Les modes de preuves non contentieux de la filiation : présomption, reconnaissance, possession d’état…
L’établissement de la filiation repose sur plusieurs modes de preuve : l’acte de naissance, qui relie directement l’enfant à sa mère ; la présomption de paternité pour les enfants de femmes mariées ; la reconnaissance pour les enfants hors mariage ; et la possession d’état, basée sur l’apparence des liens familiaux. Ces preuves garantissent la sécurité juridique des filiations et limitent les contentieux, tout en évoluant pour répondre aux réalités sociales et légales.
Tableau sur les modes de preuve en matière de filiation
Mode de preuve | Définition et fondement | Caractéristiques clés | Observations spécifiques |
---|---|---|---|
Acte de naissance | Document d’état civil établissant la naissance et, par extension, la filiation. | Preuve de l’accouchement et de l’identité de la mère. | Ne prouve pas toujours l’identité de l’enfant. Limité pour établir la filiation paternelle. Accouchement sous X : absence de la mère dans l’acte. |
Présomption de paternité | Règle selon laquelle l’enfant d’une femme mariée a pour père le mari de sa mère. | Automatique pour les enfants conçus ou nés pendant le mariage. Contestable par preuve contraire. | Exclusion en cas de séparation légale ou d’absence de possession d’état. Fondée sur la stabilité familiale et la vraisemblance statistique du lien père-enfant. |
Reconnaissance | Acte volontaire par lequel un parent déclare sa filiation envers un enfant. | Déclaratif, individuel et irrévocable. Peut être prénatale ou posthume. | Impossible si la filiation est déjà établie. Conditions strictes : consentement libre, absence de fraude, discernement suffisant. |
Possession d’état | Ensemble de faits établissant qu’une personne a été reconnue comme enfant d’un parent. | Repose sur le tractatus (traitement), la fama (réputation) et le nomen (nom). Doit être continue et publique. | Nécessite un acte de notoriété ou une action judiciaire pour être reconnue officiellement. Renforce les liens affectifs et sociaux existants entre parent et enfant. |
L’article 310-3 alinéa 1 énonce 3 modes de preuve non contentieux : l’acte de naissance, l’acte de reconnaissance et l’acte de notoriété constatant la possession d’état. Mais d’une part il faut tenir compte de la présomption de paternité qui est également un mode de preuve non contentieuse par effet de la loi. D’autre part parmi ces 4 modes de preuve certains sont propres à la filiation maternelle ou propres et d’autre sont communs au deux filiations.
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- Les modes de preuves non contentieux de la filiation
I. les modes de preuve propres à la filiation maternelle ou paternelle
A. L’acte de naissance
L’acte de naissance est un document d’état civil fondamental prévu par les articles 55 et suivants du Code civil. Il sert à relater la déclaration officielle de la naissance d’un enfant et constitue un élément clé pour établir la filiation, notamment maternelle.
1) Déclaration de naissance : obligation et formalités
La déclaration de naissance est une obligation légale qui doit être effectuée dans les trois jours suivant la naissance (article 55). Elle peut être faite :
- Par le père.
- Par l’établissement de santé où la mère a accouché.
Pour les enfants trouvés, la personne qui les découvre (appelée l’inventeur) doit déclarer leur découverte à l’officier d’état civil, lequel établit un procès-verbal et un acte tenant lieu d’acte de naissance (article 58).
2) Établissement de la filiation maternelle : évolution et observations
Selon l’article 311-25 du Code civil, la filiation maternelle est établie par la seule mention du nom de la mère dans l’acte de naissance. Ce mécanisme soulève plusieurs observations importantes :
1. Une règle pour les enfants nés hors mariage
Avant la réforme, un enfant né hors mariage nécessitait une reconnaissance maternelle pour établir la filiation. Cette reconnaissance impliquait un double aspect :
- Un aveu de maternité.
- Une acceptation de l’enfant.
Cependant, cette exigence a été jugée contraire à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’arrêt Marx contre Belgique du 13 juin 1979. La Cour européenne a estimé que le droit de l’enfant au respect de sa vie familiale impliquait son intégration immédiate à sa famille dès la naissance. En conséquence, l’acte de naissance établit désormais directement la filiation maternelle, sans nécessité de reconnaissance préalable.
