Les principes constitutionnels du droit des contrats administratifs

Les principes constitutionnels et le droit des contrats administratifs

Les grands principes constitutionnels s’appliquent au droit des contrats administratif. Ainsi, même si la Constitution de la Ve République n’évoque pas les contrats, le Conseil constitutionnel énonce la liberté contractuelle comme un principe constitutionnel. De plus, le principe d’égalité proclamé à l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme influe aussi sur le droit des contrats de l’administration.

D’autre part, le Conseil constitutionnel a dégagé un droit de la commande publique sur des bases constitutionnelles. Enfin, le principe de continuité du service public a été dégagé en 1999 par le Conseil constitutionnel

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P1- Les principes transversaux

La Constitution de la Ve République ne souffle mot des contrats, ce qui explique l’influence grandissante de la jurisprudence, notamment constitutionnelle, depuis les années 1980 en droit des contrats administratifs. Cela explique aussi la référence à deux grands principes : la liberté et l’égalité.

A- La liberté contractuelle

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a refusé de consacrer un principe de liberté contractuelle. Notamment, il a jugé qu’aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantie le principe de la liberté contractuelle (Conseil constitutionnel. 3 août 1994). En revanche, il admettait à l’époque qu’une violation de la liberté contractuelle soit invoquée dans le sens où elle aurait conduit à une atteinte à des libertés et droits constitutionnellement garantis (Conseil constitutionnel. 20 mars 1997. Loi créant les plans d’épargne retraite). La doctrine en déduisait que la liberté contractuelle n’avait pas valeur constitutionnelle mais estimait que la parole du juge était suffisante. Cependant, la liberté contractuelle n’est qu’une composante de la liberté et donc on peut juger que l’ensemble du droit positif procède au contraire de l’autonomie de la volonté des membres de la société qui a été posée depuis 1789 comme principe premier. Etienne Picard pose la question suivante : la liberté contractuelle des individus constitue t-elle un droit fondamental ?, juste avant le revirement jurisprudence de 1998 et il répond par la positive.

Conseil constitutionnel. 10 juin 1998. Réduction du temps de travail : le Conseil constitutionnel estime que le législateur ne saurait porter à l’économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d’une gravité telle qu’elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789. Le Conseil s’appuie sur cet article pour fonder le principe de liberté contractuelle implicitement. Désormais, le Conseil constitutionnel est explicite car il dit qu’il est loisible au législateur d’adopter à la liberté contractuelle qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regarde de l’objet poursuivi (Conseil constitutionnel. 17 mai 2013).

Concernant la liberté contractuelle des personnes publiques, elle n’a pas la même portée que celles des personnes physiques car le fondement de la liberté contractuelle des personnes physiques est la liberté individuelle et fondamentale. Or, les personnes publiques n’ont rien de fondamental car elles sont crées par la liberté des personnes physiques. Les personnes publiques n’ont donc que des compétences. Au mieux, la personne publique a un pouvoir discrétionnaire donc une capacité d’agir dans le cadre de compétences données mais ce n’est pas un arbitraire car cette action doit respecter la légalité administrative (Stéphane Rials).

Sur le principe, le Conseil d’Etat a consacré la liberté contractuelle des personnes publiques : Conseil d’Etat. Section. 28 janvier 1998. Société Borg-Warner. Mais cette liberté contractuelle ne vaut pas pour certaines matières ou actions et ces restrictions sont d’interprétation stricte car le principe de liberté demeure. Sont notamment exclus les clauses compromissoires prévoyant le recours à l’arbitrage ou les compromis réalisant l’arbitrage sauf texte particulier l’autorisant, les clauses de renonciation à l’exercice de la responsabilité mais en revanche dans cet arrêt le Conseil d’Etat a précisé que les clauses prévoyant un aménagement ou une limitation de la responsabilité du cocontractant ne sont pas exclues.

La liberté contractuelle protège également contre l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation qui troublerait les relations contractuelles. Conseil d’Etat. Ass. 8 avril 2009. Compagnie générale des eaux et Commune d’Olivet : le Conseil d’Etat a affirmé de manière générale et abstraite la solution applicable en l’espèce : « dans le cas où elle n’a pas expressément prévu, sous réserves le cas échéant de mesures transitoires, l’application des normes nouvelles qu’elle édicte à une situation contractuelle en cours à la date de son entrée en vigueur, la loi ne peut être interprétée comme autorisant implicitement une telle application de ces dispositions que si un motif d’intérêt général suffisant lié à un impératif d’ordre public le justifie et que s’il n’est dès lors pas porté une atteinte excessive à la liberté contractuelle ». Le juge précise que pour les contrats administratifs, l’existence d’un tel motif d’intérêt général s’apprécie en tenant compte des règles applicables à ces contrats, notamment du principe de mutabilité. Dans cet arrêt, l’impératif d’ordre public poursuivi par la loi qui tient à la liberté d’accès d’un opérateur économique à une DSP ne permet pas d’entrainer la nullité des DSP conclues avant l’entrée en vigueur de la loi mais le juge précise deux choses. Première chose, si la durée du contrat vient à être modifiée après l’entrée en vigueur de la loi, elle devra respecter le texte de la loi. Seconde chose, même s’il existe des stipulations contraires, la durée du contrat je pourra pas excéder à compter de l’entrée en vigueur de la loi la durée maximale légale. Cela fait référence à l’arrêt CE. 24 mars 2006. KPMG qui pose le principe de sécurité juridique. Le 19 décembre 2013, le Conseil constitutionnel a rendu une décision qui consacre un principe constitutionnel de respect par la loi des attentes légitimes : « l’Etat ne saurait sans motif d’intérêt général suffisant ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ». Cela est quelque chose de tout à fait nouveau mais c’est un principe qui par sa formulation générale peut avoir une signification très étendue.

