Quelles sont les règles relatives au retrait ou à l’abrogation des actes administratifs ?
Trois remarques préliminaires.
- Remarque 1 : lorsque l’on parle de retrait ou d’abrogation d’un acte administratif, la disparition de l’acte n’est pas demandée au juge, mais est demandée à l’administration. L’administration est soit l’auteur de l’acte lui-même soit son supérieur hiérarchique. Cet agent administratif va retirer ou abroger l’acte illégal puisqu’il ne pourra pas l’appliquer. Il pourra aussi le retirer ou l’abroger parce que l’acte est devenu inopportun. L’administration contrairement au juge apprécie toujours l’opportunité de ses actes, l’opportunité au vue des circonstances. Le juge administratif juge toujours de la légalité de l’acte. L’administration juge de la légalité et de l’opportunité de ses actes. L’opportunité fait partie du pouvoir discrétionnaire.
- Remarque 2 : le retrait est rétroactif alors que l’abrogation ne vaut que pour l’avenir. Il y a un PGD en vertu duquel les règlements administratifs ne peuvent pas être rétroactifs, c’est le principe de la non rétroactivité des règlements administratifs. C’est un PGD posé par l’arrêt du 25 juin 1948 Société du journal l’Aurore.
- Remarque 3 : l’abrogation est moins grave, c’est pour l’avenir. Elle va être donc plus facile que le retrait. Mais l’abrogation va quand même être conditionnée par une règle posée par la jurisprudence. C’est une règle, et pas un PGD. C’est la règle du parallélisme des formes : l’administration peut toujours abroger les actes qu’elle a pris à condition de prendre un acte contraire à l’acte abrogé en respectant les règles de compétence de l’auteur de l’acte et les règles de procédure. Cette règle se subdivise en deux propositions :
- Sauf texte contraire une autorité compétente pour prendre un acte est aussi compétente pour l’abroger ou le retirer d’ailleurs.
- Sauf texte contraire les formes et les procédures suivies pour la prise de l’acte doivent être respectées pour prendre l’acte contraire.
Cette règle du parallélisme des formes est une garantie pour le respect des droits des administrés. Les règles du retraits et de l’abrogation des actes administratifs sont conditionnés par l’existence de deux classification des actes : réglementaires et non règlementaires, et les actes créateurs de droit et non créateurs de droit (pour les particuliers).
1) La distinction des actes règlementaires et non réglementaires
Les actes règlementaires sont des actes à portée générale et impersonnelle pris par des autorités dotées d’un pouvoir règlementaire au niveau national et au niveau local. Ce sont des autorités exécutives qui exercent les PPP. Parce que ces actes réglementaires ont une portée générale et impersonnelle et ont vocation à s’appliquer à tout le monde, ils doivent être publiés. C’est une condition impérative pour l’administration.
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Les actes non réglementaires se subdivisent en 3 catégories :
- Premièrement, la plus importante est celle des décisions individuelles qui ne concerne qu’une personne nommément désignée dans l’acte. Elles doivent être « notifiées » (et non pas publiés) à la personne qu’ils concernent.
- Deuxièmement, les actes collectifs, qui intéressent une collection de personne, une liste de personnes. Plusieurs individus nommément désignés : résultat d’examen, les résultats de concours et les tableaux d’avancement dans la fonction publique.
- Troisièmement, les actes particuliers ou d’espèce. Ce sont des actes qui ont une portée générale mais restreinte. Ils empruntent la forme d’un acte règlementaire, ca peut être des décrets ou des arrêtés mais ils n’ont pas une portée sur tout le territoire. Ils ont une portée restreinte au classement d’un site particulièrement digne d’intérêt par exemple. L’arrêté de classement est un acte d’espèce qui a vocation a englober tout le périmètre du site et qui intéresse les propriétaires qui ont une maison dans le périmètre, et les voisins. Les actes particuliers et collectifs empruntent des éléments du régime juridique réglementaire et des éléments du régime juridique des décisions individuelles. Ils doivent être publiés alors qu’ils concernent une collection d’individus, ce qui présente des dangers parce qu’une personne individuelle, si on ne lui notifie pas la décision peut passer à côté. Ils suivent les règles du retrait ou de l’abrogation en fonction du facteur de création de droit ou pas création de droit.
