Les ordres professionnels de santé : organisation, missions, pouvoirs

LES ORDRES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

Pendant longtemps, les professions de santé ont été organisées en dehors de l’intervention publique. Avant la Révolution française, on avait simplement des corporations de médecins notamment qui réglaient l’organisation des médecins et les universités avaient une charge en matière de réglementation de ces professions de santé. Avec la Révolution française et la méfiance à l’égard des corps intermédiaires, c’est l’autorité publique elle-même qui a organisé ces professions et qui les a organisé car on doit attendre de ces professions deux choses évidentes : une aptitude à exercer et une moralité car le médecin a une positon d’autorité à l’égard de ses patients. Cette obligation de moralité se trouve dans énormément de professions comme la profession d’avocat. Cette autorité est un pouvoir diffus et des études ont été menées pour montrer l’importance de poser des règles de déontologie pour interdire aux professionnels en position de pouvoir d’exercer sans limites.

La puissance publique est intervenue pour organiser ces professions et notamment en organisant d’abord des ordres professionnels et ensuite des habilitations au travers de la délivrance de certains diplômes.

On pense que les ordres professionnels existent depuis le régime de Vichy. En réalité, les ordres professionnels existaient souvent avant le régime de Vichy. On connaissait de cette organisation ordinale avant le régime de Vichy, en particulier s’agissant de l’ordre des avocats. S’agissant de l’ordre des médecins, on avait une existence avant la Révolution française avec les corporations et c’est un peu ce schéma qu’on a reprit pour créer un ordre professionnel. La loi qui formalise la création des ordres des médecins est une loi du 7 octobre 1940.

Depuis, on a développé à côté de l’ordre des médecins 6 autres ordres professionnels en matière médicale et paramédicale : ordre des chirurgiens dentistes, ordre des sages femmes, ordre des pharmaciens, ordre des masseurs kinésithérapeutes, ordre les pédicures podologues, ordre des infirmiers.

Les ordres n’ont pas la personnalité morale mais ce sont les Conseils des ordres, donc l’organe exécutif, qui ont la personnalité morale. Pendant longtemps, on s’est posé la question de la nature privée ou publique des ordres professionnels. Conseil d’Etat. Ass. 2 avril 1943. Bouguen: les ordres professionnels sont chargés d’une mission de service public et le Conseil d’Etat reconnait aux ordres professionnels un pouvoir réglementaire, d’où la question de la nature juridique. Ce pouvoir réglementaire n’est pas général mais un pouvoir réglementaire en matière d’organisation de l’ordre lui-même et de contrôle de la profession (ex : pour l’entrée dans la profession et pour la discipline dans la profession car les conseils possèdent le pouvoir disciplinaire sur les professionnels). On n’a pas de réponse exacte sur la nature des ordres professionnels mais la jurisprudence s’oriente quand même vers la reconnaissance définitive d’un statut de personne privée chargée d’un service public.

Section 1- L’organisation des ordres professionnels

A- L’organisation de l’ordre des médecins

L’ordre des médecins, comme les autres ordres, a une organisation pyramidale qui va du conseil départemental de l’ordre au conseil national de l’ordre en passant par le conseil régional de l’ordre.

1- Les conseils départementaux

Dans chaque conseil à l’échelon départemental, on a des membres élus pour 6 ans de la profession par l’assemblée générale des médecins. Il y a entre 9 et 21 membres (24 pour Paris) et composent donc le conseil départemental de l’ordre. Pour l’Assemblée générale, c’est l’ensemble des médecins inscrits au tableau. Il faut être inscrit à l’ordre depuis au moins 4 ans pour être membre du conseil et le conseil est renouvelé par 1/3 tous les 3 ans.

Ce sont des fonctions relativement importantes qui sont honorifiques. Au sein du conseil départemental, il n’y a pas directement d’instance disciplinaire au sens juridictionnel du terme. En revanche, on a une commission de conciliation qui est là pour régler alternativement les litiges entre les patients et les médecins.

2- Les conseils régionaux

Ils sont composés de membres élus par les conseillers départementaux et non par les médecins de la région. Ils sont élus pour 9 ans avec un renouvellement aussi par 1/3 pour permettre une continuité et stabilité. Tous les 3 ans, le conseil régional procède à l’élection ou la réélection de son président.

Les conseils régionaux sont ceux qui en première instance ont une véritable fonction disciplinaire au sens juridictionnel du terme. C’est la raison pour laquelle au sein des conseils régionaux on retrouve des juristes, notamment un juriste toujours membre d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel. Cela s’explique par le fait qu’il y a une fonction disciplinaire et donc il faut la présence d’un juriste pour contrôler les choses. On n’a pas choisit un magistrat judiciaire car le contentieux des sanctions disciplinaires se fait devant le juge administratif.

3- Le conseil national

C’est l’article L. 4132-1 du code de la santé publique. C’est un organe très important de bonne organisation et de fonctionnement de l’ordre avec compétence nationale. Il comporte 46 membres élus par les membres des conseils départementaux, dont 4 membres représentent l’Outre Mer et 1 membre de l’Académie nationale de médecine. Au sein du conseil national, on a un conseiller d’Etat désigné par le ministre de la santé.

