Les œuvres créées par plusieurs personnes

Variété des qualifications

(oeuvre de collaboration, oeuvre composite, collective, audiovisuelle)

Les œuvres sont souvent créées à plusieurs, car elles sont complexes. Il y a par exemple les œuvres nouvelles adaptées d’oeuvres anciennes, les films cinématographiques ou les jeux vidéo qui réclament des moyens humains importants et le travail en commun de différents créateurs etc….

Différentes figures juridiques en résultent.

  • 1 : L’oeuvre de collaboration :
  • C’est une « oeuvre à laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » (art L113-2 al1). Il faut une action concertée de plusieurs personnes physiques : ex le dessinateur et l’auteur des textes d’une bande dessinée, le compositeur de la musique et le librettiste d’un opéra etc… C’est une sorte d’indivision, autrement dit de copropriété.
  • Comme dans une œuvre collective chaque co-auteur peut exploiter sa propre contribution (113-3 al 4).
  • Conséquences de la qualification :

L’exploitation de l’œuvre suppose un accord commun (113-3 al 1 et 2) des auteurs. Il s’agit là d’une conséquence logique, mais pénible du principe de l’égalité des indivisaires (un collaborateur= une voix). Cette contrainte ne favorise pas l’exploitation des œuvres de collaboration, car chaque coauteur possède en réalité un droit de véto. En cas de désaccord il est nécessaire de saisir le tribunal de grande instance (TGI), afin qu’il tranche le conflit (113-3 al 3). En fait on a peu de jurisprudence sur cette question, preuve que les choses fonctionnent mieux en pratique que ce que l’on pouvait le redouter en théorie. En réalité, l’explication est simple. Les contrats de production, dans l’audiovisuel par exemple, comportent des clauses de cession de droits qui permettent aux cessionnaires d’exploiter l’œuvre pour les modes d’exploitation visés dans la clause de cession. C’est donc par avance que l’auteur consent aux différentes exploitations envisagées.

  • 2 : L ‘œuvre audiovisuelle :

L’oeuvre audiovisuelle suppose une séquence animée d’image, avec ou sans sons (art L 112-2-6°) : une émission de télévision, un film, un jeu vidéo sont des œuvres audiovisuelles (sous réserve, dans ce dernier cas d’autres qualifications possibles : voir la partie qualification de l’œuvre multimédia).

Les oeuvres audiovisuelles sont ipso facto des oeuvres de collaboration et non des oeuvres collectives (voir infra) a affirmé, à titre de principe, la Cour de cassation en 1994 (Civ 1ère 26 janv 1994, RIDA oct 1994, 433 et 474). Toute œuvre audiovisuelle est donc, nécessairement, une œuvre de collaboration dès lors que plusieurs personnes sont intervenues dans le processus de création. Si un film documentaire peut être réalisé par un seul créateur, le réalisateur, un film destiné au cinéma suppose une pluralité d’intervenants : certains sont des techniciens, comme le cadreur, d’autres des auteurs.

Conséquences de la qualification:

  • Selon l’article L 113-7 du Code de Propriété Intellectuelle sont présumés coauteurs un certain nombre d’intervenants (voir supra)
  • Toutefois, il existe une cession légale au profit du producteur de l’œuvre audiovisuelle (132-24 du Code de Propriété Intellectuelle). Dans le secteur cinématographique cette présomption est de peu d’utilité car les contrats de production conclus avec les auteurs ne manquent jamais de stipuler de manière précise des cessions de droits, encore que le jeu de la présomption semble subordonné à ce qu’une rémunération soit versée aux auteurs pour chaque mode d’exploitation (cf l’article L 132-25 du Code de Propriété Intellectuelle). En revanche pour les chaînes de télévision, qui ne faisaient pas signer de clause de cession de droits par leurs journalistes salariés, auteurs de reportage d’actualité, cette cession légale est utile car faute de rémunération spécifique prévue par les chaînes de télévision pour les rediffusions il semble que l’article L 132-25 précité fasse obstacle au jeu de la cession légale. Si la cession légale des droits d’exploitation joue notons qu’elle est exclusive et qu’elle va aussi concerner les droits voisins des interprètes (Soc 3 mars 2004, Légipresse 2005.III. 66, note Hassler et Olszak).
  • Le réalisateur et les coauteurs doivent donner leur accord (Paris 2 déc 1963, D 1964, 229) pour la version définitive, ce qui est une contrainte pour le producteur (L 121-5). La Cour d’Appel de Paris (9 sept 2005, CCE 2006, n°76) a cependant jugé que seul le réalisateur doit donner son accord au producteur, ce qui est conforme à la lettre du texte qui, mal rédigé, ne semble exiger que l’accord de ce dernier. En fait la jurisprudence exige, pour faire intervenir les coauteurs, qu’une clause de leur contrat soit rédigée en ce sens.
  • Quant au droit moral, et notamment de divulgation, il ne semble naître qu’une fois la version définitive adoptée (cf les articles L 121-5 al 1 et 5 et 121-6), sachant que, là, tous les coauteurs sont concernés.
  • Le réalisateur doit être consulté pour l’exploitation de l’œuvre pour un autre mode d’exploitation. (121-5 al 4 du Code de Propriété Intellectuelle). C’est là une demi mesure sans grande conséquence. Au surplus il suffit de stipuler par avance l’accord du réalisateur dans le contrat le liant au producteur.
  • En cas de contrefaçon, c’est-à-dire d’exploitation d’une oeuvre sans le consentement des auteurs, tous les coauteurs doivent avoir été appelés à la cause du procès (voir par exemple Civ 1ère 10 mai 1995, D 1996, 114, note Edelman). C’est là, dans la pratique, une contrainte importante, car il n’est pas toujours aisé de retrouver tous les coauteurs pour leur donner l’occasion de participer au procès. Nombre de contrefacteurs invoquent cet argument pour retourner en leur faveur un procès qui paraissait mal engagé au vu de leurs intérêts. Cependant, là aussi, si les droits ont été régulièrement cédés à l’exploitant celui-ci agit pour le compte de tous les indivisaires et le moyen ne peut lui être opposé. On remarquera, une fois de plus, que les difficultés juridiques sont solvables par une bonne pratique contractuelle.
  • 3 : L’œuvre composite :
    • Article 113-2 du Code de Propriété Intellectuelle : C’est «l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière». L’adaptation cinématographique d’un roman est une œuvre composite si l’auteur de l’adaptation n’a pas participé à la réalisation du scénario du film.
    • L’œuvre composite peut ou non être l’adaptation d’une œuvre première, selon qu’il y a modification ou adjonction. Le droit de remake est une oeuvre composite sans adaptation.
    • L’article L 113-4 du Code de Propriété Intellectuelle dispose que « l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante ». Il en résulte que pour réaliser l’œuvre dérivée son créateur doit avoir préalablement acquis les droits sur l’œuvre première.
    • Une œuvre audiovisuelle peut cumuler les qualifications : œuvre de collaboration elle est en sus œuvre composite parce qu’un roman ou un personnage (Tintin, Tarzan etc…) aura été adapté à l’écran ou dans le jeu vidéo
    • 4 : L’œuvre collective :
  • Première vision:

Notre droit d’auteur est imbibé de subjectif : l’oeuvre ne se détache jamais totalement de son créateur, puisqu’elle n’est que « l’empreinte » d’une personnalité. La conséquence logique est que seule une personne physique peut être auteur. Mais avec le temps on s’est aperçu que les personnes morales prenaient de plus d’importance dans le rôle de création. Certes c’est toujours une personne physique qui crée, mais elle obéit à un canevas que sa hiérarchie, au sein de la personne morale, lui impose : ainsi les ateliers d’écriture pour la fabrication de séries télévisuelles. : c’est ainsi qu’est apparue la notion d’œuvre collective, qui est une notion différente de l’œuvre de collaboration. Au lieu de fonctionner sur un postulat d’égalité des créateurs comme l’œuvre de collaboration, l’œuvre collective tient compte d’un processus vertical hiérarchique de création.

La qualification d’œuvre collective est une exception en droit français, puisqu’elle attribue ab initio la titularité des droits à une personne initiatrice d’un projet et non aux personnes physiques créatrices de ce projet (L 113-5 du Code de Propriété Intellectuelle). C’est donc la personne (le plus souvent) morale qui est censée être l’auteur, même si concrètement ce sont ses salariés qui ont été les créateurs ; ceux-ci pourront toutefois exploiter séparément leur contribution et elles jouiront d’une partie du droit moral, celui-ci étant en fait partagé entre la personne morale et les contributeurs.