2. L’acte de naissance : une preuve partielle en théorie
L’acte de naissance prouve l’accouchement, mais ne garantit pas l’identité de l’enfant.
- Preuve de l’accouchement : L’acte mentionne que la femme désignée a donné naissance à un enfant.
- Preuve de l’identité de l’enfant : Non incluse directement dans l’acte. Toutefois, en pratique, l’identité de l’enfant n’est quasiment jamais contestée. Si un doute surgit, la preuve de l’identité peut être rapportée par tout moyen, notamment des témoignages ou des expertises.
En pratique, l’acte de naissance est donc considéré comme une preuve complète de la filiation maternelle, même si théoriquement il ne couvre pas tous les éléments nécessaires.
3. Cas où l’acte de naissance ne mentionne pas la mère
Deux situations spécifiques peuvent entraîner l’absence de mention de la mère dans l’acte de naissance :
- Enfant abandonné ou trouvé : Aucune information sur la mère n’est disponible.
- Accouchement sous X : Selon l’article 326 du Code civil, une femme peut demander que son identité reste confidentielle lors de l’accouchement. Cela signifie qu’elle peut accoucher dans un établissement médical sans révéler son nom.
L’accouchement sous X est une spécificité française, justifiée par :
- La prévention des infanticides.
- La réduction des accouchements clandestins, souvent dangereux.
- Une volonté implicite de faciliter les adoptions.
Cependant, cette pratique est critiquée au regard :
- De la Convention de New York sur les droits de l’enfant, qui garantit à chacun le droit de connaître ses origines.
- De la CEDH, qui interdit les discriminations liées au sexe, soulignant qu’un homme ne peut pas imposer un tel secret sur sa paternité.
Dans l’arrêt Odièvre contre France du 13 février 2003, la CEDH a néanmoins refusé de condamner la France pour cette pratique, en jugeant qu’elle était conforme à l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie familiale).
4. Un acte sans déclaration de la mère
L’acte de naissance ne contient aucune déclaration de la mère, mais seulement la déclaration d’un tiers (le père ou l’établissement de santé). Le Code civil classe ainsi l’acte de naissance parmi les preuves de filiation par effet de la loi, et non comme un acte émanant directement de la mère.
5. L’acte de naissance et la filiation paternelle
Même lorsque le nom du père figure dans l’acte de naissance, cet acte ne prouve pas automatiquement la filiation paternelle. Cela s’explique par le fait que :
- L’acte de naissance est généralement rédigé à partir des informations fournies par la mère.
- La loi française ne permet pas à une mère de désigner arbitrairement un homme comme père de l’enfant, contrairement à certaines législations étrangères.
3) Limites et enjeux de l’acte de naissance
L’acte de naissance reste un document central dans l’établissement de la filiation, mais il présente des limites importantes :
- Pour la filiation maternelle : Il nécessite rarement une contestation, mais en cas de doute, l’identité de l’enfant doit être prouvée par d’autres moyens.
- Pour la filiation paternelle : L’acte de naissance est insuffisant, sauf en cas de reconnaissance ou de présomption de paternité.
B. La présomption de paternité
Cette présomption est posé par l’article 312 du code civil. Au terme de ce texte la loi présume que l’enfant né d’une femme marié a pour père le mari de sa mère, c’est la présomption de paternité.
1) Principe de la présomption de paternité
La présomption de paternité est définie par l’article 312 du Code civil, selon lequel l’enfant né d’une femme mariée est présumé avoir pour père le mari de sa mère. Il s’agit d’une règle fondamentale du droit français en matière de filiation.
La présomption de paternité s’applique à tout enfant rattachable au mariage. Cela inclut :
- Les enfants conçus pendant le mariage.
- Les enfants nés pendant le mariage.
- Les enfants nés après la dissolution du mariage, mais dont la conception peut être rattachée au mariage.
Trois situations principales peuvent être distinguées.
1. Enfant né pendant le mariage
Un enfant né durant le mariage est automatiquement couvert par la présomption de paternité, quelle que soit la date de sa conception.
- La règle s’applique sans difficulté, sur la seule base de l’acte de naissance et de l’acte de mariage.
- Il n’est pas nécessaire d’apporter des preuves supplémentaires concernant la date de conception.
2. Enfant conçu pendant le mariage
Un enfant conçu pendant le mariage bénéficie de la présomption de paternité, même s’il naît après la dissolution du mariage (par décès, divorce, ou annulation).
