DROIT DES RELATIONS INTERNATIONALES
Que signifie « relations internationales »? Des termes latins referre, relatio, onis, relaxi, relatum signifiant apporter, rapporter, rapport et de inter gentes, entre les nations ; le concept relation internationale est un rapport entre les nations, d’une manière étymologique. Bien plus, elle ne concerne pas les nations, c’est plutôt les États et l’on dirait plutôt relations interétatiques.
Pour Roger PINTO, les relations internationales sont définies comme tous les rapports sociaux dont les acteurs ou les contenus se rattachent à deux ou plusieurs sociétés politiques étatiques. Le professeur YEZI préfère parler des acteurs et des contenus : Les relations internationales sont un « ensemble des rapports et communications s’établissant entre les groupes sociaux et traversant les frontières ».
Le droit des relations internationales est l’une des disciplines figurant au programme des premières années des Universités de droit et de science po. Seront étudiés dans ce cours : les les acteurs du droit international, l’Etat, les organisations internationales (en particulier l’ONU), la diplomatie… Voici le plan du cours de relations internationales.
- Introduction :
- Chapitre 1er : La constitution et les conséquences de la souveraineté étatique, l’État comme acteur des relations internationales
- §1 : Les facteurs d’apparition de l’État
- 1/ Explication sociopolitique
- A/ L’inverse de l’État, ou les caractéristiques du féodalisme
- B/ L’état comme produit de la monopolisation et de la centralisation
- 2/ Transformations économiques et genèse de l’Etat
- A/ L’apparition de l’économie-monde
- B/ La révolution industrielle
- §2 : La légitimation et la justification de l’Etat
- 1/ La souveraineté et ses sources
- A/ Du pouvoir du Prince à la souveraineté
- B/ La nation comme fondement de la souveraineté, ou le développement de l’Etat-nation
- C/ Les deux conceptions de la Nation
- 2/ Le droit international
- A/ Le droit naturel
- B/ Le positivisme
- C/ Un droit sans sanction ?
- Chapitre 2 : Complexification et remise en cause de l’ordre étatique
- §1 : La question de l’interprétation, les deux grandes perspectives sur les relations internationales
- 1/ Le modèle réaliste
- A/ L’équilibre des puissances
- B/ Une illustration privilégiée, le monde bipolaire
- 2/ La vision transnationale
- A/ La perspective libérale ou la solidarité internationale
- B/ Le transnationalisme ou ses avatars
- 3/ Conclusion : vers des formes de convergence et de dépassement des antinomies ?
- §2 : Les nouveaux acteurs et les nouveaux enjeux de la scène internationale
- 1/ Les firmes transnationales, les géants de l’ombre
- A/ Repérages et définitions
- B/ Les interactions entre firmes transnationales et Etats
- C/ Les firmes transnationales et la question sociale
- 2/ Les nouveaux acteurs de la violence, violences politiques et criminalité transnationale
- A/ Les groupes terroristes
- 1/ Problèmes de définition, du terrorisme à la violence totale
- 2/ De nouvelles conditions de développement
- 3/ Les civils dans la violence internationale, des guerres modernes au terrorisme
- 4/ De grandes interprétations contradictoires
- B/ La criminalité organisée
- 1/ Structuration mondiale des mafias et libéralisme économique
- 2/ Mise en cause de la personne humaine et autres dimensions de la criminalité transnationale
- 3/ L’émergence d’une priorité internationale
- 3/ L’émergence d’une régulation planétaire des relations internationales : le rôle des organisations internationales
- A/ Des géants incertains : rôle et nature des organisations interétatiques (O.I.)
- 1/ Structure et objectifs de l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.)
- De la S.D.N. à l’O.N.U. : les origines et la priorité de la sécurité collective
- Vers le « système des Nations Unies » : complexité et gigantisme
- 2/ Efficacité et limite du rôle de l’O.N.U.
- Les ambiguïtés du maintien de la paix
- Les paradoxes en matière de développement économique et social
- Critiques
- B/ De nouveaux intervenants en forte croissance : les organisations non-gouvernementales (O.N.G.)
- 1/ Le rôle des organisations non-gouvernementales dans les organisations interétatiques
Introduction :
Depuis fort longtemps et le 20eme siècle , les sociétés du monde ont été bouleversés par la politique internationale. Beaucoup de personnes s’accordent a reconnaître que qu’il y aurait une accélération , mutation de la manière dont la politiques international influence les différentes société et différents états. On assiste sur l’accélération du transfert des informations , des influences extérieurs , un approfondissement sur la capacité de pénétration et de transformation des sociétés nationales. Ces transformations sont reliés en générale a la modernité et également a l’essor de la révolution industrielle du 19eme siècle et aux révolutions technologiques qui y sont liée. A mesure que l’on s’approche du présent , il y aurait eu un accroissement constant des interdépendance internationales pour le meilleur a la rencontre des cultures.
Au delà de ses constants , la compréhension des relations internationales aujourd’hui demande de s’appuyer un triple questionnement fondateurs :
– savoir quels sont les acteurs importants signifiant dans le domaine de relation international : question qui structure l’ensemble des théories de ce domaine. En effet, il y a une divergence profonde entre 2 types d’explication : * Certains considères que les états sont les acteurs du système internationale. * D’autre cherchent plutôt a envisagé a coté , parallèlement aux états d’autre types d’acteurs comme des institutions public ou privée , institutions internationales, firmes international, entreprises… ou encore pensent qu’ils faut s’intéresse a des zones de marché et pour finir s’intéresser aux individus qui seraient de plus en plus des acteurs , porte parole de certaines causes.
Les arguments fort qui pèsent en faveur du rôle importants des états : Argument juridique et le rôle du droit public , argument en terme de puissance ( les états a les ressources de la souveraineté ) , argument en terme d’évolution sur la scène international contemporaine.
Les arguments en faveur des autres pensées : Argument d’échanges et de flux internationaux qui les rends peu matérialiste par les états. Argument sur le constat de convergence culturel , homogénéité croissante des modes de vie , des valeurs au niveau mondial.
Il y a une émergence d’une société transnationale.
– Se pose la question du mode de régulation possible du système international :
* Es ce que se sont toujours la diplomatie traditionnelle qui a un rôle déterminant dans la régulation des relation internationales ?
* Es ce que se sont de nouveaux états qui tracent l’avenir d’une nouvelle forme de régulation ?
* Es ce que se sont les organismes internationaux qui devront joué un rôle déterminant dans les relations internationale ? Finalement c’est bien le droit international qui doit être l’instrument principale de la régulation.
* Es qu’il est au final bien de tenter une régulation et plutôt de se contenter a saisir les états comme se qu’ils sont .
Le droit et la force de coopération renforcent et sont les bornes extrêmes ou s’inventent les relations entre les actions.
– Quels sont les principaux enjeux contemporains , quels sont les priorités , les forces profondes où s’organiseraient les forces international? Sont elles des priorités économiques , des priorités stratégiques de sécurité , des priorités environnementales ?
Les relations internationales sont une spécialité anglo-saxonne. Cette discipline s’est développé en grande Bretagne après la 1ere guerre mondiale et en France vers 1945. Il ne s’agit pas d’une discipline diversifié , on considère que c’est une sous-branche de la science politique. Les analyste dans ce domaine sont diversifié : historiens , juristes , géographes ( Yves Lacoste ) .
Quatre types d’instruments sont importants en relations internationales :
– L’histoire
– Le droit
– La sociologie
– L’économie.
Toute réflexion contemporaine doit s’intéresser au passé , aux évènements marquant , aux normes existantes , a l’apparition de phénomènes collectifs dans ou entre les nations et a la nature des volumes des échanges financiers.
L’étude des relations reste un perspective de compréhension et se n’est pas un science exacte ni normative.
Ses relations ont évolué depuis l’apparition du monde nouveau qui surgit le 9 novembre 1989 ( chute mur de Berlin) .
Les questions de sécurités sont apparu après les attentats du 11 septembre 2001 sont devenus pré-dominantes du fait de l’attitude de l’administration américaine.
Depuis 3 ans, on a l’impression d’une plus grande ouverture des interprétations , enjeux des ressources énergétiques , nourriture.
La Globalisation , mondialisation : Importance du terme « mise en jeu » et de « mondialisation » . Décrire l’ensemble des relations internationales contemporaines. La mondialisation n’est pas souvent défini.
A/ Un processus complexes et contradictoire
La mondialisation n’est pas une réalité statique ou un état de fait aujourd’hui . C’est un phénomène en cour , dynamique.
On peut discuter de son expansion , est-il si générale que cela ? …
On peut dire aujourd’hui pour relativisé certaine réalités de la mondialisation , notamment dans l’économie.
Tout d’abord , on peut avancer un certains nombre de critique : Le FMI qui avance que la mondialisation désigne l’interdépendance économique croissante des pays du monde. Cette définition reste soumise a des indicateurs économique contradictoire . Tout d’abord en terme de l’augmentation du volume des transactions transfrontieres de biens et de services , la part du commerce extérieur n’a augmenté que de 6% entre 1990 et 2001. Dans les autres zones , la part du commerce extérieur n’a progressé que de 15% , donc l’importance de la mondialisation économique est assez différentes selon les zones. L’interdépendance économique reste une tendance qui peut connaître un revirement.
On doit admettre en matière de flux financier , les échanges actifs ont connu une explosion lié a l’invention de nouveau type de produits financiers. 90% des échanges financiers ont lieu entre les pays développés.
Le FMI avance comme preuve de la mondialisation , la diffusion accélérée de la technologie.
Une limitation au processus de mondialisation est peu satisfaisante.
La mondialisation articule des processus a la fois :
– complexe. Il s’agit d’une tendance qui combine le libre mouvement des 4i ( investissements , industrie , information , individus. La mondialisation affecte l’ensemble des activités.
– Contradictoire : Si le monde tend a devenir plus globale , cela ne signifie pas qu’il deviennent de plus en plus homogène.
En France , la mondialisation serait une menace , et pour 70% se serait une menace en matière d’emploi.
La France est l’un des pays les plus mondialisé.
Au final , ses débats sur la nature de la mondialisation apparaissent très idéologique car réfléchir sur la nature de la mondialisation ne consiste pas a y jugé,
Chapitre 1er : La constitution et les conséquences de la souveraineté étatique, l’État comme acteur des relations internationales
L’état est une forme d’organisation assez récente et sans équivalence dans l’histoire des sociétés humaines. Il s’est progressivement substitué aux autres formes anciennes au point d’apparaître comme une réalité difficile à questionner.
Au niveau des relations planétaires, c’est le mode d’organisation déterminant, incontournable pour toutes les sociétés voulant s’affirmer. L’état est une notion qui recouvre les trois facteurs à travers lesquels on définit l’État : son territoire, sa population, et son pouvoir politique. ………………
§1 : Les facteurs d’apparition de l’État
1/ Explication sociopolitique
A/ L’inverse de l’État, ou les caractéristiques du féodalisme
Spécificité : extrême fragmentation du pouvoir politique. Trois éléments :
→ Très faible institutionnalisation : la société féodale manifeste notamment dans le cadre de liens vassaliques une prépondérance de l’élément personnel sur l’élément institutionnel dans l’exercice du pouvoir. Une seule et même personne, le seigneur, exerce de nombreuses fonctions. Différenciation des différentes fonctions qui seront confiées à l’administration spécialisée.
→ Morcellement de l’autorité : multiplication des relations personnelles. La pluralité des engagements vassaliques favorise la fragmentation et l’autonomie d’une multitude d’unités territoriales. Il n’existe pas de cadre unifié d’exercice du cadre politique à la différence de l’empire carolingien. En 1648, date symbolique → Traité de Westphalie : naissance de la notion d’État. Les rois reconnaissent définitivement la suprématie de l’État sur leur territoire en tant qu’autorité juridique et politique.
→ Très faible continuité des structures de domination politique dans le temps et dans l’espace. Les frontières fluctuent au gré des guerres et les frontières linéaires n’apparaîtront que progressivement qu’à partir de la seconde moitié du 17e siècle grâce notamment au progrès de la cartographie (Carte de Cassini 1625-1712 → début délimitation précise). Notion de frontières au sens moderne, limes = renforcement de la centralisation et du contrôle exercé par l’État.
B/ L’état comme produit de la monopolisation et de la centralisation
Norbert Elias a fortement souligné, dans son ouvrage « La dynamique de l’Occident » (1939), comment l’apparition de l’État est le produit d’un processus de monopolisation et de centralisation des trois principales fonctions régaliennes :
– L’exercice de la violence physique légitime
– Le pouvoir de rendre justice
– Le pouvoir de battre monnaie
C’est par la conquête d’un monopole dans ces trois domaines que l’État va émerger et affirmer son autorité. Il présente la civilisation occidentale comme le résultat d’un lent processus de domestication des pulsions, et montre le rôle capital joué par la société de cour aux diverses étapes de cette évolution.
Pour Elias, le mécanisme qui aboutit à une hégémonie est partout et toujours le même : il s’agit pour lui d’une véritable « loi du monopole » qui fonctionne de la même manière pour les entreprises modernes, s’élevant au-dessus des autres par l’accumulation de richesses. Cette loi du monopole est quasiment une loi mathématique.
Cette loi du monopole peut se comprendre à un triple niveau en ce qui concerne l’État :
→ Dans toute unité, dans tout réseau social d’une certaine étendue composé d’unités à peu près équivalentes et sans contrôle supérieur, l’équilibre ne peut se maintenir durablement. Cet équilibre évolue inexorablement vers le renforcement des chances de puissance sociale, des capacités d’action, de certaines unités au détriment des autres. Il s’agit pour lui d’une règle quasi-mathématique valant pour tout domaine et notamment pour celui de la fin féodale.
→ La loi du monopole, à un second niveau, signifie que pour maintenir une domination plus importante, il faut une organisation plus développée. En ce qui concerne l’État, cela signifie que plus on est amené à contrôler une vaste unité sociale, plus le réseau humain est important, plus la différenciation des fonctions devient nécessaire. En somme, un lien logique unit l’extension du territoire contrôlé (quand on passe de la seigneurie à de plus grand comté) au perfectionnement nécessaire de ce contrôle.
La machine administrative change de nature, et, à mesure qu’elle se complexifie, elle devient de moins en moins privée, personnelle, liée au seigneur et de plus en plus publique dans la mesure où le réseau social s’étend et ne concerne plus seulement le seigneur et quelques vassaux mais un nombre croissant d’administrateurs.
Il essaie de montrer comment le budget privé des Rois de France, un bien privé, est devenu quelque chose de public de manière automatique, car de plus en plus de personnes en dépendent, et devient de fait la condition de survie de tous ceux qu’il emploie : c’est cela qui fait changer de nature cet appareil. L’appareil administratif échappe à la propriété personnelle car beaucoup de personnes dépendent de sa survie.
→ Enfin, à un dernier niveau, il y augmentation d’une organisation qui permet d’assurer le monopole. En ce qui concerne l’État, la logique de monopolisation produit des effets sur les individus eux-mêmes. Il s’agit du cœur de la démonstration d’Elias, l’idée que le type de contrôle qui s’exerce dans une unité plus étendue affecte le comportement des individus et plus encore leur psychisme.
Dans le premier tome, la civilisation des mœurs, il développe le phénomène de curialisation des aristocrates européens, qui, de guerriers, deviennent des courtisans. Il s’intéresse à la société de cour, laquelle correspond à l’affirmation de l’État absolutiste, notamment en France.
Dans l’idée d’Elias, la centralisation du pouvoir entre les mains d’une organisation spécifique, de plus en plus impersonnelle, implique pour chacun un auto-contrôle pulsionnel de plus en plus important. Les aristocrates, désormais dépendants de la Couronne et du jeu de la cour royale, sont la preuve que l’expression de la violence et de la brutalité ne permet pas de réussir dans une organisation complexe où il faut de plus en plus calculer, s’assurer de soutiens multiples, lesquels reflètent l’interdépendance croissante des individus, y-compris des plus haut-placés.
La société de Cour d’Elias, c’est le fait que des guerriers violents dans une société contrôlée deviennent des courtisans pour chercher à obtenir des moyens royaux afin de maintenir leur rang. Ils ne sont plus vraiment des militaires mais vivent sur le bon vouloir du pouvoir royal.
Elias s’intéresse à la façon dont ils vont devoir maitriser leurs pulsions : cette manière de s’autocontrôler se diffuse jusqu’à nous. Elias essaie de montrer comment le psychisme humain est obligé de s’adapter à la société dans laquelle il se trouve. Il pense que l’usage de la fourchette est lié à ce qu’il appelle cette civilisation des mœurs.
Tout le monde est dépendant d’une multitude d’autres, et doit donc être capable de contrôler son psychisme. Les gens ne peuvent plus exprimer et intègrent en eux. Chacun doit se civiliser personnellement, selon lui. Il y a des endroits où l’on se décivilise.
Dans le cas de la France, la société féodale est effectivement marquée par une situation de compétition entre diverses unités de domination : les combats que se livrent ses unités, ou les familles qui les contrôlent, entraîne un mécanisme permettant au vainqueur d’asseoir sa puissance sur le territoire du vaincu.
En 1200, 7 familles ; en 1300, 5 familles ; en 1400, les Rois de France n’ont vraiment plus de rivaux. Ces familles sont devenues plus puissantes par des victoires militaires, et ils n’en restent plus qu’une, mécaniquement, 3 siècles plus tard.
– Le nombre de fonctionnaires spécialisés chargés de faire respecter les différents monopoles et surtout les impôts et l’armée se développent.
– Deuxième phénomène : l’apparition d’une lutte pour conquérir le contrôle de « l’unité centrale », devenir Roi. La lutte féodale disparaît au profit de la compétition à l’intérieur d’un État monarchique centralisé. Ceci renforce l’État.
– Enfin, le dernier phénomène, le rôle de la monétarisation qui permet au Roi de rétribuer en argent les fonctionnaires ou les vassaux chargés de l’administration du territoire ou de faire la guerre. Cette pratique permet l’abandon de la rétribution par des terres (qui avait caractérisé le début de la période féodale et eu pour conséquence de fractionner le territoire).
En outre, la monétarisation attribue une dépendance plus forte de la noblesse que par le passé, désormais obligée de demander au Roi ses moyens de subsistance. L’aristocratie cesse progressivement d’être une caste de guerriers, les officiers nommés par le Roi deviennent des fonctionnaires au service de l’État, en temps de paix comme en temps de guerre. A mesure que leurs mœurs doivent se civiliser, de par leur dépendance au Roi, ils développent et valorisent les formes d’auto-contrôle de soi qui deviennent ensuite pour toutes les catégories les conditions d’accès au poste de domination.
En somme, cette démonstration a le mérite d’insister sur la portée du phénomène qui entrelace des modifications structurelles des unités de domination politique, de leurs modes d’organisation et de la différenciation des fonctions qui s’y développent ; enfin, des relations entre les hommes et même du psychisme humain le plus profond.
Ce processus, bien entendu, se déroulera sur plusieurs siècles. Cela permet surtout de réfléchir sur la constitution d’un État, qui est lisible à trois niveaux.
2/ Transformations économiques et genèse de l’Etat
A côté de ces explications sociopolitiques sur l’apparition de l’Etat, d’autres auteurs ont insisté sur le rôle de l’économie marchande dans le développement d’une économie étatique.
On peut considérer que deux périodes ont eu des conséquences décisives, pour justifier comment l’Etat s’est développé en lien avec des réalités économiques
A/ L’apparition de l’économie-monde
Immanuel Wallerstein, socio-historien, a étudié cette période dans Le système du monde du 15e siècle à nos jours (1974-1982 ; 3 volumes). Pour cet auteur, le processus d’étatisation est en premier lieu le résultat des mutations économiques du capitalisme marchand à la fin du Moyen-âge.
Selon Wallerstein, c’est à cette époque qu’apparaît ce qu’il appelle l’économie-monde : elle est un système d’échange unifié qui se stabilise vers le 15e siècle et qui se caractérise par la mise en relation inégalitaire d’un centre situé au nord de l’Europe et d’une périphérie située pour sa part dans l’Europe orientale et méditerranéenne.
Cette transformation marque le début d’une nouvelle division économique du travail à l’intérieur des États du centre et de la périphérie. Elle s’accompagne également d’une division du travail entre ces deux aires géographiques. La périphérie est portée à devenir en quelque sorte le « grenier » du centre dont l’économie repose principalement sur le commerce.
En d’autres termes, ce qui se met alors en place est en résumé un système de domination particulier entre ces divers États, un système favorisant l’essor des structure étatiques du nord de l’Europe ; c’est notamment le cas de la dynastie des Tudor, ou des Bourbon en France.
Dans ces deux pays, le développement de l’Etat est favorisé par plusieurs nécessités : d’une part protéger les nouvelles activités économiques dominantes – le commerce, puis favoriser la recherche de ressources et de débouchés – par des formes variables de colonisation, de découvertes, et enfin par la nécessité d’assurer le contrôle des voies maritimes – lutte contre la piraterie.
Dans les pays de la périphérie, au contraire, la faiblesse des structures étatiques est favorisée par le développement du commerce avec les États du centre. Wallerstein montre que l’achat au comptant des denrées alimentaires par les États du centre pousse au développement de la monoculture, en particulier de la monoculture céréalière dans tous pays d’Europe de l’Est, ainsi qu’au développement d’élites locales qui monopolisent la vente d’une production d’une paysannerie maintenue dans la pauvreté.
