Les relations entre le Président et le Premier Ministre

Les relations entre le Président et le Premier Ministre sous la Vème République

La Vème République, avec son exécutif bicéphale, offre une architecture institutionnelle unique où les rôles du Président de la République et du Premier ministre évoluent selon les circonstances politiques. Ce système, pensé pour combiner stabilité et efficacité, est marqué par une interaction complexe entre ces deux figures majeures, dont les relations oscillent entre subordination et complémentarité.

La Vème République propose un modèle d’exécutif bicéphale où les relations entre le Président de la République et le Premier ministre varient selon les circonstances politiques. Si une tradition de domination présidentielle s’est imposée, la cohabitation a montré qu’un rééquilibrage des pouvoirs est possible, offrant une lecture plus équilibrée des rapports entre ces deux figures institutionnelles.

I – Le pouvoir exécutif sous la Vème République : un exécutif bicéphale

Dans la Vème République, le pouvoir exécutif repose sur deux figures majeures : le Président de la République et le Premier ministre. Bien que la Constitution de 1958 ne consacre aucune hiérarchie explicite entre ces deux institutions, la pratique politique a instauré une asymétrie de fait, en faveur du Président de la République. Cette évolution découle notamment de la révision constitutionnelle de 1962, qui introduit l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, renforçant ainsi sa légitimité démocratique.

Une évolution contrastée par rapport aux Républiques précédentes

  • Sous la IIIème République, le pouvoir exécutif était fortement dominé par le Parlement, notamment par le Sénat, reléguant le Président de la République à un rôle symbolique.
  • En revanche, dans la Vème République, le Président de la République est devenu le pivot des institutions. Jacques Georgel illustre bien ce rôle central lorsqu’il compare le régime à « un ensemble de satellites gravitant autour d’une étoile de première grandeur », l’étoile étant le Président. Ce choix institutionnel marque une rupture nette avec les pratiques des régimes précédents.

La cohabitation : un rééquilibrage temporaire du pouvoir

La cohabitation, période où le Président et le Premier ministre appartiennent à des majorités politiques différentes, remet partiellement en question cette prépondérance présidentielle. Lors de ces périodes, un rééquilibrage s’opère entre les deux têtes de l’exécutif :

  • Le Président de la République conserve ses prérogatives constitutionnelles, notamment en matière de défense et de politique étrangère, mais la gestion quotidienne de l’État est laissée au gouvernement, comme l’exige la Constitution.
  • Un exemple marquant est celui de François Mitterrand en 1986, durant sa cohabitation avec Jacques Chirac. Fidèle à la Constitution, Mitterrand déclare : « Rien que la Constitution, mais toute la Constitution », affirmant ainsi qu’il ne souhaite ni dépasser ni renoncer aux prérogatives définies par le texte constitutionnel.

La cohabitation offre ainsi un retour à une lecture plus stricte de la Constitution, où le Président cesse d’exercer un rôle prédominant dans tous les domaines. Paradoxalement, ces périodes sont souvent perçues comme celles où la Constitution est la mieux respectée dans son esprit.

Le rôle renforcé du Président dans les institutions de la Vème République

Le statut du Président sous la Vème République se distingue nettement de celui des Présidents des IIIème et IVème Républiques. Plusieurs éléments illustrent cette centralité :

  • Le Président est la première institution mentionnée dans la Constitution, précédant le gouvernement et le Parlement. Cette organisation reflète l’intention des constituants de faire du Président une figure de proue.
  • Ses pouvoirs sont significatifs : il dispose du droit de dissolution (article 12), du recours au référendum (article 11), et peut même intervenir en situation de crise grave (article 16).
  • Dans la pratique, l’élection au suffrage universel direct a renforcé sa stature de chef d’État pleinement légitimé par le peuple, accentuant l’aspect présidentialiste du régime.

En résumé, le pouvoir exécutif de la Vème République est marqué par un équilibre formel entre le Président et le Premier ministre, mais la pratique politique a souvent placé le Président au sommet des institutions. Cependant, la cohabitation constitue une exception notable, rétablissant un fonctionnement plus équilibré et conforme à l’esprit initial de la Constitution.

 

II – Les relations au sein des deux têtes de l’exécutif

On distingue deux périodes, la cohabitation et la période normale.

  • En période normale (de non cohabitation), les relations entre le Président de la République et le Premier ministre sont généralement marquées par une domination présidentielle, liée à plusieurs facteurs institutionnels et politiques :
    • La réforme de 1962, instituant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, a renforcé sa légitimité démocratique, éclipsant celle du Premier ministre, nommé mais non élu directement par les citoyens.
    • La pratique politique a consolidé la prééminence du Président, qui incarne la figure centrale de l’exécutif et concentre les pouvoirs régaliens, notamment en matière de politique étrangère et de défense.
    • Le Premier ministre est souvent perçu comme un collaborateur du Président, chargé de la mise en œuvre des politiques définies par ce dernier, surtout lorsque la majorité présidentielle et parlementaire coïncide.