La liberté contractuelle des personnes publiques ne vaut pas pour toutes les matières. Les missions de souveraineté (défense, justice, fiscalité, police,…) obéissent à un principe selon lequel elles sont exclusives de toute contractualisation car le transfert de compétence serait illégale en soit car elles doivent être exercées par la puissance publique elle-même. Cela est notamment justifié par l’article 3 de la Déclaration de 1789 mais le Conseil constitutionnel s’est aussi appuyé sur l’article 12 de cette Déclaration. Notamment, le Conseil constitutionnel exclue que les contrats sont exclus pour les taches inhérentes à l’exercice par l’Etat de ses missions de souveraineté (CCL. 29 août 2002 et 26 juin 2003). Si un tel contrat existe, des droits subjectifs ne peuvent être donné au cocontractant : Conseil d’Etat. Ass. 17 juin 1932. Castelnaudary. En matière de police municipale, le juge administratif a déclaré illégal un contrat qui confiait à une société privée de surveillance la mission de surveillance de la ville car le juge précise que ce contrat ne se limitait pas à confier à la société privée des tâches de surveillance et de gardiennage des immeubles et du mobilier urbain de la commune mais avait pour effet de lui faire assurer une mission de surveillance de l’ensemble des voies publiques de la commune : Conseil d’Etat. 29 décembre 1997. Commune d’Ostricourt. La mission de police administrative ne peut être déléguée elle même mais l’exercice des missions matérielles peut l’être. Cette ouverture de contractualisation n’est pas étonnante car l’externalisation des missions administrative est la nouvelle tendance. La frontière entre ce qui peut être délégué ou pas est de plus en plus mince. En matière de vidéosurveillance, sur le fondement de l’article 12 de la Déclaration, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition législative qui assouplissait le régime concernant la mise en œuvre du dispositif de vidéosurveillance par des personnes morales de droit privé : Conseil constitutionnel. 10 mars 2011.

B- Le principe d’égalité

Dans la tradition de 1789, l’égalité est le corolaire de la liberté dans l’article 4 de la Déclaration et donc on parle d’égale liberté. Ce principe est aujourd’hui constitutionnel car il est omniprésent dans la Déclaration de 1789, reprit dans la Constitution de 1958 et c’est un PGD également.

Le principe d’égalité est utilisé tant dans le cadre du droit administratif général que dans le champ du droit de la concurrence. Le Conseil constitutionnel a fait une première application de ce principe en matière de contrat administratif en matière de concurrence, dans le cadre de la loi MURCEF et cette loi prévoyait qu’1/4 des lots de certains marchés seraient réservés à certains prestataires privés favorisant l’économie sociale. En s’appuyant sur l’article 1er du code des marchés publics issu du décret du 7 mars 2001, le Conseil rappel que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de manière différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que dans les deux cas la différence soit tenue à l’intérêt général. Il énonce aussi que le législateur peut, dans le but de concilier l’efficacité de la commande publique et l’égalité de traitement entre les candidats avec d’autres objectifs d’intérêt général inspirés notamment par des préoccupations sociales, prévoir un droit de préférence à égalité de prix ou à équivalence d’offres en faveur de certaines catégories de candidats, y compris en réservant l’attribution d’une partie de certains marchés à des catégories d’organismes précisément déterminées mais ne peut le faire que dans une mesure limitée et proportionnée à la satisfaction des objectifs d’intérêt général poursuivis. En l’espèce, les dispositions légales, tant par leur ampleur que par leur imprécision, portent au principe d’égalité devant la loi une atteinte disproportionnée par rapport à l’objectif d’intérêt général s’attachant au développement de l’économie sociale : Conseil constitutionnel. 6 décembre 2001.

Aujourd’hui, le principe d’égalité concerne l’ensemble des contrats administratifs. Pour ce qui est de l’occupation du domaine public, Conseil d’Etat. 30 juin 2004. Département de la Vendée : l’existence d’un service public justifie une différence de traitement au bénéfice de l’organe chargé de la gestion du service public pour apporter au prestataire l’appui nécessaire à l’exploitation du service et le cas échéant les facilités particulières.