En somme, dans ce système, que l’on peut qualifier de division internationale du travail, l’action des États dominants tend à favoriser une minorité qui leur est favorable pour éviter que les États plus faibles ne deviennent capables de les concurrencer ; il y a là une stratégie délibérée.
La conclusion de Wallerstein est que l’Etat moderne n’a jamais constitué une entité politique entièrement autonome ; pour lui, les différents États se sont constitués et ont pris forme comme partie intégrante d’un système étatique dont l’économie est la base.
Dans la perspective de Wallerstein, mais également d’autres auteurs, ce système d’économie-monde a en grande partie perduré jusqu’à nous. Aujourd’hui encore, la faiblesse de certains États en Amérique du Sud, en Afrique notamment, ne peut se comprendre indépendamment de leur place dans le système économique mondial. Leur faiblesse n’est pas simplement de leur fait mais doit s’interpréter en partie par les interactions économiques qu’elles ont.
Dans cette notion, c’est la vision de domination d’Etats sur d’autres qui s’imposent.
On peut d’ailleurs rappeler que l’école latino-américaine dite de la dépendance, dans les années 1960-1970, avec des auteurs comme Furtado et Carloso, s’était déjà inscrite dans la perspective à laquelle Wallerstein a apporté une caution scientifique et historique de premier ordre.
On peut dire que Wallerstein est un néo-marxiste et qu’il est allé chercher historiquement des arguments pour justifier un parti-pris : son travail est néanmoins considéré comme très convaincant et empreint d’une neutralité idéologique. La théorie de Wallerstein retrouve la même perspective que celle de l’école latino-américaine.
En effet, de manière plus économique et en s’appuyant sur les exemples contemporains de l’Amérique latine, ces auteurs avaient insisté sur le fait que le sous-développement de certains pays tenait d’abord à leur situation de dépendance à l’égard des pays plus développés. Cette dépendance se manifestait par l’échange inégal entre des matières premières exportées à des coûts faibles et des produits manufacturés ou technologiques payés très cher. Elle se manifestait également par la détérioration tendancielle des termes de l’échange, puisque les prix des matières premières tendaient à baisser et rester manipulés sur les marchés par de grands acteurs, de grands cartels monopolistiques.
Cette explication économique sur le sous-développement des pays sud-américains est quasiment la même que celle sur l’Europe du XVe siècle : ces pays ont été prisonniers d’un système équivalent (domination d’une élite locale). Certes discutables lorsqu’elles deviennent trop systématiques, ces perspectives éclairent aujourd’hui encore les problèmes de certains pays du Sud notamment, le recul des cultures vivrières au profit de spécialisations agricoles, ou agro-exportatrices.
De plus en plus de pays du Sud sont devenus des mono-exportateurs, principale source de revenu : or, le développement implique la pluralité des sources de revenus. Dès lors, dès que les grands opérateurs font baisser les prix, ces pays subissent cette baisse de plein fouet et se retrouvent extrêmement fragilisés. Cela a accentué la dépendance alimentaire de nombreux pays, devenus importateurs d’autres productions agricoles, ce qui a conduit d’ailleurs aux émeutes de la faim qui se sont multipliés depuis 2006 en Egypte, au Maroc, au Soudan, au Mexique.
La mondialisation comme économie-monde inégalitaire reste bien une question centrale de ce point de vue même si désormais plus personne ne propose réellement une déconnexion du système capitaliste mondial comme remède pour les pays du Sud, ainsi que le soutenaient encore certains au début des années 1980.
Faiblesse et force des États sont largement liés à l’introduction dans un système mondial, dont on trouve l’origine le plus vraisemblablement au 15e siècle. Il faut bien saisir que c’est à la fois en terme de prospérité économique qu’on peut le comprendre, mais pas seulement, puisque c’est lié à la capacité des États à être des acteurs qui protègent leur population.
B/ La révolution industrielle
La période de l’industrialisation est intimement liée au développement et au renforcement des États modernes. Pour beaucoup d’auteurs, cette période se caractérise par la mise en place d’une nouvelle division économique du travail et, par conséquent, par l’apparition de nouvelles classes sociales et de nouveaux antagonismes sociaux.
Dans cette perspective, l’Etat apparaît comme une entité organisationnelle dont le rôle devient de plus en plus déterminant au sein de la sphère économique. Cette période marque aussi l’apparition d’une sphère économique distincte de toute autre sphère d’activité humaine.
L’État connaît de fait une croissance exponentielle :
→ D’une part, tout d’abord, l’Etat remplit une fonction de « gendarme » des antagonismes sociaux qu’entraînent les bouleversements de l’industrialisation, d’où le développement important de la police et de l’armée. (Montée du prolétariat des villes ; Commune de Paris ; révolte des canuts : des conflits très forts peuvent apparaître et l’Etat est un moyen de garantir un certain ordre collectif)
→ D’autre part, et de manière parallèle, afin de soutenir l’industrialisation, l’Etat participe à la création d’institutions et de sociétés financières destinées à créer et à répartir des capitaux : c’est le développement de l’interventionnisme de l’Etat, avec notamment la création des banques de crédit sous le 2nd Empire.
→ Enfin, l’Etat prend en charge de manière croissante ce que les économistes appellent des « biens publics » indispensables au fonctionnement de l’économie de marché : la sécurité physique et juridique certes, mais également la fourniture d’énergie, de moyens de communication, le maintien d’un état sanitaire correct de la population, l’élévation du niveau d’éducation sont des éléments qui deviennent de plus en plus déterminants avec l’entrée dans l’ère compétitive dont s’accompagne la révolution industrielle.
En définitive, l’exercice de ces diverses fonctions entraîne le développement de l’administration dans la mesure où il appelle à la multiplication des organes bureaucratiques et à un renforcement de la division des tâches entre ceux-ci.
A compter de la fin du 19e et du début du XXe siècle, l’Etat social prend son essor et accentue encore cette tendance : il se développe dans une double perspective, à la croisée d’un souci de gestion des antagonismes sociaux et de revendications politiques de personnes qui, depuis la Révolution française, désirent vivre dans une société dans laquelle c’est à l’Etat qu’il revient d’assurer à chaque individu un minimum vital.
En Allemagne, dès les années 1880, puis en Angleterre et en France à compter des années 1910, se développent des formes collectives de prise en charge des accidents, de la vieillesse et de la maladie. Elles jettent les fondements d’une forme de « sécurité sociale » pour tous, qui sera généralisée après la 2nde Guerre mondiale avec l’affirmation de « l’État-providence » dans tous les pays développés. C’est l’Etat social développé à un niveau beaucoup plus élevé.
On peut remarquer à nouveau que ces observations historiques, peu contestables en elles-mêmes, ont entraîné des lectures plus normatives de la nature du système interétatique et du rôle des Etats modernes dans le cadre de l’industrialisation.
Plusieurs lectures normatives du système étatique ont été développées :
→ Karl Marx et Friedrich Engels y voient l’incarnation particulière d’une réalité transhistorique – la lutte immémoriale entre oppresseurs et opprimés – qui dans le mode de production moderne prend une dimension nécessairement internationale.
Le marxisme est une théorie de relations internationales : l’originalité de la lutte des classes dans le système moderne est nécessairement internationale. Dans le monde industrialisé, c’est nécessairement quelque chose qui a un sens international.
Les deux classes antagonistes, la classe bourgeoise et la classe prolétaire, se structurent à l’échelle internationale, d’où la nécessité de création de mouvements de lutte à cette échelle – d’où l’investissement de Marx et Engels dans la création de l’Internationale des travailleurs.
Pour Marx, ce qui est déterminant, c’est le changement de mode de production : on se trouve désormais dans une forme d’oppression de nature internationale et c’est à cette échelle qu’il faut s’unir pour lutter.
En somme, pour ces auteurs, les clôtures étatiques, et donc le rôle de l’Etat, sont le meilleur moyen de diviser les opprimés et d’affaiblir leurs luttes potentielles. De même, le nationalisme qu’on inculque aux opprimés ne profite qu’aux masses dominantes : on renforce le patriotisme pour empêcher les opprimés de s’unir alors que la bourgeoisie est internationale et ne croit pas au nationalisme, ou alors juste dans la mesure où cela empêche les opprimés de s’unir.
Lénine, en 1917, va prolonger la perspective marxiste dans son ouvrage l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme : il insiste pour sa part sur la concentration du capital et de la production qui pousse à la création de monopoles que leur taille poussent à trouver toujours de nouveaux débouchés plus rémunérateurs. Au final, les Etats capitalistes sont portés à l’affrontement pour défendre leurs monopoles nationaux : ils entrent dans une compétition planétaire intensive et souvent violente, qui d’ailleurs pour Lénine ne peut s’achever que par la guerre et par l’effondrement de ces Etats.
Désormais les Etats sont les champions de leurs monopoles nationaux et beaucoup d’analyses actuelles reprennent cette vision, pour caractériser l’attitude des Etats-Unis dans certaines régions du monde.
Ici encore, sans suivre ces analyses classiques jusqu’à leur terme, on peut néanmoins peut-être conserver l’idée du rôle central joué par les Etats dans la gestion des antagonismes sociaux propres aux économies modernes. Les Etats se sont renforcés à partir du 19e, car les antagonismes sociaux avaient changé de nature, et se renforcent aujourd’hui encore plus, dans cette période où les antagonismes sociaux se hérissent.
Ce rôle des Etats doit s’envisager en terme de maintien de l’ordre public, avec les moyens pénaux et policiers, et également en terme de régulation du conflit par des formes diverses de démocraties sociales. On peut ajouter également que l’idée d’une concurrence conflictuelle entre Etats, renforcée par l’économie moderne, n’est pas à négliger.
En résumé, ces diverses interprétations des effets des transformations économiques sur la genèse de l’Etat soulignent l’importance d’en comprendre le développement au sein d’un espace dépassant le cadre strictement national. Si l’Etat est un acteur déterminant des relations internationales, il en est donc en partie le produit.
§2 : La légitimation et la justification de l’Etat
Il convient de présenter la manière dont l’Etat se trouvera justifié et légitimé par un certain nombre de penseurs et de juristes dès la fin du Moyen-âge.
Le centre de cette opération de légitimation est le principe de souveraineté, principe de fait consubstantiel à la notion d’Etat elle-même et plus largement à l’ordre politique. La notion de souveraineté est beaucoup plus complexe à définir qu’il n’y paraît, elle est même extrêmement complexe.
Cette difficulté tient peut-être à ce que l’Etat lui-même articule une double perspective : une perspective interne, c’est-à-dire la domination à l’intérieur d’un territoire, et une perspective externe, c’est-à-dire la reconnaissance réciproque et l’absence de suggestion dans l’ordre international.
Toute la complexité provient donc du fait que cette notion est à la fois absolue et relative, les deux aspects étant, en l’occurrence, indissociables. Le juriste Beaud : la souveraineté est dissymétrique, c’est-à-dire répondant au principe de commandement à l’intérieur et au principe de consentement à l’extérieur.
La souveraineté internationale présuppose la souveraineté interne absolue pour qu’il y ait existence effective d’un sujet autonome pouvant s’appeler Etat.
La souveraineté interne présuppose la souveraineté internationale relative, c’est-à-dire impliquant la non-domination d’un Etat-tiers, s’arrêtant là où commence la souveraineté des autres.
Historiquement, le concept s’est développé sur ces deux plans et toutes les doctrines qui l’ont défini se sont efforcées de le développer : on peut tenter de dissocier de grandes sources d’inspiration, les unes relevant plus de l’ordre interne et les autres de normes régulant les relations entre Etats.
1/ La souveraineté et ses sources
La notion de souveraineté dans l’ordre interne va puiser d’abord à des sources intellectuelles et juridiques avant de s’ancrer dans une vision plus politique.
A/ Du pouvoir du Prince à la souveraineté
La notion de souveraineté dans l’ordre interne va s’ancrer d’abord dans le souci fonctionnel de garantir l’effectivité du pouvoir de gouverner. Trois auteurs peuvent valoir comme repère dans l’affirmation progressive de la souveraineté comme capacité absolue à exercer une autorité sur une population et un territoire.
Le premier est Nicolas Machiavel, qui en 1513 publie Le Prince, un traité décrivant l’art de gouverner mais qui surtout va contribuer à identifier le souverain à l’Etat. Le terme de machiavélisme va désigner par la suite une vision qui souligne et justifie les objectifs propres à l’Etat, objectifs pouvant s’exercer à l’encontre de sa propre population, ce qu’on appellera ensuite la raison d’Etat.
Machiavel apporte une perspective toute entière orientée vers l’efficacité politique, indépendamment de la morale. Il se préoccupe tout d’abord de la stabilité de l’Etat dans une période où règne le désordre. Comme Hobbes, il réfléchit dans une période de troubles, de guerres. L’important pour Machiavel, c’est l’existence d’un Etat, une structure politique permettant d’empêcher la guerre.
Pour Machiavel, tous les hommes sont méchants et disposés à faire usage de leur perversité dès qu’ils le peuvent. Il part donc du principe que l’être humain est mauvais. Aussi la politique ne peut être qu’à cette image et la seule priorité d’un dirigeant doit être la conservation du pouvoir et donc de l’intégrité de l’Etat. Tous les moyens sont justifiés pour cette fin, y-compris la violence.
Plus largement, le prince doit savoir se faire à la fois lion et renard. Il doit savoir utiliser la force, inspirer la crainte, donner la mort, être inflexible à ses ennemis, mais doit savoir aussi dissimuler, manipuler, colorer ses vraies objectifs et sa vraie nature.
Machiavel ouvre la voie à la politique moderne, une politique où l’emporte l’éthique d’efficacité, les exigences du pouvoir sur les droits individuels, la stabilité de l’Etat.
Le deuxième est Jean Bodin (1530-1596) : il va s’inscrire en partie dans la perspective de Machiavel dans un ouvrage qui s’appelle Les six livres de la République (1576). Bodin est le premier à utiliser clairement la notion de souveraineté, à fixer le concept et à en faire le fondement du pouvoir civil au sens d’une autorité absolue qu’exerce un prince sur les sujets de son Royaume. Il écrit au cœur des guerres de religions, 4 ans après la St-Barthélémy (1572).
Son souci à lui aussi est de fonder sur des principes abstraits, universels, ni religieux ni historiques, la nécessité de l’unité et de la permanence du pouvoir monarchique. Il a également le souci de justifier l’intérêt de conserver une unité, car sa perte entraîne un désordre coûteux pour les populations. Le pouvoir du Prince sur son territoire est sans limites hormis les lois de Dieu et de la Nature. Le Prince ne peut agir n’importe comment mais son pouvoir est tout de même sans limite : il est le garant de l’ordre politique et il n’est pas tenu par les obligations qu’il impose.
La souveraineté de l’Etat qu’il incarne est indivisible : elle s’exerce également à l’égard des autres Etats mais cette souveraineté est également perpétuelle, c’est-à-dire que Bodin valide l’idée d’une puissance véritablement publique, qui n’est la propriété de personne sinon de la communauté tout entière.
Le monarque, écrit Bodin, n’est que le garde de la puissance. L’Etat, désormais, est d’abord l’idée abstraite qui exprime la continuité d’une puissance indépendante de la diversité des formes de Gouvernement. Cet Etat perdure et sa souveraineté exprime qu’il est perpétuel et qu’il représente une autorité absolue et sans limite. C’est à cette condition, pense t-il, que l’on peut maintenir une unité et empêcher les déchirements qu’il observe au sein de la population.
Le troisième est Thomas Hobbes (1588-1679), qui va lui aussi écrire dans le cadre troublé des guerres civiles que connaît l’Angleterre, de 1642 à 1648. Hobbes est réfugié en France, suite à ces troubles et son souci, comme chez ses deux prédécesseurs, est d’abord de justifier la stabilité de l’Etat contre le désordre, stabilité qu’il assimile à un pouvoir absolu.
Hobbes montre que les Hommes se soumettent volontairement au souverain, forme abstraite qu’il appelle Léviathan, seul moyen pour eux d’assurer leur sécurité. Dans l’ouvrage du même titre, paru en 1651, Hobbes développe une argumentation selon laquelle les hommes préfèrent abandonner une part de leur liberté à un souverain, qui assure leur sécurité, plutôt que de vivre dans la crainte perpétuelle de la mort, plutôt que de vivre dans un Etat de nature, dans lequel « L’Homme est un loup pour l’Homme ».
Hobbes considère que le souverain est à la fois le garant de la paix civile et le protecteur de la communauté contre les guerres étrangères. Il fonde l’origine même de ce pouvoir sur l’idée du consentement volontaire, sur l’idée du contrat social, un contrat par lequel les hommes s’en remettent au pouvoir absolu d’un Etat auquel il n’est pas permis de résister et dont le pouvoir est illimité, indivisible, irrévocable.
On peut retenir trois conséquences de cette évolution de la notion de souveraineté :
1/ Avec ces penseurs, la notion de monarque, de prince, renvoie de moins en moins à un individu et de plus en plus au pouvoir politique lui-même. La théorie des deux corps du Roi résume cette perspective en dissociant le corps mortel du Roi de son corps éternel, celui du pouvoir politique et de l’Etat. En ce sens, le Roi ne peut jamais mourir. C’est l’inverse de ce sur quoi on avait insisté au moment du féodalisme.
2/ L’apparition de la notion de souveraineté est indissociable de l’affirmation de la conservation de l’Etat comme priorité absolue et incontournable. L’idée de « raison d’Etat » devient le principe par lequel le pouvoir peut s’autoriser, exceptionnellement et au nom d’impératifs supérieurs, à prendre des mesures contraires à toutes les valeurs humaines, à la morale et au droit. La violence, le secret et le mensonge deviennent, au nom de la raison d’Etat des moyens d’action légitimes soit pour protéger le territoire mais aussi parfois à l’encontre de la population elle-même.
La raison d’Etat, de ce point de vue et malgré ses contradiction évidentes, continue aujourd’hui encore d’être régulièrement invoquée par les gouvernements démocratiques dans certaines circonstances. La raison d’Etat, c’est ce qui relève de la conservation de l’Etat lui-même. En 1987, Charles Pasqua avait affirmé que « la démocratie s’arrête, là où la raison d’Etat commence ». De même, c’est au nom de ce principe que l’administration américaine a privé des islamistes radicaux de leurs droits de prisonniers de guerre.
La raison d’Etat est un détournement du droit et de la démocratie.
3/ L’affirmation de la souveraineté transforme la nature et le contexte des relations internationales. En effet, ces théorisations affirment une capacité de décision qui ne se partage ni ne se divise plus. Elles entérinent en ce sens le recul de l’influence de l’Eglise, qui, jusqu’au 15e siècle, s’affirmer encore comme une autorité supranationale.
Jusqu’à cette date en effet, le Pape sacre des empereurs, peut sanctionner des souverains dérogeant au droit de l’Eglise, peut engager des guerres comme lors des appels aux croisades, peut poursuivre les hérétiques et est même supposé arbitrer les conflits entre princes chrétiens.
Avec la notion de souveraineté, le pouvoir politique s’émancipe : les traités de Westphalie de 1648 interviennent ainsi au terme de la Guerre de Trente ans qui oppose les princes devenus protestants d’Europe centrale au Saint-Empire romain germanique, ces princes, soutenus par le Royaume de France, obtenant au final la pleine et totale souveraineté sur leurs territoires respectifs.
Désormais, les relations internationales se dérouleront entre des Etats souverains et juridiquement égaux. La démocratie, de fait, va s’institutionnaliser progressivement avec l’instauration de ministères des Affaires étrangères, de représentations permanentes ainsi qu’avec la règlementation des diplomates et des consuls. Peu à peu, les puissances commerciales – Venise, Gênes, la Hollande, l’Angleterre – donnent naissance à un droit maritime de plus en plus précis : deux siècles plus tard, vers 1870, on considère que les premiers principes du droit international public sont définis et codifiés.
Bentham inventera le néologisme d’international. Désormais on reconnaît que les Etats sont souverains et indépendants, qu’ils ont plein autorité pour faire la guerre et conclure la paix, contracter des alliances et faire des traités, réglementer le commerce, etc.
B/ La nation comme fondement de la souveraineté, ou le développement de l’Etat-nation
La Révolution française marque l’abandon de la légitimité de la monarchie de droits divins : en d’autres termes, pour maintenir la continuité de l’Etat, il convient désormais de fonder la souveraineté sur d’autres choses que la religion et la tradition.
Dès le XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières avaient critiqué le pouvoir absolu du Prince et contribué à faire émerger une nouvelle conception de la politique. Ainsi, Montesquieu définit-il, dès 1748, dans l’Esprit des Lois, les conditions d’exercice et de limitation du pouvoir au travers de la notion de Constitution, fondement rationnel et juridique de la souveraineté, et définit par là-même la limite du pouvoir politique.
Quelques années plus tard, Jean-Jacques Rousseau affirme que la Constitution n’a de valeur que dès lors qu’elle s’appuie sur l’acceptation du peuple qui décide librement de se soumettre à un Contrat social. La Révolution reconnaît, proclame, l’idée de souveraineté populaire, l’idée du Peuple comme fondement de la souveraineté. Cette notion pose des problèmes de mise en œuvre : Rousseau considère que la démocratie directe en permet l’exercice. Cette dernière semble cependant difficile à mettre en œuvre à l’échelle des Etats les plus étendus.