Au sein du conseil national, on a une chambre disciplinaire qui est la chambre d’appel des décisions du conseil de discipline des chambres régionales. La chambre est présidée par le conseiller d’Etat. Cela s’explique pour les mêmes raisons que les conseils régionaux, il s’agit de guider les médecins vers une sanction disciplinaire légale au sens de la loi et les empêcher de prendre des décisions mal rédigées et illégales. Ce n’est pas une question de contrôle mais une simple question de bonne administration. Cela a pour seul objectif d’éviter des annulations des décisions prises aux contentieux par le juge administratif car cela remettrait en cause la fonction disciplinaire de l’ordre.

B- L’organisation des autres ordres

S’agissant des autres ordres médicaux, on a le même système pyramidal avec des variantes très cohérentes. Par exemple, on a des conseils inter régionaux pour les sages femmes car elles sont moins nombreuses que les médecins. En revanche, pour les infirmiers, on a la même organisation que les médecins. Il y a quelques différences pour l’ordre des infirmiers en raison du cadre dans lequel ils exercent leur profession. S’agissant des pharmaciens, il y a quelques variantes en fonction du cadre dans lequel ils exercent leur profession.

Section 2- Les missions et les pouvoirs des ordres professionnels

Les conseils des ordres professionnels n’ont pas un pouvoir règlementaire général sur la profession. Ils ont des compétences spéciales limitativement énumérées par la puissance publique. Les compétences vont être principalement l’élaboration de règles d’organisation de la profession, l’application des règles notamment en matière disciplinaire et la question de la représentation devant les autorités publiques.

A- La participation à l’élaboration des règles de la profession

Le conseil de l’ordre élabore ces règles de différentes manières. Il le fait d’abord par l’élaboration du code de déontologie de la profession. La déontologie est l’étude de ce qui est convenable dans une profession. C’est l’ensemble des règles et principes régissant une profession, et avant tout les professions libérales. Ce sont des grands principes un peu généraux mais qui ont des conséquences extrêmement précises et concrètes. C‘est par exemple la fixation libre des honoraires des médecins et en pratique on a un contrôle très stricte des honoraires. Par ailleurs, les règles de déontologie ont une grande importance car elles garantissent devant les destinataires des soins l’intégrité, l’image de la profession elle même, ce qui est très important. Par exemple, le secret médical est ce qui garantie au patient la confidentialité absolue de son état et c’est un droit absolument fondamental à la vie privée et à l’intimité. Il en va de l’intégrité de la profession d’assurer cela. Ce n’est pas l’ordre qui fait entrer en vigueur le code de déontologie car il ne fait que le préparer et ensuite le code fait l’objet d’un décret en Conseil d’Etat. Il y a aussi un passage devant le Conseil de la concurrence qui donne un avis sur le code de déontologie.

Ensuite, on a l’organisation de l’ordre lui même et l’élaboration des clauses dans des contrats types applicables à la profession. Il y a de nombreux contrats par lesquels les médecins peuvent s’organiser, le premier étant la collaboration entre les médecins. Dans ces contrats, il y a des clauses qui sont prés rédigés par le conseil de l’ordre. Le conseil rédige aussi des clauses dans les contrats liant le médecin avec l’hôpital où il exerce.

B- Le rôle dans l’application des règles propres à la profession

Le conseil de l’ordre a une fonction dans l’application des règles d’entrée dans la profession. C’est lui qui contrôle que les médecins ont eu leur diplôme à la faculté de médecine, qu’ils sont spécialistes en cas de revendication d’une spécialité et il décide des suspensions temporaires d’activité. Par exemple, le conseil ratifie une suspension momentanée si un médecin est appelé près du ministre de la santé et que donc il ne peut pas assurer sa profession. Ce n’est donc pas forcément une sanction disciplinaire. Il s’agit donc de façon générale des cas où le professionnel n’est plus apte à l’exercice de ses fonctions (ex : alcoolisme, accident). Cette faculté peut aussi être assurée par l’agence régionale de la santé (ARS).

En matière disciplinaire, les conseils régionaux et nationaux rendent des décisions disciplinaires qui ne sont pas des décisions administratives mais des sanctions juridictionnelles à l’instar d’un tribunal correctionnel (Conseil d’Etat. Ass. 2 décembre 1953. De Bayo: «la fonction juridictionnelle de première instance est dévolue aux conseils de l’ordre »). Ainsi, comme c’est une juridiction, on applique un régime juridique protecteur du justiciable. Cependant, l’application de l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH est partielle mais il y a un certain nombre d’obligations : contradictoire, droit de la défense. Il y a le régime juridique de la responsabilité de l’Etat du fait des fonctions juridictionnelles qui s’applique. Conseil d’Etat. Section. 27 février 2004. Popin: le Conseil d’Etat a précisé que toutes les instances juridictionnelles françaises rendent la justice au nom de l’Etat. Cela signifie que la décision juridictionnelle qui constitue une faute lourde et engendre un préjudice n’engage pas la responsabilité de l’ordre des médecins mais de l’Etat.

