Les rédacteurs de la Constitution et l’histoire du texte constitutionnel de 1958
Lorsque les parlementaires de la IVe République décident en 1958 de confier au général De Gaulle le soin de rédiger une nouvelle Constitution, ils encadrent ce projet de manière stricte pour éviter un déséquilibre des pouvoirs. Cependant, le cadre posé repose sur deux principes qui semblent en tension :
- Séparation des pouvoirs : Principe classique issu de Montesquieu, la séparation des pouvoirs implique une indépendance entre les branches du gouvernement. Pour De Gaulle, cela signifie avant tout que l’exécutif ne doit plus être soumis à la domination du législatif, comme cela était souvent le cas sous la IVe République.
- Responsabilité du gouvernement : La responsabilité devant le Parlement reste un critère fondamental du régime parlementaire. Cela impose au gouvernement d’être comptable de ses actions auprès des parlementaires, assurant ainsi une forme de contrôle.
Ces deux principes devaient pourtant être intégrés dans le nouveau texte constitutionnel, qui devait garantir à la fois l’autonomie de l’exécutif vis-à-vis du législatif, tout en maintenant le principe de responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Ce double objectif a donné naissance à un modèle original, équilibrant l’indépendance de l’exécutif avec des mécanismes de contrôle démocratique.
La loi du 3 juin 1958 : un cadre constitutionnel équilibré
La loi du 3 juin 1958, votée pour encadrer la rédaction de la nouvelle Constitution, établit donc ce double impératif :
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- Indépendance de l’exécutif : La Constitution devait garantir que l’exécutif ne soit pas continuellement soumis aux volontés du Parlement, tout en assurant qu’il puisse mener une politique de manière stable et cohérente.
- Maintien de la responsabilité gouvernementale : Le gouvernement reste redevable de ses actions devant le Parlement, assurant une relation de contrôle mutuel et évitant un pouvoir exécutif incontrôlé.
Un texte adaptable à l’évolution politique
L’un des enjeux essentiels pour les rédacteurs de la Constitution de 1958 était de créer un texte capable de s’adapter aux évolutions de la vie politique et de répondre aux besoins changeants du pays sans perdre son essence.
- Adaptabilité dans le temps : Une Constitution ne peut se contenter de fixer des règles figées ; elle doit pouvoir évoluer en fonction des réalités sociales et politiques. C’est cette flexibilité qui confère au texte constitutionnel sa valeur et sa longévité, le rendant capable d’absorber les changements, tels que les nouvelles configurations politiques et les pratiques institutionnelles.
- Pratiques et évolutions du régime : Depuis son adoption, la Constitution de 1958 a montré une capacité notable à intégrer des évolutions majeures, comme l’introduction de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962, ou encore la cohabitation, qui modifie la relation entre le Président et le Premier ministre tout en respectant l’équilibre initial.
A) L’écriture du texte constitutionnel
1. Les conditions de rédaction : faut-il parler d’un « complot gaulliste » ?
Le passage de la IVe à la Ve République s’est opéré dans un contexte politique complexe, marqué par des débats intenses entre juristes et hommes politiques. Deux camps s’opposaient :
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Les partisans d’un changement de Constitution : Pour eux, les institutions de la IVe République n’étaient plus adaptées aux besoins de l’État moderne et à la stabilité de la France.
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Les défenseurs d’une réforme des institutions existantes : Certains, comme Félix Gaillard, pensaient que des ajustements suffisaient pour rendre le régime parlementaire plus stable et efficace. Ils proposaient des améliorations sans rupture institutionnelle.
Ce débat théorique sur la nécessité de refonder la Constitution trouve une issue pragmatique dans la double crise qui secoue la France : la guerre d’Algérie et le retour du général De Gaulle sur la scène politique. Considéré comme l’homme providentiel, De Gaulle incarne l’espoir de sortie du « bourbier algérien » et de refonte du système politique français.
La question se pose alors : ce changement de régime fut-il un complot gaulliste ? Au sens strict, un complot implique une conspiration secrète visant la prise du pouvoir. Si De Gaulle souhaitait revenir au pouvoir, il a utilisé plusieurs groupes comme leviers politiques, notamment :
- La population européenne d’Algérie : À laquelle De Gaulle laissait espérer que l’Algérie resterait française.
- L’armée française : À laquelle il promettait les moyens de conserver l’Algérie française.
- Les parlementaires de la IVe République : Convaincus par De Gaulle que le régime futur conserverait un modèle parlementaire.
Cependant, ces promesses seront partiellement rompues : De Gaulle accepte l’indépendance de l’Algérie, entre en conflit avec certains militaires lors du putsch des généraux et contourne le Parlement en 1962 en utilisant l’article 11 de la Constitution pour réformer l’élection présidentielle au suffrage universel direct, bien que cela remette en question le modèle parlementaire.
D’un point de vue juridique, la transition de la IVe à la Ve République s’est déroulée sans heurts majeurs. Pourtant, certains observateurs ont noté des similitudes troublantes avec 1940, lorsque le maréchal Pétain fut investi de pouvoirs étendus :
- Dans les deux cas, la France traversait une crise grave, les parlementaires ont voté une loi constitutionnelle qui violait la Constitution en vigueur, et ont confié au gouvernement la mission de résoudre la crise et de proposer une nouvelle Constitution.
Malgré ces ressemblances, des différences fondamentales distinguent 1958 de 1940 :
- Encadrement du gouvernement en 1958 : La loi de juin 1958 impose des contraintes strictes de fond et de forme, contrairement au « chèque en blanc » donné à Pétain.