La théorie de Sieyès, la souveraineté nationale, permettra de résoudre cette contradiction : pour celui-ci, ce n’est pas le peuple lui-même qui détient la souveraineté mais la Nation, prise comme une entité collective. C’est un artifice, une ruse juridique, très puissante : la Nation, de fait, s’exprime par l’intermédiaire de ses représentants et c’est au travers de l’élection de ces derniers chargés d’élaborer la loi et d’administrer l’Etat que le peuple participe à la souveraineté.
Cette évolution marque la naissance de l’Etat-nation moderne, conception qui aura de multiples et profondes conséquences sur les relations entres les Etats et à l’intérieur de ceux-ci.
C/ Les deux conceptions de la Nation
Deux conceptions de la Nation vont se développer au cours du 18e siècle :
La première, issue de la Révolution française, considère la Nation comme une entité abstraite et juridique. Selon Sieyès, il s’agit d’ « un corps d’associés vivant sous une loi commune et représenté par le même législateur ». C’est une conception subjective, dans laquelle toutes les particularités ethniques ou culturelles doivent se fondre dans le creuset de la Nation.
Une formule fameuse du Comte de Clermont Tonnerre de 1791 résume cette perspective « il faut tout refuser aux Juifs comme Nation et tout accorder aux Juifs comme individus ».
Nation politique d’assimilation des étrangers et reconnaissance des minorités nationales.
Une autre conception de la Nation se développera sous l’influence du romantisme, qui valorise les sentiments plus que la raison : la Nation est définie par la permanence de son identité, de son âme collective, le Volksgeist. Cette conception conduit à fonder la nationalité sur le droit du sang : on est allemand car on est né de parents allemands.
Dans la pratique, ces deux conceptions vont souvent se mêler et, au niveau international, on comprend la difficulté à analyser les revendications nationalistes. En effet, le discours nationaliste transcende les différences de classes, de statut, parfois de religion pour promouvoir un sentiment d’attachement à l’Etat dépassant tout autre forme d’allégeance collective.
Le discours nationaliste peut donc d’un côté favoriser une idéologie de la solidarité et de la démocratie, il peut permettre l’émancipation politique au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce principe d’inspiration nationaliste a été inscrit dans la Charte des Nations-Unies de 1946 et, sur sa base, seront engagés les mouvements de décolonisation, que ce soit au début du 19e siècle (Amérique du Sud) ou dans la seconde moitié du XXe siècle.
Le nationalisme peut servir des idéologies ethnocentristes, xénophobes dès lors qu’il exalte l’homogénéité politique et culturelle : il sert parfois de justification aux revendications territoriales.
En somme, réalité émotionnelle très complexe, l’attachement à la Nation bouleverse les relations internationales. La composante nationale inscrit l’Etat dans une réalité extra-juridique, désormais déterminante.
2/ Le droit international
Progressivement, la société internationale s’est constituée d’Etats souverains, juridiquement libres et égaux. Cette extension à l’ensemble du monde de l’Etat comme principale forme du développement politique a été favorisé par le droit international public.
D’un côté, il est impossible d’envisager un ordre juridique international indépendamment de la souveraineté des Etats, sauf à nier celle-ci. Les Etats sont donc à la fois les auteurs et les sujets des normes par lesquelles ils acceptent d’être liés.
D’un autre côté, la question se pose du sens et de la validité d’un ordre juridique international dès lors qu’il n’existe pas de véritable pouvoir de sanction à cette échelle. Le droit international n’est en rien assimilable à la création d’un droit interne : il naît entre des entités souveraines et indépendantes.
Les juristes, dès la fin du Moyen-âge, vont développer deux conceptions des origines des règles de droit international
A/ Le droit naturel
Son origine se trouve dans l’œuvre d’Aristote, reprise par Thomas d’Aquin (1225-1274). Cette vision repose sur le principe qu’il existe un droit naturel relevant de la nature de l’homme, lequel est un « animal politique », un être aspirant à vivre en société.
En un mot, le droit positif doit s’appuyer sur des règles de justice et d’équité plus anciennes, supérieures, relevant des fondements-mêmes de la communauté humaine.
Le dominicain Francisco de Vitoria (1486-1546) sera le premier à affirmer que les Etats souverains et libres ont besoin comme les individus de vivre en société. Ils doivent donc développer un système juridique pour régir leurs relations, un système reposant sur le principe du respect de la parole donnée (pacta sunt servanda) qui sera à la source des traités internationaux.
Les cinq règles que Vitoria juge nécessaires et justes sont que les Etats
→ doivent respecter mutuellement leur souveraineté,
→ ne pas intervenir dans les affaires des autres,
→ admettre la libre-circulation des hommes et des marchandises,
→ accepter la liberté des mers et des fleuves internationaux,
→ garantir les droits des ambassadeurs et des droits des civils en cas de guerre.
Grotius (1583-1645), souvent considéré comme étant le père du droit international, continuera dans le même esprit que Vitoria, en particulier dans un ouvrage écrit en 1625 et traduit dans toutes les langues européennes au siècle suivant, De iure belli ac pacis (Sur les lois de la guerre et de la paix).
Pour Grotius, seul le droit peut limiter la responsabilité des Etats puisqu’il n’existe pas d’organes supérieurs à ceux-ci. En cas d’atteinte aux droits fondamentaux, il considère qu’il est légitime de la part d’un Etat de faire la guerre.
Il imagine des règles concernant le sort des prisonniers, le butin… Certes la réalité des relations internationales n’a cessé d’apporter des démentis à ses constructions théoriques, aujourd’hui pourtant les droits de l’homme, qui jouent un rôle important sur la scène internationale, s’inscrivent dans la perspective d’un droit naturel antérieur et supérieur aux Etats. Sa mise en œuvre reste souvent complexe et controversée ;
Ainsi, la doctrine du droit d’ « ingérence » en est un des exemples contemporains les plus caractéristiques. Apparue à la fin des années 1980, portée par des ONG et par la France en partie, cette notion a été définie pour soutenir un devoir d’assistance humanitaire qui ne soit plus limité par le respect de la souveraineté des Etats. Au fil des années 1990, l’ONU s’en est réclamée pour justifier diverses interventions telles que la création de couloirs d’urgence humanitaire et l’accès aux populations kurdes menacés par le Gouvernement irakien en 1991 ; en 1992, pour acheminer l’aide d’urgence à Sarajevo.
En somme, au nom du droit naturel, la création du principe d’un droit de regard à l’intérieur des Etats et voire même d’un droit d’intervention pour protéger les populations menacées de crimes, de génocides, est désormais admise. Cela étant, ce droit est aujourd’hui fortement remis en cause ou discuté dès lors que les interventions possibles peuvent aussi servir les intérêts d’Etats plus puissants que celui concerné et interroge la nécessité de maintenir avant tout la souveraineté nationale.
On pensera également au cas de l’Afghanistan.
B/ Le positivisme
On retient comme un positiviste du droit international, le suisse Emer de Vattel. Dans la perspective du positivisme, tout est affaire de conventions et aucun principe n’est supérieur au droit tel qu’il est mis en œuvre et accepté. Pour Vattel, les Etats sont libres d’interpréter le droit naturel comme ils l’entendent et ils sont libres d’apprécier ce qu’il convient de faire pour remplir leurs devoirs internationaux.
Leur intérêt, en somme, est seulement de s’entendre de manière volontaire sur des règles d’interprétation du droit naturel. Ainsi, dans cette perspective, une guerre est juste non pas seulement quand elle répare une injustice puisque le but des guerres relève de l’appréciation libre de l’Etat.
Cette conception va fonder le droit international classique comme un simple droit de coordination et non de subordination. Il s’agit d’une perspective minimale, en somme, qui vide, pour ainsi dire, le droit international de toute exigence morale et qui sera souvent critiquée, notamment pour son incapacité à fonder durablement la paix.
Dans cette perspective, le droit international reste un droit de la souveraineté, un droit de coordination entre des souverainetés indépendantes et, en définitive, un droit absolu.
C/ Un droit sans sanction ?
On peut noter pour finir qu’en matière de droit international, aujourd’hui encore, il n’existe aucune règle, aucun texte qui puisse s’apparenter à une forme de Constitution nationale et de fait s’imposer à un Etat qui n’aurait pas choisi de s’y soumettre. Même la Charte des Nations-Unies reste un simple traité interétatique, elle reste une charte volontaire qui ne s’impose pas à l’ensemble des Nations.
En outre, les caractéristiques propres au droit international posent le problème de sa sanction et de sa mise en œuvre. Ainsi par exemple, aujourd’hui encore, la sanction contre un Etat qui viole la paix internationale reste soumise à un double verrou que seuls les Etats les plus puissants peuvent lever : le verrou politique du Conseil de sécurité de l’ONU et le verrou militaire et financier des moyens à mettre en œuvre.
Ainsi, seules les agressions de la Corée du Nord, en 1950, et de l’Irak en 1990 ont été sanctionnées militairement et économiquement par la Communauté internationale. Dans les autres organisations internationales, telles que l’OMC, on se limite à la publication de rapports, à l’interdiction du droit de vote, voire à l’exclusion des Etats transgressant les règles auxquelles ils ont adhéré. Ces sanctions sont rarement efficaces et c’est en fait, le plus souvent, par la voie diplomatique ou par des contremesures de rétorsion que les autres Etats s’efforcent d’agir.
On peut en définitive avoir deux positions extrêmes quant à l’importance du droit international :
1/ Soit l’on considère que dans la mesure où il est dépourvu de sanctions véritables et repose sur la volonté des Etats, il est finalement secondaire par rapport aux véritables attributs de la puissance. La mise en œuvre et les effets du droit international seraient en ce sens totalement liés à la puissance réelle d’un Etat. Lorsque les Etats-Unis prennent des mesures unilatérales contre la France, aucune organisation internationale ne parvient à les faire renoncer.
On peut penser ici à Pascal : en droit international, la justice est toujours assez largement le droit du plus fort. De la même manière par exemple, lorsque l’Allemagne viola la neutralité de la Belgique, le Chancelier allemand affirma « la force c’est le droit ».
2/ Soit l’on considère que la violation du droit international n’en signifie pas pour autant la totale négation. Au contraire, s’il y a violation, c’est bien que le droit existe et qu’il est d’une certaine manière reconnu comme légitime. Le problème serait en somme davantage de l’ordre de la mise en application et du renforcement des capacités de la Communauté internationale à l’obtenir.
En ce sens, les règles du droit international tendent à s’appliquer dans le droit interne des Etats, où là elles ne sont plus dépourvues de capacité de sanctions. Ainsi la France reconnaît, à l’article 55 de la Constitution, que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés sont supérieurs aux lois, sous réserve de leur application par l’autre partie.
La seule réserve à l’intégration du droit international dans l’ordre interne est que ces traités ne soient pas contraires à la Constitution. C’est la raison pour laquelle il a fallu une modification de la Constitution pour la ratification du Traité de Maastricht en 1992 et qu’il a fallu une modification constitutionnelle en 1999 pour reconnaître la création de la CPI.
D’un certain côté, on peut remarquer qu’un certain nombre de pays, parmi les plus puissants, les Etats-Unis, la Chine, l’Inde n’ont pas ratifié le traité de création de la CPI adopté en juillet 1998 par plus de 120 pays. On remarquera, dans le même sens, que la France ne l’a ratifié qu’à la condition expresse de limiter les poursuites possibles pour les crimes de guerre les plus graves qu’aux circonstances où ceux-ci s’intégreraient dans un plan, une politique délibérée, et dans le cadre de crimes commis à grande échelle.
La France s’était ainsi prémunie de toutes mises en cause de ses forces militaires, notamment suite à leur attitude dans le conflit en Ex-Yougoslavie, l’accusation de non-assistance à la population musulmane.
D’un autre côté, Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, avait considéré que cette création était un pas très important sur la voie d’un respect international des droits de l’Homme et de la légalité. C’est dans sa pratique que cette Cour fera ou non la preuve de sa capacité à imposer véritablement un droit commun à l’ensemble des Etats de la planète.
Chapitre 2 : Complexification et remise en cause de l’ordre étatique
On envisage ici les raisons pour lesquelles l’ordre étatique s’est trouvé progressivement remis en cause ou contesté par l’émergence d’un certain nombre d’acteurs et d’enjeux spécifiques.
§1 : La question de l’interprétation, les deux grandes perspectives sur les relations internationales
Il n’y a pas en matière de relations internationales de théorie interprétative faisant l’unanimité. Et ceci pour deux raisons :
1/ Le domaine est extrêmement vaste et complexe : les facteurs interprétatifs sont par conséquent encore plus nombreux qu’en matière de politique intérieure Tous ces facteurs ont une importance, qu’il s’agisse des relations économiques, du rôle des organisations internationales, des flux humains ou d’information qui traversent les frontières ou encore des alliances stratégiques.
En somme s’il est possible d’être précis ou rigoureux sur l’interprétation de questions circonscrites, il est impossible de proposer une théorie scientifique de l’ensemble des relations internationales
2/ L’interprétation dans ce domaine ne pose pas seulement des problèmes de connaissance. En effet l’interprétation sert également à l’action ou oriente en tout cas la politique internationale en proposant une lecture des évolutions du monde.
1/ Le modèle réaliste
La perspective réaliste est incontestablement l’une de celles qui a dominé la compréhension des rapports internationaux. En tant que modèle d’interprétation, elle s’est considérablement développée dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.
A/ L’équilibre des puissances
C’est la prétention à suivre la vérité des choses plutôt que l’idée que l’on s’en fait. En d’autres termes, le réalisme, en relations internationales, est opposé à des visions plus idéalistes, plus juridiques.
Le réalisme insiste sur la dimension conflictuelle de la politique internationale, une dimension qui met en avant le rôle de l’Etat et une dimension que révèle l’histoire. Le réalisme, en ce sens, s’inscrit dans la continuité de penseurs tels que Machiavel ou Hobbes.
Comme ces derniers, les réalistes pensent que dans l’Etat de nature, le monde est livré aux instincts des juristes et aux conflits d’intérêt entre les hommes.
Si dans la société interne, l’Etat, le Léviathan, permet d’assurer la paix et la sécurité, dans la société internationale en revanche, on ne peut que demeurer dans l’Etat de nature, dans une situation toujours potentiellement en proie aux guerres et au chaos. Les réalistes considèrent que la société est naturellement anarchique et conflictuelle. Cette vision, cette interprétation a notamment été portée par des auteurs tels que Morgenthau, Kissinger et Aron.
Aron, dans son ouvrage Paix et guerre entre les nations (1962), pose tout d’abord qu’il faut penser les relations internationales comme un domaine spécifique. Il s’agit en effet pour lui du seul domaine où les Etats ont reconnu la légitimité du recours à la force armée de la part des intervenants. Pour Aron, le militaire et le diplomate sont deux acteurs complémentaires des relations internationales. Il y a même, en ce domaine, continuité dans les manières d’agir.
Ainsi, même dans la guerre il y a de la diplomatie et inversement le poids des forces militaires joue un rôle dissuasif dans toute négociation. Les relations internationales sont un domaine où il est difficile de différencier ce qui relève de la diplomatie et de l’usage de la force militaire.
Plus largement pour Aron et les réalistes en général, les rapports entre les Etats sont nécessairement des rapports de force, c’est-à-dire d’opposition entre des puissances.
Les réalistes vont notamment raisonner en considérant le monde comme un « système international », c’est-à-dire comme un ensemble d’éléments interdépendants, ensemble qui peut être plus ou moins stable ou plus ou moins incertain et en évolution.
Cette idée d’une relation structurelle dans un système entre les puissances internationales avait déjà été développée par l’historien grec Thucydide dans son ouvrage La guerre du Péloponnèse. La démonstration de Thucydide (460 av. J.-C. – 400 av. J.-C) est la suivante : une cité s’arme pour se protéger d’une autre ; une fois dotée d’un outil militaire puissant, elle se dit qu’elle serait mieux protégée en faisant passer sous sa tutelle des autres cités et devient du coup impérialiste et agressive.
En d’autres termes, pour les réalistes, la stabilité d’un système international dépend du nombre de puissances et de leurs alliances mais elle est mécaniquement vouée à évoluer, à être remise en cause, dès lors que cette puissance ne s’équilibre pas parfaitement.
Aron résume par quatre traits spécifiques le domaine des relations internationales :
→ L’absence de tribunal et d’instance détenant le monopole de la force légitime
→ Le droit de recours à la force
→ La pluralité des centres de décision, les Etats étant souverains
→ L’alternance et la continuité de la paix et de la guerre
Raymond Aron en déduit que les deux principales variables du système international sont les suivantes :
→ La configuration des rapports de force : s’agit-il d’un système bipolaire ? Pluri-polaire ? Unipolaire ?
→ La parenté ou l’opposition entre les régimes intérieurs des Etats qui vise à décrire l’homogénéité ou l’hétérogénéité du système international, et donc sa capacité à se réguler par la diplomatie.
Dès lors qu’il s’agit de deux systèmes politiques et idéologiques opposés, le système international n’est pas stable car trop hétérogène. On peut penser aussi à la révolution iranienne. Dans cette perspective, le système international le plus homogène serait celui dans lequel il n’y aurait que des démocraties. Ce critère est aujourd’hui un peu moins retenu.
On peut retenir que le réalisme pense le système international à travers les trois notions d’Etat, de violence et d’anarchie tempérée par l’équilibre des puissances.
B/ Une illustration privilégiée, le monde bipolaire
La vision réaliste des relations internationales qui préconise la formation d’alliances et une régulation par l’équilibre des puissances est fortement liée à la situation internationale qui s’est mise en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
On peut rappeler les trois grandes caractéristiques de celle-ci :
→ Le développement et le perfectionnement des armes de destruction massive, la Pax atomica, la balance of terror, résumé par la formule de Raymond Aron « Paix impossible, guerre improbable ».
En effet, en dépit des principes proclamés dans la Charte des Nations-Unies le 26 juin 1945, prévoyant avec la mise en place du Conseil de sécurité une cogestion de la sécurité collective au niveau international, l’antagonisme entre l’URSS et les USA s’impose dès cette date comme le véritable fondement du nouvel ordre mondial.
Rappelons que le Conseil de Sécurité, composé de cinq membres permanents disposant d’un droit de véto (USA ; Fédération de Russie ; Chine ; Royaume-Uni ; France), auquel s’adjoignent 10 membres élus par l’Assemblée générale pour un mandat de deux ans, doit aider à trouver des solutions pacifiques à tout conflit. En fait, ce Conseil va se trouver paralysé tout au long de cette période par le véto des grandes puissances et devient ainsi un simple lieu de négociations.
Ce n’est que quand se relâchera l’affrontement entre les deux blocs que le Conseil se ressaisira de son droit à autoriser des interventions militaires pour mettre fin à des hostilités ou sanctionner certains Etats.
On peut dire en effet que dès l’explosion de la première bombe atomique soviétique en septembre 1949 puis des bombes H américaines en 1952, il est clair que le risque de destruction mutuelle est assuré. Le développement des missiles stratégiques permet progressivement une menace directe et permanente sur le territoire américain et les règles de la dissuasion nucléaire s’imposent aux deux acteurs.
La crise de Cuba, en octobre 1962, révèlera les termes d’un équilibre, l’Urss renonçant à l’installation de missiles sur Cuba les Etats-Unis retirant les leurs installés en Europe depuis 1957. En d’autres termes, l’équilibre de la terreur : chacune des puissances sera confronté à l’impuissance de la puissance caractérisée par l’arme nucléaire.
→ Les caractéristiques stratégiques se concrétisent par la mise en place d’un ensemble d’alliances : l’OTAN se met en place en 1948-1949, et permet aux américains de se placer à la tête du monde libre en assumant un rôle de gestion à l’échelle de la planète. Ils maintiendront plus de 300.000 hommes en Europe durant cette période.
Le système d’alliance américain permet une marge de manœuvre aux autres Etats comme la France, qui, après s’être dotée d’une force de frappe nucléaire en 1960, se retirera du commandement de l’OTAN en 1966 tout en maintenant sa collaboration politique.
Du côté soviétique, le système est beaucoup plus rigide et articule une instance économique (COMECON) qui permet aux soviétiques de contrôler les relations commerciales dans le bloc de l’est et une instance politique, le Kominform, coordonnant l’activité des partis et le pacte de Varsovie, créé en 1955 en réponse directe à l’OTAN.
→ La troisième caractéristique de ce monde bipolaire est ce que l’on peut appeler le rejet de l’instabilité à la périphérie. En effet, si ce système est stable au niveau central par l’équilibre de la dissuasion, d’où le terme de Guerre froide, il est marqué par des conflits localisés dans lesquels les deux blocs évitent les conflits directs et reconnaît à l’autre une sphère d’influence réservée.
C’est le cas par exemple de la part des Etats-Unis avec la répression en Hongrie en 1956, et en Tchécoslovaquie en 1968. C’est le cas pour l’URSS avec la guerre du Vietnam, lors de l’intervention militaire à St Domingue, ou lors des événements du Chili en 1973
On voit comment ce système de relations confirme la vision réaliste. D’un côté pas de principe moraux ou éthiques mais seulement la reconnaissance de la force de l’autre camp et d’un intérêt mutuel à éviter la crise ouverte. De l’autre, non pas la paix, mais entre les mers, un front central gelé avec pourtant au total près de 40 millions de morts dans les conflits régionaux au cours de cette période.