Tous ces actes règlementaires et non règlementaires doivent faire l’objet d’une publicité : publication pour règlementaires, publication ou notification. La publicité est très importante puisque c’est à partir de la publicité de l’acte que va être opposable aux administrés, que va commencer à courir le délai de recours (2 mois à partir de la publication ou notification) et c’est à partir de la publication l’acte que l’administration va pouvoir exiger des administrés qu’ils les exécutent. L’administration pourra même demander l’exécution forcée de l’acte à la force publique. Si l’administration est négligente, l’administré n’a aucun moyen de connaitre l’existence des actes et donc ses droits vont être violés sans qu’il puisse se défendre.
Les actes individuels doivent être notifiés, sauf exceptions qui doivent être publiés. Par exemple le permis de construire : il doit être affiché en mairie et sur le terrain, de façon à avertir les tiers de l’existence de cette décision individuelle qui peut porter atteinte à leur propre droit.
Il y a deux différences essentielles entre les actes règlementaires et non règlementaires :
- Premièrement, les actes règlementaires ne sont pas susceptibles de créer des droits au profit des personnes. le Conseil d’Etat l’a dit clairement dans un arrêt du 27 janvier 1961 Vannier et l’a répété dans un arrêt du 13 décembre 2006 Lacroix. Aucun administré n’a le droit au maintien de la règlementation existante. Un règlement ne crée pas de droit au profit des particuliers. Dans l’arrêt Lacroix le Conseil d’Etat réaffirme que les actes réglementaires ne créent pas de droit à propos de règlementation de la procédure de radiation des commissaires au comptes lorsqu’ils ne payent pas leur cotisation annuelle (la réglementation a changé, maintient c’est au bout d’un an). Cela veut dire que nul n’a le droit au maintien de la règlementation existante. Il n’y a pas de droit acquis au maintien d’une règlementation. La règlementation sur les retraites, sur le statut des fonctionnaires, peut changer du jour au lendemain sans que quiconque puisse se prévaloir de la règlementation de droits acquis.
- Deuxièmement, les actes non règlementaires peuvent soit créer des droits soit ne pas créer des droits. Non seulement les actes individuels peuvent créer des droits au profit de la personne qu’ils concernent mais aussi au profit des tiers. Or pour des raisons élémentaires de sécurité juridique, l’administration ne peut pas revenir n’importe quand sur des droits acquis par une décision individuelle, là on peut parler de droit acquis. le Conseil d’Etat a posé un principe de l’intangibilité des droits acquis qui ne s’applique que pour les actes individuels créateurs de droits.
2) Les actes créateurs de droit et non créateurs de droit
Un acte créateur de droit est un acte qui confère un ou des droits subjectifs à une ou plusieurs personnes déterminées dans la décision individuelle. Personne déterminée c’est-à-dire personne identifiable. Droits subjectifs dont elles peuvent se prévaloir devant le juge administratif quand le droit est lésé ( : droit subjectif).
Récemment le juge administratif a tendance à étendre la catégorie des actes créateurs de droit pour protéger le mieux possible les administrés des revirements de l’administration.
Arrêt du 6 novembre 2002 Madame Soulier : depuis 2002 le Conseil d’Etat est revenu sur une ancienne jurisprudence et il considère que désormais les décisions qui accordent un avantage financier sont créatrices de droit.
Arrêt 26 février 2003 Nègre : le juge a éprouvé le besoin de dire qu’une pension de retraite déjà concédée est une décision créatrice de droit. Une pension de retraite est un acte créateur de droit.
Lorsque l’administration accorde la protection fonctionnelle à un agent public, cette protection fonctionnelle est une décision créatrice de droit depuis un arrêt du 14 mars 2008 Portalis. L’administration est obligée de couvrir ses fonctionnaires dans les fautes commises par eux dans l’exercice de leurs fonctions. En revanche, si ca n’est pas dans l’exercice des fonctions il n’y a pas de protection fonctionnelle. L’administration va prendre en charge les frais et la défense du fonctionnaire. Quand cette protection est accordée, c’est un acte créateur de droit depuis l’arrêt Portalis. La protection fonctionnelle des fonctionnaires est garantie par le statut général des fonctionnaires de 1983 mais c’était déjà un PGD dès 1963. Elle est passée du statut de PGD au statut de texte normatif à valeur législative.