- Mise en œuvre rapide et respect des délais : En 1958, la Constitution est adoptée en quatre mois, tandis que Pétain n’établira jamais de texte constitutionnel ratifié par le peuple.
Bilan : Lors de l’entrée en vigueur de la Constitution le 4 novembre 1958, les parlementaires sont rassurés par l’absence de coup d’État formel. Cependant, François Mitterrand évoque le concept de « coup d’État permanent », estimant que De Gaulle utilisera les institutions de la Ve République pour imposer une gouvernance plus autoritaire, par l’application même du texte constitutionnel.
2. Les auteurs de la Constitution : De Gaulle, Debré, Capitant et d’autres contributeurs
L’élaboration de la Constitution de 1958 repose sur l’influence de plusieurs personnalités majeures, chacune apportant des contributions spécifiques.
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1ère source : Les idées de De Gaulle : Son discours de Bayeux en 1946 trace les premières lignes de ce modèle constitutionnel où l’exécutif occupe une place centrale.
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2e source : Michel Debré et René Capitant : Juristes et proches de De Gaulle, Debré et Capitant ont influencé la structure du texte :
- Michel Debré : Spécialiste du parlementarisme rationalisé, Debré travaille à renforcer les institutions parlementaires, en encadrant le fonctionnement de l’Assemblée nationale pour limiter son instabilité.
- René Capitant : Capitant défend le maintien de la logique parlementaire tout en insistant sur l’importance de la consultation populaire, notamment par l’utilisation du référendum.
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3e source : Les ministres d’État de la IVe République : D’anciens responsables politiques, tels que Guy Mollet, Pierre Pflimlin, Louis Jacquinot, et Félix Houphouët-Boigny, participent également aux travaux du comité interministériel :
- Ils jouent un rôle clé dans la mise en place de mécanismes pour éviter les crises ministérielles, notamment en renforçant la motion de censure et en structurant les conditions de sa mise en œuvre.
Ces contributions diverses ont façonné une Constitution équilibrée, qui allie stabilité exécutive et contrôle parlementaire. Le texte, bien que conçu pour une situation politique précise, a prouvé sa capacité d’adaptation aux changements de la vie politique française, affirmant ainsi sa pérennité.
B. L’adoption du texte constitutionnel
La période clé pour l’adoption du texte constitutionnel de la Ve République s’étend du 3 juin au 28 septembre 1958. C’est durant ces quelques mois que la nouvelle Constitution, rédigée par l’équipe de De Gaulle, est soumise au débat public et à la validation populaire à travers un référendum historique.
1. La campagne précédant le référendum du 28 septembre 1958
Une intense campagne référendaire s’ouvre pour promouvoir ou s’opposer au projet de Constitution. Plusieurs voix influentes dans le monde intellectuel et juridique expriment leurs réserves :
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Critiques de certains juristes : Des professeurs de droit de renom, tels que Georges Vedel et Raymond Aron, se montrent hostiles au texte proposé, le jugeant rétrograde et inspiré des méthodes autoritaires du Second Empire. Ces critiques sont relayées dans des publications où les juristes dénoncent une concentration excessive du pouvoir exécutif et alertent sur les risques de dérives autoritaires.
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Un souci d’égalité d’expression : La campagne référendaire reflète une volonté de garantir une pluralité des points de vue, avec des tribunes d’expression pour les partis de droite comme de gauche.
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Campagne gouvernementale en faveur du « oui » : Le gouvernement mène une campagne puissante et bien financée pour le « oui ». Un front républicain d’action civique contre l’abstentionnisme est constitué pour encourager une forte participation populaire et éviter un faible taux de vote, qui affaiblirait la légitimité du projet. De son côté, De Gaulle adresse un discours directement à la population, insistant sur l’importance de son projet pour assurer un État fort et stable.
2. Le référendum du 28 septembre 1958 et ses résultats
Le référendum du 28 septembre 1958 marque un tournant décisif dans l’histoire politique française, avec des résultats impressionnants :
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Participation élevée : Le taux d’abstention est particulièrement bas (seulement 15%), signe d’une mobilisation massive des citoyens.
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Victoire écrasante du « oui » : Le « oui » recueille 79,25% des suffrages exprimés, un véritable raz-de-marée qui dépasse toutes les prévisions. Ce résultat se vérifie dans tous les départements français sans exception, ce qui confère une légitimité et une force considérables au projet de De Gaulle.
Deux conclusions majeures ressortent de ces résultats :
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« État de grâce » pour De Gaulle : Ce succès confère au général De Gaulle une position politique d’une grande liberté, ouvrant pour lui un « état de grâce » dans lequel il peut diriger sans opposition notable. Fort de ce soutien, il dispose d’une marge de manœuvre large pour mettre en œuvre les réformes et consolider les nouvelles institutions.
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Soutien au-delà des clivages politiques : Le résultat du référendum montre une adhésion qui transcende les divisions politiques. En effet, des électeurs de gauche, y compris parmi les communistes et une partie de l’extrême-gauche, votent en faveur de la nouvelle Constitution. Cet attrait pour le projet de De Gaulle parmi des électeurs généralement hostiles au pouvoir central est un phénomène qui se reproduira sous la Ve République, où le discours gaulliste parviendra souvent à capter une part de l’électorat communiste.
Ainsi, l’adoption de la Constitution de 1958 se fait dans un contexte de forte mobilisation populaire et avec une légitimité indiscutable, posant les bases d’un régime inédit, capable de traverser les crises tout en s’appuyant sur une stabilité exécutive renforcée.