Les SIEG et la concurrence (art. 106&2 du TFUE)

LE DROIT DE LA CONCURRENCE ET LES ENTREPRISES VISÉES A L’ARTICLE 106 PARAGRAPHE 2 DU TFUE

L’article 106, paragraphe 2, du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne établit un régime particulier pour certaines entreprises, particulièrement celles impliquées dans la gestion de Services Économiques d’Intérêt Général (SIEG). Cette disposition joue un rôle clé dans la manière dont les règles du traité s’appliquent à ces entreprises.

  • 1ère proposition de l’article 106 : Soumission au traité : La première partie de l’article 106 stipule que les entreprises concernées sont soumises aux règles du traité. Cela signifie qu’en principe, ces entreprises doivent respecter les mêmes règles que toute autre entreprise opérant dans l’Union Européenne, notamment en matière de concurrence et de marché intérieur.
  • 2ème proposition de l’article 106 : Conditions de dérogation : La deuxième partie de l’article offre une possibilité de dérogation à ces règles. Cette dérogation est conditionnelle : elle est permise seulement si l’application des règles du traité empêcherait ces entreprises d’accomplir leur mission particulière, tant en droit qu’en fait. De plus, il est essentiel que cette dérogation n’affecte pas le développement des échanges de manière contraire aux intérêts de l’Union.

Interprétation par la CJUE :

  • Cas France vs Commission, 19 mars 1991 : Dans cet arrêt, la CJUE a clarifié le sens de cette disposition. La Cour a indiqué que l’article 106, paragraphe 2, cherche à équilibrer l’intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises (notamment publiques) comme instruments de politique économique ou fiscale, avec l’intérêt de la communauté en matière de respect de la concurrence et de préservation de l’unité du marché commun.

« En permettant, sous certaines conditions, des dérogations aux règles générales du traité, cette disposition vise à concilier l’intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises, notamment du secteur public en tant qu’instrument de politique économique ou fiscale avec l’intérêt de la communauté au respect de la concurrence et à la préservation de l’unité du marché commun ».

Contexte historique :

  • L’introduction de cette disposition a été fortement influencée par la France, dans le but de préserver la spécificité des services publics à la française. La terminologie adoptée, celle de « service économique d’intérêt général », reflète cette influence.

L’article 106, paragraphe 2, du TFUE fournit un cadre juridique permettant aux entreprises chargées de missions de service économique d’intérêt général de déroger, sous certaines conditions, aux règles générales du traité. Cette disposition illustre la tentative de l’UE de concilier les impératifs nationaux spécifiques des États membres avec les principes fondamentaux du marché unique européen.

Paragraphe 1 : Les entreprises visées par l’article 106 paragraphe 2 TFUE

A) les entreprises présentant le caractère d’un monopole fiscal

Le monopole fiscal est celui qui a pour objet même non exclusif de proposer des recettes à l’État par l’exploitation exclusive d’une activité déterminée. Exemple : le monopole du tabac en France et en Italie.

Le monopole fiscal découle d’une volonté étatique.

B) Les entreprises chargées de la gestion d’un service économique d’intérêt général

L’analyse des entreprises chargées de la gestion d’un service économique d’intérêt général (SIEG) dans le contexte de l’Union Européenne (UE) révèle des nuances importantes par rapport à la notion de service public en droit français.

Distinction avec le service public français :

  • Non-identité avec le service public français : Le concept de SIEG ne recouvre pas exactement la notion de service public telle qu’elle est comprise en droit français.
  • Référence limitée dans les traités de l’UE : Le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), notamment son article 93, ne mentionne la notion de service public que de manière limitée, se concentrant principalement sur les services de transport et les obligations inhérentes à la notion de service public.

Concordances et différenciations :

  • Concordances : Malgré ces différences, il existe des concordances entre les deux notions. La CJUE a souvent assimilé des services d’intérêt général à des SIEG, correspondant aux Services Publics Industriels et Commerciaux (SPIC) en droit français.
  • Distinction du « service universel » : Le concept de service universel, propre au droit de l’UE, cible les prestations de base, comme la téléphonie locale, offertes à des conditions avantageuses à toute la population.

Critères de qualification d’un SIEG :

  1. Entreprise : L’entité doit être une entreprise.
  2. Investiture par l’autorité publique : L’entreprise doit être investie d’une mission par l’autorité publique, soit par un acte unilatéral (loi ou décret), soit par une convention (délégations de service public).
  3. Mission de nature économique : La mission doit être de nature économique, impliquant la gestion d’activités industrielles et commerciales.
  4. Activité économique d’intérêt général : L’entreprise doit gérer une activité d’intérêt économique général, fournissant des prestations non motivées uniquement par la recherche de profit.