Cependant, il est nécessaire de déterminer la date de conception, ce qui repose sur deux présomptions légales, issues de l’article 311 du Code civil :
A. Première présomption : la durée légale de la grossesse
L’article 311, alinéa 1, présume que la grossesse :
- Dure au minimum 180 jours (environ 6 mois) ;
- Dure au maximum 300 jours (environ 10 mois).
Ainsi, tout enfant est réputé conçu entre le 300ᵉ et le 180ᵉ jour précédant sa naissance. Cette période de 121 jours est appelée la période légale de conception.
B. Deuxième présomption : la date précise de conception
Selon l’article 311, alinéa 2, l’enfant est réputé conçu au jour le plus favorable de la période légale de conception. Cela signifie que, pour déterminer si l’enfant a été conçu pendant le mariage, il suffit qu’un seul des jours de la période légale de conception tombe pendant le mariage.
C. Résultat combiné des présomptions
- Un enfant né après la dissolution du mariage est couvert par la présomption de paternité s’il naît dans les 300 jours suivant cette dissolution.
- Ces présomptions sont toutefois simples, et non irréfragables.
- Avant 1972, la jurisprudence considérait ces présomptions comme irréfragables.
- Depuis la réforme de 1972, elles peuvent être contestées par la preuve contraire. Cela ouvre la voie à un certain contentieux, en particulier pour la seconde présomption, qui dépend des faits spécifiques.
3. Enfant conçu avant le mariage et né après sa dissolution
Cette situation concerne un enfant conçu avant la célébration du mariage mais né après la dissolution du mariage.
- Bien que non prévue expressément par l’article 312, cette hypothèse a été reconnue par la jurisprudence.
- Dans un arrêt historique des Chambres réunies de la Cour de cassation du 8 mars 1939, il a été jugé que l’enfant bénéficie de la présomption de paternité dès lors que :
- Sa gestation a commencé avant le mariage ;
- Et que sa naissance a eu lieu après la célébration du mariage.
Le raisonnement repose sur le fait que le rattachement au mariage peut résulter non seulement de la conception ou de la naissance pendant le mariage, mais également de la gestation pendant le mariage.
Résumons : La présomption de paternité s’applique à tout enfant dont la mère a été mariée à un moment quelconque de la grossesse. Cette règle favorise la stabilité des filiations et limite les conflits.
4. Effet de la présomption de paternité
Lorsque la filiation paternelle est établie par la présomption de paternité, elle repose sur un titre, à savoir l’acte de naissance.
- L’acte de naissance, en mentionnant la mère, déclenche la présomption de paternité, ce qui désigne implicitement le mari de la mère comme étant le père.
- Cette présomption permet une filiation automatique sans intervention judiciaire, sauf en cas de contestation.
2) Exception au principe de la présomption de paternité
1. Enfant conçu pendant une période de séparation légale
L’article 313 du Code civil exclut l’application de la présomption de paternité pour les enfants conçus durant une période de séparation légale des époux.
-
Définition de la séparation légale :
- Il s’agit d’une période pendant laquelle les époux sont dispensés de l’obligation de cohabitation. Cette dispense peut résulter :
- d’une séparation de corps prononcée ;
- d’une autorisation de résidence séparée accordée au titre des mesures provisoires dans une ordonnance de non-conciliation, lors d’une instance de divorce ou de séparation de corps.
- Il s’agit d’une période pendant laquelle les époux sont dispensés de l’obligation de cohabitation. Cette dispense peut résulter :
-
Période concernée :
- La présomption de paternité est exclue pour un enfant né plus de 300 jours après le début de la séparation légale et moins de 180 jours avant sa fin.
- La détermination de la conception repose sur les présomptions légales de durée de la grossesse (articles 311 et suivants du Code civil).
-
Rétablissement de la présomption de paternité :
- Si l’enfant a une possession d’état à l’égard des deux époux, la présomption est rétablie.
- Ce rétablissement n’est possible que si l’enfant n’a pas de filiation paternelle établie avec un tiers. Ainsi, un mari qui élève l’enfant ne peut pas contester une filiation déjà établie par reconnaissance.
