Les meubles corporels et meubles incorporels

LA DISTINCTION ENTRE LES MEUBLES  CORPORELS ET INCORPORELS

Le droit français, depuis l’article 516 du Code civil, insiste sur une division fondamentale : tout bien est considéré comme immeuble ou meuble. Dans la pratique, cependant, cette classification doit être nuancée, car le législateur a reconnu plusieurs régimes spécifiques applicables aux biens mobiliers, tant corporels qu’incorporels. Il existe en effet des règles particulières pour certains meubles (par exemple ceux du domaine public, ou encore les meubles immatriculés) et des régimes spéciaux pour de nouvelles catégories de biens incorporels (droits d’auteur, valeurs mobilières, actifs numériques, etc.).

I) Les meubles corporels

Définitions générales

  • L’article 528 du Code civil vise en premier lieu les meubles par nature, c’est-à-dire :

    • Les animaux, capables de se mouvoir d’eux-mêmes.
    • Les objets qui peuvent être transportés d’un lieu à un autre “par l’effet d’une force étrangère”. Cet élément de définition inclut la quasi-totalité des choses matérielles non fixées au sol, telles que des tableaux, des livres, du linge, du mobilier ordinaire, et bien sûr les objets de consommation courante.
  • Ces biens meubles ont vocation à changer plus fréquemment de propriétaire que les immeubles, le commerce des biens mobiliers se faisant souvent sans formalités écrites. Il suffit généralement d’un accord (oral ou tacite) et d’une remise de la possession pour transférer la propriété (ex. la vente d’un sandwich ou d’un vêtement).

Régimes particuliers

Même si les meubles corporels relèvent en principe d’un régime général, certaines catégories y échappent de par la volonté du législateur ou du fait de caractéristiques dérogatoires :

  • Les meubles relevant du domaine public : ils sont insusceptibles d’appropriation par un particulier. Il peut s’agir, par exemple, d’un livre ancien faisant partie du patrimoine d’une bibliothèque nationale ou municipale. Historiquement, l’article 2279 (aujourd’hui renuméroté 2276 depuis la réforme de 2008 entrée en vigueur en 2009) ne s’applique pas : la règle “en fait de meubles, la possession vaut titre” ne vaut pas pour ces biens, car ils sont hors commerce.

  • Les meubles déclarés inaliénables : la loi peut classer certaines œuvres d’art ou objets historiques au patrimoine national, interdisant par là même leur cession à un acquéreur privé. Ici encore, la législation prévoit qu’ils demeurent hors du commerce, empêchant tout transfert de propriété à un particulier.

  • Les meubles immatriculés : navires, bateaux fluviaux, ou avions font l’objet d’un enregistrement sur un registre spécial. Le transfert de propriété ne résulte donc pas simplement de la possession ou du changement matériel de détente, mais est conditionné par la formalisation de l’opération sur un registre. Les règles de l’ancien article 2279 (devenu 2276) ne trouvent pas à s’appliquer : le titre de propriété s’établit par l’immatriculation, selon des textes spéciaux.

    • Pour les automobiles, en revanche, la carte grise n’a qu’une portée administrative : elle ne prouve pas la propriété. Le mécanisme du Code civil (“possession vaut titre”) demeure donc applicable, sauf cas particuliers (par exemple, si la voiture est volée).

II) Les meubles incorporels

Depuis plusieurs décennies, on assiste à un essor des biens immatériels : droits d’auteur, valeurs mobilières (actions, obligations), marques, brevets, bases de données, licences logicielles, et plus récemment, actifs numériques (cryptomonnaies, jetons, NFT). Leur assimilation à la propriété n’est pas toujours évidente dans le cadre du Code civil historique :

  • Certains estiment qu’un bien purement incorporel (par exemple, un droit de créance) ne peut pas faire l’objet d’un droit de propriété au sens classique, car la propriété est traditionnellement associée à une chose matérielle.
  • La tendance majoritaire, cependant, reconnaît que ces actifs incorporels sont bel et bien appropriables, mais selon un régime spécifique adapté à leur nature. Ainsi, des lois particulières (Code de la propriété intellectuelle, Code monétaire et financier, etc.) viennent préciser la portée de ces droits.

En pratique, on distingue donc les meubles incorporels pour lesquels la possession n’est pas un critère décisif : on ne “possède” pas physiquement une créance ou un droit d’auteur, on est titulaire d’un droit exclusif.

 

III) Les distinctions complémentaires entre meubles

Le Code civil et la jurisprudence identifient au moins trois grandes catégories de meubles, pour mieux organiser leur régime juridique :

  1. Les meubles par nature

    • Ce sont les biens pouvant se mouvoir d’eux-mêmes (animaux) ou être déplacés sous l’action d’une force extérieure (tout objet transportable, tel qu’un livre, un tableau, du matériel informatique).
  2. Les meubles par anticipation

    • Il s’agit d’une création jurisprudentielle : ce sont des biens immobiliers qui vont, à brève échéance, devenir meubles. Typiquement, les récoltes sur pied. Tant que la récolte est attachée au sol, elle est censée être immeuble par nature. Toutefois, lorsqu’on conclut un contrat de vente portant précisément sur la récolte future et détachée, la jurisprudence admet qu’on anticipe sa qualification de bien meuble.
    • L’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 23 juin 1927 illustre cette approche : la vente portait sur la récolte à venir, détachée du sol, raison pour laquelle les juges ont décidé qu’il s’agissait d’une vente de biens meubles.
  3. Les meubles par détermination de la loi

    • L’article 529 du Code civil vise en particulier les obligations et actions portant sur des sommes exigibles, des effets mobiliers, ou encore des droits sociaux (actions, parts sociales). Le législateur a ainsi disposé que certains droits, pourtant dématérialisés, sont juridiquement considérés comme des meubles.
    • Par extension, les valeurs mobilières, telles que les actions de sociétés, entrent dans cette catégorie : elles sont “mobilières” en vertu de la loi, même si leur matérialité (certificat papier) a largement disparu aujourd’hui au profit d’une inscription en compte.

Dans l’ensemble, la modernité et l’évolution économique font que le champ des biens meubles incorporels s’élargit en permanence, notamment avec l’apparition de nouvelles formes d’actifs numériques (security tokens, utility tokens). Les principes anciens du Code civil se combinent à la législation plus récente (Code monétaire et financier, Code de la propriété intellectuelle) pour réguler au mieux ces entités toujours plus variées.

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