On a cependant des principes qui sont propres à ce type de juridiction. Notamment, on n’applique pas le principe de droit pénal disant qu’il n’y a pas deux sanctions pour un seul fait. Cela est très contesté en pratique et cela signifie qu’un médecin peut être poursuivi devant la chambre disciplinaire du conseil de l’ordre et en même temps poursuivi devant un tribunal correctionnel. On peut donc avoir deux sanctions pour un fait mais le Conseil d’Etat estime qu’il y a indépendance des procédures et indépendance des sanctions. Néanmoins, il y a pas une indépendance totale des poursuites car on a ce qu’on pourrait appeler une indépendance relative car un médecin peut être relaxé devant le tribunal correctionnel et cette absence de condamnation n‘induit pas nécessairement une absence de sanction disciplinaire et donc la sanction disciplinaire est possible car ce sont deux fondements juridiques différents.

Par exemple, on a le cas d’un médecin qui a fait des expériences sur un patient décédé. Dans le code pénal, l’intégrité des cadavres est protégée mais l’infraction pénale n’a pas été qualifiée. Cela n’a pas empêché le conseil national de discipline de sanctionner sur le fondement du code de déontologie.

En revanche, il y a indépendance relative dans le sens où le conseil de l’ordre est quand même lié par la matérialité des faits établis devant la juridiction pénale. La juridiction ordinale est tenue par la matérialité des faits établit devant le juge pénal. Par exemple, si le juge pénal condamne un médecin pour violences volontaires sur un patient, le conseil des l’ordre ne peut pas nier l’existence de ces violences volontaires. Dans ces conditions, il sera difficile pour le conseil de l’ordre de ne pas sanctionner et donc l’indépendance est bien relative.

La procédure disciplinaire se déroule en plusieurs temps.

La première question est celle de savoir qui poursuit. Le conseil départemental ou le conseil national peut de lui-même décider de poursuivre tel ou tel fait. Généralement, le conseil départemental est saisi par un patient d’une plainte ou par un confrère et le conseil départemental procède à une tentative de conciliation en cas de présence d’un patient sinon il transmet directement la plainte au conseil régional. On s’est demandé si le conseil est obligé d’instruire la plainte du patient et la réponse est positive car le conseil de l’ordre ne peut pas rejeter la plainte d’un patient sans instruction, sans examen de celle-ci et sans entendre le patient. Le conseil régional peut rejeter la demande et donc le patient peut aller devant le conseil national puis le Conseil d’Etat. Le ministre de la santé, les agences régionales de santé, des syndicats, des associations peuvent aussi saisir les commissions de conciliation et les conseils de discipline. L’intérêt à agir est donc large.

Une fois cela fait, la procédure est contradictoire, écrite et en principe l’audience est publique. La décision du conseil national de l’ordre est susceptible d’un recours en cassation devant le Conseil d’Etat. Cela est important car cela signifie que le Conseil d’Etat procède à un contrôle de l’application du Droit uniquement mais aussi cela entend un contrôle assez souple car il reconnaît au conseil de discipline l’appréciation souveraine des faits.

En matière disciplinaire, on applique le principe de la légalité des peines mais il y a une petite dérogation concernant la légalité des infractions. Devant le conseil de l’ordre, on applique le principe de légalité des peines et donc les peines prononcées doivent être prévues expressément mais on a pas nécessairement d’application du principe de légalité des infractions car on se fonde sur le code de déontologie qui est constitué de principes très généraux qui font que toutes les situations ne sont pas connues et donc réprimées. On laisse donc une marge de manœuvre au conseil de l’ordre.

Il existe une hiérarchie des peines : avertissement, blâme, interdiction temporaire d’exercice avec ou sans sursit, interdiction définitive d’exercer (sanction disciplinaire la plus importante). La loi HPST de 2009 crée une originalité car on peut avoir des injonctions de formations de la part du conseil de l’ordre à l’égard d’un médecin.

C- La fonction de représentation de la profession devant les autorités publiques

Le Conseil de l’ordre des médecins a eu pendant longtemps une influence politique assez notable. Au travers du conseil de l’ordre qui avait une autorité et un poids dans la prise de décision politique, il y avait aussi une autorité indirecte car des parlementaires étaient eux mêmes médecins. Cette fonction de représentation s’est beaucoup affaiblie, notamment après l’affaire du sang contaminé où on a eu une forme de méfiance à l’égard des volontés ou des demandes du conseil de l’ordre et donc on l’a moins interrogé. Par ailleurs, on a eu dans le même temps des positions caricaturales du conseil de l’ordre des médecins, notamment à l’égard des nouvelles techniques médicales. Cela s’est fait au point qu’on a des propositions de suppression des ordres en disant que c’est un pouvoir seulement conservateur qui n’est pas de nature à faire évoluer la profession. Cependant, cela n’est pas d’actualité.