Les actes créateurs de droit subjectifs entrainent l’application du principe de l’intangibilité des droits acquis. Les règles du retrait des actes créateurs de droit vont être particulièrement sévères pour éviter que l’administration retire n’importe quand des droits acquis par des administrés du fait de décisions individuelles qui les concernent.
3) Les règles du retrait des actes administratifs
Le retrait a une portée rétroactive. Les règles du retrait sont essentiellement jurisprudentielles. Elles ont été exclusivement jurisprudentielles depuis la loi DCRA du 12 avril 2000. Les règles du retrait sont déterminées par cette loi pour les décisions négatives. Les règles sont jurisprudentielles pour les décisions positives. Les règles sont d’une extrême complexité à tel point que le gouvernement a demandé au Parlement en 2004 une habilitation législative pour prendre par ordonnance afin d’harmoniser les règles du retrait des actes administratifs. Parce que la tâche était trop rude, le parlement n’a jamais habilité le gouvernement. On en est toujours là à examiner les règles jurisprudentielles qui doivent se combiner avec les règles textuelles. Il faut examiner 4 questions.
- a) La problématique du retrait des actes administratifs
Le retrait est opéré par l’administration mais il a les mêmes effets que l’annulation par le juge. Le retrait est rétroactif. Ca signifie que l’acte est censé n’avoir jamais existé et donc cela suppose que l’administration revienne sur les situations juridiques générées par l’exécution de l’acte avant qu’il ait été retiré.
Tous les actes administratifs ne peuvent pas être retirés. Les actes règlementaires ne peuvent pas faire l’objet d’un retrait en raison du PGD de non rétroactivité des règlements administratifs. Le problème du retrait des actes administratif se circonscrit donc au retrait des actes non réglementaires. Il faut savoir si l’acte non règlementaire est créateur ou non de droit. Les règlements ne peuvent faire l’objet que d’une abrogation. Le problème du retrait n’intéresse que les actes créateurs de droit car les actes non créateurs de droit peuvent être retirés par l’administration pour des raisons d’illégalité ou des raisons d’inopportunité. Le retrait des actes individuels créateurs de droit pose le plus de problème, leur retrait est inséré dans des conditions rigoureuses pour des raisons de sécurité juridique. Les administrés doivent pouvoir agir avec une certaine prévisibilité.
- b) Les règles jurisprudentielles consacrées de 1922 à 2000
Arrêt du 3 novembre 1922 Dame Cachet : il pose deux conditions au retrait par l’administration des actes individuels créateur de droit : l’administration pouvait retirer une telle décision pour motif d’illégalité et dans le délai du recours pour excès de pouvoir, c’est-à-dire 2 mois à partir de la notification de la décision individuelle. Cette jurisprudence couplait le délai de retrait au délai de recours pour excès de pouvoir. L’administration pouvait revenir sur ses erreurs jusqu’à ce que le juge soit saisi d’un recours. Dès lors que le juge était saisi, l’administration ne pouvait plus revenir sur ses décisions. Mais il y avait trois inconvénients dans cet arrêt :
Premièrement, si le délai de recours ne se déclenchait pas, c’est-à-dire ne commençait pas à courir, notamment si la décision individuelle n’était pas notifiée, l’administration pouvait retirer sans délai la décision individuelle à n’importe quel moment en portant atteinte aux droits des administrés.
Deuxièmement, en admettant que la décision individuelle ait été notifiée à la personne concernée, si elle n’est pas publiée elle est méconnue des tiers. Le juge a considéré que l’administration était un tiers alors même que c’était elle qui avait pris l’acte. Et après, en prétextant que l’acte n’a pas été publié et donc pas opposable aux tiers, elle vient demander au juge de pouvoir retirer l’acte, en tant que tiers, parce qu’il n’avait pas été publié. Par conséquent, une décision individuelle non publiée et donc toujours susceptible de recours pour excès de pouvoir par un tiers pouvait être retirée par l’administration pour illégalité à tout moment : arrêt du 6 mai 1966 Ville de Bagneux à propos d’un permis de construire qui a été notifié à la personne concernée mais qui n’avait pas fait l’objet de la publication (à l’époque d’ailleurs ce n’était pas obligatoire). Pour résumer il permettait à l’administration considérée comme tiers de retirer une décision individuelle non publiée.
