Les origines de l’État : théorie du contrat social et de l’institution

Exploration des origines de l’État selon les théories du contrat social (Hobbes, Locke, Rousseau) et de l’institution (Maurice Hauriou).

Les théories du contrat social et de l’institution expliquent l’origine de l’État. Hobbes, Locke et Rousseau prônent un pacte volontaire structurant l’État, tandis qu’Hauriou évoque une institution consensuelle détachée des gouvernants, assurant la continuité du pouvoir. Hobbes valorise l’ordre, Locke la liberté, et Rousseau la volonté générale, tandis qu’Hauriou distingue État et gouvernants, fondant la légitimité de l’institution sur le consensus initial.

Comparatif des théories sur l’origine de l’État

Théorie Principaux penseurs Idées clés Exemple ou application
Contrat social Hobbes, Locke, Rousseau L’État naît d’un pacte volontaire entre les hommes pour structurer la société et garantir leurs droits. Hobbes : Léviathan (1651) pour éviter l’anarchie. Locke : État pour un bonheur accru. Rousseau : Volonté générale.
Institution Maurice Hauriou L’État découle du consensus d’un groupe visant à créer une institution politique légitime et durable. Formation des États-Unis ; continuité du pouvoir (ex : succession après Kennedy ou Pompidou).

Les théories du contrat social et de l’institution offrent deux perspectives complémentaires sur l’origine de l’État :

  • Le contrat social met l’accent sur un accord volontaire entre les individus, bien qu’il repose sur des postulats théoriques.
  • La théorie de l’institution, plus pragmatique, insiste sur la nature consensuelle et évolutive de l’État, qui se constitue progressivement comme une entité détachée des individus.

I ) La théorie du contrat social

La théorie du contrat social est une conception philosophique de l’origine de l’État, qui repose sur l’idée que les hommes, à un moment donné, ont volontairement décidé de s’associer pour créer une société organisée et établir un pouvoir politique légitime. Elle s’oppose aux explications fondées sur la nature divine du pouvoir, développées par les auteurs chrétiens.

A) Origines chrétiennes de l’idée de pouvoir

  1. Saint Paul :
    Le pouvoir est d’origine divine. Selon cette vision, Dieu est la source de toute autorité, et les hommes doivent s’y soumettre.

  2. Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin :
    Dieu reste l’origine du pouvoir, mais son exercice et sa transmission relèvent des hommes.

    • Cela implique une soumission des hommes aux formes de pouvoir établies, indépendamment de la manière dont elles sont instituées.
    • Cette perspective laisse toutefois ouverte la question de savoir si Dieu impose un gouvernement spécifique.

B) La théorie moderne du contrat social

Trois grands philosophes, Thomas Hobbes, John Locke et Jean-Jacques Rousseau, ont structuré la théorie du contrat social en réponse à la question de l’origine du pouvoir politique et de la légitimité de l’État. Leurs approches diffèrent quant à la nature de l’état de nature et les modalités du contrat social.

1. Thomas Hobbes (1588-1679)

  • Œuvre principale : Le Léviathan (1651).

  • Thèse centrale :
    Dans l’état de nature, les hommes vivent dans une anarchie marquée par la violence et la peur.

    • Citation célèbre : « L’homme est un loup pour l’homme » (homo homini lupus).
    • Cette situation d’insécurité constante pousse les individus à conclure un contrat social, instituant un État qui garantit l’ordre et la sécurité.
  • Caractéristiques du contrat social selon Hobbes :

    • Les individus renoncent à leur liberté individuelle au profit d’un pouvoir souverain.
    • Le souverain (incarné par l’État) n’est pas lié par les termes du contrat.
  • Critiques :

    • La théorie de Hobbes est parfois considérée comme une apologie du totalitarisme, car elle confère à l’État un pouvoir absolu et irrévocable.

2. John Locke (1632-1704)

  • Œuvres principales : Deux traités du gouvernement civil (1690).

  • Locke est souvent présenté comme le père du libéralisme.

  • Thèse centrale :
    Contrairement à Hobbes, Locke considère que l’état de nature n’est pas chaotique, mais plutôt un état de relative harmonie.

    • Les individus y jouissent de droits naturels, tels que la liberté et la propriété.
    • Le contrat social n’est pas une renonciation à ces droits, mais une concession partielle pour garantir une meilleure protection de ces droits.
  • Caractéristiques du contrat social selon Locke :

    • Le souverain est lié par le contrat et doit respecter les droits fondamentaux.
    • Si le souverain viole ces droits, les individus ont un droit de résistance à l’oppression.
    • Les droits naturels (liberté, propriété) sont inaliénables et subsistent après la conclusion du contrat.
  • Conséquences :
    Locke propose une vision équilibrée du pouvoir, qui limite l’autorité de l’État et fonde les bases des démocraties modernes.

3. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)

  • Œuvre principale : Du contrat social (1762).

  • Thèse centrale :
    Pour Rousseau, l’état de nature est un état de liberté totale, mais marqué par des inégalités croissantes dues à l’apparition de la propriété.

    • Les hommes concluent un contrat social pour restaurer leur liberté et instaurer une égalité politique.
  • Caractéristiques du contrat social selon Rousseau :

    • La souveraineté appartient au peuple, et non à un souverain individuel.
    • Le fondement de l’autorité est la volonté générale, qui exprime les intérêts communs de tous les citoyens.
    • Article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) : « La loi est l’expression de la volonté générale. »
  • Conséquences :

    • Rousseau prône une forme de démocratie directe, où les citoyens participent à l’élaboration des lois.
    • En adhérant au contrat social, les individus ne perdent pas leur liberté, car ils obéissent à leurs propres lois.
  • Critiques :

    • La théorie repose sur des postulats théoriques (l’état de nature, le contrat social) sans preuve historique.
    • L’unanimité nécessaire pour conclure un tel contrat est irréalisable dans les faits.

