Les pouvoirs du Premier Ministre

Une position renforcée par la Constitution de 1958 : La Cinquième République, en consolidant les institutions exécutives, a conféré au Premier ministre des compétences significatives pour garantir l’efficacité de l’action gouvernementale, malgré sa subordination politique au Président de la République.

  • Légitimité contextuelle : La légitimité du Premier ministre repose souvent sur la majorité parlementaire issue des élections législatives renouvelées tous les cinq ans. Ainsi, des figures comme Lionel Jospin (1997) ou Jacques Chirac (en tant que leader du RPR) ont vu leur autorité renforcée par le soutien populaire accordé à leur parti.

  • Hiérarchie adaptable : La relation entre le Président et le Premier ministre varie selon les périodes :

    • En période de majorité présidentielle, le Premier ministre est subordonné au Président.
    • En cohabitation, il acquiert une autonomie renforcée, devenant le véritable chef de l’exécutif.

Les pouvoirs constitutionnels du Premier ministre : Le Premier ministre joue un rôle central dans la conduite des affaires publiques grâce à des prérogatives variées, inscrites dans la Constitution et adaptables aux circonstances politiques.

 

I) Le Premier Ministre a un pouvoir général de direction du travail gouvernemental

L’article 21 de la Constitution confère au Premier ministre la mission de diriger l’action du gouvernement, ce qui en fait le coordinateur principal des politiques publiques. Cependant, cette direction s’exerce sans hiérarchie stricte, comme confirmé par l’arrêt Caissel (1969).

  1. Autorité sur l’équipe gouvernementale :

    • Le Premier ministre dispose d’un pouvoir d’instruction, lui permettant d’assurer une unité d’action au sein du gouvernement. Cela se manifeste par l’élaboration de directives ou de codes d’action.
    • Il coordonne les travaux des différents ministères et arbitre les conflits internes. En cas de désaccords entre ministres, il tranche, garantissant ainsi la cohérence gouvernementale.
  2. Nomination et révocation des ministres :

    • En vertu de l’article 8 alinéa 2, il participe à la composition du gouvernement en proposant la nomination ou la révocation des membres du cabinet, en accord avec le Président.
  3. Chef de l’administration d’État :

    • Le Premier ministre est à la tête de toute l’administration d’État, ce qui lui confère un droit de regard étendu sur la gestion publique et sur l’ensemble des structures administratives.
    • Il supervise également les politiques liées à la force armée, bien que le rôle de chef des armées reste dévolu au Président.
  4. Engagement de la responsabilité gouvernementale :

    • Il est le seul à pouvoir engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale (article 49), notamment en présentant un vote de confiance ou en recourant à l’article 49 alinéa 3 pour faire passer une loi sans vote.
  5. Solidarité gouvernementale :

    • Tous ses actes doivent être contresignés par les ministres compétents, symbolisant l’engagement collectif du gouvernement dans les décisions prises.

 

II) Le Premier Ministre a un pouvoir général de direction du territoire national

En vertu de l’article 20 de la Constitution, le gouvernement conduit la politique de la nation. Le Premier ministre, en tant que chef du gouvernement, détient des pouvoirs étendus, notamment en matière réglementaire.

Le Premier ministre est le principal détenteur du pouvoir réglementaire, qui lui permet d’édicter des normes dans plusieurs cadres constitutionnels :

  • Le pouvoir réglementaire d’exécution des lois : Prévu par l’article 21, il consiste à prendre les mesures nécessaires à l’application des lois adoptées par le Parlement. Le Premier ministre, en tant qu’autorité compétente, intervient pour préciser ou mettre en œuvre les dispositions législatives.
  • Le pouvoir réglementaire autonome : Conformément à l’article 37, le Premier ministre dispose d’un pouvoir réglementaire dans les domaines non réservés au Parlement (article 34). Cela concerne notamment les matières qui relèvent de la gestion administrative courante ou de la réglementation technique.
  • Le pouvoir réglementaire en matière d’ordre public : Ce pouvoir inclut la police administrative et la réglementation préventive dans des domaines tels que la sécurité publique, l’hygiène ou la tranquillité publique.

 

 

A) Le pouvoir réglementaire d’exécution des lois

Ce pouvoir, qualifié de subordonné, s’exerce pour permettre l’application des lois adoptées par le Parlement. Le législateur peut prévoir des mesures détaillées mais renvoyer leur mise en œuvre pratique au gouvernement, qui adopte des décrets d’application. Cela permet d’ajuster les dispositifs législatifs en fonction des besoins opérationnels.

  • Caractéristiques principales :
    • Ce pouvoir est subordonné à une loi préalable.
    • Il donne au Premier ministre la compétence pour préciser les modalités techniques et pratiques nécessaires à la mise en œuvre des dispositions législatives.
    • Les décrets d’application sont ainsi adoptés pour donner effet à des lois parfois générales ou imprécises.

Cependant, l’absence de prise de décrets dans un délai raisonnable peut poser problème. La jurisprudence et les mécanismes de contrôle ont évolué pour encadrer cette question :

  • Délai raisonnable :

    • Si la loi ne fixe pas de délai explicite, le Premier ministre doit agir dans un délai raisonnable, généralement estimé à 18 mois par la jurisprudence.
    • En cas de dépassement, la responsabilité du gouvernement peut être engagée.
  • Intervention du juge administratif :

    • Depuis 1995, le juge administratif peut prononcer des injonctions obligeant le Premier ministre à adopter un décret à une date précise.
    • Ces injonctions peuvent être accompagnées d’astreintes financières, comme ce fut le cas dans l’affaire des ostéopathes en 1995, où le gouvernement avait tardé à appliquer une loi reconnaissant cette profession.