Arrêt du 14 novembre 1969 Eve : le Conseil d’Etat a considéré que les décisions implicites d’acceptation, notamment de permis de construire, par nature ne sont ni notifiées ni publiées (puisqu’elles sont tacites), le juge a considéré qu’une fois que le silence de l’administration (à l’époque de 4 mois, aujourd’hui de 2 mois), à l’issu du silence, l’administration était dessaisie de l’examen du dossier et donc le demandeur du permis de construire était titulaire d’un permis de construire tacite. C’est une exception au principe Dame Cachet.
Arrêt du 1er juin 1973 Ministre de l’équipement contre Roulin : dans le cadre de la jurisprudence Eve, les décisions implicites d’acceptation qui exceptionnellement sont notifiées à leur destinataire pourraient être retirées après le délai de recours. Il pose une exception à l’exception de l’arrêt Eve. Quand une décision implicite est notifiée, l’administration peut la retirer dans le délai de 2 mois.
Conclusion : l’administration pouvait tirer profit de sa propre négligence consistant à ne pas notifier ses actes ou à ne pas les publier pour ne pas faire partir le délai du recours pour excès de pouvoir. C’était une jurisprudence perverse qui incitait l’administration à ne pas notifier ou publier ses actes administratifs.
- c) L’apport limité de la loi du 12 avril 2000 DCRA
Le législateur a prévu dans l’article 23 de la loi DCRA qui traite du retrait des décisions implicites d’acceptation pour mettre fin à ce problème. La loi du 12 avril 2000 a remplacé les 4 mois par 2 mois. L’article 23 prévoit 3 délais de retrait :
Premièrement, l’administration dispose pour retirer un acte du délai de recours contentieux lorsque les tiers ont été informés de la décision (en principe 2 mois, mais il peut y avoir des délais de recours différents prévus par des textes spéciaux).
Deuxièmement, l’administration dispose d’un délai de 2 mois pour retirer une décision implicite d’acceptation quand les tiers n’ont pas été informés.
Troisièmement, l’administration peut retirer une décision implicite d’acceptation jusque pendant l’instance si le juge a été saisi d’un recours. L’administration a encore la possibilité de revenir sur son erreur avant la séance du juge.
L’article 23 ne concerne pas les décisions implicites de rejet qui ne sont pas créatrices de droit (et donc peuvent être retirées à tout moment), seulement les décisions implicites d’acceptation.
- d) Les innovations de la jurisprudence Ternon en 2001
Cet arrêt aboli la jurisprudence Dame Cachet. Il découple le délai du retrait du délai de recours. La jurisprudence Ternon décide que l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droit que pour illégalité dans un délai de 4 mois à partir de la prise de la décision.
Cette nouvelle règle a été appliquée dans l’arrêt Portalis où face à une décision individuelle expresse créatrice de droit, le Conseil d’Etat a dit qu’on peut la retirer mais uniquement dans un délai de 4 mois.
L’arrêt Ternon pose deux exceptions :
Premièrement, l’hypothèse où des dispositions législatives et règlementaires prévoient d’autres règles de retrait.
Deuxièmement, à la demande du bénéficiaire de la décision explicite, l’administration peut retirer cette décision à tout moment car ca veut dire que le bénéficiaire renonce volontairement à ses droits acquis. Le retrait est possible dans limitation de durée si le bénéficiaire le demande.
Il y a une troisième exception que l’arrêt Ternon confirme : les décisions expresses créatrices de droit obtenues par fraude peuvent être retirées à tout moment : la fraude corrompt tout.
Les décisions implicites de rejet : l’administration peut les retirer dans un délai de 2 mois, Dame Cachet, pour illégalité. Dans l’arrêt SAS Kaeffer Wannier 2007 a dit que les décisions implicites de rejet sont toujours soumises à la jurisprudence Dame Cachet ( ???).