Dans ce cadre, les relations entre le Président et le chef du gouvernement s’inscrivent dans une logique de subordination. Le Premier ministre est tenu d’aligner son action sur les orientations présidentielles, renforçant l’image d’une République largement présidentialiste.

  • La cohabitation : un rééquilibrage des pouvoirs : La cohabitation, période où le Président et le Premier ministre appartiennent à des majorités politiques opposées, introduit une révision des rapports de force entre les deux têtes de l’exécutif. Elle donne lieu à un fonctionnement plus proche de l’esprit parlementaire initial de la Constitution :

 

 

A) Les évolution des institutions de la Vème République : vers une présidence dominante

L’usage des institutions sous la Vème République a évolué progressivement, consolidant la place prééminente du Président de la République. Cette évolution, qui semble naturelle dans le cadre de la Vème République, a connu un tournant majeur avec la première cohabitation en 1986. Entre 1962 et 1986, la pratique institutionnelle est marquée par une présidence omniprésente, qui reflète un ordre des pouvoirs centré autour du chef de l’État.

Les circonstances à l’origine de la prépondérance présidentielle

La domination présidentielle s’explique par plusieurs éléments historiques et institutionnels qui ont façonné la naissance et le fonctionnement de la Vème République :

  • La Guerre d’Algérie : dans un contexte de crise, le gouvernement s’est vu attribuer les pleins pouvoirs, mettant en lumière la nécessité d’un pouvoir exécutif fort.
  • La crise de la IVème République : l’instabilité chronique et l’impuissance du Parlement à gouverner efficacement ont jeté le discrédit sur le régime parlementaire.
  • La personnalité du Général de Gaulle : figure charismatique, De Gaulle a imprégné la Vème République de son autorité et de sa vision d’un pouvoir présidentiel fort.
  • La réforme de 1962 : avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, une étape décisive est franchie. Cette réforme bouleverse l’équilibre institutionnel, donnant au Président une légitimité populaire qui surpasse celle du Premier ministre et du Parlement.

Le déséquilibre institutionnel en faveur du Président

La réforme de 1962, associée à l’apparition du phénomène majoritaire, a eu des conséquences profondes sur le fonctionnement des institutions :

  • Affaiblissement du chef du gouvernement : en raison de la concentration de la légitimité autour du Président, le Premier ministre perd son rôle charismatique et devient avant tout un exécutant des décisions présidentielles.
  • Marginalisation du Parlement : avec une majorité parlementaire alignée sur le Président, l’Assemblée nationale valide souvent les orientations présidentielles, réduisant son rôle de contre-pouvoir.
  • Expansion des prérogatives présidentielles : bien que la Constitution n’ait pas initialement conféré au Président un rôle central dans la gestion quotidienne de l’État, la pratique a progressivement annexé les compétences initialement dévolues au chef du gouvernement et au Parlement.
  • Monopole sur les affaires régaliennes : le Président s’affirme comme le seul compétent en matière de relations internationales et de défense, limitant le Premier ministre à une fonction d’exécution des décisions présidentielles.

Cette subordination du Premier ministre au Président a conduit Maurice Duverger à qualifier le Président de la République de « monarque républicain », une formule qui souligne la concentration des pouvoirs entre ses mains.

Une complémentarité forcée entre le Président et le chef du gouvernement

Le rapport entre le Président de la République et le Premier ministre repose sur une relation de subordination consentie. Le Premier ministre ne peut qu’adhérer aux orientations présidentielles. François Mitterrand, dans son ouvrage Le coup d’État permanent, décrivait avec ironie cette situation, évoquant un « strip-tease du Premier ministre, dépouillé de ses compétences ».

Cette relation hiérarchique impose un choix binaire au chef du gouvernement :

  • Se soumettre à l’autorité présidentielle et accepter un rôle secondaire.
  • Se démettre, cédant la place à un successeur plus en phase avec la volonté du Président.

Le quinquennat : un renforcement de la logique présidentialiste

L’instauration du quinquennat en 2000 avait renforcé cette dynamique en synchronisant la durée du mandat présidentiel avec celui de l’Assemblée nationale. Cela réduisait considérablement les risques de cohabitation, puisque les élections législatives suivaient de près l’élection présidentielle, permettant souvent au Président élu de bénéficier d’une majorité parlementaire alignée. Toutefois, ce n’est plus le cas : depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024 décidée par le président de la République et donc l’organisation d’élections législatives anticipées : les élections présidentielles et législatives ne sont plus couplées. 

Bref résumé : La Vème République a vu le développement d’une pratique institutionnelle qui place le Président de la République au centre du pouvoir, au détriment du Premier ministre et du Parlement. Ce phénomène, est initié par les circonstances de la fondation du régime et renforcé par la réforme de 1962.