2. Enfant déclaré sans mention du mari comme père et sans possession d’état
L’article 313 alinéa 2 prévoit une exclusion de la présomption de paternité lorsque :
- L’enfant est déclaré à l’état civil sans que le nom du mari soit mentionné comme père ;
- L’enfant n’a pas de possession d’état à l’égard du mari.
Cette situation se produit généralement lorsque les époux sont séparés de fait :
- L’absence de cohabitation entre les époux rend la paternité du mari improbable, justifiant l’exclusion de la présomption.
3. Observations communes aux deux exceptions
- Lorsque l’enfant bénéficie de la possession d’état d’enfant à l’égard du mari, sa filiation paternelle est déjà établie. Cependant, le rétablissement de la présomption de paternité offre un avantage :
- La filiation est alors établie à la fois par possession d’état et par un titre (acte de naissance), rendant cette filiation beaucoup plus difficile à contester.
3) Nature et fondement de la présomption de paternité
Évolution historique
-
Sous le Code Napoléon :
- La présomption de paternité était quasi irréfragable.
- Seul le mari pouvait la contester, et cela dans des conditions très strictes, tant sur le délai que sur la preuve.
- Elle était davantage une règle de fond qu’une règle de preuve, attribuant systématiquement la paternité des enfants à l’époux.
-
Réformes de 1972 et 2005 :
- La présomption est devenue simple, permettant une preuve contraire libre.
- Elle est désormais une véritable règle de preuve, fondée sur la vraisemblance du lien entre le mariage et la paternité.
Fondement actuel
- La présomption repose sur la réalité statistique : la majorité des enfants nés de femmes mariées ont pour père le mari de leur mère.
- La loi dispense donc d’établir activement cette paternité, sauf en cas de contestation.
- Cette présomption vise aussi à préserver la stabilité familiale et à limiter les contentieux liés à la filiation.
- Taux d’enfants adultérins : Environ 10 % des enfants en France seraient issus de relations extraconjugales. Cela souligne l’importance des mécanismes permettant de contester ou de rétablir la présomption dans les situations ambiguës.
II. les modes de preuve commun à la filiation maternelle et paternelle
On distingue la reconnaissance et la possession d’état
1) La reconnaissance
La reconnaissance est l’acte par lequel un homme ou une femme reconnaît sa paternité ou sa maternité à l’égard d’un enfant. Cet acte a toujours eu une nature juridique mixte. Elle est d’abord un aveu qui prouve la filiation, on parle parfois de reconnaissance confession. C’est également un acte qui exprime une volonté de reconnaître l’enfant. Cette double nature juridique explique son régime.
A) Conditions de validité
1) Condition relative à l’auteur de la reconnaissance
1. Reconnaissance personnelle : La reconnaissance doit être faite personnellement par le père ou la mère. Le représentant légal d’un mineur ou d’un majeur sous tutelle ne peut pas procéder à une reconnaissance en leur nom, car la reconnaissance repose sur l’idée d’aveu personnel : « On ne confesse pas pour autrui. »
2. Consentement libre et éclairé : Pour être valide, le consentement de l’auteur de la reconnaissance doit être :
- Réel : La reconnaissance ne doit pas être simulée ou fictive.
- Libre : Elle ne peut pas résulter d’une contrainte, telle que la violence ou le dol.
- Éclairé : L’auteur doit comprendre les implications de son acte.
Si l’auteur était en état de démence ou victime d’une fraude ou d’une pression, la reconnaissance peut être annulée.
3. Capacité naturelle : La reconnaissance exige que l’auteur ait une capacité naturelle, c’est-à-dire le discernement nécessaire pour comprendre la portée de son acte. Cependant :
- La capacité juridique n’est pas requise.
- Ainsi, un mineur peut reconnaître un enfant, dès lors qu’il a le discernement suffisant.
2) Les conditions relatives à l’enfant reconnu
La reconnaissance d’un enfant est soumise à plusieurs conditions relatives à son statut juridique et à sa filiation existante.
1. Absence d’une filiation déjà établie par titre
La reconnaissance est possible uniquement si la filiation de l’enfant n’est pas déjà établie par :
- L’acte de naissance : Cet acte, lorsqu’il désigne le père ou la mère, constitue une preuve suffisante de filiation.
- La présomption de paternité : En cas de mariage de la mère, la filiation paternelle est automatiquement présumée.