Le juge a étendu les règles de l’arrêt Ternon à l’abrogation.
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Acte réglementaire |
Acte individuel |
Acte individuel |
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Créateur de droits |
Non créateur de droits |
Retrait |
Non |
DIA 2000, DE 2001, DIR Dame Cachet |
Oui |
Abrogation |
Oui |
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4) Les règles de l’abrogation des actes administratifs
L’abrogation d’un acte administratif peut être soit spontané de la part de l’administration soit elle peut être faite à la demande d’un administré.
A la demande d’un administré :
L’administré qui considère qu’un acte administratif règlementaire ou non règlementaire est illégal, soit en raison d’un changement d’une circonstance de fait ou de droit, soit parce que l’administration a violé les normes supérieures, l’administré va demander par la voie d’un recours gracieux ou hiérarchique à l’autorité administrative d’abroger l’acte en question.
Il faut bien comprendre que cette demande d’abrogation par un administré est une procédure qui permet de palier les inconvénients qui découlent de l’expiration du délai de recours contentieux contre l’acte. Une fois que le délai de 2 mois de recours contentieux est expiré contre un acte, c’est pas qu’il ne peut plus être attaqué. Il y a un moyen de contourner cette possibilité en demandant à l’administration d’abroger l’acte pour illégalité. L’administration a le choix entre répondre expressément, si elle abroge l’acte pâs de problème, si elle refuse expressément d’abroger, un nouveau délai de 2 mois suite au refus d’abrogation expresse, l’administré pourra attaquer devant le juge. Si l’administration ne répond pas à la demande d’abrogation, au bout d’un silence de 2 mois l’administré va être titulaire d’un refus d’abrogation implicite de l’acte, qui pourra de la même façon être attaqué dans un délai de 2 mois du recours pour excès de pouvoir.
Cette demande constitue donc un palliatif à l’expiration du refus d’abrogation directe contre l’acte en cause. On aura un nouveau délai de recours qui va s’ouvrir contre le refus d’abrogation de l’acte. Implicite au bout de 2 mois de silence observé par l’administration. C’est important parce que les demande d’abrogation de l’acte administratif sont très nombreuses voir systématique, mais elles doivent être motivées par l’illégalité de l’acte.
Les règles de l’abrogation diffèrent selon que l’acte est individuel ou règlementaire.
- a) L’abrogation des actes individuels créateurs de droit
La jurisprudence a adopté une position simple : elle a aligné les règles de l’abrogation sur les règles du retrait. L’arrêt Ternon a été confirmé et sa portée a été étendue à l’abrogation des actes individuels créateurs de droit. L’abrogation est uniquement pour l’avenir.
Arrêt du 6 mars 2009 Coulibaly : Reprend le considérant de principe de l’arrêt Ternon : sous réserves des dispositions législatives ou règlementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaires (deux exceptions au retrait des décisions individuelles), l’administration ne peut retirer OU ABROGER une décision expresse individuelle créatrice de droit que dans le délai de 4 mois suivant l’intervention de cette décision et si elle est illégale. Alignement des règles de l’abrogation sur celles du retrait : 4 mois et pour illégalité.
Monsieur Coulibaly était chirurgien dentiste. Ils doivent être inscrits au tableau de l’ordre des chirurgiens dentistes. C’est une décision administrative individuelle créatrice de droit. il avait été inscrit au tableau. Accord entre l’université de Montpellier et la Côte d’Ivoire. Plusieurs années après son inscription au tableau et durant l’exercice de son activité, il s’est avéré que son doctorat n’était pas valide. L’administration de l’ordre professionnel des chirurgiens dentiste a décidé d’abroger pour l’avenir l’inscription au tableau de l’ordre de monsieur Coulibaly. le Conseil d’Etat dit que ce n’est pas possible car cette abrogation ne peut avoir lieu que pendant le délai de 4 mois à compter de la prise de la décision. Après 4 mois il a des droits que l’administration ne peut pas abroger. L’inscription au tableau n’a pas été faite par fraude, monsieur Coulibaly était de bonne foi. le Conseil d’Etat réserve une hypothèse de fraude qui, comme dans l’arrêt Ternon, permet une abrogation ou le retrait sans délai. Dès lors, cette inscription créé des droits et ne peut plus être abrogée après l’expiration d’un délai de 4 mois.
