Les origines de la construction européenne avant 1945

Les origines de la construction européenne, avant la seconde Guerre Mondiale

« L’Europe sera unie ou elle sera cosaque, l’agglomération de l’Europe arrivera tôt ou tard par la force des choses : l’impulsion est donnée, et je ne pense pas qu’il y ait en Europe, d’autre équilibre que l’agglomération des grands peuples ». NAPOLEON

L’unification de l’Europe s’appuie sur de longues traditions intellectuelles, morales ou encore spirituelles, trouvant elles-mêmes leurs sources dans l’Antiquité. A cet égard, les conquêtes de Rome et la romanisation du monde conquis, ont permis l’expansion d’une civilisation et d’une culture fondées à la fois sur l’humanisme hellénique et, à partir des derniers siècles de Rome, sur le christianisme.

Ce double apport n’a cessé de nourrir la tradition européenne, laquelle, malgré les invasions, s’est perpétuée sur cette partie limitée de l’Empire Romain que constitue l’Europe occidentale.

SECTION I : L’idée d’Europe, du moyen-âge au 19ème siècle

A partir de la fin du Moyen Âge, apparaissent des Etats monarchiques centralisés qui se donnent des administrations, des armées permanentes, des impôts réguliers, et disposent ainsi de forces considérables. Ces Etats sont : la France, l’Espagne, la Grande-Bretagne, puis la Pologne et la Russie.

A l’émiettement féodal succède la formation de grandes unités rivales, mais non pas d’une entité unique.

Le seul lien qui existait alors, l’unité religieuse, disparaît à son tour. L’Europe chrétienne se divise malgré elle avec les guerres de religions au 16ème siècle essentiellement.

Le cadre géographique de l’Europe des temps modernes s’est considérablement élargi par rapport au secteur limité qu’occupait l’Europe chrétienne au Moyen Âge. L’entrée de la Russie a constitué un élargissement conséquent à l’Est. Seul l’Empire Ottoman, qui n’était pas considéré comme faisant partie de l’Europe va progressivement être refoulé. Mais l’élargissement le plus spectaculaire se produisit cependant avec l’expansion coloniale, à l’époque des grandes découvertes et la conquête de nouvelles terres.

L’expansion des rivalités les plus exacerbées a donné lieu à des guerres en Europe et à l’extérieur : course à l’occupation des territoires entre les 5 plus grands territoires : France, Espagne, GB, Portugal et Hollande.

Les territoires occupés alors, étaient considérés comme des prolongements de chacun des territoires, et à aucun moment n’entendaient créer une nouvelle Europe.

Sont alors apparus des problèmes pour préserver l’équilibre entre les grandes puissances, pour éviter la domination d’un Etat sur les autres : système d’alliances.

Aux 17ème et 18ème siècles, on assiste à la naissance du système de l’équilibre. Selon ce principe, les grandes puissances s’équilibraient et se contrôlaient toutes plus ou moins. Le traité d’Utrecht (aux Pays-Bas) de 1713 évoque « le juste équilibre des puissances ». Ce système va correctement fonctionner au 17ème siècle, et permet d’assurer la stabilité entre les 5 grandes nations de l’époque (France, Angleterre, Russie, Prusse, Autriche).

Mais la révolution française va tout bouleverser. Elle apporte de nouveaux principes comme la DDHC, mais aussi comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et va mettre à bas des idéologies révolutionnaires qui, à l’époque, faisaient des adeptes en Angleterre, en Italie … et les monarchies qui entouraient la France se sont alors coalisées pour lutter contre une France trop puissante.

Arrive Napoléon et l’expansion va se poursuivre à la faveur de la lutte contre l’Angleterre et ses alliés. En 1811, l’Empire français comptait 130 départements et s’étendait de Hambourg à Rome. Il était, en outre, entouré d’Etats vassaux dont certains dépendaient de Napoléon. A partir de 1814, les monarques européens se mettent d’accord pour revenir au système européen traditionnel, tel qu’il existait avant la révolution française, mais en le fortifiant : concert européen.

Pour METTERNICH, chancelier d’Autriche, « il fallait restaurer l’Europe de l’équilibre et du droit des gens ». Ce point de vue était partagé par TALLEYRAND (royaliste sous Louis XVI, Ministre des Affaires Etrangères de Napoléon, puis de Louis XVIII, puis ambassadeur sous Louis-Philippe) et CASTLEREAGH. Ce fut ici l’œuvre du Congrès de Vienne, qui redessina la carte de l’Europe (après la bataille de Waterloo) en tenant compte de deux principes : la légitimité et l’équilibre. Légitimité car les chefs d’Etats naturels sont des princes, et équilibre car les princes ont le droit de conserver leurs biens et de se défendre contre les entreprises hégémoniques.