Cependant, la reconnaissance reste possible si la filiation est établie par la possession d’état. Contrairement à l’acte de naissance ou à la présomption de paternité, la possession d’état n’est pas un titre formel, mais une preuve complémentaire. La reconnaissance dans ce cas permet de renforcer la filiation.
Cas particuliers :
- La reconnaissance est couramment utilisée pour les enfants nés hors mariage, car :
- L’acte de naissance ne mentionne pas automatiquement le père.
- La présomption de paternité ne s’applique pas en l’absence de mariage.
- Enfants nés dans le mariage :
- Une femme mariée peut reconnaître son enfant si son nom ne figure pas sur l’acte de naissance.
- Le mari peut reconnaître l’enfant lorsque la présomption de paternité est écartée, notamment si l’acte de naissance ne mentionne pas son nom ou celui de la mère, ou en cas de conception pendant une période de séparation légale.
2. Absence de filiation contraire
La reconnaissance est impossible si l’enfant possède déjà une filiation établie dans la ligne paternelle ou maternelle. Un homme ne peut pas reconnaître un enfant dont la filiation paternelle est déjà légalement établie, et il en est de même pour une femme concernant la filiation maternelle. Cette règle vise à prévenir les conflits de filiation, en évitant que plusieurs personnes revendiquent simultanément la maternité ou la paternité.
3. Cas des enfants issus d’un inceste absolu
En cas de relations incestueuses relevant d’un empêchement absolu au mariage sans possibilité de dispense, la filiation ne peut être établie qu’à l’égard d’un seul parent. Si un parent a reconnu l’enfant, l’autre parent ne peut plus procéder à une reconnaissance. Cette restriction a pour objectif de préserver l’ordre public et de limiter les situations juridiquement complexes.
3) Les conditions de forme de la reconnaissance
1. Absence de délai pour la reconnaissance
La reconnaissance peut intervenir :
- À tout moment de la vie de l’enfant.
- Avant la naissance : La reconnaissance prénatale, prévue par l’article 316 alinéa 1 du Code civil, est permise et peut même contrecarrer la présomption de paternité du mari de la mère.
- Après le décès de l’enfant, à condition de respecter les formes requises.
2. Exigence d’un acte authentique
La reconnaissance est un acte solennel, destiné à protéger :
- Le consentement de l’auteur de la reconnaissance.
- La conservation et la traçabilité de l’acte.
Elle peut être réalisée sous trois formes selon la qualité de l’officier public qui la reçoit :
- a) Acte d’état civil : La reconnaissance peut être incluse dans l’acte de naissance ou consister en un acte séparé, mais il s’agit juridiquement de deux actes distincts. Elle est établie par un officier d’état civil.
- b) Acte notarié : La reconnaissance peut être formalisée dans un acte exclusivement dédié à cet effet. Elle est souvent insérée dans un testament, ce qui peut poser problème, car la reconnaissance reste secrète jusqu’au décès du parent reconnaissant.
- c) Déclaration judiciaire : En dernier recours, la reconnaissance peut être effectuée par une déclaration faite en justice devant un greffier. Ce type de reconnaissance est généralement utilisé lorsque les autres options ne sont pas disponibles.
B) Les caractères de la reconnaissance
La reconnaissance repose sur son caractère d’aveu et présente trois traits essentiels :
1. Caractère déclaratif : La reconnaissance constate un état de filiation préexistant. Elle n’a pas pour effet de créer un lien de filiation, mais de le déclarer et de le rendre officiel. En conséquence, la reconnaissance produit ses effets de manière rétroactive, remontant à la naissance de l’enfant.
2. Caractère irrévocable : La reconnaissance est irrévocable, comme tout aveu. Cela signifie que l’auteur ne peut pas revenir sur sa décision par une simple déclaration unilatérale. Pour remettre en cause la reconnaissance, il doit engager une action en justice. La reconnaissance reste donc opposable tant qu’elle n’a pas été annulée par un tribunal.
3. Caractère individuel : La reconnaissance établit la filiation uniquement à l’égard de son auteur. Elle n’a aucun effet sur la filiation envers l’autre parent. Ce caractère individuel est souvent méconnu : certains parents pensent à tort que la mention du nom de l’autre parent dans l’acte de reconnaissance établit également la filiation de celui-ci.