Face à ce monde bipolaire, les quatre grands postulats de l’approche réaliste semblaient vérifiés :
→ Les acteurs des relations internationales sont des Etats
→ La scène internationale est caractérisée par l’anarchie, l’état de guerre potentiel, du fait de l’absence d’autorités supranationales.
→ Les Etats n’ont pour but que l’accroissement de leur intérêt national et de leur puissance.
→ La stabilité ne peut être assurée que de manière provisoire par l’équilibre des puissances.
Les réalistes voient le monde un peu comme une table de billards, où les Etats évoluent de manière autonome, en se repoussant ou s’entrechoquant parfois.
En dépit de ses prétentions à décrire le monde tel qu’il est, ses prétentions objectivistes, le réalisme a largement contribué en fait à créer le monde qu’il prétendait décrire. En effet, le réalisme n’est pas seulement une doctrine académique, il s’est imposé comme une doctrine stratégique, une doctrine qui n’a cessé d’orienter la diplomatie américaine.
Les Etats-Unis, depuis 50 ans, ont compris le monde en termes réalistes. A l’exception peut-être de Jimmy Carter et de Barack Obama, toutes les sphères dirigeantes ont adhéré à la représentation réaliste des relations internationales.
Le symbole de cette collusion est illustré par H. Kissinger, un des principaux responsables de la théorie du réalisme, notamment dans la mise en œuvre de la guerre au Vietnam. De fait, la disparition de l’affrontement bipolaire ou la disparition des nécessités de l’endiguement, tenir la menace soviétique, a paru laisser un grand vide pour la diplomatie américaine pendant un certain temps.
Effectivement, pour la diplomatie américaine, ne plus avoir d’ennemis, cela changeait complètement. Les années 1990, dès 1993, grâce à Saddam Hussein, lequel fait l’erreur de croire que le monde bipolaire existe suffisamment pour pouvoir envahir le Kuweit : même la Chine vote une intervention de l’ensemble de la Communauté internationale.
La politique de l’administration Bush junior a réaffirmé l’influence d’une perspective réaliste reformulée de manière très proactive, c’est-à-dire une perspective non plus limitée à l’équilibre des puissances.
Désormais, c’est une politique qui assume une ambition de shaping, la volonté de remodeler l’environnement international. La politique réaliste est loin d’être morte : même dans ses visions extrêmes, elle traverse aujourd’hui encore les réalités les plus importantes du monde international.
2/ La vision transnationale
La perspective libérale se présente comme l’envers de cette vision pessimiste des relations internationales. Là où le réalisme part du principe de l’anarchie et de la violence dans les relations entre Etats, le libéralisme part de la nécessité et de la réalité des interdépendances des relations entre les hommes.
Loin de penser que seul l’équilibre des puissances peut permettre une stabilité mondiale, le libéralisme croit dans le développement d’une véritable société internationale, une société qui serait notamment régulée par le droit. En somme, comme dans le cas du réalisme, mais pour aboutir à des conclusions inverses, cette perspective articule d’un côté un parti pris politique et philosophique sur la nature humaine et de l’autre des arguments sur l’évolution de la réalité internationale.
Selon Roch, alors que les réalistes privilégient le projecteur focalisé sur les relations pouvant dégénérer en guerre, les transnationalistes orientent le projecteur sur l’aspect pacifique. C’est la raison pour laquelle suivant les manuels ou les interprètes, on parle soit d’approche libérale, c’est alors plus philosophique, soit d’approche transnationale, en se référant plutôt au contenu interprétatif, centré sur l’Etat.
A/ La perspective libérale ou la solidarité internationale
Si le réalisme reprend et prolonge dans le domaine international la perspective conflictuelle, pessimiste, des premiers théoriciens de la souveraineté, le libéralisme défend une vision basée sur des valeurs de coopération et de communauté humaine.
Ainsi, les précurseurs d’un droit international soumis aux règles du droit naturel que nous avions citées (Vitoria ; Grotius), s’inscrivent dans cette tradition : en effet, ces penseurs présupposent l’indivision naturelle de l’humanité. Ils présupposent que l’humanité était une, avant d’être séparée en Etats ; ils présupposent qu’il existe des normes qui valent pour tous lieux, tous moments, toutes époques, et qui relèvent, dit Grotius, « de la nature raisonnable et sociable de l’Homme ».
Plus concrètement, ainsi que nous le dit Vitoria, « la Terre appartient à tous les hommes et si les Etats sont bien une réalité, les divisions artificielles qu’ils introduisent n’empêchent pas la communauté primitive de demeurer » d’où l’affirmation par Vitoria d’un droit des individus à se déplacer où ils le souhaitent.
Vitoria écrit pendant la conquête de l’Amérique : il cherche à justifier que dès lors qu’il y a des endroits vides, ou avec des tribus, elles ne sauraient empêcher de s’implanter. Il essaie de savoir dans quelle mesure il est légitime pour l’Espagne d’explorer ce continent.
En somme, pour Vitoria comme pour Grotius, il existe fondamentalement un droit des gens qui s’impose aux Etats à la fois dans leur propre territoire et dans leurs relations mutuelles, c’est-à-dire un ensemble de droits fondamentaux que nul Etat ne peut leur enlever.
Dans cette perspective, ce sont bien les Hommes et non les Etats qui sont les sujets premiers des relations internationales. Les Etats ne sont que les interprètes d’une demande des sociétés particulières.
On peut dire que cette affirmation est le premier postulat de la perspective libérale.
Le philosophe E. Kant (1724-1804) est un autre des plus célèbres interprètes de cette perspective. Dans son Projet de paix perpétuelle (1795), il a affiché une vision progressiste de l’humanité que l’on retrouve dans la perspective du libéralisme. Sa vision est qu’à terme l’humanité ne peut évoluer que vers plus de moralité et de liberté.
L’idée de Kant n’est pas que les hommes deviendraient meilleurs mais plutôt qu’au fil de l’histoire et grâce au recul de la raison l’espèce toute entière recueille les fruits des comportements anarchiques et violents de leurs ancêtres. Hegel reprendra la même idée en parlant de ruse de la raison pour concevoir la constatation selon laquelle du pire, du mal, de l’immoral peuvent surgir du bien et des avancées pour l’espèce entière. Ainsi par exemple, si l’Etat est né du caractère insociable de l’homme, dans la violence, le recul avancé de la raison permet de concevoir un Etat démocratique.
La guerre a généré beaucoup de souffrances mais par une ruse de la nature elle a conduit les hommes à prendre possession de la terre entière et l’on peut concevoir désormais l’avènement d’un Etat cosmopolitique, un vaste Etat fédéral pour tous les citoyens.
De même, même si l’appât du gain qui pousse les Etats à rechercher la paix pour commercer librement n’est en rien un ressort moral, la raison peut désormais concevoir le devoir d’instituer et d’imposer une vaste société des Etats libres.
En résumé, la responsabilité de l’homme en tant qu’être raisonnable est de tirer des réalités voire du pire ce qui peut devenir un devoir impératif faisant progresser l’humanité entière.
Kant pense donc qu’il faut instituer la paix par la démocratie interne, qui rend plus difficile la guerre car les citoyens doivent y souscrire, et par l’instauration d’une fédération d’Etats.
La vision de Kant est confortée par les deux guerres mondiales et la construction de l’Europe : du pire est sorti quelque chose de meilleur, le dépassement de l’Etat-nation. Il y a une sorte de rationalisme optimiste et non pas un idéalisme.
Chez Kant, il y a aussi l’idée que ce ne sont pas des faits que l’on doit tirer une façon de se comporter. A terme, l’Europe a été faîte et constitue une avancée considérable.
On peut cependant ajouter que pour tous les libéraux, deux facteur doivent ou peuvent concourir :
→ Le commerce et le développement des échanges. Tous les libéraux économistes se retrouvent sur ce point là : Smith, Bentham ou encore Mill. Selon eux, les Etats devenant plus interdépendants ont intérêt à trouver des modes de régulation pacifique de leurs différends. Selon Montesquieu, le fait naturel du commerce est de porter à la paix.
On peut noter que certains prophètes de la marchandisation mondiale reprennent aujourd’hui ce crédo ; selon un analyste américain, la seule civilisation internationale est issue de la marchandisation.
On peut aussi citer Fukuyama qui soutenait la thèse de la fin de l’histoire (1992) : depuis la fin de l’Union soviétique, la démocratie, le marché capitaliste va s’étendre à l’ensemble du monde et c’est donc la fin de l’histoire.
Montesquieu ne partage pas cet idéalisme naïf et différencie pour sa part ce qui est positif pour la paix entre les Nations et ce qui vaut à l’intérieur des Etats. Montesquieu précise que dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique toutes les vertus morales.
→ Le second principe des libéraux est l’institutionnalisation de la coopération internationale : vu le développement des échanges, selon eux, la mise en place d’instances officielles et juridiques de règlement des différends est une nécessité.
Dès le début du 18e siècle d’ailleurs, en 1713, l’abbé de St-Pierre, diplomate proche de Louis XIV, dans un projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, envisage une forme d’UE pour l’arbitrage des différends et la régularité du commerce.
De manière plus pragmatique, dès le 19e siècle vont se développer de nombreuses instances techniques, juridiques en matière de télécommunication, de poste et la tendance n’est allé depuis qu’en se renforçant. De ce point de vue, les auteurs libéraux ont parfaitement anticipé le fait qu’au 20e siècle de plus en plus les relations internationales ne sont plus le monopole des diplomates, des hommes politiques, des militaires, mais qu’elles sont aussi gérées par des experts, des fonctionnaires internationaux.
Si la vision libérale s’est trouvée en partie confirmée par l’évolution moderne, la théorie d’une solidarité internationale allant croissante a connu cependant de profonds revers. Le plus célèbre est celui de la Société des Nations créée en 1919 sous l’instigation de Woodrow Wilson qui en sera le principal promoteur.
Le paradoxe est que ce président américain sera considéré comme ayant causé le problème des relations internationales en des termes planétaires : on affirme même parfois que son fameux discours en 14 points, du 14 janv. 1917, marque la naissance véritable, au-delà des précurseurs, du modèle libéral d’analyse des relations internationales.
Wilson pense, en résumé, qu’il faut garantir la paix autrement que par l’équilibre des puissances. Il veut tirer les leçons de la guerre en cours et préconise notamment, afin d’éviter le retour de la guerre, la promotion de la démocratie à l’échelle mondiale : il faut une diplomatie transparente (négociation ouverte des traités de paix), un désarmement généralisé, il faut l’ouverture des barrières économiques, il faut le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et il faut enfin créer une association de Nations respectant le droit international, la SDN.
Wilson croit que la nature humaine est bonne et que les imperfections sont dues aux institutions. Les idées de Kant, de Montesquieu, de Grotius, sont à l’arrière-plan de sa perspective, c’est-à-dire respectivement les idées relevant d’un libéralisme républicain, d’un libéralisme commercial, d’un libéralisme institutionnel.
Cette conception de l’ordre international inspirera encore les fondateurs des Nations-Unies en 1945.
Le débat n’est pas clos entre les partisans d’une vision sans illusion de la scène internationale et ceux qui veulent croire dans sa possible évolution. Clémenceau, président du Conseil lors de la création de la SDN, reprochait à Wilson son idéalisme ; Ce n’est donc pas un hasard si l’un des pionniers de l’approche réaliste, E.H. Carr, fondera son analyse sur les causes de la destruction de la SDN : il oppose sa perspective réaliste à l’idéalisme wilsonien qui aurait prévalu dans la compréhension des relations internationales durant l’entre-deux-guerres.
B/ Le transnationalisme ou ses avatars
On désigne en général par le terme de transnationalisme, les perspectives théoriques qui se sont développées à partir d’une remise en cause du modèle réaliste au cours des années 1970.
Ces recherches ont été initiées aux Etats-Unis, en particulier par Keohane et Nye, dans un ouvrage collectif intitulé Transnational Relations and World Politics (1972). La perspective proposée par ces auteurs, encore novatrice et critiquée à l’époque, s’est trouvée fortement renforcé depuis lors par la fin de la guerre froide et du monde bipolaire.
Elle s’appuyait cependant à l’époque sur des évolutions déjà perceptibles de la scène internationale :
→ La hausse du prix du pétrole (après 1970) qui semblait marquer une nouvelle prédominance des enjeux économiques sur les enjeux politiques. Elle marquait aussi le rôle croissant d’un organe, d’une alliance particulière, l’OPEP, une alliance de producteurs, apolitique.
→ L’enlisement américain au Vietnam, où la puissance américaine échoue à vaincre – les américains se retireront du Vietnam fin 1973. De plus, la fin de la guerre du Vietnam marquait l’émergence du rôle de l’opinion publique dans les conflits militaires modernes. C’était une réalité posant problème aux américains : perte militaire et critique de leur action dans leur pays → il ne suffit pas d’être puissant sur la scène internationale, les instruments militaires pouvant être remis en cause lorsque l’opinion publique nationale est défavorable.
→ Une forme de détente qui s’établit entre les deux grandes puissances, de la fin de la crise des missiles de Cuba jusqu’au début des années 1980 : on a souvent dit que c’était une période de détente entre les deux grands, marquée par le développement de relations (téléphone rouge). Au-delà de ce symbole, c’est le développement de conférences, de sommets bilatéraux.
Cette approche transnationale va mettre en avant deux grands principes :
→ Il convient, dès les années 1970, de penser le monde comme un monde d’échanges, de réseaux transnationaux et non plus comme un monde d’Etats : l’économie est ce qui est le plus important.
→ On assistait dès cette époque, pensent ces analystes, à la multiplication des acteurs agissant en dehors du cadre de la souveraineté : ainsi, les firmes transnationales apparaissent comme de moins en moins liée à des Etats particuliers : elles témoignent de relations d’interdépendance complexes entre les Etats et les plus grandes entreprises.
De manière plus large, ce sont les individus, la société civile, les ONG dont le rôle s’affirme, les médias, les Eglises qui paraissent construire un espace mondial dans lequel le poids des Etats se trouve relativisé.
Pour ces auteurs, à l’image de la table de billard il fallait substituer celle d’une toile d’araignée afin de saisir les interdépendances complexes qui caractérisent désormais la scène internationale.
Au-delà de ces deux grands principes, les transnationalismes vont également, dans l’esprit de la perspective libérale d’avant la 2nde Guerre mondiale, essayer de prouver l’importance au niveau international de la coopération et du développement de règles, de conventions et même de formes d’intégration régionale telles que l’UE.
Deux formes d’analyse vont ainsi rapidement émerger :
→ En partant du principe du comportement des Etats selon leur seul intérêt et non selon leurs orientations normatives à la différence des libéraux précédents, ces analystes vont s’efforcer d’aboutir aux mêmes conclusions.
Le développement d’arrangements de gouvernement dans des secteurs particuliers tel que le commerce, la protection de l’environnement va être nommée régimes internationaux, c’est-à-dire « des accords sur des principes, des normes, des conventions, des procédures de prise de décision, que les Etats adoptent pour gérer leurs relations dans un domaine particulier »
Ces régimes s’appuient souvent sur la création d’une organisation internationale spécifique (OMC ; FMI) mais ils peuvent aussi exister sans structure formelle.
170 pays de l’ONU ont signé en 1995 le code de bonne conduite de pêche, sous l’égide de la FAO. Ce Code n’est pas respecté par plus d’une cinquantaine de pays. « Le WWF appelle de leurs vœux la création d’un régime international contraignant. »
Pour ces analystes, l’intérêt premier des Etats dans ce type d’engagement serait d’améliorer la prévisibilité de leurs relations et donc d’établir une certaine sécurité dans les rapports internationaux, en somme de faire baisser le coût de leur politique étrangère.
→ Bien que désignant des réalités très diverses, cette notion de régime international pointe malgré tout une tendance croissante à la coopération sur la scène internationale en termes d’intérêts bien compris de chacun selon une perspective qui, chez les transnationalistes, met l’accent sur les bienfaits de l’intégration interétatique, ‘régionale’, pour promouvoir la paix et la régulation internationale.
Cette approche a été qualifiée dans un premier temps de fonctionnaliste par Mitrany, l’un de ses principaux concepteurs, c’est la coopération des Etats sur des besoins concrets. Pour Mitrany, l’Union postale internationale ou les organisations techniques de coopération font beaucoup plus pour la paix que les organisations politiques type ONU ou SDN qui, selon lui, divisent car restent basées sur des principes de souveraineté.
L’on dit souvent que l’analyse de Mitrany publié en 1944 dans son premier livre a beaucoup influencé les fondateurs de l’Europe et notamment R. Schuman, qui, dans son discours de 1950, dira « l’Europe ne se fera pas d’un coup, elle se fera par des réalisations concrètes ».
Cette approche, par ailleurs assez technocratique, critique à l’égard des Etats, est prolongée ensuite par E. Hass, qui s’efforce de montrer, après notamment la signature du Traité de Rome en 1957 fondant la CEE, que les buts économiques convergents de l’Europe moderne permettent mieux de comprendre le processus d’intégration que « les slogans sur les gloires passées de Charlemagne, des papes, ou de la civilisation occidentale ».
Ce néofonctionnalisme de Hass ajoute notamment une idée supplémentaire, celle de l’engrenage ou « spillover effect », l’idée selon laquelle l’intégration d’un secteur économique déborde d’un secteur à l’autre, attire celle d’un autre pour déboucher sur une unification politique finale.
Ces visions sous-estiment le rôle moteur des gouvernements et des volontés politiques dans les mécanismes de coopération et d’intégration, car même dans les organisations dites techniques, comme l’OIT ou l’UNESCO, les facteurs de puissance sont loin d’être absents.
Néanmoins, ces visions ont nourri concrètement la construction de l’Union européenne et ont élargi le cadre de compréhension des relations entre les Etats. Ainsi, aujourd’hui, l’intégration régionale ne peut bien entendu se comprendre seulement dans le cadre réaliste des alliances défensives selon le modèle de guerre froide, ou même de l’opportunisme commercial.
L’intégration régionale témoigne de la recherche d’une unité pertinente de régulation entre le caractère trop exigeant de l’Etat et l’espace trop vaste encore ouvert par la mondialisation.
Au total, ces principes se sont trouvés confirmés depuis 1970 et tout le monde essaie aujourd’hui de prendre la mesure des flux transnationaux tout en admettant l’importance directe des coopérations et des mécanismes d’intégration qui peuvent se développer au niveau international ou régional.
3/ Conclusion : vers des formes de convergence et de dépassement des antinomies ?
Ce débat, s’il perdure, consiste principalement à se demander dans quelle mesure l’essentiel, ou du moins une part importante, des relations internationales échappe ou non à l’ordre étatique. On s’interroge sur les véritables capacités d’initiative et de contrôle des Etats sur la scène internationale, de plus en plus complexe.
On se trouve aujourd’hui davantage dans l’ordre des nuances puisque au-delà de l’évidence croissante des flux transnationaux, divers événements on réhabilité la perspective réaliste c’est-à-dire le poids variable des puissances militaire et stratégiques, dès le début des années 1980 :
– Dans une première décennie se trouve notamment la révolution iranienne (janv. 1979), l’invasion de l’Afghanistan le 27 déc. 1979, l’élection de R. Reagan qui portera le projet de guerre des étoiles et le bouclier antimissile, avec le retour d’une affirmation assez agressive, le retour des tensions entre les deux grands.
– Dans une seconde décennie, la première guerre du Golfe (1991), le conflit en Ex-Yougoslavie (1995), l’invasion en Afghanistan en 2001 et la guerre d’Irak en 2003.
La réhabilitation du regard réaliste est sans nul doute indissociable de ce que l’on a parfois appelé le moment unipolaire qui a caractérisé la scène mondiale à partir du début des années 1990.
En effet, avec la disparition de leur principal adversaire, l’adversaire-partenaire soviétique, les Etats-Unis sont passés au statut d’hyperpuissance. La domination américaine est apparue à compter de cette époque comme multidimensionnelle :
La première guerre du Golfe a été significative de cette puissance ; en quelques semaines, les Etats-Unis ont réussi à rassembler 34 pays, à obtenir un vote à l’unanimité du Conseil de sécurité des Nations Unies, une mobilisation de 500.000 hommes loin de toute base américaine. Ils ont démontré en outre leur capacité à faire financer la guerre par les autres pays de la coalition et leur capacité à remporter une victoire éclair sur la quatrième armée du monde.
Les Etats-Unis sont également une puissance technologique en matière d’innovation et de brevet, une puissance culturelle dans leur capacité à servir de modèle, à attirer les élites étrangères, à façonner les modes de vie. Ce que Strange a appelé la puissance structurelle américaine, la structure financière, la structure de production, la structure du savoir.
Ce potentiel donnera aux Etats-Unis l’ambition de guider le monde selon leur propre conception : faire respecter le droit international.
Néanmoins, dans le même temps, le statut d’hyperpuissance va assez rapidement s’éroder, sans doute pour deux grands ensembles de raisons :
→ En tant qu’acteur unique et trop puissant, les Etats-Unis apparaissent comme menaçants pour toutes les autres Nations ; l’unipolarité, presque mécaniquement, incite à l’antiaméricanisme.