 

B) Un rééquilibrage des forces avec la cohabitation

La cohabitation, période où le Président de la République et le Premier ministre appartiennent à des majorités politiques opposées, constitue une anomalie institutionnelle qui modifie profondément la dynamique du pouvoir exécutif sous la Vème République. Dans ce contexte, l’exécutif devient réellement bicéphale, avec un partage plus strict des prérogatives entre le Président et le chef du gouvernement, conformément aux dispositions constitutionnelles.

Un retour au strict respect de la Constitution

La cohabitation met fin à certaines pratiques extra-constitutionnelles qui avaient renforcé le rôle du Président de la République en dehors du texte de 1958. François Mitterrand, en 1986, face à la première cohabitation, souligne l’importance de respecter la lettre de la Constitution : « La Constitution, rien que la Constitution mais toute la Constitution. » Ainsi :

  • Le Président de la République conserve ses prérogatives fondamentales, notamment en matière de défense et de politique étrangère (son domaine réservé).
  • Le Premier ministre, soutenu par une majorité parlementaire, détermine et conduit la politique de la nation, comme le prévoit l’article 20 de la Constitution.

Contrairement à certaines interprétations plus anciennes, comme celle de Valéry Giscard d’Estaing, qui aurait envisagé une présidence strictement formelle en cas de cohabitation, Mitterrand choisit d’assumer pleinement ses compétences tout en laissant au gouvernement le soin de gouverner.

Un Président affaibli mais toujours présent

La cohabitation crée une situation inédite dans laquelle le Président de la République peut être politiquement désavoué par une majorité parlementaire tout en restant en fonction. Cette situation découle de plusieurs principes fondamentaux de la Constitution :

  • Le Président de la République, élu au suffrage universel direct, est irresponsable devant le Parlement et ne peut donc être contraint de démissionner après un vote-sanction lors d’élections législatives.
  • Il demeure en fonction et continue à assumer ses responsabilités constitutionnelles, notamment dans les domaines régaliens.

Cependant, ce déséquilibre politique entraîne une fragilisation du Président, qui doit composer avec un gouvernement soutenu par une majorité parlementaire opposée à ses orientations.

La montée en puissance du chef du gouvernement

Durant la cohabitation, le Premier ministre devient le véritable leader de l’exécutif, soutenu par une majorité parlementaire. Cette dynamique se manifeste de plusieurs façons :

  • Le chef du gouvernement bénéficie d’un soutien inconditionnel du Parlement, qui renforce sa capacité à mettre en œuvre sa politique.
  • Le gouvernement est politiquement sanctionnable, contrairement au Président. Ainsi, les échecs ou les impopularités sont directement imputés au Premier ministre et à sa majorité.
  • Les institutions liées à Matignon gagnent en importance, devenant des instruments décisifs pour affirmer l’autonomie du gouvernement face à l’Élysée.

En 1986, Jacques Chirac illustre cette dynamique en limitant la transmission d’informations stratégiques à l’Élysée, soulignant une véritable lutte de pouvoir entre les deux têtes de l’exécutif.

La fin du « domaine réservé »

L’une des conséquences les plus marquantes de la cohabitation est la réduction de l’influence du Président de la République dans les affaires courantes. Bien que le domaine réservé (politique étrangère et défense) reste en principe intact, la cohabitation marque :

  • La fin d’une domination présidentielle sur l’ensemble de la politique nationale. Le Président ne peut plus imposer ses choix en dehors de ses prérogatives constitutionnelles.
  • L’émergence du Premier ministre comme chef de la majorité parlementaire, capable de s’affirmer face au Président. Le Premier ministre devient le véritable pivot de l’unité gouvernementale et de la mise en œuvre des politiques publiques.

Résumé : La cohabitation redessine les contours du pouvoir exécutif en France, en opérant un rééquilibrage institutionnel entre le Président et le Premier ministre. Elle marque un retour à une stricte application de la Constitution, où chacun des deux chefs de l’exécutif exerce ses compétences dans les limites fixées par le texte. Cependant, elle met également en lumière les tensions inhérentes à une situation où le Président, bien que désavoué politiquement, conserve une légitimité institutionnelle intacte. Dans ce contexte, le Premier ministre s’impose comme le véritable leader politique, soutenu par le Parlement et l’Assemblée nationale.

 

Les conséquences de la cohabitation

  • Une lecture stricte de la Constitution : dans un contexte de cohabitation, le Premier ministre, soutenu par la majorité parlementaire, devient le véritable chef de l’exécutif, déterminant et conduisant la politique de la nation (article 20).
  • Un Président en retrait sur les affaires intérieures : il conserve ses prérogatives constitutionnelles, notamment dans le domaine des relations internationales et de la défense, mais ne peut imposer ses choix dans d’autres domaines.
  • Une complémentarité contrainte : les relations entre le Président et le Premier ministre deviennent plus égalitaires, chaque figure respectant son champ d’action constitutionnel. Cette dynamique a été illustrée lors des cohabitations, notamment en 1986 avec François Mitterrand et Jacques Chirac, où des tensions sont apparues malgré la coopération institutionnelle.
Isa Germain

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