La sainte alliance, conclue le 26 septembre 1815 entre la Russie, la Prusse et l’Autriche, évoquait l’existence d’une nation chrétienne existant au-dessus des nations européennes, ainsi que la nécessaire solidarité des monarques, parce que les monarques sont tous frères ou cousins, ont les mêmes intérêts suprêmes, et doivent céder en cas de besoin. Cette alliance a été précisée par le traité secret du 20 novembre 1815 entre la Russie, la Prusse, l’Autriche et l’Angleterre, car elle prévoyait une action commune, si la France menaçait à nouveau le repos des autres Etats. Ce traité secret a aussi prévu des conférences périodiques entre les puissances « afin de se consulter sur les intérêts communs, et d’examiner les mesures propres à assurer le repos et la prospérité des peuples et le maintien de la paix en Europe ».

A partir de 1818, la France des Bourbons a été admise dans ce concert européen qui comprenait alors les 5 grandes puissances (France., Grande-Bretagne, Prusse, Autriche., Russie). Ce concert européen était une forme de directoire des grandes puissances, une sorte de gouvernement de fait de l’Europe, qui s’est révélé plutôt efficace de 1824 à 1914, et nombre de questions politiques intéressant l’ensemble du continent sont réglées dans ce cadre.

Ainsi, la conférence de Londres de 1830 a permis de régler l’affaire Belge.

Une autre évolution notable a eu lieu en 1856, à la conférence de Paris, qui admet l’Empire Ottoman dans le concert européen.

En 1878, à Berlin, est réglée la question Balkanique.

En 1885, toujours à Berlin, c’est la question des frontières coloniales qui est réglée.

Mais en 1870, ce concert s’est révélé inefficace lorsque 2 grands Etats s’affrontent (France et Prusse), tout comme en 1914. Au lendemain du premier conflit mondial, en 1918 et après, le problème de l’organisation de l’Europe en tant que continent commence à être clairement perçu. Mais il faut attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour que ces projets se concrétisent.

SECTION II : Les différentes tentatives d’organisation de l’Europe avant la Seconde Guerre Mondiale

La volonté de doter le continent européen de structures de coopération capables d’assurer la sécurité collective et la prospérité économique, est antérieure à la mise en place des organisations fondées après 1945, ce que l’on appelle aujourd’hui communément « l’idée d’Europe », idée ancienne dont on trouve de nombreuses traces.

  • 1. Les précurseurs de l’idée européenne

En dépit des guerres innombrables, du haut du Moyen Âge à la première guerre mondiale, de nombreuses voix se sont élevées pour déplorer le morcellement de l’Europe. Dès le début du XIVe siècle, ont fleuri des plans pour une unification politique. À cette époque, certains éprouvaient une certaine nostalgie pour l’empire chrétien.

Ainsi, au début du XIVe siècle, DANTE souhaitait la soumission des monarques à l’empereur pour assurer la paix universelle. Mais cette conception était déjà dépassée en son temps, car les souverains ne voulaient plus de l’arbitrage du pape ou de l’empereur. Il fallait donc trouver un moyen d’arbitrer quand même. Comme ce projet ne pouvait fonctionner, Pierre Dubois proposa que cette fonction d’arbitre soit exercée par une assemblée de délégués de princes.

En 1464, le roi de Bohême, Georges de PODEBRADY abondait également dans ce sens.

En 1623, Emeric CRUCEE (prêtre et professeur de mathématiques) publie le nouveau Cyne, ouvrage dans lequel il préconise l’organisation de la paix internationale par l’arbitrage. Il envisageait qu’une assemblée permanente siège à Venise afin d’exercer cette fonction d’arbitre, ce qui permettrait à la fois le maintien et le développement des échanges économiques.

De son côté Sully (premier ministre d’Henri IV) prêtait à Henri IV le grand dessein de réorganiser l’Europe en 15 États de forces égales dont les délégués formeraient un conseil général chargé d’arbitrer et disposant des forces armées.

En 1693, William PENN publia un essai sur la paix en Europe dans lequel il préconise l’institution d’une diète européenne qui aurait été composée de représentants des Etats, en nombre proportionnel à l’importance démographique et économique de chacun d’entre eux. Cette diète aurait dû prendre ces décisions à la majorité des ¾ et disposerait également d’une armée pour les faire respecter. Si un tel projet voyait le jour, selon William PENN, ainsi régnerait la paix et pourraient se développer le commerce et la prospérité d’autant qu’il deviendrait possible de faire des économies d’armée.