→ Plus profondément, l’attitude américaine elle-même a bien sûr renforcé ce sentiment de rejet : l’unilatéralisme, le fait de décider seul, et la doctrine du shaping vont renforcer jusqu’à nous le statut très paradoxal de la superpuissance américaine.
A l’hypothèse d’une marginalisation interne de l’acteur étatique – les états disparaissent, du règne d’un tout économique qui affleurait dans le transnationalisme, s’est substituée l’idée d’un rôle toujours central exercé par l’Etat et d’une permanence des facteurs politiques, parfois sans liens aucun avec les enjeux économiques.
Néoréalistes et néolibéraux se rejoignent sur la constatation de la double centralité en matière de politique étrangère des questions de sécurité et de prospérité économique bien qu’ils les hiérarchisent de manière différente
D’un point de vue éthique, des différences demeurent : réfléchissons sur l’attitude qu’ont adoptée les puissances occidentales face au terrorisme ; Dans une vision réaliste, seul compte le résultat. Guantanamo en est l’exemple.
§2 : Les nouveaux acteurs et les nouveaux enjeux de la scène internationale
L’intelligibilité de la scène internationale dépend aujourd’hui plus que jamais de deux grands axes de réflexion entrecroisés.
ï‚® Le premier concerne l’identification et l’évaluation de la marge d’action d’un certain nombre d’acteurs extra-étatiques. En effet, l’ensemble des analyses s’accorde sur la multiplication voire sur la prolifération actuelle des intervenants potentiels sur la scène internationale.
L’un des arguments avancés est notamment le fait qu’aujourd’hui, tout acteur local ou national est susceptible de s’organiser transnationalement pour accroître ses capacités d’action. Aujourd’hui, tout type d’acteur collectif ou institutionnel tendrait à s’insérer dans des réseaux – ceci pour que cela lui donne des informations, des moyens d’action, une crédibilité – ainsi, les facilités de communication, d’information, multiplient le nombre des acteurs internationaux potentiels ou en émergence.
Suivant les études, outre les entreprises, les organismes internationaux, ce sont par exemple les villes, les migrants, et plus largement de nombreux groupes contestataires ou politiques, culturels ou de loisirs, religieux ou criminels, sont appréhendés comme des acteurs internationaux au moins potentiellement.
En somme, et de fait, on s’accorde généralement pour accorder cette profusion autour de trois grands types d’acteurs :
→ Les entreprises transnationales
→ Les organisations internationales, qu’on subdivise généralement entre ONG et organisations interétatiques
→ Les « individus », un pôle plus flou, plus incertain, mais regroupant les individus « organisés » en groupe, les migrants, l’opinion publique transnationale, certains individus influents.
ï‚® L’un des moyens de réfléchir sur l’importance de ces acteurs est d’emprunter le second axe de réflexion visant à expliciter l’intelligibilité de la scène internationale. Il complète le premier et consiste dans le repérage, non plus des acteurs mais des enjeux, des grands défis, des grandes priorités contemporaines.
Là aussi, les perspectives sont multiples même si émergent en général des thèmes tels que la violence transfrontière (ou internationalisation de la violence), les migrations internationales, la pauvreté et les inégalités Nord/Sud, l’urbanisation, le changement climatique et la préservation des écosystèmes.
1/ Les firmes transnationales, les géants de l’ombre
Très nombreux aujourd’hui sont les observateurs qui considèrent les entreprises ou firmes transnationales comme des acteurs centraux de la scène économique internationale. Plus encore, leur essor est souvent présenté comme l’un des phénomènes caractéristiques de la mondialisation. De plus, leur puissance fascine et inquiète et elle paraît confirmée par certains des plus hauts dirigeants eux-mêmes. On cite souvent le cas de Bill Clinton, qui affirma, à de plusieurs reprises, que ses firmes avaient quasiment un droit de véto sur la politique américaine.
Pour autant, cette puissance des firmes transnationales n’est pas toujours facile à parfaitement objectiver, à parfaitement mettre en lumière : en particulier dans ses liens avec les Etats eux-mêmes. D’où le titre : certes les firmes transnationales jouent un rôle très important dans le monde, mais lorsqu’on essaie de trouver des arguments précis pour le montrer, souvent l’affirmation n’est pas parfaitement étayée.
A/ Repérages et définitions
On peut définir les entreprises transnationales selon quatre éléments :
Une entreprise transnationale est une entreprise le plus souvent de grande taille, qui, à partir d’une base nationale, a implanté à l’étranger plusieurs filiales dans plusieurs pays avec une stratégie et une organisation conçue à l’échelle internationale.
On peut insister sur trois de ces points :
– Leur nombre et leur poids économique :
Les firmes transnationales sont l’objet d’une multiplication assez récente et qui va en s’accélérant. Elles étaient en effet 7.000 à la fin des 1970 alors qu’en 2006, la CNUCED, la commission des Nations-Unies pour le commerce et le développement, avance le chiffre de 78.000 firmes de ce type, non-compris les sociétés financières et ceci pour environ 780.000 filiales.
Ce chiffre équivaut à une multiplication par 10 en trente ans. Reste que ces 78.000 firmes sont fort diverses même si les avis restent partagés sur le trop ou trop peu : dénombre-t-on trop de firmes ou trop peu ?
La multiplication, quoi qu’il en soit, ne fait pas de doutes.
Ces firmes représentent un poids considérable : on leur attribue en effet 70% du commerce mondial, dont 30% à l’intérieur même de leur réseau (commerce intra-firmes et entre filiales). En termes de production, c’est le chiffre de 25% de la production mondiale qui est le plus souvent retenu.
On peut cependant avancer d’autres indicateurs et en particulier, celui des investissements directs à l’étranger (IDE) : ce terme désigne la quantité de capital investi par les entreprises d’un pays dans un autre pays. A l’échelle mondiale, cette quantité a été multipliée par quatre en 25 ans et illustre pour beaucoup la fantastique croissance des flux transnationaux.
Cela étant, ces IDE se limitent à 75% aux échanges entre pays développés et pour le reste aux ¾ entre une dizaine de pays seulement. Les inégalités de la globalisation économique sont très sensibles dans le domaine des firmes transnationales et se reflètent d’ailleurs dans le fait que près de 60.000 de ces firmes proviennent des pays développés contre 20.000 des autres pays.
Si l’on examine le cas de la France, la dynamique que reflètent les IDE est également frappante : en effet, le capital détenu par des firmes étrangères ne pesait que 3,8% du PIB en 1980 contre 26,5% aujourd’hui.
En même temps le capital détenu par les firmes françaises à l’étranger est passé de 3,6%, en 1980, à 38% aujourd’hui.
En somme, la France est aujourd’hui l’un des pays qui accueillent le plus de nombre de firmes étrangères et l’un de ceux dont les entreprises possèdent le plus de filiales à l’étranger.
Au-delà du cas français, cette progression des IDE est sans doute l’un des principaux arguments montrant le poids croissant des entreprises transnationales. Ces chiffres sont frappants et dessinent à coup sûr des tendances incontestables : ils suggèrent surtout que ces firmes transnationales sont des acteurs hors-normes en regard des autres entreprises.
En 2004, plus de la moitié des transactions des firmes américaines sont effectuées par des firmes de ce type et dans le même temps, ces firmes vendent à l’étranger plus du double du montant total des exportations du pays.
Mais de fait, l’attention est attirée surtout vers les plus grandes firmes transnationales. Ainsi, c’est en 1999 que de manière symbolique l’on observe, pour la première fois, que sur les cent premières économies du monde (mesurées en PNB pour les Etats, en CA pour les entreprises), 51 étaient des entreprises, 49 des Etats.
Ainsi, General Motors était plus riche que le Canada ; Sony plus riche que le Pakistan.
De même, chacune des entreprises mondiales vend plus que ce qu’exportent les cent pays les plus pauvres du monde. Cela s’inscrit en arrière-plan de la réflexion sur leur multiplication plus générale.
– Leur ancrage national :
En effet, en dépit d’une activité mondiale, ces firmes gardent des liens privilégiés avec leur pays d’origine, que ce soit du point de vue de leur capital, de leur culture ou de leurs principaux dirigeants. En somme, on considère que leur appartenance nationale continue d’être un élément important.
On peut de fait citer plusieurs chiffres ou types de mesures en s’intéressant à la nationalité des principales firmes transnationales. Les analystes soulignent l’émergence en 10 ans de certaines puissances « émergentes » : en premier lieu, la Chine, l’Inde et le Brésil. En effet, depuis une dizaine d’années, outre la Chine, avec ses 29 entreprises dans les 500 premières, l’Inde en avance désormais 7, 5 pour le Mexique, le Brésil et la Russie, soit autant qu’en Belgique.
Au total, par rapport à 1988, on serait passé de 26 multinationales des pays émergents à plus de 60. En somme, si cette implantation des grandes firmes transnationales laisse entrevoir certaines évolutions, elle reflète néanmoins la permanence des grands rapports de force économiques mondiaux.
En effet, le total des actifs étrangers des 100 premières firmes transnationales des pays émergents reste inférieur à ceux de la première firme transnationale américaine.
Leurs stratégies et l’internationalisation de leurs activités :
De manière classique, on dit que l’internationalisation des firmes transnationales est motivée par des avantages : l’accès à un nouveau marché de consommateur, à des matières premières plus proches et à un régime fiscal ou douanier avantageux.
Cela étant, dans les années récentes, c’est également et surtout « la décomposition internationale des processus productifs », c’est-à-dire la fabrication de produits par segments, qui s’est fortement accélérée. Le centre décisionnel de Toyota reste au Japon mais produit ses pièces dans des pays asiatiques, installe ces centres de recherche en Europe occidentale ou en Amérique du Nord.
Au-delà de ces évolutions, c’est tout d’abord le facteur humain qui est celui dont les conséquences géopolitiques sont les plus importantes. De ce point de vue, les choix d’implantation des sociétés transnationales peuvent tenir à la stabilité politique, à la qualification de la main-d’œuvre mais également et surtout au coût des salaires et à une protection sociale plus faible.
De fait, il faut souligner que l’arrivée de la Chine, de l’Inde et de l’ex-URSS dans le capitalisme contemporain a propulsé l’offre de travail mise à disposition sur le marché mondiale en la faisant doubler d’après les chiffres du BIT. Cette augmentation quantitative est sans aucun doute un facteur-clé de mise en concurrence du point de vue des firmes transnationales. L’augmentation quantitative s’est renforcée aussi d’une augmentation considérable du niveau de qualification des pays émergents, variable qui elle aussi influence et va influencer à terme les stratégies des firmes transnationales.
En effet, de fait, les stratégies d’implantation des firmes transnationales aujourd’hui cheminent, on peut le dire, entre des logiques strictement ou stricte de coût de production industrielle et des nouvelles opportunités qu’ouvrent l’augmentation du niveau de qualification dans certains pays.
Dans l’industrie, le coût-horaire des salariés est un élément déterminant. En 2004, 30 dollars en zone euro, 23 aux Etats-Unis, 8 dans les pays émergents 1ère génération, et moins de 1 en Chine ou en Inde.
Le débat aujourd’hui est plus ouvert sur les conséquences des implantations transnationales au niveau des services : en effet, dans ce domaine, à la différence du précédent, ces implantations semblent ouvrir des opportunités aux diplômés des pays émergents et soutenir l’apparition d’une classe moyenne.
Par exemple, le cas de centres d’appels implantés au Maroc : est-ce positif l’implantation des centres d’appel là-bas ? En effet, au Maroc, le salaire pour un téléopérateur est de 450€/mois, pas de syndicat, pas de grève, avec 44h/semaine : moitié moins qu’en France avec des gens formés. Pour certains, c’est positif puisque c’est 2,5x le SMIC local. Pour d’autres, cela reste une stratégie industrielle critiquable, d’exploitation d’un coût de la vie beaucoup moindre.
Au-delà, ces implantations de back-office sont depuis les années 2000 en forte croissance. Tendanciellement néanmoins, ce type de stratégie reste cependant le propre des grandes firmes ou en tout cas des entreprises de taille importante.
Au final, ce premier repérage semble confirmer l’affirmation de Josépha Laroche selon laquelle les firmes transnationales seraient devenues les principaux ordonnateurs de la politique internationale. Dans un contexte où de 1950 à 2007, le commerce mondial s’est multiplié par 27 et le PIB mondial par 8, ces acteurs sont indiscutablement devenus des intervenants centraux de la scène internationale contemporaine.
Pour autant la question reste posée de leur indépendance dans leur relation avec les Etats.
B/ Les interactions entre firmes transnationales et Etats
De manière classique, l’on admet souvent aujourd’hui que les relations entre firmes transnationales et Etat relèvent d’une forme de « dialectique » marquée par une dépendance réciproque que cela soit du point de vue des Etats d’origine ou des Etats d’accueil.
→ Du point de vue de l’Etat d’origine, l’intérêt au développement de firmes transnationales est assez évident : il relève de ressources fiscales et de l’emploi, des exportations, de la recherche. On peut, pour aller vite, appliquer à beaucoup de nationalités le principe devenu proverbial du président Eisenhower (1953) : « ce qui est bon pour General Motors est bon pour l’Amérique, et réciproquement ». En somme, les Etats ne cessent donc d’appuyer leurs firmes pour l’obtention de nouveaux marchés et l’on sait par exemple que les chefs d’Etat se déplacent aujourd’hui à l’étranger avec plus de chefs d’entreprises que de ministres (En 2004, J. Chirac s’est rendu en Asie avec 50 chefs d’entreprise et 4 ministres).
Cet appui réciproque des plus grandes firmes des Etats conduit aussi à une imbrication étroite des intérêts politiques et privés : on peut parler parfois de collusion, une collusion dont les exemples sont nombreux.
Citons Elf-Aquitaine dont l’influence sur la politique africaine de la France a été souvent soulignée, conduisant parfois à des détournements d’argent mais pas seulement. On a également beaucoup parlé des contrats obtenus par la société américaine Haliburton, dont le président Dick Cheney a eu des postes gouvernementaux importants.
Plus largement, les liens croisés entre les firmes et les Etats transparaissent dans les accords internationaux
On avance également souvent que la non-ratification américaine du protocole de Kyoto est largement due à l’influence des firmes pétrolières américaines.
En Europe, l’European Roundtable of Industrialists créée en 1983 rassemble les cinquante plus grandes entreprises européennes : on lui attribue une grande influence dans la transformation des universités. Ce groupe de pensée a imaginé un nouveau marché de l’éducation.
Sur le moyen-terme, on a pu dire également que l’ensemble des orientations et des engagements internationaux des Etats sont liés à l’action plus ou moins souterraine des plus grandes firmes. On a pu dire que les Etats-Unis ont souhaité une ouverture des marchés parce que leurs firmes disposaient d’atouts de taille et d’avances technologiques décisifs pour demeure leaders. De même, on a pu dire que les européens ont créé le marché unique pour qu’apparaissent des entreprises de taille mondiale en Europe.
De manière plus précise, si l’on reprend le critère des investissements internationaux, l’on constate que le rôle ou l’appui des Etats demeure aujourd’hui encore déterminant. Ainsi, notamment, trouve-t-on de plus en plus d’analyses récentes qui soulignent le fait qu’il n’y a pas d’institutions internationales de régulation en matière d’IDE. Or, depuis une quinzaine d’années, les traités bilatéraux d’investissement se sont multipliés.
De même, en matière commerciale, les traités commerciaux bilatéraux se sont multipliés. Certains voient dans ces indices, le signe d’un affaiblissement du multilatéralisme (et de l’OMC) et de la possibilité de mise en place d’une véritable gouvernance mondiale en matière économique. On peut y voir d’un autre côté, un resserrement des liens entre les Etats et les principales firmes mondiales, puisque plus le multilatéralisme s’affaiblit, plus un pays doit défendre ses champions économiques.
Les entreprises sont dépendantes des liens des Etats entre eux afin de pouvoir s’implanter.
→ Il en est de même du côté des pays d’accueil.
Les firmes transnationales ont été l’objet d’appréciations beaucoup plus contrastées. Si elles disposent d’un pouvoir d’influence sur les pays industrialisés, elles peuvent être en mesure d’imposer leur volonté aux nations les moins développées : on cite souvent le cas de la multinationale ITT qui avait contribué pour beaucoup au renversement du régime d’Allende. Cet exemple extrême dissimule une grande variété de situations d’indépendance, de capacité d’intervention des firmes transnationales.
Les pays disposent de moyens de riposte, au premier rang desquels la nationalisation. Ainsi de 1960 à 1975, près de 1640 procédures de ce type ont été engagées au niveau mondial dans une période où les firmes transnationales ont été plus directement accusées (notamment par les théories de la dépendance) de piller les ressources des pays du Sud.
Plus récemment, depuis le début des années 2000, les présidents de gauche, Hugo Chavez au Venezuela et Evo Morales en Bolivie, ont réutilisé ce moyen pour augmenter leurs prélèvements fiscaux et diminuer leur dépendance à l’égard des grandes sociétés américaines et européennes, ce qui s’est traduit par une augmentation du PIB de 4,5% en Bolivie et de 7 à 8% au Venezuela.
Les années 1980 ont été marquées par une concurrence acharnée des pays émergents pour attirer les grandes firmes transnationales. Ce sont la multiplication des mesures fiscales et douanières avantageuses qui ont contribué à l’explosion des IDE et renforcé la dynamique de mondialisation économique.
C’est l’idée d’une interdépendance entre firmes et Etats qui est le plus souvent admise à la lumière d’une double compétition entre les Etats eux mêmes d’un côté et les firmes transnationales de l’autre.
C/ Les firmes transnationales et la question sociale
Il est difficile de ne pas essayer de dire un mot de la manière dont émerge très timidement aujourd’hui une vision transnationale des problèmes sociaux et de la règlementation du travail.
A partir des années 1990, la dénonciation de certaines conditions de travail, les ateliers de la sueur, mais aussi du travail des enfants notamment en Asie du Sud-est, a marqué une première prise de conscience des opinions occidentales et surtout européennes de la manière dont les firmes transnationales utilisaient le facteur humain dans leur stratégie de profit et de développement.
Deux types de réponses ont été développés par les firmes transnationales :
→ D’un côté sont apparues des chartes volontaires, des chartes de bonne pratique qui ont accompagné l’émergence d’un nouveau discours sur la RSE, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises : ces initiatives unilatérales et non-contraignantes sont aujourd’hui davantage perçues comme relevant de stratégies de communication que comme d’une évolution véritable des pratiques des firmes transnationales concernées.
L’ONU a lancé dans cet esprit, en 1999, sous l’impulsion de Kofi Annan, le global compact, le « pacte mondial entre les Nations-Unies et le monde des affaires » : ce pacte invite les entreprises à respecter 10 valeurs, comme les droits de l’homme, les normes de travail, la lutte contre la corruption. En 2008, il était renforcé d’une fondation créée en 2006 au sein de laquelle siègent les directeurs des plus grandes multinationales.
→ Sont aussi apparus des accords-cadres internationaux, c’est-à-dire des conventions signées entre les fédérations syndicales internationales et certaines grandes firmes transnationales. Ces dernières s’engagent dans les accords à respecter les normes de base de l’OIT partout où elles sont implantées : le droit à un syndicat, le droit à la négociation collective, l’âge minimum de travail, la lutte contre les discriminations et le travail forcé.
Le premier de ces accords à été signé en 1999 entre Danone et l’UITA, l’Union internationale des travailleurs de l’agroalimentaire. D’autres multinationales ont par la suite signé ce type d’accords.
Cela reste limité par l’absence de prise en compte d’engagements formels avec les sous-traitants, aspect sur lequel les syndicats internationaux restent attentifs.
On peut relever qu’aujourd’hui les syndicats et les organisations non-gouvernementales se sont largement rapprochés sur cette question : ces organismes collaborent pour exercer une meilleure vigilance, une vigilance plus efficace. En effet, les ONG qui furent les premières à dénoncer certaines pratiques, dont le Collectif de l’éthique sur l’étiquette en France, ont pris conscience du caractère très peu contraignant des codes d’éthique ou des chartes volontaires et sont convaincues de l’utilité d’une collaboration avec les syndicats mondiaux qui tentent également de se placer au niveau mondial.
De manière plus large, l’on peut dire que l’essor de la mouvance altermondialiste à partir de 1999 s’est développé comme une nébuleuse d’organisations qui a visé à contrer les effets les plus néfastes de la mondialisation : elle a fait prendre conscience au public de difficultés qui restaient connues seulement des experts, comme les conditions de travail. Elle a également attiré l’attention des médias sur la catastrophe de Bhopal, en déc. 1984 en Inde et au cours de laquelle un nuage toxique s’est échappé d’un site de la firme Union Carbide.
L’attitude de l’Etat indien a été dénoncée car il avait demandé une indemnisation en liquide à Carbide. Un nouveau procès pourrait s’ouvrir aux Etats-Unis.
2/ Les nouveaux acteurs de la violence, violences politiques et criminalité transnationale
Cette transformation nous touche tous et c’est d’ailleurs l’un de ses objectifs, parfois le seul pour certaines violences politiques. C’est donc un objet que certains appellent un objet détestable, difficile à mettre à distance.
On regroupera ici les deux types des nouveaux acteurs de la violence qui parfois interagissent ou tendent à se confondre que sont les groupes terroristes et les groupes criminels internationaux.
