La relativité du contrat.
Au terme de l’article 1165 du Code civil, le contrat ne produit d’effet qu’entre les parties contractantes et non à l’égard des tiers, c’est le principe de l’effet relatif du contrat.
Section 1 : Le principe de l’effet relatif du contrat.
L’article 1165 du Code civil dispose : « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 ». L’opposition entre les parties et les tiers procède d’une simplification qui ne rend pas compte de la complexité de la situation. Entre les parties et les tiers, il existe une catégorie intermédiaire de personnes qui, sans s’identifier aux parties, ne leur sont pas étrangères.
- 1. La situation des parties.
Les parties entre lesquelles le contrat va développer tous ses effets sont les contractants eux-mêmes, qu’ils aient conclu personnellement ou par un représentant. Il faut leur assimiler les ayants cause à titre universel ainsi que les cessionnaires du contrat.
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Pour les ayants cause à titre universel (celui qui recueille l’intégralité ou une quote-part du patrimoine de l’auteur), le principe est celui de leur transmission des créances et dettes de leur auteur. Ils deviennent partie au contrat auquel l’auteur était partie. Il y a deux exceptions : les contrats dans lesquels il est stipulé que le contrat prend fin au décès d’un contractant et les contrats conclus intuitu personae. Pour les cessionnaires, la cession du contrat transforme un tiers, le cessionnaire, en partie contractante ; la cession est légale ou conventionnelle.
- 2. Les tiers absolus.
Le principe de l’effet relatif du contrat s’applique aux penitus extranei, qui sont étrangers au contrat et aux contractants. Selon l’article 1165 du Code civil, « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 », c’est l’hypothèse de la stipulation pour autrui ; ces termes sont excessifs, cela pourrait laisser entendre que le contrat est sans effet à l’égard des tiers, ce qui est faux.
Il faut distinguer exécution et opposabilité. Selon l’article 1165 du Code civil, le contrat ne peut rendre un tiers ni créancier ni débiteur ; mais le contrat, acte juridique pour les parties, est un fait juridique à l’égard du tiers, dont nul ne peut ignorer l’existence, c’est l’opposabilité aux tiers : ils peuvent invoquer l’existence du contrat contre l’une des parties, il arrive que du fait d’un contrat un tiers acquiert contre une partie un droit que, sans ce contrat, il n’aurait pas eu.
C’est le cas surtout dans l’hypothèse où la mauvaise exécution du contrat cause un préjudice à un tiers qui peut en demander réparation au contractant fautif (Req., 5 mai 1924 ; RTDCiv. 1924 : ouvrier admis à agir contre le fabricant de dynamite)
Les parties peuvent opposer l’existence du contrat aux parties. La solution est évidente pour les contrats translatifs ou constitutifs de droits réels, ces contrats créent une situation nouvelle que les tiers ne peuvent ignorer, le droit réel est un droit opposable erga omnes. La solution est également vraie pour les contrats qui ne font naître qu’un droit de créance, le créancier est bénéficiaire d’un droit acquis que les tiers ne sauraient méconnaître.
Les tiers ne peuvent pas conclure avec le débiteur une convention qui s’opposerait à ce que le débiteur exécute ses engagements antérieurs, sinon les tiers se rendent complices de la violation d’obligations contractuelles, ce qui engage leur responsabilité (article 1382 du Code civil) : si un salarié se fait embaucher par un nouvel employeur sans être libéré par le premier employeur, le nouvel employeur est complice de la violation s’il est au courant (Civ., 27 mai 1908 ; D. 1908 I p459).
Dans le cadre de la promesse unilatérale de vente, le promettant s’engage ; si, dans le délai de levée d’option, le promettant vend à un tiers qui est au courant, le promettent et le tiers commettent une violation des obligations. La responsabilité du tiers complice ne sera engagée qu’à condition qu’il ait eu connaissance du contrat précédent. La sanction de cette responsabilité sera des dommages et intérêts alloués au créancier dont les droits ont été méconnus. Dans certaines circonstances, on peut avoir une inopposabilité du second contrat au créancier.