Dans sonProjet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, l’abbé de Saint-Pierre envisageait le projet de sécurité collective garantissant l’existence et l’intégrité des Etats participants (décision à la majorité des 2/3). Mais ses idées étaient novatrices et furent mal vues.

Jérémie BENTHAN, juriste anglais, dans son ouvrage plan d’une paix universelle et perpétuelle rédigé en 1789, introduit une idée nouvelle, celle de la pression de l’opinion publique internationale.

KANT, en 1795, dans son Projet de paix perpétuelle, préconise l’établissement d’une société des nations sur la base d’un « État de droit » international. Dans son ouvrage, il esquisse une véritable théorie pacifiste et internationaliste.

Ces différents projets d’union européenne qui se sont succédés présentent de nombreuses similitudes, et notamment la nécessité d’un arbitre, d’un conseil de représentants des Etats, disposant d’un certain pouvoir et le respect de la souveraineté. Tous ces différents projets sont restés de l’utopie ou au mieux, de la réflexion. Il a fallu attendre le XIXe siècle pour que ces projets se développent et se précisent. Ils se développent encore plus à partir de 1814.

En 1814, le comte Henri de Saint-Simon rédige un texte dans lequel il entend fonder une nouvelle Europe sur une religion (l’esprit des lumières, le progrès et la foi dans la science) et le parlementarisme, qui est selon lui la meilleure forme de gouvernement. Sa théorie a eu beaucoup de succès sauf au congrès de Vienne. Il prédit l’avènement d’une communauté européenne disposant d’un parlement supranational après une période de guerre et de révolution.

En 1849, Victor Hugo (pro-européen), à l’occasion d’un congrès de la paix, lance un appel à l’unité du continent européen. Il souhaite fonder « les États-Unis d’Europe ». Selon lui, « un jour viendra où les bombes seront remplacées par le vénérable arbitrage d’un grand Sénat souverain qui sera à l’Europe ce que l’assemblée législative est à la France ». En 1840, FOURIER préconisait « l’établissement d’une souveraineté qui soit supérieure à la souveraineté de chaque État ».

PROUDHON, dans son Principe fédératif de 1863, estimait que la constitution d’une Europe devait se faire à condition de décentraliser les grands Etats avant de les fédérer, ainsi que de multiplier les communautés à l’échelle de l’Europe. À la fin du XIXe siècle, l’Europe n’est plus d’actualité. Certains Etats se tournent vers le nationalisme comme la Prusse, ou vers l’internationalisme avec l’émergence des États-Unis et du Japon.

En 1908, Georges SOREL écrivait : « en Amérique, on a fédéré des gens tous pareils les uns aux autres, vivant dans des Etats tous pareils. Comment ferez-vous pour fédérer des slaves ou religieux ou mystiques révolutionnaires ; des Scandinaves assagis ; des Allemands ambitieux ; des Anglais jaloux d’autorité ; des Français avares ; des Italiens souffrant d’une crise de croissance ; des Balkaniques braconniers ; des Hongrois guerriers. Comment calmerez-vous ce panier de crabes qui se pincent toute la sainte journée ? Malheureuse Europe, pourquoi lui cacher ce qui l’attend ? Avant 10 ans, elle sombrera dans la guerre et l’anarchie, comme elle l’a toujours fait 2 ou 3 fois par siècle ».

  • 2. Les projets de l’entre-deux guerres

La 1ère Guerre Mondiale a transformé les problèmes car l’Europe s’est retrouvée affaiblie par le conflit, notamment du fait qu’elle ait été morcelée politiquement à la suite des traités de paix. La nécessité d’unité est devenue de plus en plus pressante pour maintenir la paix et la prospérité, mais également parce que émergent de nouvelles puissances (États-Unis, Japon). C’est la première fois que l’Europe est concurrencée.

Certains auteurs comme Paul VALERY ou Thomas MAN, ont fait partie d’un mouvement pour une Europe unie. En 1923, Richard COULENHOVE KALERGI publie à Vienne son manifeste Paneuropa, qui est fondé sur des abandons de souveraineté consentis par des Etats européens. Pour se faire, il va prendre l’exemple de la Suisse, des Etats-Unis, ou encore de l’Allemagne pour montrer qu’on peut avoir un seul véritable Etat.

« La question de l’Europe se résume en deux mots : unification ou écroulement ». Richard COULENHOVE KALERGI.