Pour éviter cette confusion, l’article 316 alinéa 4 du Code civil prévoit que l’auteur de la reconnaissance soit informé explicitement que son acte n’engage que lui-même et n’établit la filiation qu’envers lui.
2) La possession d’état
La possession d’état est définie comme l’ensemble des faits qui démontrent qu’une personne a agi, été reconnue et traitée comme l’enfant de quelqu’un. Elle repose sur une notion d’apparence, ce qui signifie que la relation de filiation est constatée par les comportements publics et continus de l’enfant, du parent présumé, et de leur entourage. Article 311-1 du Code civil : « La possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté. »
A) Histoire de la possession d’état
Jusqu’à la loi du 3 juillet 1972, la possession d’état n’établissait que la filiation légitime. La Cour de cassation, dans deux arrêts emblématiques (1851 et 1872), avait refusé que cette notion puisse établir une filiation illégitime. La question fut à nouveau débattue après la loi de 1972, qui comportait des ambiguïtés. La première chambre civile, dans un arrêt du 8 mai 1979 (Law-King), a maintenu la position traditionnelle, selon laquelle la possession d’état ne permettait pas d’établir une filiation naturelle.
Cependant, la loi du 25 juin 1982 bouleversa cette approche, et la Cour de cassation, statuant en assemblée plénière dans la même affaire Law-King, désavoua la première chambre civile et admit que, selon les textes de 1972, la possession d’état pouvait établir une filiation naturelle. Aujourd’hui, l’ordonnance du 4 juillet 2005 a unifié les régimes de preuve en matière de filiation. Il n’y a plus de distinction entre filiation légitime et naturelle.
B) Définition et éléments constitutifs de la possession d’état
L’article 311-1 du Code civil énonce les éléments constitutifs de la possession d’état. Depuis l’ordonnance de 2005, leur ordre de présentation a été modifié, plaçant désormais le tractatus en première position, car il est considéré comme l’élément central.
Éléments constitutifs
-
Le tractatus
Le tractatus correspond au traitement réciproque entre les parties : le prétendu parent traite l’enfant comme son enfant, et l’enfant le considère comme son parent.- Cela inclut les actes tels que pourvoir à l’entretien, à l’éducation, ou à l’installation de l’enfant dans la vie (ex. : paiement d’une dot, achat d’un fonds de commerce).
- Ce lien peut se manifester avant la naissance de l’enfant, par des gestes anticipant son arrivée, comme l’achat d’un berceau, appelé tractatus prénatal.
-
La fama
La fama se réfère à la réputation publique. Il s’agit de l’opinion sociale et collective selon laquelle l’enfant et le prétendu parent sont considérés comme liés par un rapport de filiation.- Cet élément est crucial si le prétendu parent est décédé, car le tractatus cesse avec son décès, mais la fama peut perdurer dans le temps.
-
Le nomen
Le nomen concerne le nom porté par l’enfant, qui peut refléter un lien de filiation.- Historiquement central, son importance a diminué depuis les réformes récentes, car le nom n’est plus un indicateur unique de filiation.
Réunion suffisante de faits
L’article 311-1 n’exige pas la réunion de tous les éléments. Une accumulation suffisante de faits est requise pour établir une possession d’état. Les juges du fond apprécient souverainement si les éléments présents suffisent à caractériser cette situation.
C) Caractères de la possession d’état
1. Continuité
La possession d’état doit être continue. Cela signifie que les faits constitutifs doivent s’inscrire dans la durée et refléter une situation habituelle et stable.
- Des comportements épisodiques ou ponctuels ne suffisent pas.
- La continuité peut exister même en l’absence de communauté de vie, si des relations régulières subsistent entre l’enfant et le prétendu parent.
2. Publicité, paix et absence d’équivoque
-
Publicité
La possession d’état doit être publique. Cela signifie qu’elle est connue et reconnue par le cercle social et familial. Une possession secrète, en revanche, est inefficace car elle manque de fama. -
Paisible
La possession d’état doit être exempte de toute contrainte ou violence. Une possession d’état obtenue par fraude ou par enlèvement, par exemple, est privée d’effet. -
Non équivoque
L’absence d’équivoque est essentielle pour éviter toute contradiction. La possession d’état doit clairement désigner un lien de filiation, sans laisser place au doute. Deux hypothèses peuvent rendre une possession d’état équivoque :- Explication alternative : Les faits pourraient découler d’une autre situation que celle d’un lien de filiation (ex. : un enfant élevé par le nouveau conjoint de sa mère, mais né d’un précédent mariage).