 

B) Le pouvoir réglementaire autonome

Le pouvoir réglementaire autonome découle directement de l’article 37 de la Constitution, qui précise que « les matières autres que celles du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ». Ce pouvoir, exercé par le Premier ministre, lui permet d’intervenir dans des domaines qui ne relèvent pas de l’article 34, lequel limite strictement les compétences législatives.

Une distinction nette entre loi et règlement

  • Répartition des compétences normatives :

    • L’article 34 définit les matières législatives, qui restent encadrées par des thématiques spécifiques (par exemple, les droits civiques, les libertés fondamentales, ou encore les règles concernant la propriété).
    • À l’inverse, l’article 37 consacre un domaine réglementaire autonome, dans lequel le Premier ministre peut édicter des règles sans intervention du Parlement.
  • Une évolution dans la hiérarchie des normes :

    • Avant 1958, la législation était considérée comme la règle de principe. Avec la Cinquième République, ce schéma est inversé : le règlement devient le principe, et la loi une exception.
    • Cette évolution s’inscrit dans une logique de rationalisation parlementaire, visant à rendre l’action de l’exécutif plus rapide et efficace.

Un pouvoir autonome mais encadré

Bien que le règlement autonome confère une grande liberté au Premier ministre, il reste soumis à des principes juridiques et à des contrôles pour garantir son respect de l’ordre juridique :

  • Subordination à la loi :

    • Dans la hiérarchie des normes, le règlement est inférieur à la loi. Par conséquent, tout règlement doit respecter les lois en vigueur et peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
    • Les principes généraux du droit, élaborés par le Conseil d’État, agissent comme des garanties contre d’éventuelles dérives susceptibles de porter atteinte aux libertés fondamentales.
  • Protection du domaine réglementaire :

    • Le Premier ministre peut contester les empiètements législatifs sur le domaine réglementaire :
      • Si un amendement ou un projet de loi du Parlement empiète sur son domaine, le gouvernement peut soulever une irrecevabilité.
      • Si une loi adoptée avant 1958 empiète sur le domaine réglementaire, il peut solliciter le Conseil d’État pour qu’il constate l’anachronisme du texte.
      • Dans le cas de lois postérieures à 1958, le Conseil constitutionnel peut intervenir pour statuer sur la violation de la séparation des domaines.

Une logique pragmatique

Le pouvoir réglementaire autonome constitue un outil essentiel pour accélérer la mise en œuvre des politiques publiques. Contrairement à l’élaboration des lois, qui nécessite un processus législatif plus long, le règlement peut être adopté rapidement, notamment par délibération en Conseil des ministres. Ce mécanisme garantit une application rigoureuse de la Constitution tout en permettant à l’exécutif de répondre efficacement aux enjeux nationaux.

 

C)       Le pouvoir réglementaire en matière d’ordre public 

Le pouvoir réglementaire d’ordre public, ou pouvoir de police administrative générale, est un autre aspect essentiel des compétences du Premier ministre. Ce pouvoir est exercé sans qu’un texte législatif ne soit nécessaire, dans le but de préserver ou de rétablir l’ordre public, défini autour de trois thématiques principales : sécurité, salubrité et tranquillité publiques.

Fondements historiques et juridiques

  • Sous la IIIe République :

    • Initialement, ce pouvoir appartenait au Président de la République, comme établi par l’arrêt Labonne (1919) du Conseil d’État. Cet arrêt reconnaissait au chef de l’État la compétence de prendre des mesures générales de police administrative en dehors de toute habilitation législative.
    • Exemple : l’imposition d’un permis de conduire à l’échelle nationale, précédée d’arrêtés préfectoraux.
  • Transfert au Premier ministre :

    • Avec l’avènement de la Cinquième République et la réforme de 1958, ce pouvoir a été transféré au Premier ministre, comme confirmé par l’arrêt de principe SARL Restaurant Nicolas (1960). Dans cette affaire, le Conseil d’État a validé la compétence du Premier ministre pour adopter des mesures réglementant le commerce du gibier dans le cadre de la salubrité publique.

Champ d’application et portée

  • Ce pouvoir s’exerce dans tous les domaines où la préservation de l’ordre public l’exige, même sans base législative explicite.
  • Exemples d’application :
    • La réglementation des abattoirs.
    • La mise en œuvre de mesures sanitaires.

Encadrement juridique

  • Principe de complémentarité avec la loi :
    • Bien que le Premier ministre puisse agir sans texte, le législateur peut adopter des lois définissant les principes généraux que le pouvoir réglementaire doit respecter.
  • Obligation de mise en œuvre rapide :
    • Si le gouvernement tarde à appliquer une loi, il peut être contraint par le juge administratif, comme mentionné plus haut.

En résumé, ce pouvoir de police administrative générale reflète l’autonomie du Premier ministre dans le maintien de l’ordre public, tout en restant complémentaire aux interventions législatives.

Isa Germain

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