C) Analyse et limites de la théorie du contrat social

  1. Une construction théorique :
    Le contrat social n’a jamais existé historiquement. Il s’agit d’un modèle intellectuel pour expliquer la formation de l’État et les bases de son autorité.

  2. Des visions divergentes :

    • Hobbes met l’accent sur la nécessité d’un État puissant pour éviter le chaos.
    • Locke défend un État limité qui protège les droits individuels.
    • Rousseau valorise l’égalité politique et la souveraineté populaire.
  3. Critiques générales :

    • L’état de nature est une fiction sans fondement empirique.
    • La conclusion unanime d’un contrat social est peu réaliste.
    • Les sociétés modernes sont bien plus complexes que ce que ces théories supposent.

 

Conclusion : Influence sur la pensée moderne.  Malgré leurs limites, les théories du contrat social ont profondément marqué la philosophie politique et le droit constitutionnel. Elles ont inspiré :

  • Les révolutions démocratiques (révolution américaine, révolution française).
  • Les droits fondamentaux, comme ceux inscrits dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789).
  • La réflexion sur la légitimité du pouvoir et les droits des citoyens face à l’État.

 

 

II ) La théorie de l’institution

La théorie de l’institution, conceptualisée par le juriste Maurice Hauriou au début du XXᵉ siècle, propose une vision distincte de l’origine de l’État, par opposition à la théorie du contrat social.

Les fondements de la théorie

  1. L’État comme institution :
    Selon Hauriou, l’État résulte de la volonté d’un groupe d’individus de mettre en commun leurs moyens pour instaurer un ordre social et politique.

    • Contrairement à la théorie du contrat social, qui repose sur une fiction contractuelle entre individus, Hauriou conçoit l’État comme un phénomène consensuel, basé sur une collaboration progressive et non sur un pacte unique et originel.
  2. Distinction entre l’État et les gouvernants :
    L’État est une entité indépendante des individus qui exercent le pouvoir. Il acquiert une existence propre, détachée de ceux qui le dirigent, et garantit la continuité du pouvoir au-delà des circonstances ou des personnes.

Les conséquences de cette théorie

  1. Une légitimité permanente :

    • L’État devient une institution stable et pérenne. Sa légitimité ne dépend pas des individus au pouvoir, mais de son rôle en tant qu’entité régulatrice de la société.
    • Ce principe se traduit par la permanence de l’autorité de l’État, même en cas de disparition ou de remplacement du chef de l’État.
    • Exemples historiques :
      • En 1974, après le décès du président Georges Pompidou en France, le président du Sénat, Alain Poher, a immédiatement assuré l’intérim présidentiel, garantissant la continuité de l’État.
      • Aux États-Unis, après l’assassinat du président John F. Kennedy en 1963, le vice-président Lyndon B. Johnson a prêté serment pour le remplacer, dans l’avion transportant le corps du président.
  2. Interdiction de toute rupture dans l’exercice du pouvoir :
    La théorie de l’institution garantit une transition fluide du pouvoir grâce à des mécanismes prévus par les institutions elles-mêmes. Cela renforce la stabilité de l’État, même en temps de crise.

  3. Détachement des gouvernants :
    L’État ne se confond pas avec les individus au pouvoir. Il dépasse les circonstances historiques ou politiques pour s’imposer comme une structure autonome.

Un exemple emblématique : les États-Unis

La formation des États-Unis illustre bien la théorie de l’institution.

  • Les colonies américaines, après leur indépendance, ont collaboré pour créer un cadre institutionnel commun (la Constitution de 1787).
  • Ce processus témoigne d’une volonté collective de construire un ordre politique stable et pérenne, distinct des dirigeants eux-mêmes.

Les apports de la théorie de l’institution

La théorie de l’institution offre plusieurs perspectives novatrices :

  1. Pérennité et résilience :
    L’État transcende les crises et les changements de dirigeants, assurant la continuité de l’autorité.
  2. Vision organique :
    L’État est conçu comme une institution vivante, évoluant avec la société qu’il régule.
  3. Légitimité renouvelée :
    La théorie met l’accent sur la nécessité d’un consensus collectif, plutôt que sur une adhésion contractuelle, pour fonder la légitimité de l’État.

 

Caractéristique Théorie du contrat social Théorie de l’institution
Origine de l’État Contrat fictif entre individus Volonté collective et phénomène consensuel
Nature de l’État Résultat d’un pacte initial Institution détachée des gouvernants
Pérennité de l’État Peu abordée, car l’accent est mis sur la création Assurée, même en cas de crise ou de disparition des dirigeants
Exemple emblématique Conceptions théoriques (Hobbes, Locke, Rousseau) Formation des États-Unis, transitions politiques stables

 

La théorie de l’institution, en insistant sur le caractère consensuel et progressif de l’État, offre une approche pragmatique de la formation et de la permanence de l’autorité étatique. Cette théorie est particulièrement pertinente pour comprendre les mécanismes de résilience des États modernes face aux crises et leur capacité à maintenir leur légitimité indépendamment des personnes au pouvoir.

 

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Isa Germain

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