A/ Les groupes terroristes
On peut retenir trois termes-repère pour résumer les grandes tendances sur lesquelles se sont concentrées grand nombre d’analyses : internationalisation, individualisation et désétatisation.
1/ Internationalisation : la violence contemporaine semble impliquer le passage des frontières, l’implication de plusieurs nations, tant du point de vue des protagonistes que des conséquences.
2/ Individualisation : elle concerne les individus tant comme acteurs que comme victimes.
3/ Désétatisation : pour beaucoup, cette violence paraît sortir du contrôle des Etats et remettre en cause l’usage de leur monopole de la force. Les Etats entretiennent souvent des liens avec la violence internationale : ils l’instrumentent, ils l’alimentent parfois. Même s’ils ne la contrôlent pas, cette violence les sert indirectement en réaffirmant leur rôle et leur mission de sécurité.
1/ Problèmes de définition, du terrorisme à la violence totale
Le terrorisme évoque spontanément la radicalité et la disproportion entre la fin et les moyens mis en œuvre pour l’obtenir. Phénomène protéiforme, il recouvre un spectre qui va de l’acte solitaire à la guérilla, du fanatisme idéologique à la résistance armée, de l’assassinat ciblé à l’attentat aveugle.
Si certains vont jusqu’à considérer qu’il puisse être purement verbal, beaucoup affirment en tout cas qu’il deviendra virtuel dans l’avenir, en s’attaquant d’abord aux réseaux et aux informations du cyberespace. Plus récemment, il est apparu que le simple acte de dégradation contre les caténaires ferroviaires sans réel danger pour les personnes pouvait être assimilé à des actes terroristes.
Ce terme pose des problèmes de qualification car il sert tout d’abord à stigmatiser des personnes : le terroriste des uns est souvent le combattant de liberté des autres. L’Etat d’Israël et les organisations palestiniennes se renvoient cette qualification.
Ce terme souffre d’une pléthore de définition : en 1983, une étude américaine en a recensé pas moins de 109 dans les publications spécialisées. Il en émergeait 5 critères :
→ L’emploi de la violence ou de sa menace
→ Un but politique
→ L’instauration d’un climat d’incertitude et de menace
→ La recherche de la médiatisation et de ses effets psychologiques
→ La différentiation entre les victimes (souvent civiles) et les cibles (les Etats)
L’ONU elle-même n’a pas de définition exacte malgré la réunion d’un groupe de « sages » en nov. 2004, qui insiste, pour définir le terrorisme, sur le fait de viser d’abord des civils dans le but d’intimider une population ou d’obliger un gouvernement ou une organisation internationale à agir ou à ne pas agir.
Raymond Aron a vu, dans l’effet psychologique, la caractéristique principale du terrorisme en tant que moyen d’action qui vise à produire des effets psychologiques de terreur « hors de proportion avec ses résultats purement physiques ».
En somme, à la différence de la guérilla militaire qui peut certes l’employer, le terrorisme ne vise pas un bénéfice militaire ou de rapport de force immédiat. Il utilise la peur ou la crainte qu’il veut susciter chez l’adversaire comme un moyen de contrôle et d’action politique.
En 1798, le terme est apparu pour la première fois pour désigner un système politique qui s’était instauré sur ce moyen, la peur ou la crainte, comme la période de la Révolution, avec la Terreur de sept. 1793 à juil. 1794.
De fait la stratégie de terrorisation vise d’abord les volontés d’autrui et n’est pas en cela réservée aux groupes non-étatiques. Certaines définitions soulignent l’utilisation par l’Etat de technique de terrorisation : ainsi, Friedrich Hacker définit-il la terreur comme l’emploi par les puissants de l’instrument de domination qu’est l’intimidation : le terrorisme est l’utilisation et l’imitation des méthodes de terreur par ceux qui ne sont pas ou pas encore au pouvoir.
Le terrorisme, comme la répression étatique, emploie l’intimidation à des fins politiques. Néanmoins, à la différence des Etats, la logique terroriste ne peut s’exercer en continu. De fait, la violence terroriste est inséparable de sa représentation. Elle doit être vue, voire montée et mise en scène pour en accentuer les effets.
De fait, sans trop s’étendre sur ce point, on peut remarquer que, dès la fin du 19e siècle, la dimension de représentation est présente dans la violence de ce type. C’est l’occasion d’évoquer des exemples français : ainsi par exemple Auguste Vaillant fût le premier terroriste non-étatique, il jette en 1893 un petit explosif rempli de clous depuis la tribune de l’Assemblée nationale. Son geste est plus symbolique que meurtrier, ce qui ne l’empêche pas d’être guillotiné en 1894.
L’anarchiste italien Geronimo Caserio, qui prétend le venger, poignarde au moins de juin suivant le président de la République Sadi Carnot lors d’un défilé à Lyon avec un couteau au manche rouge et noir, les couleurs anarchistes : il est dans la représentation, le symbole, Carnot n’étant lui aussi qu’un symbole. Guillotiné deux mois plus tard, il affirmera avoir voulu répondre à la violence qu’emploi les gouvernants contre les anarchistes, les fusils, les chaînes…
Le terrorisme, en somme, est donc avant tout un théâtre : il a cette dimension de théâtre. Les attentats du 11 sept. 2001 ont semble-t-il poussé à son paroxysme cette logique. En effet, dans cet événement, les victimes directes ne sont que des marionnettes, elles ne sont que matérielles, presque logistiques.
D’un côté, les avions civils sont transformés en arme avec l’ensemble de leurs passagers qui n’existent plus comme individu et ne sont là, pour ainsi dire, que par accident. Il aurait pu y avoir dans ces avions un dignitaire musulman de renom.
Le sens de l’action est presque tout entier contenu dans sa mise en scène. C’est un théâtre extrême, total, d’autant plus fascinant que l’opération semble irréalisable. La mise en spectacle de la violence, voire son esthétisation, tend à prendre le pas sur son objectif politique. Il n’y a plus vraiment de revendications politiques réalistes ou précises.
Beaucoup soulignent aujourd’hui que dans ces actions, il est devenu très difficile de comprendre les buts recherchés, à court ou à moyen-terme. D’ailleurs, certaines de ces actions très particulières ne comportent même plus de communiqué, de revendication.
Dans le terrorisme, comme dans le totalitarisme, l’intimidation comme arme politique peut aller jusqu’à absorber l’ensemble des objectifs visés. Le sens idéologique se limite presque à la phrase « personne n’est neutre, personne n’est innocent », prononcée par les preneurs d’otages à Munich en 1972. En somme, tous sont coupables, tous sont victimes est, au final, l’équation sur laquelle débouche cette violence totale, laquelle s’incarne également dans les attentats suicides, puisque les auteurs s’exécutent eux-mêmes en tant que victimes.
L’immolation de soi n’est plus seulement une condition d’efficacité, elle permet surtout d’effacer par avance l’aspect persécuteur de la violence commise.
L’idée en fait d’une régénération du monde par la violence s’impose et le don de sa vie devient l’aboutissement d’une représentation de soi à la fois comme victime et comme élu.
Seule la mort ouvre une échappatoire à un monde de corruption où la pureté ne peut être sauve que dans et par la mort.
Sans épuiser le sens de tous les actes d’intimidation par la violence, la violence totale des attentats aveugles en marque quand même peut-être une forme de limite, une limite en tant que véritable moyen d’action politique, c’est-à-dire de transformation concrète du monde et des choses.
On pense un peu à Netchaïev, qui disait : « nous avons un projet que personne ne peut changer, la destruction complète ». Sergueï Netchaïev (1847-1882) fonde en Russie le groupe « La justice du peuple », avant de devoir s’exiler et d’être arrêté. Il meurt en prison en Russie. Il est l’auteur du Catéchisme révolutionnaire (1868). Son parcours influencera Dostoïevski pour son roman Les possédés.
2/ De nouvelles conditions de développement
Beaucoup d’analyses montrent que la dissémination de la violence serait une conséquence de la modernité. Certes les premiers actes de violence terroriste débutent au XIXe siècle.
Plus précisément, dans le dernier tiers du 19e siècle se développent les actions des internationales révolutionnaires et anarchistes. Elles sont souvent considérées comme la naissance du terrorisme moderne, c’est pourquoi elles aboutissent à l’assassinat de dirigeants internationaux.
Pourtant, c’est dans le deuxième tiers du XXe siècle que la violence indépendante des Etats ou des organisations non directement étatiques se développe directement, trois raisons simples sont avancées :
→ Le progrès des techniques de violence : les armes sophistiquées, les missiles disponibles dans le trafic international, les explosifs indétectables accessibles à de nombreux groupes politiques. Les internationalistes emploient ainsi le Semtex contre un avion de la Panam en 1988, contre l’ambassade américaine de Nairobi (Kenya) en 1990.
On sait également les craintes que font peser la disparition de l’uranium, de certaines ogives nucléaires, suite au démantèlement de l’arsenal militaire en ex-Urss après 1990. C’est également la crainte d’armes chimiques, bactériologiques.
→ La vulnérabilité des sociétés modernes, des grandes villes, des avions, des métros, renforceraient la portée et les conséquences des actes de violence contre des populations de plus en plus concentrées. Plus encore, dans la même idée, on a souvent souligné qu’il serait possible de paralyser une grande métropole par la menace, sans que l’Etat puisse identifier son adversaire et donc réagir.
→ Enfin et surtout, peut-être, c’est également l’extrême mobilité des personnes qui favoriseraient la déterritorialisation de la violence. De fait, en France aussi, cette réalité technique et sociologique transforme les conditions traditionnelles des conflits internationaux.
Il faut raisonner avec prudence, Ces facteurs prédisposants donnent plutôt la possibilité de transnationaliser les conflits mais ils concernent moins la logique en tant que telle. En effet, certains analystes soulignent que dans la mesure où ces actions visent le psychologique, le spectaculaire, elles seraient plus conduites à privilégier des cibles nouvelles ou surprenantes que de tenter d’acquérir des armes de destruction massive.
Néanmoins, beaucoup ont souligné que c’est une véritable mise en réseau des porteurs de violence à laquelle on a assisté dans ces dernières décennies : ainsi, l’entraide, la formation, l’échange de moyens, se seraient développés sur la base de coopérations techniques, d’un véritable professionnalisme, où l’action l’emporterait sur l’idée. On peut penser aux stages de formation communs dans certains camps, en Lybie, au Liban, au Moyen-Orient ; on peut penser également au terroriste Carlos, condamné aujourd’hui à perpétuité en France. Vénézuélien, fils d’un avocat communiste, il s’engage dans des mouvements d’extrême-gauche et met au point la prise d’otage des ministres de l’OPEP pendant 24 heures pour dénoncer le poids du pétrole et des multinationales. Arrêté à Khartoum, où il était caché, converti à l’islam, il a écrit ses aventures de révolutionnaire professionnel.
Ce type de violences, et ce type d’échanges, évoluent parfois vers la privatisation, vers le banditisme ou la criminalité, au Nicaragua, au Mozambique, chez les FARC.
Enfin on peut ajouter que la dissémination de la violence internationale s’est également appuyé sur l’aide de certains Etats : il s’agit notamment, dans les années 1980-1990, de la Lybie, de la Syrie, de l’Iran qui ont été montrés du doigt. Ces phénomènes ont mis aux prises des milices et des Etats, sans qu’il soit toujours facile de distinguer les catégories.
En somme, ce que l’on peut dire, c’est que des formes de coercitions diplomatiques complexes par services secrets et organisation-écrans interposés se sont ainsi renforcées dans les dernières décennies, même si elles ne sont pas totalement nouvelles.
Finalement, les Etats se sont trouvés aujourd’hui de plus en plus forcés à négocier au moins officieusement avec un certain nombre d’acteurs non-étatiques, les Etats ont été conduits à une forme de diplomatie parallèle avec les fronts de libération, les groupes armés employant l’arme de l’enlèvement et des otages. (Betancourt ; Chesneau ; Ambassade américaine de Téhéran)
Il convient de souligner combien désormais même les contestations sociales tendent à ouvrir sur des confrontations internationales. Les individus les plus modestes, les moins politisés, n’ignorent plus la difficulté globale qui les concerne. Si ici c’est contre son gouvernement que l’on se révolte, au Caire, en Algérie, ce sont aux symboles, aux ambassades de l’Occident que l’on s’attaque.
De même, autre exemple, si c’est entre communautés indiennes musulmanes et hindoues, les heurts rejaillissent sur les relations entre l’Inde et le Sri Lanka. Dans ce cas précis, le conflit sri-lankais entre tamouls et cingalais aboutit à l’assassinat du premier ministre indien.
L’internationalisation articule deux choses :
→ Un renforcement des moyens d’action, des groupes non-étatiques d’un côté
→ De l’autre une tendance à la transnationalisation des conflits internes aux Etats, qui devient souvent indissociable de leur image internationale et de leur activité diplomatique.
3/ Les civils dans la violence internationale, des guerres modernes au terrorisme
Il convient de souligner que les évolutions modernes de la violence internationale ne sont pas indépendantes de celles de la violence des Etats, notamment tout au long du 20e siècle.
Certains n’hésitent pas à dire que la violence totale du terrorisme moderne évoqué auparavant s’inscrit en parallèle à celle des champs de bataille ou des violences extrêmes de type concentrationnaire ou génocidaire qui se sont développées au siècle dernier.
En ce sens, la violence moderne ne serait que la réplique, la copie des violences institutionnelles extrêmes dirigées contre les populations au XXe.
Le côté arbitraire des attentats d’aujourd’hui serait l’équivalent des meurtres de masse, dans le sens où il n’y a plus aucune règle, pas de limite dans la violence et dans le fait où l’on vise spécifiquement les populations.
Ainsi, d’ailleurs, les civils représentent 90% des victimes des conflits depuis 1945 et l’on a estimé à 169 millions les victimes de leur propre gouvernement de 1945 à 1995 contre 34 millions dus aux guerres entre Etats.
On doit constater de profonds changement au XXe siècle dans la place des populations civiles par rapport aux violences de guerre : certains historiens, notamment Horne, insistent sur trois facteurs de changement par rapport aux périodes antérieures de l’histoire, lesquels auraient transformés la place des civils dans la guerre en général :
→ La politisation de la guerre : dès le début du 19e siècle, la mobilisation ne concerne plus seulement les militaires mais tous les citoyens. Cette tendance va s’accentuer et brouiller toujours plus les différences entre civils et soldats. La guerre d’Espagne de Napoléon Ier, la guerre de 1870, au cours de laquelle on s’attaque déjà plus aux populations civiles, la guerre de 1914-18 marquent de grandes étapes dans ce processus.
Alors que dès le 18e, on parle de protéger les populations par le droit, on envisage de plus en plus de s’attaquer à elles pour saper le moral de l’ennemi, pour affaiblir ses capacités : la 2nde GM généralise cette indistinction, avec, du côté allemand, la prise en compte de tous les résistants comme des terroristes échappant à toutes les règles du droit de la guerre.
Anthelme, dans L’espèce humaine, écrit qu’il n’a pas été déporté en tant que juif mais en tant que résistant : il insiste sur le fait qu’il trouvait plus horrible encore et plus inadmissible vis-à-vis des nazis qu’ils traitent de cette manière des combattants dont ils savent qu’il est légitime qu’ils résistent.
Du côté allié, le choix de bombarder massivement toutes les villes allemandes a été expliqué comme la volonté d’écraser l’Allemagne. Cela devient donc une indistinction entre civils et militaires.
On pourrait souligner également le thème de la lutte contre l’ennemi intérieur.
→ La guerre devient de plus en plus industrielle et dépendante du progrès technologique, ce qui renforce l’importance des populations dans cette dernière : l’exploitation des populations devient un élément important de la guerre.
→ Ce type de conflit, où les civils sont directement impliqués, va se disséminer progressivement à l’échelle de la planète. Tous les peuples qui avaient peut être des règles éthiques différentes vont s’adapter et vont reprendre cette logique de guerre, de violence à leur compte : le Japon va totalement s’approprier, intérioriser puis retourner contre l’Occident les techniques de guerre moderne.
Ces évolutions historiques des pratiques de guerre sont un arrière-plan sans doute des évolutions plus récentes qui impliquent très directement les simples citoyens dans les conflits internationaux. Plus que jamais la guerre échappe à la seule logique de l’affrontement entre Etats.
Le rôle des individus relève aujourd’hui au moins deux dimensions distinctes :
– Des individus, même peu nombreux, peuvent influer de manière significative sur l’action des Etats. Cette dimension ne s’exerce que par les individus, ils sont directement propulsés dans l’action violente internationale. Les individus sollicités comme victimes le sont également et avant tout en tant que témoins dans la mesure où, par l’attitude des médias, l’orientation de l’opinion publique, ils peuvent exercer un rôle dans la réaction et la politique de nombreux états.
– Cette place nouvelle des individus dans la violence internationale peut conduire également à souligner la vulnérabilité spécifique des démocraties et des Etats de droit. Trois facteurs ont été avancés :
→ la liberté d’action et de circulation des personnes favorise l’activité des porteurs de violence.
→ l’existence de médias indépendants à l’égard du pouvoir politique renforcerait les effets de l’action violente sur la population.
→ La pression de l’opinion publique ne peut être ignorée par aucun gouvernement et limite sa marge de manœuvre y-compris dans certains types de réactions internationales.
En somme avec le militaire et le diplomate que privilégiait la théorie réaliste, il n’est pas inutile de mentionner le simple citoyen comme acteur décisif des conflits et de la violence à l’échelle internationale.
4/ De grandes interprétations contradictoires
Ces interprétations ont concerné plus particulièrement les actes de violence issus du radicalisme religieux d’origine islamique.
Le “ choc des civilisations ” : une interprétation sans fondements et les raisons de son succès
S.P. Huntington défend l’idée qu’après les divergences idéologiques qui avaient caractérisé la guerre froide, on assisterait aujourd’hui à des lignes de fracture entre « civilisations », lesquelles seraient les principales causes de conflits sanglants.
Cette thèse articule deux hypothèses principales :
→ La première concerne la notion de civilisation qui permettrait de regrouper les pays non par régimes politiques ou systèmes économiques mais en référence à leur culture : selon lui on aurait ainsi dans le monde 7 ou 8 entités culturelles majeures, occidentale, confucéenne, japonaise, islamique, slave-orthodoxe, latino-américaine et peut-être africaine.
La civilisation islamique se diviserait entre arabes, turques et malais. Cet exemple suffit à montrer le caractère très discutable de cette typologie. Huntington met principalement derrière la notion de civilisation le facteur religieux : en effet que dire des similitudes culturelles entre le Maghreb et la Malaisie ? Comment caractériser les affrontements entre chiites et sunnites ?
Cette notion, on le voit, dissimule principalement la réactivation par certains fondamentalismes du facteur religieux fondamentaliste.
→ La seconde est directement liée à la première : en effet Huntington, en reprenant le paradoxe entre globalisation des échanges et relocalisation des identités, fait du fondamentalisme religieux le principal critère d’expression de la diversité culturelle.
Il fait comme si une civilisation était uniquement caractérisée par ses éléments les plus extrémistes : on sait pourtant que le fondamentalisme religieux reste toujours minoritaire dans les pays qu’il affecte, et cela même s’il peut, parfois et pour un temps, servir à exprimer le désarroi d’une majorité de la population. Plus largement, qui peut ignorer que ces conflits religieux sont attisés par les dirigeants de certains Etats.
Au total, cette thèse de Huntington a été perçue par beaucoup comme l’inverse des divers appels à la guerre sainte. Certaine phrases de Huntington le montrent : « aujourd’hui, le sang coule sur les frontières de l’Islam », il brandit plus une menace qu’il n’est rigoureux. En brandissant le danger islamiste, mais aussi en brandissant celui d’une connexion arabo-confucéenne veut faire croire aux spécificités de la civilisation occidentale.
On peut s’interroger sur le lien culturel à la démocratie que postule Huntington avec ces termes de « civilisations ». Néanmoins, comment expliquer l’audience de cette théorie ?
→ La première raison relève de l’inquiétude diffuse des diplomates et des responsables internationaux : ces derniers ne sont pas loin de regretter la simplicité de lecture de la Guerre froide dont certains ont relevé qu’elle correspondait à un ordre certes peu satisfaisant mais un ordre avec ses deux camps, ses zones d’influences et ses frontières bien marquées.
→ Cette théorie a servi et sert encore les intérêts des professionnels de la guerre, notamment aux Etats-Unis. En effet, aux Etats-Unis le budget militaire est revu chaque année par le Congrès et il est donc capital de pouvoir justifier de nouvelles menaces. Avec l’affaiblissement de l’Ex-Urss, les militaires américains ont insisté sur la menace de conflits régionaux opposant les USA à des adversaires dotés d’armes sophistiquées.
Cette guerre de civilisation était un moyen de justifier la continuité d’un certain nombre de dépenses publiques. Evidemment, elle a été énoncée avant le 11 sept.
→ L’idée de la guerre des civilisations sert d’autres professionnels que les militaires : les policiers, par le contrôle des frontières, par la lutte contre le terrorisme, sont plus engagés dans les conflits internationaux. Ce scénario favorise leur rôle face à celui plus traditionnel des militaires.
