Les modes de preuve de la filiation

Les modes de preuve de la filiation

L’article 310-3 du Code civil prévoit plusieurs modes de preuve pour établir ou contester la filiation, chacun adapté aux différents contextes et objectifs liés à la reconnaissance d’un lien de parenté entre l’enfant et ses parents.

1. La preuve par l’acte de naissance : Cette preuve repose sur le titre que constitue l’acte de naissance de l’enfant. Deux cas spécifiques sont prévus par la loi :

  • Filiation maternelle : Elle est établie par la désignation de la mère dans l’acte de naissance, conformément à l’article 311-25.
  • Filiation paternelle : Elle peut résulter de la présomption de paternité du mari de la mère, un mécanisme légal qui attribue automatiquement la paternité au conjoint.

2. La preuve par l’acte de reconnaissance : L’acte de reconnaissance, prévu par les articles 333 et suivants, constitue un second type de titre permettant d’établir la filiation. Cet acte peut être volontairement accompli par le père ou la mère pour affirmer officiellement leur lien de parenté avec l’enfant, lorsqu’il n’est pas déjà établi par un autre moyen, comme l’acte de naissance.

3. La preuve par l’acte de notoriété : En cas de possession d’état, un acte de notoriété peut être utilisé pour établir un lien de filiation. La possession d’état se manifeste par des comportements ou des circonstances de fait attestant publiquement l’existence d’un lien de parenté (par exemple, l’enfant est élevé et reconnu dans la société comme le fils ou la fille de la personne concernée).

4. La preuve par tous moyens : L’article 310-3, alinéa 2, autorise également la preuve par tous moyens, notamment dans les procédures judiciaires visant à établir ou contester la filiation. Dans ce cadre, il est possible de recourir à des témoignages, des documents écrits ou même des analyses biologiques, comme des tests ADN, pour rechercher la vérité biologique. Cependant, ces méthodes sont souvent considérées comme un dernier recours.

 

I- La preuve par le jeu de présomptions :

Définition : L’article 1349 du Code civil stipule que les présomptions sont des conséquences que la loi ou le juge déduit d’un fait connu pour établir l’existence d’un fait inconnu.

En droit, la reconnaissance du père repose sur les conditions de la conception, c’est-à-dire sur le moment où l’enfant a été conçu, et non sur celui de sa naissance. Ainsi, la période de conception détermine la filiation de l’enfant.
(Exemple : un enfant conçu après le divorce de sa mère sera présumé naturel, tandis que s’il a été conçu pendant le mariage, il sera présumé légitime.)

Cependant, la conception est un fait intime et difficilement observable. Par conséquent, toute preuve directe, qu’il s’agisse d’identifier le père ou de déterminer la date exacte, est généralement exclue. À la place, on utilise les présomptions, un mécanisme juridique qui permet d’établir un fait inconnu en partant d’un fait connu. Ce raisonnement inductif prend ici la naissance comme point de départ pour déduire la conception.

Deux présomptions légales, établies par l’article 311 du Code civil, facilitent ce processus :

  • La période légale de conception.
  • La détermination précise de la date de conception.

Ces présomptions remplacent la preuve directe et offrent une méthode plus accessible pour établir des faits liés à la filiation.

 

A- La période légale de conception

1) Définition de la présomption

La période légale de conception repose sur une présomption établie par l’article 311 alinéa 1 du Code civil. Elle fixe une fenêtre de 121 jours, comprise entre le 300ᵉ jour et le 180ᵉ jour inclusivement avant la naissance de l’enfant. Cette présomption ne détermine pas une date précise, mais une période pendant laquelle la conception est supposée avoir eu lieu.

La méthode de calcul est simple : il suffit de partir de la date de naissance et de remonter le temps pour établir les bornes de la période légale. Cette présomption repose sur une estimation standardisée de la durée d’une grossesse, comprise entre un minimum de 180 jours (environ 6 mois) et un maximum de 300 jours (environ 10 mois). Ces seuils prennent en compte des cas extrêmes, offrant ainsi une marge d’appréciation plus large par rapport à d’autres législations (par exemple, 302 jours en Allemagne et 306 jours aux Pays-Bas).

Cette présomption était particulièrement significative avant la réforme de la filiation, dans des situations où il fallait établir la légitimité d’un enfant. Par exemple, un enfant conçu dans les délais prévus par cette période légale, alors que ses parents étaient mariés, était automatiquement présumé légitime. Par ailleurs, un enfant né 180 jours après le mariage de ses parents ou dans les 300 jours suivant leur divorce était présumé avoir été conçu pendant le mariage, consolidant ainsi son statut juridique.