Il s’agit d’une inscription au tableau d’un ordre pour avoir le droit d’exercer une profession règlementée. Si Coulibaly dans l’exercice professionnel commet des fautes, il peut être poursuivie selon la procédure disciplinaire, et peut se voir affliger une sanction disciplinaire qui n’est pas créatrice de droit. Et une sanction disciplinaire si elle est illégale pourra être abrogée ou retirée sans condition de délai. Les règles du retrait ou de l’abrogation ne concernent que les actes individuels créateurs de droit.
Pour garantir les droits des administrés, le Conseil d’Etat avait eu tendance ces dernières années à étendre la catégorie des actes individuels créateurs de droit. il a fait rentrer dans cette catégories les actes à portée pécuniaires et certaines garanties pour les administrés puisque le retrait ou l’abrogation de ces actes ne peut être fait que dans le délai de 4 mois. Après on a le principe de l’intangibilité des droits acquis qui se traduit par le principe de sécurité juridique.
- b) L’abrogation des actes administratifs réglementaires
La grande différence entre les règles qui gouvernent les actes réglementaires et individuels créateurs de droits est que l’administration n’a pas seulement la faculté d’abroger des actes règlementaires illégaux mais l’obligation. Cette obligation a été prévue à l’origine par un texte : décret du 28 novembre 1983 relatif à l’amélioration des relations entre l’administration et ses usagers. Ce décret a été abrogé mais il a fait date dans les relations entre l’administration et les administrés parce qu’il prévoyait la publication obligation des circulaires, directives etc. Et il prévoyait que ces anciennes mesures d’ordre intérieur, une fois publiées, pouvaient être opposées par les administrés à l’administration. Pour la première fois le pouvoir règlementaire acceptait de reconnaitre l’importance de cette activité para-règlementaire et il reconnaissait que les administrés pouvaient les opposer à l’administration.
Article 3 du décret du 28 novembre 1983 : nouvelle règle en vertu de laquelle l’autorité administrative compétente est tenue (obligée) de faire droit à une demande d’abrogation d’un règlement illégal, que l’illégalité du règlement résulte de sa signature (l’illégalité existe ab intio) ou que l’illégalité résulte d’un changement de circonstance de droit ou de fait, postérieur à l’édiction de l’acte règlementaire. Ca a prévue la procédure de demande d’abrogation d’un acte administratif règlementaire illégal.
La procédure est la même pour les actes individuels mais prévue dans un autre texte.
Arrêt du 3 avril 1989 Alitalia : le Conseil d’Etat qui a toujours pensé que ce décret avait une légalité douteuse, a tiré de cet article 3 du décret du 28 novembre 1983 un principe général en vertu duquel l’administration est obligée d’abroger un règlement illégal, que l’illégalité remonte à la signature de l’acte ou qu’elle découle d’un changement de fait ou de droit.
Remarque : dans cet arrêt le Conseil d’Etat fait comme si le décret n’existait pas. Il consacre l’existence d’un principe général et en réalité il érige en principe général une règle jurisprudentielle qu’il avait posé dans un arrêt du 10 janvier 1930 Despujol. Cela s’analysait comme la transformation de la jurisprudence du Conseil d’Etat en principe général (et pas PGD).
Très récemment le législateur a repris cette jurisprudence. La loi du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit, prévoit désormais que l’autorité administrative est tenue d’office ou à la demande d’une personne intéressée d’abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu’elle résulte d’un changement de circonstance de droit ou de fait. Il s’agit bien d’une obligation d’abroger expressément un règlement illégal. Toutefois, le texte de la loi de 2007 pose quand même trois problèmes d’interprétation que le juge administratif sera obligé dans l’avenir de résoudre.
Premièrement, la loi vise toute personne intéressée. Est-ce que l’intérêt doit se mesurer par rapport à la demande d’abrogation, ou par rapport à la situation de fait de la personne ? Est-ce que intéressé recouvre le simple intérêt à agir, ou est ce que c’est plus que ca et que l’administré devra faire la preuve que ses droits et obligations sont atteints par la règlementation illégale.
