Les pouvoirs du gouvernement

Le gouvernement français est une institution centrale dans le régime parlementaire, doté d’une responsabilité politique mentionnée explicitement dans la Constitution. Cependant, cette responsabilité est nuancée par le poids considérable accordé au Président de la République, ce qui distingue le régime parlementaire français des régimes parlementaires classiques.

    • Le Président de la République, élu au suffrage universel, joue un rôle clé, notamment en période de majorité présidentielle.
    • Le Premier ministre, chef du gouvernement, doit composer avec le Président pour former l’équipe gouvernementale et définir les orientations politiques.

Cette dualité place le gouvernement dans une position intermédiaire, entre subordination à l’Élysée et autonomie dans la conduite des affaires publiques. Ce modèle se distingue du régime présidentiel (par exemple, celui des États-Unis), où le gouvernement au sens parlementaire n’existe pas, et se rapproche des régimes parlementaires en raison de la responsabilité politique devant le Parlement.

Les compétences du gouvernement : entre collégialité et fonctions du Premier ministre

Les compétences du gouvernement peuvent être réparties en deux catégories principales :

  • Compétences collégiales : Elles sont exercées par le gouvernement dans son ensemble, en Conseil des ministres. Parmi elles :

    • L’adoption de projets de loi ou d’ordonnances.
    • La définition des grandes orientations politiques, économiques et sociales.
    • La mise en œuvre des mesures d’exception, comme l’état d’urgence ou l’état de siège.
  • Compétences du Premier ministre : En tant que chef de la majorité parlementaire, le Premier ministre :

    • Coordonne l’action gouvernementale et assure l’exécution des lois.
    • Dispose du pouvoir réglementaire (article 21 de la Constitution).
    • Peut engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale (article 49 alinéas 1 et 3).

Chaque ministre, en outre, dispose de prérogatives propres dans son domaine de compétence, lui permettant de mener des actions administratives, juridiques et politiques spécifiques.

Les régimes d’exception et de commodité. Pour faire face aux situations de crise ou accélérer la mise en œuvre des politiques, le gouvernement dispose de mécanismes constitutionnels exceptionnels :

  • Les régimes d’exception : L’état d’urgence (article 16 de la Constitution) permet au gouvernement de restreindre certaines libertés publiques et d’adopter des mesures relevant normalement de la compétence du législateur. L’état de siège transfère certains pouvoirs civils aux autorités militaires. Ces régimes sont peu utilisés en raison de leur caractère restrictif pour les droits fondamentaux.
  • Le régime des ordonnances (article 38) : Il permet au gouvernement de légiférer dans des domaines relevant du Parlement après habilitation. Il constitue un outil de régulation rapide, souvent justifié par des situations d’urgence ou des impératifs d’efficacité.

Ces dispositifs, bien qu’ils contournent temporairement le processus législatif classique, nécessitent toujours une validation a posteriori par le Parlement, garantissant ainsi un équilibre institutionnel.

I ) Les compétences du gouvernement, institution collégiale

A) Les régimes d’exception en cas de crise

Le gouvernement dispose de pouvoirs d’exception pour gérer des situations de crise majeures, notamment l’état d’urgence et l’état de siège, qui s’activent en cas de graves perturbations de l’ordre public ou de mouvements insurrectionnels. Par exemple :

  • En Nouvelle-Calédonie, lors des revendications pour l’indépendance.
  • Lors des émeutes urbaines de 2005 dans plusieurs banlieues françaises, qui ont conduit à la mise en place de l’état d’urgence.

L’état d’urgence permet au gouvernement d’étendre ses compétences en instaurant une légalité d’exception. Cette mesure autorise l’exécutif à adopter des dispositions normalement du ressort du législateur pour rétablir rapidement l’ordre public. Ce régime a été renforcé par des lois récentes, notamment après les attentats de 2015, avec des modifications inscrites dans le droit commun.

  • Exemple : l’État d’urgence en Nouvelle-Calédonie (mai 2024) : Face à des troubles significatifs menaçant l’ordre public, le gouvernement a instauré l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, permettant des mesures exceptionnelles pour rétablir la sécurité. Vie Publique

L’état de siège, quant à lui, représente un niveau d’exception encore supérieur, dans lequel des pouvoirs civils sont transférés aux autorités militaires. Cela engendre une réduction importante des libertés publiques et associe étroitement pouvoir militaire et pouvoir civil. Ce dispositif, prévu par l’article 36 de la Constitution, reste toutefois très rarement utilisé en pratique.

B) Le régime de commodité

Ce régime, bien que moins dramatique, constitue une forme d’exception dans la gestion de l’État, car il permet au gouvernement de recourir aux ordonnances, prévues à l’article 38 de la Constitution. Ces ordonnances autorisent l’exécutif à intervenir dans des domaines normalement réservés au législateur.