- 3. Les situations intermédiaires.
a) Les créanciers chirographaires.
Nantis d’aucune sûreté, ils bénéficient du droit de gage général des articles 2092 (quiconque s’est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir) et 2093 du Code civil (les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence).
Ce droit de gage général leur permet de recourir éventuellement à l’exécution forcée ; ils ne sont donc pas des tiers absolus par rapport à l’acte que passe leur débiteur parce qu’ils souffriront ou ils bénéficieront de la fluctuation du patrimoine de leur débiteur. Pour tenir compte de ces intérêts, la loi les place dans une situation particulière.
Une action leur est ouverte pour leur rendre inopposables les contrats qui viennent ruiner ce droit de gage général : l’action paulienne, action par laquelle le créancier tente de faire révoquer l’acte de son débiteur accompli en fraude de ses droits. Il dispose aussi de l’action oblique de l’article 1166 du Code civil (néanmoins les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne).
Il n’y a pas véritablement exception à l’effet relatif de l’article 1165 du Code civil parce que le créancier ne va pas invoquer à son profit directement l’obligation contractuelle : en exerçant l’action oblique, il fait tomber la créance de C dans le patrimoine de B, son débiteur, et non dans le sien, et ensuite il exercera une saisie ; l’action oblique a pour résultat d’enrichir le patrimoine du débiteur et non du créancier.
Dans l’hypothèse où le créancier chirographaire est titulaire d’une action directe, il y a exception à l’effet relatif de l’article 1165 du Code civil, car la loi offre alors au créancier un privilège sur la créance et un moyen de paiement simplifié. A la différence des deux actions précédentes, l’action propre donne au créancier un droit propre contre son sous-débiteur, le sous-débiteur devient alors débiteur direct du créancier, sans intervention du patrimoine du débiteur. En matière d’indemnité d’assurance, le créancier dispose d’un droit direct contre l’assureur.
b) Les ayants cause à titre particulier.
Ce sont ceux auquel leur auteur n’a transmis qu’un droit ou un bien déterminé. L’acheteur est l’ayant cause à titre particulier du vendeur, le donataire est l’ayant cause à titre particulier du donateur. L’ayant cause à titre particulier devient-il créancier (ou débiteur) à la place de son auteur ? Ces ayants cause à titre particulier peuvent-ils exiger l’exécution d’un contrat passé par leur auteur ? Le législateur a réglé la situation dans certains cas particuliers.
La vente de la chose entraîne le transfert à l’acquéreur des contrats qui lui sont relatifs (en matière d’assurance : article L. 121-10 du Code des Assurances). L’article L. 122-12 du Code du Travail. oblige l’acquéreur de l’entreprise à poursuivre les contrats de travail en cours. En matière de bail, l’article 1743 du Code civil interdit à l’acquéreur d’un immeuble loué d’expulser le preneur à condition que le bail ait date certaine (si le bailleur vend la chose louée, l’acquéreur ne peut expulser le fermier, le colon partiaire ou le locataire qui a un bail authentique ou dont la date est certaine). Selon l’article 1646-1, al.2 du Code civil, l’obligation de garantie de vice caché dans le contrat de vente d’immeuble à construire, à laquelle est tenue le vendeur, bénéficie aux propriétaires successifs de l’immeuble (ces garanties bénéficient aux propriétaires successifs de l’immeuble). Les parties ont pu prévoir une cession de créance.
En dehors de ces cas, la jurisprudence, récemment, sans aucun texte, a admis une action directe en responsabilité en cas de contrats successifs portant sur un même bien (chaîne de contrats). Le sous-acquéreur peut agir directement contre le vendeur initial (le fabricant) en garantie des vices cachés de la chose. Depuis 1979, l’action exercée par le sous-acquéreur a pour fondement le premier contrat de vente, le sous-acquéreur va invoquer les droits du premier acquéreur.