2) Force probante de la présomption

Jusqu’en 1972, cette présomption était irréfragable, ce qui signifiait qu’aucune preuve contraire ne pouvait être apportée pour démontrer qu’une grossesse avait duré moins de 180 jours ou plus de 300 jours. Cependant, avec la réforme de 1972, l’article 311 alinéa 3 du Code civil a précisé qu’il s’agissait désormais d’une présomption simple.

Cela permet aujourd’hui de contester cette présomption en apportant des preuves contraires, comme :

  • Des expertises médicales démontrant une durée de grossesse différente.
  • Des éléments médicaux probants, tels que des échographies précoces ou tardives confirmant une conception hors des délais prévus par la période légale.

 

B- Seconde présomption : la date précise de la conception

1) Définition de la présomption

Au sein de la période légale de conception, l’article 311 alinéa 2 du Code civil établit une seconde présomption, souvent appelée présomption « omni meliore momento ». Cette règle dispose que la conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, mais selon ce qui est le plus favorable à l’enfant.

Cette approche repose sur un principe original : la présomption est variable, et le moment de la conception peut être fixé en fonction de l’intérêt de l’enfant. Par exemple, si une situation juridique ou factuelle rend une date précise plus avantageuse pour l’enfant (comme le rattachement à un parent particulier), cette date sera privilégiée.

Cette présomption a été formalisée par la loi de 1972, mais son origine remonte à un arrêt marquant des Chambres réunies de la Cour de cassation du 8 mars 1939 (affaire Heranval). Dans cette affaire, la Cour a estimé que l’intérêt de l’enfant nécessitait de présumer une conception antérieure à un événement précis (un accident), même si cela impliquait une interprétation flexible des délais de gestation.

2) Force probante de la présomption

Comme pour la période légale de conception, la présomption omni meliore momento est une présomption simple, selon l’article 311 alinéa 3 du Code civil. Il est donc possible d’apporter des preuves contraires pour contester la date de conception retenue.

Les moyens de preuve utilisés pour réfuter cette présomption incluent :

  • Expertises médicales réalisées pendant la grossesse ou après la naissance.
  • Résultats d’échographies précises, permettant d’établir la date de conception avec un degré élevé de certitude.
  • Témoignages ou indices factuels prouvant une impossibilité matérielle ou temporelle.
  • Clichés d’imagerie médicale, pris en début ou en fin de grossesse, pour préciser la durée de gestation.

La charge de la preuve repose sur la partie qui conteste cette présomption. Cela peut inclure des situations complexes, comme une contestation de paternité ou une revendication de filiation. L’objectif est toujours de faire prévaloir la vérité biologique, tout en prenant en compte les circonstances spécifiques du dossier et l’intérêt supérieur de l’enfant.

 II- La preuve par des modes médicaux :

Les avancées scientifiques ont permis de développer des techniques fiables pour établir ou contester un lien de filiation, parmi lesquelles les analyses sanguines et les empreintes génétiques occupent une place centrale. Ces méthodes, bien qu’efficaces, sont strictement encadrées par le droit français, notamment pour garantir la protection des droits individuels, le respect de la vie privée et la stabilité des relations familiales.

A – L’analyse des sangs

Historiquement, l’analyse des sangs a été l’une des premières méthodes scientifiques utilisées dans les litiges relatifs à la filiation. Son efficacité repose sur la détection d’incompatibilités biologiques entre le groupe sanguin de l’enfant et celui de l’homme revendiquant ou contesté comme étant le père. Initialement, cette technique servait principalement à exclure la paternité, constituant ainsi une preuve négative. Par exemple, un enfant avec un groupe sanguin AB ne peut biologiquement être issu de deux parents de groupe sanguin O.

Avec le temps, cette méthode a évolué pour permettre également d’établir une paternité avec une forte probabilité. Désormais, grâce aux marqueurs sanguins, l’analyse peut offrir un degré de certitude allant jusqu’à 99 %, ce qui en fait également une preuve positive. Bien que largement remplacée par les empreintes génétiques, cette technique reste utile dans certains cas pour corroborer d’autres éléments de preuve.

B – L’empreinte génétique

Le principe et précision des tests

Les empreintes génétiques, obtenues à partir de tests ADN, représentent aujourd’hui le mode de preuve scientifique le plus fiable en matière de filiation. Ces tests peuvent être réalisés à partir de différents échantillons biologiques, tels que des cheveux, de la peau, du sang séché, ou même de la salive. Leur efficacité repose sur la comparaison des séquences génétiques de l’enfant avec celles de l’adulte supposé être son parent biologique.