Le juge devra rechercher, au cas par cas, au travers des critères déterminés, avec plus ou moins de rigueur par la jurisprudence, sur la base textuelle de l’article 113-2 al 3, si on est en présence ou non d’une œuvre collective. Il existe une grande imprévisibilité des solutions, ce qui est néfaste pour la sécurité des affaires. Si, au final, la qualification d’œuvre collective est écartée, c’est qu’il s’agit, vraisemblablement d’une œuvre de collaboration.

L’œuvre collective nous rapproche du copyright puisque c’est l’investisseur qui devient le titulaire des droits

  • Domaine d’application :
  • Historiquement le domaine prévu à l’origine (dans la grande loi de 1957) était les dictionnaires et les encyclopédies
  • Puis la jurisprudence a accepté l’extension à d’autres domaines : ex dessins et modèles, base de données, logiciels, journaux. Toute œuvre plurale, à l’exception de l’œuvre audiovisuelle est susceptible d’être une oeuvre collective si les conditions sont remplies.
  • Critères de qualification :

L’article 113-2 al 3 du Code de Propriété Intellectuelle pose 3 conditions, le droit positif en révélant un quatrième :

  • Le critère de l’initiative de création : c’est la personne morale qui doit avoir eu l’initiative de la création de l’œuvre.
  • Le critère de l’initiative de l’édition ou de la publication
  • Le critère de la fusion des contributions dans l’ensemble. Ce critère est tout relatif et sujet à critiques :
  • Un journal est généralement considéré comme une oeuvre collective alors que la fusion est minimale puisque les articles des journalistes sont signés par leurs auteurs
  • Dans un film il y a aussi une fusion, et pourtant c’est une œuvre de collaboration !
  • Le critère décisif n’est pas mentionné dans la loi, mais c’est celui qui semble se dégager majoritairement : le processus de création est le résultat d’un processus hiérarchique, c’est-à-dire que la façon de créer est dictée du haut vers le bas, selon un processus vertical. L’initiateur du projet donne des ordres sur la façon de concevoir les parties qui formeront l’ensemble, il maîtrise l’ensemble du projet en faisant prévaloir ses vues, en édictant des contraintes de créations via, au besoin, d’un cahier des charges et d’un chef de projet. Ainsi se manifesterait la différence avec l’œuvre de collaboration qui, elle, obéirait à un mode d’élaboration horizontal, car collaboratif.
  • Ce critère du processus hiérarchique est lui aussi imparfait : un éditeur de livres qui impose ses vues à des coauteurs est chose fréquente, sans qu’on y voie pour autant une œuvre collective. Il en va de même pour nombre d’oeuvres audiovisuelles dont le mentor est le producteur. La théorie de l’œuvre collective est inachevée et les incertitudes engendrées sont regrettables.
  • Conséquences de la qualification :
  • Il n’est pas besoin de stipuler une clause de cession de droits entre le créateur personne physique et l’entreprise (individuelle ou personne physique, peu importe). Mais cet avantage est à double tranchant : si le juge ne retient pas la qualification d’œuvre collective, l’entreprise risque d’être contrefacteur des droits de son salarié créateur (voir infra la titularité des droits) ou du « freelance » (l’indépendant) ayant participé à l’élaboration de l’œuvre.
  • Le droit moral du contributeur est diminué pour tenir compte de la fusion de la contribution dans le tout (voir Civ 1ère 8 oct 1980, D 1981, Somm 85, obs Colombet)
  • Le point de départ du délai de protection de 70 ans (voir infra) fait que la durée de protection est moindre que pour une œuvre de collaboration
  • la situation du contributeur est moindre : il est souvent affirmé que l’auteur peut n’être rémunéré qu’au forfait alors que le principe en droit d’auteur est que la rémunération doit être proportionnelle au prix hors taxe payé par le public. Mais une décision (Paris 9 févr 2005, CCE 2005, n° 99) a refusé de valider une rémunération forfaitaire dans une œuvre collective. Cette dernière a toutefois été cassée (Civ 1ère 21 nov 2006). Affaire à suivre.