Cet ouvrage a suscité l’intérêt de nombreux intellectuels et en 1926, il réunit à Vienne le congrès constitutif de l’union européenne auquel participe plus de 2000 personnes. Au cours de ce congrès furent définis les principes d’une Europe confédérale.

En 1924, un autre auteur, HEERFORDT, publie un essai intitulé Europa Communis, dans lequel il critique la Société Des Nations dont la faiblesse indique déjà qu’elle n’interdit pas véritablement le recours à la guerre. Il dessine un nouvel État européen. Il envisage l’institution d’un nouvel État fédéral.

Au cours des années 20-30, on peut observer de plus en plus de mouvements d’intellectuels.

En 1929, le comte SFORZA parle aussi des États-Unis d’Europe. De nombreux auteurs y font également référence. Mais l’un des Etats européens pose problème : la Grande-Bretagne.

D’ailleurs à ce sujet, Édouard HERRIOT publie Europe en 1930, un ouvrage dans lequel il préconise une Union Européenne dans le cadre de la Société Des Nations avec l’adhésion de la Grande-Bretagne. C’était, à l’origine, un projet qu’Aristide Briand avait proposé avec le soutien de son homologue allemand, STRESEMANN (ministre des affaires étrangères allemandes), au gouvernement européen dans son discours du 5 septembre 1929 devant l’assemblée générale de la Société Des Nations à Genève : la création d’une Union Européenne sans perte de souveraineté. Dans son discours, Aristide Briand associe les termes d’« État fédéral » à « association » et « souveraineté » : mais ainsi le projet n’est pas vraiment défini.

Pour Pierre Henri TETJEN, ce projet est extrêmement important car c’est la véritable première proposition gouvernementale d’instauration d’une confédération européenne après plus de six siècles de préparation doctrinale. Lorsque Aristide Briand a proposé son projet, il a été acclamé. Mais en France, ce projet a été sévèrement accueilli : la droite était sceptique et ironique, tandis que la gauche ne le trouvait pas assez ambitieux. En Allemagne, les avis étaient également partagés. La Grande-Bretagne quant à elle, était très réticente.

Mais il a persévéré et en 1930, ses idées furent reprises dans un Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’union fédérale européenne, rédigé par Alexis Léger, un diplomate français. À la différence de Briand, il axe son discours sur la politique. Dès février 1930, le Royaume-Uni s’est opposé à ce projet. Churchill craignait de futures rivalités et les hostilités intercontinentales qui pourraient s’ensuivre.

De son côté, Staline n’y voyait qu’une machine de guerre contre l’URSS.

Pour TETJEN, cette proposition est arrivée ou trop tôt ou trop tard. Trop tôt car « l’Europe ne savait pas encore à quelle horreur la conduirait le nationalisme devenu fou ». Trop tard car la crise économique frappait le monde depuis 1929, et la montée du fascisme et du nazisme et exacerbait les nationalismes.

Par la suite, rien ne put être réalisé et l’impérialisme de puissances totalitaires a pu imposer son modèle.

À la suite de la deuxième guerre mondiale, il a fallu attendre la ruine totale du continent et le déclin tant politique qu’économique des Etats européens, pour que se créent les conditions d’un renouveau. Les lendemains de la seconde guerre mondiale furent très difficiles pour l’Europe, car c’est là qu’elle a pris conscience de sa faiblesse (elle était à la fois morcelée et dominée par deux superpuissances). Elle avait subi l’une des plus horribles guerres de l’humanité.

Le 19 septembre 1946, Churchill prononce un discours retentissant à l’université de Zurich dans lequel il déplore l’échec des rêves d’avant-guerre et appelle de ses voeux le développement de groupements européens. Il conclut son discours ainsi : « que l’Europe se lève ». En effet, il souhaite l’Europe mais ne veut pas y appartenir. Il voulait se présenter comme l’ami et le garant de la nouvelle Europe, mais pas comme partie prenante. Il appartenait déjà au Commonwealth, et il s’estimait suffisamment puissant, se voyant comme un gagnant. Dans les mois suivants, Churchill fonda le mouvement pour l’Europe unie dont il prit la tête.

À cette époque de multiples associations européistes voient le jour. En 1946, est créée à Paris l’Union Européenne des fédéralistes, qui recoupe une cinquantaine d’organisations réparties dans 16 pays. On ne veut plus imposer l’Europe par la force, mais il s’agit de construire l’Europe dans le respect des diversités nationale. Cette nouvelle Europe réside dans la liberté des Etats : il fallait l’approbation des peuples et du parlement. À partir de là, de nombreuses organisations vont voir le jour.