Fonctionnement des ordonnances

  • Processus de mise en œuvre :

    1. Le gouvernement demande au Parlement une habilitation par le biais d’une loi d’habilitation.
    2. Une fois cette loi votée, le gouvernement peut adopter des mesures législatives par ordonnance après délibération en Conseil des ministres et signature du Président de la République.
    3. Les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, mais elles doivent être ratifiées par le Parlement pour acquérir une valeur législative. Sans ratification, elles conservent une valeur réglementaire.
  • Encadrement par le Conseil constitutionnel : Depuis une décision du 12 juillet 1977, le gouvernement doit préciser les finalités poursuivies par les ordonnances dans la loi d’habilitation. Cela empêche un renvoi vague aux compétences générales de l’article 34.

 

Caractère exceptionnel du recours à l’ordonnance ?

Bien que gouverner par ordonnances doive rester une pratique exceptionnelle, l’article 38 offre une grande latitude au gouvernement. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, la ratification des ordonnances par le Parlement doit se faire de manière expresse, renforçant ainsi le contrôle parlementaire.

  • Si le gouvernement ne respecte pas les délais fixés par la loi d’habilitation pour déposer un projet de ratification, les ordonnances deviennent caduques et cessent de produire des effets juridiques.
  • Lorsqu’elles sont ratifiées, les ordonnances acquièrent la même valeur que les lois ordinaires, mais uniquement pour les dispositions relevant des matières législatives définies à l’article 34.

Il a été récemment de plus en plus fréquent de recourir aux ordonnances, prévues à l’article 38 de la Constitution, pour intervenir dans des domaines normalement réservés au législateur. Les ordonnances sont souvent justifiées par des motifs d’urgence ou d’efficacité :

  • Réforme du Code du travail (septembre 2017) : Le gouvernement d’Emmanuel Macron a utilisé des ordonnances pour réformer le Code du travail, visant à accroître la flexibilité du marché du travail et à stimuler l’emploi. Le Monde
  • Gestion de la crise sanitaire du COVID-19 (mars-juin 2020) : Pour faire face à l’épidémie, le gouvernement a pris 62 ordonnances entre mars et juin 2020, adaptant rapidement la législation aux nécessités sanitaires et économiques. Vie Publique
  • Autre exemple plus ancien, en 2005, le gouvernement Villepin, en concurrence avec Nicolas Sarkozy, a adopté 85 ordonnances en un an pour accélérer la mise en œuvre de réformes.
  • Pendant les périodes de cohabitation (comme sous Jacques Chirac), le recours aux ordonnances a permis de contourner des blocages entre un gouvernement et une Assemblée nationale majoritairement opposée. Cependant, avant la réforme de 2008, des pratiques comme l’utilisation abusive de l’article 49 alinéa 3 permettaient au gouvernement de faire voter des textes sans débat parlementaire, réduisant ainsi le rôle du législatif.

Limites et précautions

L’usage des ordonnances ne peut porter sur certaines matières sensibles, comme les lois organiques ou les lois de finances, qui sont soumises à des procédures spécifiques. Ce dispositif vise à préserver un équilibre entre l’exécutif et le législatif :

  • Le Parlement intervient à deux étapes clés : lors du vote de la loi d’habilitation et au moment de la ratification des ordonnances.
  • Cela permet d’éviter un abus de pouvoir de l’exécutif tout en garantissant la rapidité d’action en période de besoin.

En résumé, les compétences exceptionnelles du gouvernement, qu’il s’agisse de l’état d’urgence, de l’état de siège ou du recours aux ordonnances, témoignent de la souplesse offerte par la Constitution pour faire face à des situations diverses. Ces mécanismes permettent à l’exécutif de répondre rapidement aux crises ou d’accélérer les réformes, tout en impliquant le Parlement dans une logique de contrôle a posteriori. Toutefois, leur usage doit rester encadré pour préserver l’équilibre des pouvoirs.

 

II ) Les prérogatives propres à chaque ministre

 

Les ministres exercent un double rôle au sein du gouvernement : administratif, en tant que chefs d’une administration, et politique, en participant activement à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques. Ces responsabilités sont encadrées par des règles précises qui leur confèrent à la fois autonomie et obligations.

A) Le rôle administratif : gestion des départements ministériels

Chaque ministre est responsable d’un département ministériel. Ce rôle administratif repose sur un ensemble de pouvoirs et d’attributions, bien que l’organisation des ministères reste volontairement souple pour s’adapter aux évolutions politiques.