Au total, au lieu de faire une lecture politique des stratégies de la violence terroriste, le choc des civilisations apparaît comme une idéologie inquiétante et qui favorise des sentiments xénophobes, de rejet, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Occident.
Elle est sans doute révélatrice de la difficulté à comprendre le monde actuel mais elle se révèle particulièrement dangereuse en Europe où se rencontrent et se mêlent des populations d’origine diverse.
Djihad et McWorld : deux intégrismes contre la démocratie
La thèse de B. R. Barber apparaît comme un peu plus subtile et nuancée. Elle a été présentée dans un ouvrage Djihad vs McWorld, mondialisation et intégrisme contre la démocratie (1994).
Barber, à la différence de Huntington, ne radicalise pas l’opposition entre l’Occident et ce qui en apparaît comme son adversaire principal, après certains attentats du début du XXIe siècle.
Barber s’efforce de souligner l’alliance objective qui réunit selon lui les excès du capitalisme mondialisé et les diverses formes d’intégrisme religieux : ils ont en commun la haine de la démocratie. Les forces marchandes et celles qui s’y opposent seraient en définitive objectivement complices.
L’essentiel de sa démonstration tient dans le titre de l’ouvrage :
– Par le terme de Djihad, Barber ne désigne pas un phénomène propre à la religion musulmane : comme il l’indique dès son introduction, il utilise le terme pour désigner un particularisme dogmatique et violent, que l’on retrouve aussi bien chez certains chrétiens ou hindous que chez certains musulmans. Par ce terme, c’est bien le sens courant de guerre sainte qu’il retient et non celui d’ardeur ou de zèle religieux ainsi que le veut le sens originaire du terme.
En somme, le terme vise à désigner tout un ensemble de tendances même parfois assez anodines, telles que la recherche d’identités locales, la recherche de particularisme, le repli sur des « racines » plus ou moins réelles ou fantasmées.
Pour Barber, Djihad désigne toutes les réactions violentes face à l’uniformité paralysante de la modernisation industrielle et de la colonisation culturelle de McWorld.
– McWorld, dans son idée, désigne la société de consommation matérialiste imposée au monde par les forces incontrôlées du marché mondial. McWorld se caractérise par le libéralisme mondialisé et ses conséquences sociales, sociologiques. Pour lui, McWorld est un système d’info-spectacles qui cherche à réduire l’être humain à ses capacités économiques de consommation.
McWorld, dit-il, est un produit de la culture populaire mu par l’expansionnisme commercial. C’est la volonté de diffuser une sensibilité commune au niveau mondial par l’identification à des images et à des marques. McWorld, c’est de la culture transformée en marchandise, en idéologie.
McWorld est une sensibilité structurée par des chansons, par des marques : une « vidéologie » : elle est plus forte qu’une idéologie traditionnelle mais n’en diffuse pas moins les nouvelles valeurs dont les marchés mondiaux ont besoin.
Barber souligne aussi que ces deux tendances sont souvent présentes au même endroit et au même moment, il insiste notamment sur les rapprochements entre certains juifs orthodoxes et la musique rock ainsi que le lien du réseau Al-Qaïda avec le capitalisme.
On peut aussi évoquer, plus largement, les paradoxes de l’Arabie saoudite, Etat musulman très rigoureux ayant soutenu certains mouvements radicaux religieux, mais dont les élites s’autorisent beaucoup d’excès à l’étranger.
En définitive, ces deux tendances ont un point commun : elles sont en guerre contre l’Etat nation souverain, elles minent ses institutions démocratiques et méprisent la société civile. Elles sont basées sur l’exclusion, voire la haine, et sur l’incitation à abandonner les sociétés aux lois du marché.
B/ La criminalité organisée
Très récemment, le film Gomorra de Saviano a attiré de nouveau l’attention sur ce phénomène : il parle de 100 M € investis chaque année par de véritables multinationales du crime.
La plus grande part des analyses sur ce thème s’attache à souligner que la libéralisation économique aurait grandement soutenu voire favorisé la criminalisation d’une partie au moins de l’économie internationale.
1/ Structuration mondiale des mafias et libéralisme économique
On peut tout d’abord souligner la dimension désormais planétaire du crime organisé. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique et le début de la globalisation, un domaine d’action sans équivalent s’est ouvert aux grandes organisations structurées.
On peut donner une définition des cartels criminels en trois caractéristiques :
→ Ce sont des organisations économiques et très proches en ce sens des sociétés légales : elles sont composées d’entrepreneurs qui visent le profit, qui s’organisent de manière à le maximiser en contournant les règlementations des Etats, et enfin qui misent principalement sur les bénéfices exceptionnels que procure le commerce des biens économiques prohibés. C’est largement aujourd’hui ce mélange de légal et d’illégal qui fait la spécificité des grandes organisations criminelles.
→ Elles sont structurées selon une hiérarchie et une discipline militaire : elles utilisent ainsi la violence pour acquérir une position de monopole sur un territoire, elles éliminent la concurrence. Elles s’arrogent ce monopole, considèrent que c’est à elles que reviennent les marchés dans certains domaines.
Elles parviennent également à obtenir un grand degré de discipline et de confidentialité de leur membre.
→ Elles s’appuient en général sur une parenté clanique ou sur une structure ethnique, ce qui renforce leur cohésion et leur solidarité et les rend souvent très étanches aux polices des Etats.
Pour certains, donc, c’est la combinaison de ces trois modalités d’organisation, en général exclusives, qui donnent leur force et leur puissance aux grands cartels criminels. Ces grands cartels ne concernent pas seulement la seule mafia sicilienne mais cinq grands ensembles structurés :
– la mafia italienne, très présente également sur le territoire américain :
– La Cosa Nostra sicilienne, 50.000 membres
– La Camorra napolitaine, violente.
– La ‘Ndràngheta calabraise, implantée en Allemagne.
– les yakusas japonais, concernant 100.000 membres.
– les triades chinoises, 90.000 membres
– la mafia russe, 8.000 membres
– le cartel colombien de la drogue, démantelé au milieu des années 1990 mais dont les activités se sont transférées au Mexique.
Europol parlait, pour l’Europe, de 4.000 groupes de crimes organisés.
Selon certains chercheurs et une journaliste d’investigation américaine, Claire Sterling, ces grandes organisations se seraient rencontrées et auraient envisagées de travailler en concertation : elle a parlé d’une sorte de G6 mafieux, de crimes-internes, ou de worldwide mafia international.
Bien que l’hypothèse soit difficile à confirmer, il est probable que ces grandes organisations aient été et soient conduites à coopérer dans un certain nombre d’activités et notamment en matière de recyclage de l’argent.
L’argent produit est estimé par le FMI à 1000 milliard de dollars annuels. Le chiffre d’affaire du commerce de la drogue est estimé à celui du commerce des carburants : 500 milliard de dollars seraient introduits chaque année dans le système financier.
De manière plus large, beaucoup d’analyses insistent aujourd’hui sur le fait qu’il est impossible de tracer une frontière claire entre système économique légal et criminalité institutionnalisée.
Le cas de l’Ex-URSS a beaucoup été évoqué en ce sens : dès 1993, on estimait à 1/3 de l’économie russe la part contrôlée par les organisations criminelles : elle correspondait à 85% des nouvelles entreprises privées. Le ministère de l’Intérieur russe parlait de 25% à 40% du PIB.
Au total, au vu de ces estimations spectaculaires mais peut-être minimales, on retient en général que l’aspect économique de la criminalité organisée est sans nul doute le plus déterminant. Des analyses critiques soulignent cependant la fragilité des estimations réalisées en général par les organisations internationales directement occupées par la lutte contre ces phénomènes et donc portées à sa surestimation.
2/ Mise en cause de la personne humaine et autres dimensions de la criminalité transnationale
→ Beaucoup d’indices, beaucoup de faits, soulignent le rôle des grandes organisations criminelles dans le trafic des êtres humains et le développement de nouvelles formes d’esclavage.
L’activité de la criminalité organisée s’appuie en particulier sur l’essor des migrations internationales ou économiques. La criminalité organisée joue un rôle de contournement des règlementations mises en place par les pays d’accueil et organise des filières très structurées depuis les divers pays de départ.
Selon certaines estimations officielles, ce sont plus de 10%, soient 15 millions, des 125 millions de migrants qui transitent par des filières relevant de la criminalité organisée.
Les sommes demandées aux candidats à l’immigration entraîne souvent leur dépendance plus ou moins totale, durable, de plusieurs années souvent, afin de permettre le remboursement de leur passage.
Ce type de fonctionnement concerne également les filières organisées du proxénétisme. On estimait au début des années 2000 à près de 500.000 le nombre de prostituées étrangères en Europe, dont beaucoup sont arrivées par des filières de ce type.
Cette véritable traite des femmes passe par l’enlèvement pur et simple, ou par le détournement de filières à prétention économique. Cette pratique s’appuie sur une loi de la terreur qui s’étend jusqu’aux familles restées au pays.
Au-delà de cette traite, les grands cartels criminels sont montrés du doigt pour les trafics d’enfant, en direction des Etats-Unis notamment. C’est également le cas dans le cadre des trafics d’organes : des filières ont été découvertes en Amérique du Sud, en Russie.
De manière plus large enfin, le crime organisé est pointé au-delà de la personne humaine proprement dit pour le trafic de déchets toxiques.
→ Dans certaines zones du globe, on souligne également la capacité des cartels criminels à se déplacer du stade de groupes illégaux pour devenir des acteurs de la souveraineté. Dans les années 1990 notamment, plusieurs zones du monde on été pointées du doigt en ce sens, tel que celle du triangle d’or (Birmanie-Thaïlande-Laos). Dans certaines zones du Liban, le contrôle des plantations s’est étendu sur de grandes zones du territoire (Hezbollah). Enfin, on a beaucoup parlé du cas de l’Afghanistan où, là aussi, les mélanges entre pouvoir étatique et activité de production d’opium sont extrêmement étroits.
De manière plus large, l’on doit souligner l’interpénétration très étroite du crime organisé et de la production de drogue à l’échelle internationale. Selon le PNUCID (cf doc) l’économie de la drogue concerne de nombreux secteurs à la fois légaux et illégaux de diverses régions du monde.
Cette économie est même présentée comme articulant deux secteurs distincts,
– Celui de la production et de la revente, qui concerne les populations marginalisées, populations sur lesquelles se concentrent jusqu’à présent plutôt l’action internationale et répressive, et
– Celui de la transformation, de l’exportation, du recyclage de l’argent, qui concerne de grandes organisations structurées mais aussi les domaines de l’immobilier, des banques, dans un certain nombre de pays.
L’action internationale prétend aujourd’hui mieux prendre en compte ce second secteur dont on affirme qu’il eu tendance au cours des années 1980 à se développer et à s’intégrer de manière de plus en plus verticale, c’est-à-dire pour contrôler l’ensemble du cycle des produits stupéfiants.
3/ L’émergence d’une priorité internationale
Un certain nombre d’initiatives ont fait de la lutte contre la criminalité transnationale une priorité de la Communauté internationale. Cette criminalité est désormais régulièrement à l’ordre du jour des différents sommets organisés.
En 1998, les dirigeants du G8 ont même affirmé que la criminalité internationale était l’un des principaux problèmes que le monde aurait à résoudre au XXIe siècle.
En 2000 a été adoptée la première convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée, c’est-à-dire le premier instrument juridique complet et contraignant mis en œuvre sous l’égide de l’ONUDC, l’office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, placé sous la dépendance directe du Secrétariat des Nation-Unies.
Le but est de parer aux graves menaces que constituent la drogue, la criminalité et le terrorisme. Son objectif est de rassembler dans un grand organe de coordination 500 personnes avec plusieurs points d’établissement dans le monde.
Cette convention s’inscrit en continuité avec d’autres textes : ainsi des protocoles additionnels ont été signés depuis, sur la traite des personnes, sur le trafic illicite de migrants par terre, mer et air et sur le trafic illicite des armes à feu.
Ainsi, pour l’Europe, c’est bien sûr la mise en place de coordinations policières avec Europol, effectif depuis 1999, et qui se développe progressivement. Egalement, en matière de justice avec le réseau judiciaire européen créé en 1998, Eurojust, et mis en place à partir de 2002.
En d’autres termes, on peut retenir l’institutionnalisation indiscutable et accélérée tant au niveau international que communautaire des organes de coordination et de coopération contre la criminalité internationale dans ses diverses dimensions. En dépit de ces volontés politiques affichées, les mesures concrètes demeurent limitées tant l’imbrication des mesures internationales et de l’économie internationale dérégulée semble profonde.
3/ L’émergence d’une régulation planétaire des relations internationales : le rôle des organisations internationales
Il amène à étudier des acteurs dont le rôle s’est fortement renforcé depuis la Seconde Guerre mondiale et plus spécialement depuis une vingtaine d’années.
Face aux acteurs de l’ombre, ces acteurs représentent à n’en pas douter une phase plus lumineuse, plus positive de l’accroissement des interdépendances au niveau mondial. Ces acteurs sont constitués de deux ensembles distincts mais travaillant ensemble, à savoir les organisations interétatiques et surtout les Nations-Unies, mais également les organisations non-gouvernementales.
Sans être exempts de critiques, ces deux types d’acteurs sont l’espoir d’une régulation planétaire, pacifique, des relations entre les Etats et plus largement entre les peuples et les Nations.
Cette forme de régulation est appuyée tant sur le droit et le contrôle normatif que sur la coopération active. Elle se situe en d’autres termes entre la diplomatie multilatérale et la solidarité ; Elle s’ancre donc dans une vision transnationale des relations internationales qui s’efforce de contrebalancer et d’équilibrer les rapports de puissance entre les Etats souverains sans pouvoir cependant toujours y échapper
A/ Des géants incertains : rôle et nature des organisations interétatiques (O.I.)
Trois éléments de définition permettent de définir ce qu’est une organisation interétatique :
– L’OI est une association volontaire d’Etats ;
– L’OI est fondée sur un acte constitutif ;
– L’OI est dotée d’une administration permanente qui coordonne les ressources et les actions en vue des objectifs de l’organisation.
Au-delà de ces trois éléments simples mais descriptifs, la nature réelle des Organisations Internationales, tant du point de vue de leur autonomie effective, que de leurs moyens d’action, se révèle très complexe à définir.
Deux types de raison permettent de comprendre cette complexité,
→ Les organisations interétatiques articulent deux types d’objectifs principaux rattachés à leur histoire :
– Le premier objectif est de nature technique : la première Organisation Internationale est l’Union télégraphique internationale, créée en 1865 (puis Union sur la Poste ; Union pour la protection de la propriété intellectuelle). Ces objectifs relèvent de la nécessité d’une coordination internationale différente de la diplomatie traditionnelle. En un mot, les Organisations Internationales sont des instruments de coordination nécessaires dans un monde plus ‘technologisé’ et plus interdépendant par delà les frontières.
– Le second objectif est de nature politique : cet objectif consiste à imaginer une sorte de gouvernement mondial qui serait en premier lieu garant de la paix, de la sécurité collective.
D’autres objectifs ne vont cesser de s’ajouter à celui de la sécurité en matière d’aide aux populations, d’éducation, de développement. Les avis sont partagés quant à la question de savoir si les Organisations Internationales possèdent les moyens d’assurer ces actions.
→ La seconde raison concerne l’évaluation de l’autonomie d’action des Organisations Internationales, autonomie qui peut se résumer en une double question :
1 → Faut-il considérer les Organisations Internationales comme strictement dépendantes des Etats qui les composent ?
2 → Ou bien convient-il de leur accorder au vu du nombre de leur fonctionnaire, de leur organisation propre et complexe, de leur capacité à s’appuyer sur des points de vue divergents de leurs membres, une capacité à mener leur propres actions ou leurs propres politiques ?
On admet désormais qu’il n’y a pas de réponse simple et unique à cette question : tout dépend de la situation internationale, des rapports de force dominants, en même temps que de l’organisation interétatique considérée.
1 → En somme, les Organisations Internationales sont constitutionnellement dépendantes des Etats, puisque la mise en œuvre de leurs décisions et la poursuite de leurs activités dépendent du bon-vouloir des gouvernements nationaux.
En outre, leur personnel, notamment à l’ONU, du fait de la politique des quotas, demeure souvent intimement lié à l’Etat qui a proposé leur recrutement.
2 → Cependant, en tant que « pôles d’autorité » capables de porter certains enjeux, certains débats, les Organisations Internationales échappent partiellement au strict contrôle des gouvernements.
Devant la complexité des Organisations Internationales, on a de fait plus ou moins renoncé à faire des typologies, dans la mesure ou les entrecroisements de fonctions et d’objectifs sont nombre. Les manuels distinguent les organisations mondiales, universelles, des organisations régionales, comme l’UE, l’ASEAN, l’ALENA. On peut distinguer aussi les organisations à vocation globale (PNUD) ou des organisations plus sectorielles comme le PNUCID.
On peut distinguer des organisations à but plus opérationnel, comme l’organisation météorologique mondiale. Néanmoins ces distinctions sont peu informatives car les enjeux politiques interfèrent souvent, y-compris dans les organisations les plus techniques en apparence.
En somme, on s’efforce plutôt aujourd’hui de comprendre les effets des Organisations Internationales sur l’organisation et le fonctionnement du monde plutôt que de les ranger dans une typologie discutable.
On leur reconnaît ainsi une influence plus importante.
1/ Structure et objectifs de l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.)
L’ONU est une gigantesque machine, même si tous les Etats ne participent pas à la même hauteur.
De la S.D.N. à l’O.N.U. : les origines et la priorité de la sécurité collective
Le projet de la SDN est imaginé par L. Bourgeois dès 1910 avant d’être repris en 1918 par W. Wilson. Ils obtiennent l’un et l’autre en 1919 et 1920 le prix Nobel de la paix pour la création de la première organisation de maintien de la paix.
Les trois objectifs sont clairs :
→ Eviter la guerre
→ Limiter les armements
→ Développer le droit international
Ainsi, en ce qui concerne le développement du droit international, sont créées en parallèle l’OIT (Organisation internationale du travail), chargée d’élaborer les normes internationales du travail, et la CIJ (Cour internationale de justice), installée à La Haye, et dont l’objectif est de régler les litiges entre Etats.
La SDN marque certes un tournant dans le fonctionnement de la vie internationale de l’époque mais elle va cependant se montrer incapable d’éviter le retour des tensions dans les relations entre Etats dans les années 1930.
L’une des raisons de son échec est qu’elle se trouve affaiblie dès sa naissance : en 1920, le Sénat américain refuse de ratifier le traité de création. Les Etats-Unis vont demeurer en dehors adoptant une politique isolationniste qui va les empêcher de contrer assez tôt les politiques agressives du Japon et de l’Allemagne.
Cette dernière va entrer dans la SDN en 1926 avant de la quitter dès 1933 avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler, en même temps que le Japon (qui avait envahi la Mandchourie en 1931).
L’URSS sera exclue suite à l’attaque de la Finlande en 1939, exclusion qui consistera en le dernier acte politique de la SDN.
L’échec de la SDN est à rapprocher à la fois de l’attitude de certains Etats, mais également de son manque de prise en compte de dimensions de la vie internationale autres que militaires et en particulier les dimensions économiques.
La Seconde Guerre mondiale engagée, les principaux Etats vont tirer rapidement les leçons de cet échec et c’est sur cette base qu’ils vont imaginer une nouvelle organisation mondiale qui deviendra celle des Nations-Unies.
Dès janvier 1942, 26 pays, dont certains occupés, vont adopter la déclaration des Nations-Unies, par laquelle ils affirment notamment qu’une victoire complète est indispensable et qu’ils refuseront toute armistice, toute paix séparée, jusqu’à la destruction complète des forces de barbarie et de brutalité cherchant à subjuguer le monde.
La France adhère à ce pacte en décembre 1944 mais ce sont principalement les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’URSS, et pour certaines conférences la Chine, qui vont définir progressivement entre 1943 et 1945 ce qui devient en juin 1945 le Pacte de l’ONU, signé par 47 Etats.
L’idéologie de l’ONU doit se comprendre en regard de cette origine au cœur du second conflit mondial. Ainsi, le préambule de la Charte affirme la résolution possible de préserver les générations futures du fléau de la guerre.
Le Préambule affirme également une conviction dans l’égalité des droits des hommes et des femmes et des Nations grandes ou petites.
L’article 1 de la Charte énonce quatre buts
→ La sécurité collective, c’est-à-dire l’intervention de tous contre l’Etat qui menacerait la paix
→ L’égalité des peuples
→ La coopération internationale
→ Le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales de l’individu.
De ces principes généreux et louables, on peut retenir qu’ils vont déboucher sur trois grandes caractéristiques du nouveau système interétatique :
→ Le droit international est placé au centre de la coopération entre les Etats. Ainsi en est-il notamment du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui fondera juridiquement la décolonisation.
De même, les droits de l’homme sont rapidement promus au premier rang des valeurs de l’organisation avec l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 déc. 1948.
→ En second lieu, la dimension économique et sociale de l’organisation est clairement affichée : ainsi, le relèvement du niveau de vie, le plein-emploi, le développement économique et social sont des objectifs explicites de l’organisation.
→ L’ONU est enfin faite pour combattre la guerre. Cet objectif est clairement affiché à l’article 1er de la Charte : un organe spécial et ne rassemblant que quelques Etats, le Conseil de sécurité, doit constater les agressions ou les menaces.