Deuxièmement, le problème du délai. Lorsque l’illégalité du règlement découle d’un changement de circonstance de droit ou de fait, nécessairement postérieure à l’édiction du règlement, la question peut se poser de savoir si un délai doit être respecté par l’administré pour demander l’abrogation du règlement suite au changement de circonstance. La loi ne le dit pas, le Conseil d’Etat n’a pas jusqu’à présent posé de délai. On peut donc demander l’abroger d’un règlement qui date de 1930. Reste à savoir si dans l’avenir cette jurisprudence très souple sera conservée.
Troisièmement, le législateur en 2007 a étendue la procédure de demande d’abrogation aux règlements qui seraient devenus sans objet. Mais on ne sait pas vraiment ce que c’est un règlement sans objet : règlement tombé en désuétude, règlement inutile parce qu’il en existe déjà un autre, règlement redondant (et là on risque de tomber dans la catégorie des actes confirmatifs).
En tout état de cause, grâce à la jurisprudence Alitalia reprise par la loi de 2007, l’administration est obligée de mettre à jour sa règlementation en fonction des circonstances. Cette mise à jour de la règlementation sollicite l’attitude active des administrés qui vont avoir les moyens de forcer l’administration à toiletter sa règlementation. Il y a certaines associations qui ont une action de vision. Une association a obtenu la règlementation et l’abrogation de règlements illégaux comme l’obligation pour les étrangers arrivés sur le territoire de se soumettre à un contrôle médical.
Lorsque le juge est saisi d’une demande d’abrogation d’un règlement illégal, il va être saisi par un recours pour excès de pouvoir contre le refus d’abrogation. Le juge va apprécier la légalité du refus d’abrogation, mais il ne va pas se contenter de cela. Une fois qu’il va constater que le refus d’abrogation est illégal, et que par conséquent il faut abroger le règlement illégal, le juge va user de son pouvoir d’injonction envers l’administration et il va lui ordonner d’abroger le règlement illégal. Il peut y avoir une astreinte : condamnation au paiement d’une somme d’argent par jour de retard.
L’arrêt Duvignères sur la recevabilité du recours contre des circulaires impératives à caractère général, cet arrêt a été rendu sur un refus d’abrogation d’une circulaire considérée comme règlementaire par un administré qui demandait son abrogation. La circulaire en cause reprenait un décret illégal.
Conclusion : l’administration procède donc par voie unilatérale en imposant sa volonté aux administrés sans recueillir leurs consentements. L’unilatéralité est une des Prérogatives de Puissance Publique par excellence. Une fois que les actes administratifs ont fait l’objet de la publicité, ils sont exécutoires de plein droit et la formation d’un recours contre eux n’est pas suspensive de l‘exécution de l’acte, sauf à demander un référé suspension au juge, conditionné par l’urgence. Une fois que les actes administratifs ont été signés et on fait l’objet d’une publicité, ils ont « l’autorité de chose décidée », qui est moins forte que l’autorité de chose jugée. Elle n’a une valeur juridique qu’exécutive, règlementaire. Et l’autorité de chose décidée demeure tant que le juge n’a pas annulé l’acte ou tant que l’administration ne l’a pas retiré ou abrogé. Ce qui veut dire qu’on est soumis à des actes administratifs illégaux. Tant qu’aucune autorité n’a constaté l’illégalité, l’acte administratif est censé être légal. Mais l’autorité de chose décidée est relative. On connait deux procédures pour contourner l’expiration du délai de recours : la demande d’abrogation pour illégalité, et l’exception d’illégalité qui consiste à arguer devant le juge de l’illégalité du fondement textuel qui a servi de base à la décision attaquée.
L’administration pour exécuter ses tâches peut très bien choisir de ne pas se placer sur le terrain de la contrainte, elle peut contracter avec une autre personne publique ou privée pour réaliser ses missions. Il faut recueillir le consentement d’une autre personne et il faut donc négocier, se mettre d’accord sur des clauses de contrat qui vont être librement débattus entre les cocontractants. Mais l’administration reste malgré tout dans une position de supériorité parce qu’elle a des Prérogatives de Puissance Publique et il y a une inégalité entre l’administration et les particuliers.