Organisation et pouvoirs des ministres

  • Chef d’un département ministériel : Les ministres supervisent des services qui mettent en œuvre des politiques publiques spécifiques. Ils exercent des pouvoirs classiques de gestion administrative, tels que :

    • Pouvoir hiérarchique : Contrôle des agents rattachés à leur ministère.
    • Pouvoir d’instruction : Capacité à donner des ordres pour diriger l’action administrative.
    • Pouvoir disciplinaire : Sanction des agents en cas de manquements.
    • Pouvoir de réformation : Modification ou annulation des décisions prises par leurs subordonnés.
  • Pouvoir réglementaire délégué :

    • Les ministres peuvent prendre des actes réglementaires si le Premier ministre leur délègue cette compétence, par un acte précis et limité dans le temps.
    • Le législateur peut aussi leur attribuer des compétences pour adopter des décrets d’application de lois spécifiques.
  • Pouvoir réglementaire propre : Depuis l’arrêt Jamart (1936) du Conseil d’État, chaque ministre dispose d’un pouvoir réglementaire pour organiser les services placés sous son autorité. Ce pouvoir leur permet de prendre des arrêtés réglementaires afin d’assurer le fonctionnement de leur administration.

  • Pouvoir de contreseing : En vertu de l’article 22 de la Constitution, les ministres contresignent les décrets pris par le Premier ministre. Ce contreseing les associe au pouvoir réglementaire général et engage leur responsabilité.

Suppression et modification des ministères

L’organisation ministérielle n’est pas fixée dans la Constitution. Les gouvernements successifs préfèrent maintenir une flexibilité institutionnelle, permettant la création ou la suppression de ministères par simple décret. Cette souplesse garantit une adaptation rapide aux priorités du moment.

B) Le rôle politique : participation à la stratégie gouvernementale

Au-delà de leur rôle administratif, les ministres jouent un rôle central dans la mise en œuvre et la défense de la politique gouvernementale, notamment au cours de la procédure législative.

Participation à la procédure législative

  • Défense des projets de loi : Chaque ministre défend les textes législatifs qui relèvent de son domaine de compétence devant le Parlement. Ce rôle nécessite des capacités de persuasion et une maîtrise des débats parlementaires pour obtenir l’adhésion des élus.

  • Prérogatives gouvernementales dans le processus législatif : La Constitution de 1958 confère au gouvernement une place privilégiée :

    • Fixation de l’ordre du jour des travaux parlementaires.
    • Priorité donnée aux projets de loi d’origine gouvernementale par rapport aux propositions émanant des parlementaires.
  • Révision constitutionnelle de 2008 : Cette réforme a permis de renforcer les droits du Parlement, rééquilibrant les pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Par exemple, les parlementaires ont désormais davantage d’autonomie pour fixer une partie de l’ordre du jour.

Solidarité gouvernementale : un principe essentiel

La cohésion entre les membres du gouvernement est indispensable pour maintenir l’unité et la crédibilité de l’action gouvernementale. Les divergences publiques dans l’expression de la politique gouvernementale peuvent avoir des conséquences graves :

  • Affaiblissement de l’autorité du Premier ministre : En cas de désaccords, l’image d’un gouvernement divisé peut discréditer son chef.
  • Sanctions politiques : Le non-respect de la solidarité gouvernementale peut conduire à une démission forcée. L’exemple de Jean-Pierre Chevènement, qui a démissionné à trois reprises sous François Mitterrand pour exprimer son désaccord, illustre cette conséquence.

En résumé : 

Les ministres disposent de prérogatives à la fois administratives, pour diriger efficacement leur département, et politiques, pour participer à la stratégie gouvernementale et à l’élaboration des lois. Bien que ces rôles leur confèrent une certaine autonomie, ils sont encadrés par des règles garantissant la solidarité et l’unité de l’équipe gouvernementale, essentielles à l’efficacité de l’action publique.

La révision constitutionnelle de 2008 aurait pu consacrer une distinction plus nette entre les rôles du Président de la République et ceux du gouvernement, en inscrivant dans l’article 5 que le Président définit la politique de la nation, tandis que l’article 20 spécifierait que le gouvernement la met en œuvre. Cette dissociation aurait clarifié le partage des compétences entre :

  • Le pouvoir de décision stratégique, attribué au chef de l’État.
  • Le pouvoir d’exécution, dévolu au gouvernement.

Cependant, cette distinction n’a pas été adoptée. L’article 20 de la Constitution maintient que le gouvernement « détermine et conduit la politique de la nation », ce qui entretient une certaine ambiguïté quant à la répartition des responsabilités. Ce flou juridique s’avère cependant adaptable aux réalités politiques, notamment en période de cohabitation, où le gouvernement retrouve une plus grande autonomie face au Président.

Isa Germain

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