La précision des tests ADN est telle qu’ils permettent de confirmer une paternité ou une maternité avec une quasi-certitude, dépassant les 99,9 %. Cette méthode s’est imposée comme une révolution dans le domaine de la filiation, mais son usage est encadré par des règles strictes pour éviter tout abus ou atteinte aux libertés individuelles.

Les articles 16-10 et suivants du Code civil régissent l’utilisation des empreintes génétiques. Ils précisent que ces tests ne peuvent être réalisés que dans le cadre d’une procédure judiciaire et dans un but spécifique, tel que l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation ou l’obtention ou la suppression de subsides. De plus, l’analyse ne peut être effectuée qu’avec le consentement exprès et préalable de la personne concernée. Les laboratoires et experts chargés de réaliser ces tests doivent être agréés, afin de garantir la fiabilité des résultats et le respect des règles de procédure.

Refus de se soumettre à un test

Dans le cas où une personne refuse de se soumettre à un test ADN, le juge peut tirer des conséquences de ce refus. Depuis un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 6 mars 1996, le refus de se soumettre à une expertise génétique peut être interprété comme un aveu tacite. Par ailleurs, la jurisprudence a renforcé le droit à l’expertise biologique. Dans un arrêt du 28 mars 2000, la Cour de cassation a affirmé que l’expertise génétique est de droit en matière de filiation, sauf si un motif légitime justifie de ne pas y procéder. Ce principe a été réitéré dans un arrêt du 8 janvier 2002, dans lequel la Cour a jugé que, lorsqu’une partie demande une expertise génétique, le juge est tenu de l’ordonner, à moins qu’il ne constate un motif légitime s’y opposant.

 Les motifs légitimes de refus d’une expertise

Malgré le principe selon lequel l’expertise génétique est de droit, il existe des situations où elle peut être refusée :

  1. Expertise superfétatoire : si des preuves ou indices suffisamment graves et concordants ont déjà été apportés, rendant l’expertise inutile.
  2. Caractère dilatoire : si la demande d’expertise vise uniquement à retarder indûment le déroulement de la procédure.
  3. Caractère vexatoire : si la demande d’expertise est formulée dans un but de nuisance ou pour porter atteinte à l’intégrité morale ou psychologique d’une partie.

Les expertises post-mortem

Les situations où la personne dont on cherche à établir ou contester le lien de filiation est décédée posent des questions délicates. Historiquement, les juges avaient admis la possibilité de prélever des échantillons biologiques sur un cadavre pour réaliser une analyse. Cette pratique, bien que controversée, avait été validée par la jurisprudence dans plusieurs affaires, notamment dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 avril 1975. Dans ce cas, le prélèvement sanguin sur un défunt avait été autorisé.

Un cas célèbre est celui d’Yves Montand, où le tribunal a autorisé l’exhumation du corps de l’artiste pour réaliser une analyse ADN dans le cadre d’une action en recherche de paternité naturelle. Malgré le caractère posthume de l’expertise, les juges ont estimé qu’elle était nécessaire pour établir la vérité. Toutefois, le test génétique a finalement exclu Yves Montand comme père biologique. Ce type d’expertise a soulevé des débats éthiques et juridiques, notamment sur le respect dû aux défunts et sur la nécessité d’obtenir leur consentement préalable.

La loi du 6 août 2004 est venue encadrer ces pratiques en introduisant dans l’article 16-11 alinéa 2 du Code civil une disposition interdisant l’identification génétique d’une personne décédée, sauf si celle-ci avait expressément consenti à cette procédure de son vivant. Cette règle a été confirmée par la jurisprudence, bien que des exceptions aient été admises dans des cas spécifiques. Par exemple, dans un arrêt de la première chambre civile du 4 juin 2007, la Cour de cassation a jugé que la communication d’éléments biologiques recueillis en France pouvait être autorisée dans le cadre d’une action en filiation intentée devant une juridiction étrangère, lorsque le consentement du défunt n’avait pas pu être obtenu.

Encadrement légal et limites

L’encadrement des preuves médicales en matière de filiation vise à concilier deux objectifs : d’une part, garantir l’accès à la vérité biologique et, d’autre part, protéger les droits fondamentaux des individus, notamment leur droit au respect de la vie privée et familiale. Les tests ADN, bien qu’extrêmement fiables, ne peuvent être utilisés librement et sont réservés aux actions judiciaires strictement encadrées. La procédure exige notamment l’accord préalable de la personne concernée, et tout abus dans l’utilisation de ces techniques est sévèrement encadré par la loi.

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