Ce conseil est composé de cinq membres permanents que sont les pays créateurs de l’organisation, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, l’URSS et la France. Ce conseil peut recourir à l’emploi de la force et l’envoi d’une force d’intervention permanente est prévu à l’origine bien qu’elle n’ait jamais été créée.
Cet organe particulier est tout puissant puisque même l’Assemblée générale de l’ONU qui rassemble tous les Etats membres n’a qu’un pouvoir de discussion et ne peut pas même faire de recommandations au Conseil de sécurité.
L’ONU est inventée pour contrer le risque de guerre en s’attaquant même à ses causes les plus indirectes et générales. L’ONU va connaître un succès supérieur à la SDN mais également des difficultés persistantes.
Vers le « système des Nations Unies » : complexité et gigantisme
Si l’on veut prendre la mesure de ce que l’on peut appeler la galaxie onusienne, on peut retenir trois caractéristiques : sa taille, sa structure et son financement.
Sa taille :
Il faut souligner la croissance considérable de l’ONU depuis 1945. 60 Etats en 1951, 105 en 1961 et 192 aujourd’hui. Les admissions sont votées par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité et ont été variables selon les périodes.
On peut retenir que la Guerre froide a entrainé un quasi-blocage, jusque vers 1955, avant que la décolonisation ne double le nombre de membres. De même, l’éclatement de l’Ex-Urss a entrainé l’admission de plus d’une trentaine d’Etats à partir de 1985.
Aujourd’hui, quasiment tous les Etats au monde sont membres de l’ONU (NB : Taiwan n’est pas entré dans l’ONU, 80 Etats ont voté contre – la Suisse, est restée jusqu’à très récemment avec un simple statut d’observateur à l’AG. En 2002, la population a accepté l’intégration à l’ONU).
Même si l’ONU est l’organisation mondiale des Etats, ceux-ci sont loin d’être équivalents. Ainsi 120 des membres comptent moins de dix millions d’habitants et une cinquantaine au mieux sont des unités politiques bien établies dans des frontières sûres.
On estime que l’entrée à l’ONU est devenue une étape vers la reconnaissance internationale. Elle est présentée également comme le moyen de l’inculcation minimale de certaines valeurs et normes contenues dans la Charte.
Ceci explique la grande souplesse avec laquelle a été évalué le respect des critères de la Charte.
Sa structure :
Le système onusien articule deux types d’institutions. Les organes principaux en premier lieu, puis les organes subsidiaires.
Les institutions spécialisées ne font pas partie stricto sensu de l’ONU : elles sont créées par des accords intergouvernementaux spécifiques et sont très indépendantes.
Les quelques 75.000 fonctionnaires onusiens se répartissent équitablement entre organes principaux et organes subsidiaires, 18.000 travaillent au siège de l’ONU, à NY.
Le Secrétariat général de l’ONU assure la gestion administrative des organes principaux et exerce de véritables fonctions politiques. Le Secrétaire général est nommé pour cinq ans sur proposition du Conseil, suite à un vote de l’AG : il intervient personnellement dans les affaires internationales.
Kofi Annan (1997-2006) a été réélu en 2001, et a reçu le prix Nobel de la paix lors de son mandat. Aujourd’hui, c’est le coréen Ban Ki-Moon qui assure le rôle de secrétaire.
Son financement
On relèvera que la taille de cette bureaucratie internationale est malgré tout un argument en faveur d’une relative autonomie d’action dont disposent les organisations interétatiques. Cela étant, l’ONU connaît depuis plus de 20 ans des difficultés financières qui l’affaiblissent fortement.
Les contributions se répartissent entre contribution obligatoire et contribution volontaire des Etats. Tous les Etats ne participent pas au financement, et pour certaines parts, ils décident d’eux-mêmes. Sans compter les programmes spécifiques ou les institutions spécialisées, le budget s’élève aujourd’hui à plus de 4 milliards de dollars, avec 750 millions de dollars de dette.
Au début des années 2000, les dettes des Etats dépassaient les 3 milliards de dollars. Structurellement le système n’est pas bien financé.
Au début des années 2000, plus de 58 pays avaient des retards de paiement. L’arriéré de paiement à l’ONU n’est pas seulement du à des ennuis financiers, c’est aussi et surtout un moyen de pression important. Les Etats-Unis sont parmi ceux qui tout en étant le plus contributeur ont le plus utilisé ce moyen de pression. Le congrès américain a reproché à l’ONU de ne pas suffisamment défendre les intérêts américains. Dans les années 1980, c’est à l’égard de l’UNESCO, une institution spécialisée, que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et Singapour ont le plus fermement employé ce moyen de pression en se retirant complètement de l’organisation qu’ils n’ont réintégrée qu’en 2003. Les Etats-Unis estimaient que l’UNESCO avait un discours trop critique à l’égard des pays du Nord.
Si l’on regarde la contribution des Etats au budget de l’ONU, l’on s’aperçoit que les apports des différents pays relèvent autant de critères politiques que de critères strictement économiques.
Plus largement, les jeux sur les contributions volontaires, sur les retards ainsi que la précarité financière illustre les contradictions actuelles de l’organisation : d’un côté les Etats lui confient des missions de plus en plus nombreuses ; de l’autre, ils lui refusent, lui rationnent les moyens nécessaires aux missions, allant jusqu’à refuser de payer si les décisions ne leurs agréent pas.
Cette contradiction est l’un des éléments qui explique les jugements très contrastés portés sur l’efficacité de l’organisation.
2/ Efficacité et limite du rôle de l’O.N.U.
Les ambiguïtés du maintien de la paix
La première critique de l’ONU porte sur sa mission de sécurité internationale. Pendant toute la période de la guerre froide, le véto des membres du Conseil de Sécurité a largement paralysé l’action des Nations-Unies. En effet, il a été utilisé 237 fois entre 1945 et 1995, pour la moitié par l’URSS.
De fait, jamais les principes de la Charte, c’est-à-dire la mise en place d’un Etat-major sous la responsabilité directe de l’organisation ou l’utilisation d’une force armée propre, n’ont été mis en œuvre.
Le Conseil de Sécurité s’est contenté dans ces cas là d’autoriser le recours à la force et la constitution d’une coalition spécifique sous la responsabilité d’un commandement national, en l’occurrence sous le commandement des Etats-Unis.
Dans d’autres cas, le Conseil de Sécurité s’est simplement abstenu comme dans le cas des bombardements aériens au Kosovo qui furent décidés unilatéralement par les Etats-Unis et par l’Europe sous l’égide de l’OTAN.
C’est aujourd’hui la compétition technologique qui explique que les Etats les plus développés du point de vue militaire refusent d’intervenir sans garder un strict contrôle sur leurs moyens d’action.
Si l’ONU n’a que peu réussi à engager des opérations militaires, son action positive en matière de sécurité est plutôt à chercher en termes diplomatiques ou para-diplomatiques. Ainsi, c’est dans son cadre qu’un certain nombre de conflits ou de situation intérieures de guerre civile ont été discutés sous le contrôle des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, comme pour l’Afghanistan, le Nicaragua, le Cambodge, la Namibie.
A chacune de ces interventions de l’ONU, le retour à la paix s’est accompagné d’opérations complexes sur le terrain, financées par l’ensemble des membres et du Conseil de sécurité. Ces OMP (organisations de maintien de la paix) ont été le symbole du renouveau de l’ONU dans les années 1990.
Longtemps limitées à l’interposition entre des belligérants, ces missions ont été chargées d’objectifs plus larges, tels que la tenue d’élections libres, le désarmement de factions rivales, la protection des réfugiés, ou l’assistance humanitaire. Ces opérations de maintien de la paix avait été très peu nombreuses jusqu’aux années 1990 avant qu’une trentaine ne soit engagée à partir de 1988.
L’année 1994 constitue l’apogée, avec près de 80.000 hommes déployés au titre de l’ONU, on n’en compte que 66.000 aujourd’hui. A nouveau, on a remis en cause la capacité de l’organisation à assurer une vraie police internationale fondée sur le droit.
Plus profondément, c’est le fonctionnement des membres à huis clos, à secret, entre eux, qui a été remis en cause. En effet, ce sont ces membres permanents qui ne fonctionnent qu’entre eux en réalité, contrairement à l’esprit de la Charte qui voulait un équilibrage entre les principales puissances et les plus petites (notamment par le jeu des membres temporaires). Les membres permanents marginalisent les pays du Sud qui ne participent qu’en dernier recours à des négociations déjà largement closes.
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La question d’une réforme prochaine du Conseil a été particulièrement posée à partir de 2005 à l’occasion des 60 ans de l’ONU. Elle a conduit aujourd’hui à la mise en place d’un groupe de travail qui semble s’être enlisé dans des marchandages interminables. En effet, les membres traditionnels bloquent pour des raisons diverses l’élargissement du nombre de sièges de membres permanents. (4 pays sont prétendants : Inde, Allemagne, Brésil, Japon)
Plus largement, c’est le continent africain qui revendique l’entrée d’au moins deux pays parmi les membres permanents. Or aujourd’hui, l’Union africaine, avec 43 votes à l’AG, dispose d’une minorité de blocage.
Apparemment, le droit de véto des membres permanents actuels est considéré comme intouchable et on s’acheminerait peut-être selon certains vers une solution transitoire dont les contours restent cependant très mal définis.
Sur ce point, en dépit des attentes de l’après guerre froide, l’incapacité d’empêcher certains conflits au Moyen-Orient, en Ex-URSS, en Irak, ainsi que la réaffirmation du rôle de l’OTAN comme bras armé des pays occidentaux ont détruit une grande partie de l’espoir d’une mise en place effective d’un gouvernement mondial de la sécurité sous l’égide de l’ONU.
Finalement, le sentiment s’impose que le passage d’une logique de puissance à une véritable coopération multilatérale, même au sein de l’ONU, reste encore assez largement hors d’atteinte.
Les paradoxes en matière de développement économique et social
Les jugements sont très contrastés sur la portée des organisations interétatiques. On peut l’analyser en deux points, les aspects positifs et les critiques qui peuvent être faites.
Les aspects positifs
Indiscutablement, l’ONU s’est révélée être une tribune de revendication pour les pays les moins industrialisés. Le développement, avec les droits de l’homme et la sécurité, s’est imposé comme l’une des branches principales de l’organisation depuis 50 ans.
Ainsi, en s’appuyant sur les principes posés par la Charte, les Etats du Sud ont joué un rôle déterminant dans la création de la CNUCED en 1964, la Commission des Nations-Unies pour le commerce et le développement.
La CNUCED est devenue un organe permanent de l’Assemblée générale, dont l’objectif est de favoriser l’insertion des pays en voie de développement dans le commerce mondial. Dès la première conférence de cet organisme, les pays en développement constitueront un groupe de travail et de négociation permanent qui deviendra en quelque sorte la voix du Sud face aux pays industrialisés au sein de l’Assemblée générale. C’était le groupe des ‘77’, il comprend aujourd’hui 130 Etats.
Par son action, ce groupe de pays a diffusé une autre vision des rapports économiques internationaux, autre que celle qui défend les bienfaits du libre-échange. Ce groupe, notamment, a repris la notion d’échange inégal, montrant que les termes de l’échange étaient de plus en plus défavorables aux produits non manufacturés et aux matières premières.
Par ailleurs, sous l’action de ce groupe, la création de la CNUCED a été complétée durant plus de trente ans par de multiples autres initiatives. Comme en 1967, avec la création du PNUD, en 1970, par la définition d’une stratégie internationale du développement (NIEO), en 1978, avec la création d’un poste de directeur général au développement et à la coopération économique internationale, en 1995, avec la présentation d’un agenda pour le développement avant d’acter en 2000 le pacte millénaire pour le développement, mesures qui sont parmi les dernières expressions de cet effort.
Ainsi le pacte du millénaire vise-t-il d’ici à 2015 à réduire l’extrême pauvreté qui touche près d’un milliard de personnes. Le rapport mondial sur le développement humain, réalisé en 2003 pour le compte du Pacte, s’inscrit dans l’esprit constant des initiatives de l’ONU dans ce domaine.
Ainsi, ce rapport souligne combien les pays pauvres ne peuvent améliorer eux-mêmes leur situation contrairement aux idées toujours dominantes de nombreux décideurs des pays riches. Ces pays sont confrontés à des problèmes structurels graves qui échappent, et de loin, à leur contrôle. Ces aspects structurels tiennent notamment au système international des échanges, au problème des échanges agricoles, au problème des barrières douanières ; ils tiennent également aux dettes, à la géographie.
Le rapport conclut sur la nécessité d’un financement beaucoup plus conséquent des donateurs pour faire sortir ces pays des ornières de la pauvreté.
De manière plus large, sur la notion même de développement, il est aujourd’hui affirmé par l’ONU que celui-ci comprend cinq dimensions indissociables : la paix, l’économie, l’environnement, la justice sociale et la démocratie politique.
En définitive, l’on peut dire que l’ONU a été une tribune capitale des pays les moins développés en matière de revendications mais aussi en matière d’étude et de réflexion. Une forme de prise de conscience planétaire a été rendue possible par cette sorte de « caisse de résonnance » à l’échelle mondiale qu’a été l’ONU sur ces questions.
Critiques
Cependant, les résultats concrets de l’ONU en matière de développement sont demeurés assez ambigus. En effet, le gonflement des rouages de l’organisation en matière économique a mécontenté les pays du Nord qui jouent de fait de leur capacité de blocage financier.
Aujourd’hui, l’on estime que sur les 60 milliards de dollars de l’APD (Aide publique au développement) des pays industrialisés, à peine 10% transitent par le circuit de l’ONU : les Etats, en effet, et les Etats-Unis notamment, préfèrent garder le contrôle des ressources qu’ils distribuent, ce qui affaiblît considérablement les possibilités d’actions des organismes internationaux.
Plus largement, le système onusien est extrêmement dispersé : aucun organe ne centralise l’aide attribuée par les diverses institutions. Outre le Conseil économique et social, dont le rôle touche au développement, c’est le PNUD qui recueille et exécute les fonds. Le FIDA, la FAO, organisme d’étude mais qui cogère les programmes d’aide au développement …
Multiplications d’organismes avec sensiblement les mêmes objectifs.
De plus, les problèmes de coordination et de concurrence affaiblissent indiscutablement sa crédibilité.
Le système onusien est victime de son gigantisme, de ses liens consubstantiels aux Etats et est exposé au risque de bureaucratisation et de faire-valoir rhétorique des Etats.
En formulant des recommandations au gouvernement, en informant l’opinion internationale, ce système permet au moins une prise de conscience sur certaines questions, notamment celles qu’affichent ses conférences thématiques.
Il n’empêche que l’efficacité ou l’espoir se trouve davantage du côté des organismes-relais que sont les organisations non-gouvernementales.
B/ De nouveaux intervenants en forte croissance : les organisations non-gouvernementales (O.N.G.)
Personne ne conteste aujourd’hui la réalité de la montée en puissance sur la scène internationale de ces intervenants que sont les ONG.
Les ONG ont permis beaucoup d’espoirs, et sont encore défendues aujourd’hui par leurs membres comme des organismes faisant émerger un nouveau type de société mondiale. Elles ne sont néanmoins pas vraiment indépendantes, et sont reliées plus ou moins aux organisations internationales.
Il faut tout d’abord commencer par définir ce en quoi consiste une ONG. Comme le notent beaucoup d’observateurs, ce terme ‘négatif’ de non-gouvernemental n’est pas très satisfaisant pour ce qu’on pourrait désigner comme étant des associations transnationales ou internationales.
Le terme s’est imposé car il est celui retenu par les textes fondateurs de l’ONU. Plusieurs définitions sont en concurrence, mais l’on peut retenir trois critères principaux d’une ONG :
→ C’est une association internationale dans ses diverses dimensions : du point de vue de ses membres, de ses objectifs, de ses sources de financement.
→ C’est une association, au sens du droit français, un regroupement sans but lucratif.
→ Une ONG dispose généralement d’un statut consultatif auprès d’une organisation interétatique, c’est-à-dire d’une forme de reconnaissance.
Ce dernier critère n’est pas retenu par toutes les définitions, mais il est vrai que toutes les ONG durables sont reconnues par un organisme intergouvernemental avec lequel elles cherchent à collaborer ou sur lequel elles s’efforcent d’agir.
Trois grandes catégories d’ONG :
– Les organisations corporatives ou techniques, visant un domaine particulier : elles peuvent rassembler des représentants de grands groupes ou des entreprises privées. Leur but est l’échange ou la collaboration technique, ou encore la représentation au sein des organisations interétatiques
– Les organisations savantes
– Les organisations sociales et humanitaires. Ce sont des acteurs nouveaux au sein de la scène internationale.
D’autres visent à la promotion de certains domaines (sport ; religion ; valeurs politiques). L’importance des grandes ONG n’a pas été sans faire émerger un discours qui s’interroge sur leur nature véritable au point de parler de multinationales du cœur (Péjoratif, selon Caille). Ces ONG, en effet, se caractérisent par des prestations de service dont l’importance devient croissante dans leur fonctionnement et dans leur organisation.
Il est clair que le discours public de ces grandes ONG aux Etats et aux marchés dissimule des formes de coopération plus complexes qui tiennent à des stratégies de développement et de financement indispensables pour conserver des moyens d’action, en agissant notamment avec les fonds de grandes entreprises, d’organisations interétatiques, tout en conservant pour beaucoup un lien fort avec des donateurs individuels.
Ces ONG sont un type d’acteurs complexes que l’on peut certes assimiler à des grandes entreprises privées orientées vers le profit, mais qui ne sauraient être réduites à de simples associations d’interpellation et de contrepouvoir.
L’observation des relations avec les organisations interétatiques permet d’affiner ce constat.
1/ Le rôle des organisations non-gouvernementales dans les organisations interétatiques
Collaboration et sous-traitance
L’ONU et ses organismes spécialisés ont prévu des mécanismes de consultation et d’information des associations internationales qui interviennent dans leur domaine de responsabilité.
Ces Organisations Internationales, après évaluation, accordent aux ONG un statut qui peut aller du simple droit d’information sur les activités de l’organisation jusqu’à la consultation obligatoire et l’intervention en séance ou encore jusqu’au statut de proposition d’ordres du jour ou de thèmes de discussion.
Les ONG, depuis la fin de la guerre froide, sont devenues beaucoup plus actives et beaucoup mieux organisées dans le travail qu’elles effectuent auprès des organisations interétatiques. Les réseaux internationaux se sont considérablement renforcés et les ONG interviennent aujourd’hui le plus souvent de manière coordonnée dans le cadre des grandes organisations internationales. Elles ont multiplié également les grandes conférences parallèles lors de ces dernières, conférences dans lesquelles se rendent même des représentants des gouvernements.
Sommet mondial de l’environnement – Conférence de Kyôto 1997 etc.
En somme, le rôle des ONG, pour beaucoup, tend à n’être plus seulement un rôle d’information mais une véritable capacité à transformer les objectifs des rencontres internationales. Outre ce rôle d’expert des débattants, de relais, les ONG sont devenues de manière croissante le bras actif des organisations interétatiques. En effet, ces dernières leur délèguent de plus en plus l’action sur le terrain dans de nombreux domaines, en matière de développement, d’environnement, d’éducation, d’aide d’urgence ou humanitaire.
Dès le début des années 1990, les ONG ont géré au total en matière d’aide au développement plus que l’ensemble de ce qui a été transféré par les institutions des Nations-Unies, soit près de 8 milliards de dollars par an.
Dans le même esprit, l’on peut noter que beaucoup de grandes ONG reçoivent la majorité de leur financement de la part des Etats ou d’organisations publiques. Cette situation pose certains problèmes quant à l’indépendance des organisations par rapport aux gouvernements, même si elle témoigne de la place qu’occupe les ONG sur la scène internationale.
Aujourd’hui, ce n’est pas tant la question de l’indépendance en tant que telle qui est posée, que celle des impératifs de fonctionnement : beaucoup dénoncent aujourd’hui une logique de rapidité et de dépense qui touche autant les Organisations Internationales que les ONG. Cette logique consiste à utiliser dans les délais impartis les fonds proposés par les donateurs internationaux indépendamment de toute visée à long-terme : on privilégie les situations d’urgence face aux problèmes qui nécessitent une réponse sur le long-terme.
Discussion, élaboration et surveillance de nouvelles normes internationales
La plus grande part des avancées de la communauté internationale en matière humanitaire n’aurait pu avoir lieu sans l’action des ONG. On peut dire en effet que ce sont elles qui le plus souvent ont poussé des gouvernements à mettre à l’ordre du jour de leurs rencontres des questions autres que sécuritaires ou économiques. Les ONG ont contribué ou contribuent de manière décisive à la formation de l’agenda politique international.
Leur action, disent certains, peut se comprendre comme articulant un effort prénormatif où elles produisent des rapports et études pour orienter l’action, sous forme d’initiative où elles plaident pour l’adoption de nouvelles politiques internationales, et d’action directement rédactionnelles où elles établissent le texte lui-même.
Par exemple, l’action d’IBCL a préparé la signature du traité d’Ottawa en 1997, interdisant totalement l’usage d’un type d’armes. Cette initiative rassemblait 1400 ONG au niveau mondial et fut couronnée du prix Nobel de la paix.