement exiger cette adaptation. L’obligation d’ajuster un service dépend souvent du type d’activité en question, des circonstances et des effets concrets que l’absence de changement pourrait avoir sur la qualité du service. Contrairement à d’autres principes des services publics, la mutabilité met en lumière le pouvoir discrétionnaire de l’administration, permettant aux autorités d’agir de manière autonome et souple pour répondre à l’intérêt général, sans pour autant être tenues de répondre aux exigences des usagers dans ce domaine.

B) 2 principes discutés : La gratuité et la transparence

  • La gratuité : Autrefois, la gratuité faisait également partie de ces principes, mais elle a peu à peu perdu son statut en raison des nombreuses exceptions et de la réalité des services actuels.
  • La transparence : un principe récent pas encore appliqué systématiquement

la gratuité : une ancienne loi du service public remise en question

Historiquement, le principe de gratuité faisait également partie des lois du service public. Il suggérait que certains services, en particulier ceux à caractère administratif (SPA), devaient être offerts sans frais. Toutefois, ce principe a été largement érodé, car de nombreux services publics imposent désormais des frais pour couvrir leurs coûts, surtout les services à caractère commercial (SPIC). Le Conseil d’État a entériné cette évolution en refusant de reconnaître la gratuité comme un principe fondamental, notamment dans l’arrêt Société directe mail promotion de 1996. Aujourd’hui, seuls quelques services restent gratuits par décision législative, tels que l’enseignement public primaire et maternel, mais la gratuité ne peut plus être considérée comme une loi universelle des services publics.

la transparence : un principe général en attente d’une formalisation comme loi du service public

Parallèlement, le principe de transparence est aujourd’hui largement valorisé dans le cadre de l’action publique. Bien que ce principe ne fasse pas encore partie des lois du service public au sens strict, il est important dans la légitimité des services publics modernes. La transparence implique que les usagers puissent accéder aux informations concernant les services publics, notamment les processus décisionnels et les modalités de fonctionnement. Cependant, contrairement aux trois autres principes, la transparence dépend encore largement des lois spécifiques et ne s’applique pas uniformément à tous les services publics. C’est pourquoi elle est considérée comme un principe général qui pourrait, à terme, acquérir un statut similaire à celui des lois de Rolland.