- Concurrence de plusieurs possessions d’état : Si deux personnes revendiquent une filiation (ex. : deux hommes ou deux femmes se comportant comme le parent de l’enfant), la possession d’état devient conflictuelle et inefficace.
D) Rôle de la possession d’état
La possession d’état, définie par les articles 311 à 311-2 du Code civil, est qualifiée de présomption légale. La loi présume que l’apparence d’un lien de filiation est conforme à la réalité, établissant ainsi une concordance entre la vérité biologique et la vérité sociologique. Ce mécanisme vise à protéger les liens affectifs et sociaux tissés entre l’enfant et ceux qui se comportent comme ses parents.
Rôle probatoire
-
Preuve directe et complète de la filiation maternelle
La possession d’état peut établir à la fois l’accouchement et l’identité de la mère. Elle est donc plus probante que l’acte de naissance, en apportant une preuve complète. -
Preuve de la filiation paternelle
Concernant le père, la possession d’état établit directement le lien de filiation, sans nécessiter le recours à des mécanismes tels que la présomption de paternité.
Ainsi, un enfant, qu’il soit né d’un mariage ou hors mariage, peut invoquer la possession d’état comme preuve de filiation, que celle-ci soit maternelle ou paternelle.
E) Preuves de la possession d’état
Depuis l’ordonnance du 4 juillet 2005, la possession d’état ne suffit plus à établir la filiation. Elle doit désormais être officiellement constatée par un acte de notoriété, en vertu de l’article 310-3 du Code civil.
Précisions importantes
-
Avant 2005 : Avant cette réforme, il n’était pas nécessaire de recourir à un acte de notoriété pour établir la filiation par possession d’état. Par exemple, un notaire pouvait retenir la filiation d’un enfant sans exiger un acte de notoriété, tant que la possession d’état n’était pas contestée par les héritiers. Aujourd’hui, cela n’est plus possible.
-
Établissement de l’acte de notoriété
- L’acte de notoriété est établi par le juge d’instance à la demande de l’enfant ou des parents (article 317 al.1).
- La demande doit être introduite dans un délai de 5 ans après la cessation de la possession d’état alléguée, c’est-à-dire, par exemple, dans les 5 ans suivant le décès de l’enfant ou du prétendu parent (article 317 al.3).
- Le juge d’instance examine les preuves apportées, telles que des témoignages ou des documents, pour établir si la possession d’état est constituée.
-
Décision non susceptible de recours
- Si le juge établit un acte de notoriété, une mention est inscrite en marge de l’acte de naissance de l’enfant. Toutefois, la filiation reste établie par la possession d’état elle-même, et non par l’acte de naissance.
- L’acte de notoriété est rédigé en dehors de tout contentieux. Il constitue une preuve préconstituée de la possession d’état, mais reste une preuve non définitive.
-
Force probante de l’acte de notoriété
- L’acte de notoriété ne constitue pas une preuve absolue : il peut être contesté par une action en contestation de possession d’état (article 317). Une partie intéressée peut démontrer que la possession d’état n’a jamais existé.
-
Preuve contentieuse de la possession d’état
- Si le juge d’instance refuse de délivrer l’acte de notoriété, une action en constatation de la possession d’état peut être introduite devant un tribunal de grande instance (TGI).
- Cette voie contentieuse permet d’obtenir un jugement déclarant l’existence de la possession d’état, qui a une force probatoire similaire à l’acte de notoriété.
Preuve non contentieuse et contentieuse
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Preuve non contentieuse
La preuve par acte de notoriété constitue le principal mode de preuve non contentieux de la possession d’état. Elle est obtenue à la demande de l’enfant ou des parents et se base sur les éléments factuels de la possession d’état (tractatus, fama, nomen). -
Preuve contentieuse
- Si un acte de notoriété n’est pas obtenu, la voie contentieuse permet de faire reconnaître la possession d’état par un jugement.
- L’action en constatation de la possession d’état s’exerce devant le TGI.
- Cette preuve peut être utilisée dans les cas où le juge d’instance refuse de délivrer un acte de notoriété ou lorsque la possession d’état est contestée.