Auparavant, il fallait agir sur le terrain délictuel alors qu’aujourd’hui c’est sur le terrain contractuel. Cette action a vu son champ s’élargir, dès lors qu’il y a transfert d’un bien le nouveau titulaire d’un bien « jouit de tous les droits et actions attachés à la chose, qui appartenaient à son auteur, et ce quelque soit la nature juridique du contrat par lequel s’est effectué le transfert » (Ass. Plén., 7 février 1986 ; JCP 1986 II p20616 note Malongo ; D. 1986 p293 note Bénabent). Celui qui fait construire (contrat d’entreprise) peut agir directement contre le fournisseur de matériaux.
La jurisprudence a tenté d’aller beaucoup plus loin et de dégager la notion de groupe de contrats, pour en déduire que tous ceux qui n’ont souffert d’un dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contrat initial, disposent d’une action directe en responsabilité qui repose sur ce contrat initial (Civ. 1, 21 juin 1988 ; JCP 1988 II p21215 note Jourdain ; RTDCiv. 1989 p74 obs. Mestre). L’assemblée plénière est venue donner un coup d’arrêt à cette évolution (Ass. Plén., 12 juillet 1991 ; JCP 1991 II p21783 note Vinet ; D. 1991 somm. p321 obs. Aubert ; D. 1992 somm. 119 n°16 obs. Bénabent), à propos du contrat de sous-traitance : l’action en responsabilité ne se transmet pas au maître d’ouvrage, le client ne peut agir comme n’importe quel tiers qu’en invoquant la responsabilité délictuelle.
Seules les actions en responsabilité attachées à une chose se transmettent avec celle-ci, l’action directe en responsabilité contractuelle nécessite le transfert de propriété d’une chose (contrat de vente, et pour partie seulement les contrats d’entreprise, si l’entrepreneur construit ou fabrique une chose). En revanche, il n’y a pas de transfert dans les contrats de service, notamment dans l’hypothèse de sous-traitance, du sous-dépôt.
Dans tous les cas où il n’y a pas transfert d’action contractuelle, il reste la possibilité d’agir sur le terrain de la responsabilité délictuelle. Le maître d’ouvrage (le client) envisagé comme un tiers au contrat de sous-traitance pourra invoquer la faute du sous-traitant pour obtenir réparation. Dans une chaîne de vente, il y a possibilité d’action directe, de même s’il s’agit d’une vente et d’un contrat d’entreprise, ou d’un contrat d’entreprise et d’un contrat de vente ; s’il s’agit de deux contrats d’entreprise, seule est possible l’action en responsabilité délictuelle.
Les effets du transfert sont que celui qui va agir (le sous-acquéreur, le maître de l’ouvrage) n’exerce que l’action de son auteur, qui lui a été transmise, il n’exerce pas une action propre. C’est exclusivement par le premier contrat que s’appréciera l’action, il se verra opposer la prescription qui court à partir de la première vente, ou les clauses de non responsabilité qui figuraient dans ce contrat. Si le sous-acquéreur agit en résolution du contrat, il ne pourra obtenir la restitution du prix qu’à concurrence du premier prix et non de ce qu’il a lui-même payé.
Section 2 : Les exceptions au principe de l’effet relatif du contrat.
Indépendamment de l’action directe, il existe une seule exception, c’est la stipulation pour autrui : c’est une opération juridique par laquelle une partie, le stipulant, obtient de son cocontractant, le promettant, qu’il donnera ou qu’il fera quelque chose au profit d’un tiers parfaitement étranger à la convention. Le tiers bénéficiaire va acquérir un droit direct contre le promettant alors qu’il n’a pas été partie au contrat (contrat d’assurance en cas de décès : assureur, assuré, bénéficiaire en cas de décès). Le promettant verse un capital directement entre les mains du bénéficiaire sans entrer dans le patrimoine du stipulant.