Autre exemple, en matière de droit de la concurrence, Conseil d’Etat. Section. 10 mars 2006. Commune Houlgate : l’exploitation d’un casino municipal avait été confiée pour 9 ans à une société privée en 1991 et une procédure de concurrence a eu lieu en 2000 et à l’issu l’offre de l’exploitant sortant a été retenue. Le candidat évincé conteste donc. Si l’exploitant sortant avait été retenu, c’était parce qu’il y avait un fort contrôle ministériel en matière de jeu de hasard et il y avait une période probatoire d’un an pour tout nouveau exploitant. Le candidat évincé était donc nécessairement désavantagé. Le juge estime que cette période probatoire n’était ni justifiée par les conditions d’exploitation du casino en l’espèce ni par des considérations propres au candidat écarté qui était déjà exploitant d’autres casinos. Le Conseil d’Etat conclut que cette restriction a eu pour effet, sans justifications suffisantes tirées des nécessités de l’ordre public, de porter atteinte à l’égalité des deux candidats dans la présentation de leur offre (depuis avis L&P Publicité du 22 novembre 2000).

P2- Le droit constitutionnel de la commande publique

Le Conseil constitutionnel a dégagé un véritable droit de la commande publique sur des bases constitutionnelles, donc un droit constitutionnel de la commande publique dont l’émergence se justifie par le nombre croissant de lois imposant des mécanismes particuliers qui entendent des rejets à des règles traditionnelles du droit public. Le Conseil constitutionnel a cherché à encadrer ces interventions législatives, au lieu de les remettre en cause, ce qui fait que la législation est ambiguë. Il l’a fait en premier lieu par un contrôle de constitutionnalité d’une loi d’habilitation : Conseil constitutionnel. 26 juin 2003. Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le Droit. Le Conseil constitutionnel affirme que les dispositions de la future ordonnance devront respecter les principes qui découlent des articles 6 et 14 de la Déclaration de 1789 et qui sont rappelés par l’article 1er du code des marchés publics. Le Conseil constitutionnel s’appuie donc sur un texte de nature réglementaire. Selon lui, les marchés publics respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité des traitements des candidats et de transparence des procédures. Il dit que l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics sont assurées par la définition préalable des besoins, le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence, ainsi que par le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse.

Cette constitutionnalisation intervient quelques mois après un avis contentieux du Conseil d’Etat du 28 juillet 2002. Société blanchisserie de Pantin. Le Conseil d’Etat faisait référence à ce qu’il appelle les principes généraux issus de l’article 1er du code des marchés publics. Depuis le début des années 2000, le Conseil d’Etat réitère une appréciation en vertu de laquelle « les marchés passés en application du code des marchés publics sont soumis aux principes découlant de l’exigence d’égale accès à la commande publique ».

Le Conseil d’Etat estime que les exigences du droit de la commande publique ne peuvent être écartées que dans le cas où il apparaît que de telles formalités sont impossibles ou manifestement inutiles, notamment en raison de l’objet du marché, de son montant ou du degré de concurrence dans le secteur considéré : Conseil d’Etat. 10 février 2010. Perez. Le Conseil d’Etat prend la peine de donner des exceptions car le Conseil constitutionnel avait estimé dans la décision de 2003 que la généralisation des dérogations apportées par le législateur à ce droit commun de la commande publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l’égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics, ce qui veut dire que ce droit constitutionnel de la commande publique peut connaître des dérogations mais c’est l’ampleur de ces dérogations qui peut poser des problèmes constitutionnels. Il précise que dans tous les cas ces dérogations doivent être justifiées par des considérations spécifiques, par des situations répondant à des motifs d’intérêt général dont l’urgence qui s’attache en raison de circonstances particulières ou locales à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d’un équipement ou d’un service déterminé.

Cette jurisprudence du Conseil constitutionnel a été fortement critiquée car elle est très ambiguë. En réalité, le Conseil constitutionnel a fondé ce droit constitutionnel de la commande publique sur des mesures règlementaires qui s’imposent aujourd’hui au Législateur. Des auteurs estiment aussi qu’il n’a jamais existé de droit commun mais que c’est une simple création du Conseil constitutionnel.

P3- La continuité du service public

Ce principe a été dégagé en 1999 par le Conseil constitutionnel mais aussi précocement par le Conseil d’Etat. C’est le corolaire du principe de la continuité de l’Etat. En matière contractuelle, ce principe suppose qu’un contrat qui délègue l’exécution d’un service public à un tiers doit dans tous les cas comprendre des clauses permettant le respect du service public et de sa continuité. Pour parler de domaine public, le bien doit appartenir à la personne publique, il faut une affectation à l’usage du public soit une affectation à un service public avec aménagement indispensable.

Le Conseil constitutionnel estime que le déclassement d’un bien du domaine public qui reste affecté à un service public ne saurait avoir pour effet de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles résultant de l’existence et de la continuité du service public auxquels le bien reste affecté. Le Conseil constitutionnel approuve le législateur d’avoir imposé un cahier des charges devant prévoir les conditions dans lesquelles les missions de service public seront assurées : Conseil constitutionnel. 14 avril 2005. Aéroport de Paris. Tous les contrats publics immobiliers, dès lors qu’est en cause un service public, sont soumis à l’exigence constitutionnelle de continuité de service public. En revanche, ce n’est pas forcément le régime de la domanialité publique qui doit être appliquée car cela peut être simplement des garanties légales d’exigences constitutionnelles donc un élément taillé sur mesure par le législateur.