Évolution jurisprudentielle de la CJUE :

  • Approche initiale : Initialement, la CJUE se concentrait sur l’identification des missions d’intérêt économique général.
  • Changement d’approche : À partir de l’arrêt CJUE du 19 mai 1993 – Corbeau, la Cour a orienté son raisonnement vers les conditions d’exercice de l’activité, mettant l’accent sur les obligations de service public pesant sur les entreprises.

Nature des entreprises de SIEG :

  • Les entreprises gérant un SIEG peuvent être soit publiques soit privées.

Bien que partageant certaines similitudes, les SIEG dans le droit de l’UE se distinguent nettement de la notion de service public en droit français, avec des critères et implications spécifiques dictés par la jurisprudence de la CJUE et les règlements de l’UE.

Paragraphe 2 : le régime spécifique applicable aux entreprises.

Le premier principe posé est la soumission du service d’intérêt économique général aux règles prévues par le traité. L’article 106 affirme que de telles entreprises sont soumises aux règles du traité. L’exception ne joue que si certaines conditions sont remplies.

A) conditions pour déroger aux règles du traité

Les conditions pour déroger aux règles du traité de l’Union Européenne sont précisément définies et se fondent sur deux principaux critères évalués par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), anciennement nommée Cour de justice des Communautés européennes (CJCE).

  • 1. Condition de nécessité : Cette première condition exige que l’entité concernée démontre l’indispensabilité des dérogations pour l’accomplissement de sa mission spécifique, tant en droit qu’en fait. Initialement, la CJUE adoptait une interprétation stricte de cette condition, requérant que l’application des règles du traité rende absolument impossible l’exercice de la mission d’intérêt général, une exigence rarement satisfaite. Cependant, sous la pression des États membres, la Cour a assoupli son interprétation, reconnaissant la possibilité de dérogations même lorsque le respect des règles ne rend pas impossible l’exercice de la mission.

Cas Jurisprudentiels Pertinents :

  • CJCE, 19 mai 1993 – Corbeau
  • CJCE, 27 avril 1994 – Commune d’Almeno : La Cour a admis que les opérateurs gérant un Service d’économie d’intérêt général (SIEG) peuvent s’écarter des règles de concurrence du droit de l’Union, même si le respect de ces règles ne rend pas impossible leur mission.
  • CJCE, 25 octobre 2001 – Firma Ambulanz Glockner : La Cour a élargi la portée des dérogations aux activités liées indissociablement à la mission d’intérêt général, même si ces activités ne sont pas elles-mêmes de nature à constituer un intérêt général.

Justification : La CJUE motive ses décisions en soulignant l’injustice potentielle d’autoriser des entreprises sans mission d’intérêt général à concurrencer celles qui en ont une, en choisissant des secteurs économiquement plus rentables grâce à des obligations de service public moindres.

Exemple : La Poste française, chargée de la mission d’intérêt général d’acheminer le courrier sur tout le territoire dans des délais raisonnables, peut déroger aux règles de la concurrence pour des services comme les transferts rapides de courrier, qui sont étroitement liés à sa mission principale. Toutefois, pour des activités comme les services bancaires, qui ne sont pas directement liées à sa mission d’intérêt général, aucune dérogation n’est permise.

  • 2. Impact sur le développement des échanges : La deuxième condition exige la démonstration que la dérogation n’affecte pas négativement le développement des échanges au sein de l’UE, de manière contraire aux intérêts de l’Union.

Ces conditions illustrent le défi d’équilibrer les missions d’intérêt général avec les principes de libre concurrence au sein de l’UE, reflétant une évolution jurisprudentielle qui tente de concilier les besoins spécifiques des services publics et les objectifs du marché unique européen.

 

B) les règles auxquelles il peut être dérogé.

On va permettre à l’entreprise à déroger aux règles de la concurrence pour assumer correctement sa mission d’intérêt général. L’article 106 paragraphe 2 vise les règles du présent traité et notamment les règles de la concurrence.

Les dérogations concernent le plus souvent les aides d’État. Les entreprises ne fonctionnent souvent que parce qu’elles ont des subventions des personnes publiques. Souvent on a un double financement, par le biais de financement par les usagers par redevance et subvention de la personne publique.

Très vite, la CJCE et la Commission ont du répondre à la question de savoir si ces aides sont des aides au sens des articles 107 à 109 du TFUE et devaient par conséquent être notifiées préalablement à la commission.

La Commission penchait pour une non application des dispositions du traité sur les aides d’État et la CJUE penchait plutôt pour une qualification d’aide d’État et donc pour une obligation de notification préalable, avec la possibilité de bénéficier des dérogations des règles du traité.

La CJCE a opéré un revirement et s’est ralliée à la Commission :

1) CJCE 22 Novembre 2001 – Ferring

On avait une question préjudicielle posée par le TASS de Créteil. Dans cet arrêt, le TASS interrogé la Cour sur la compatibilité au droit de l’Union et notamment avec les aides d’État, d’une lois sur le financement de la sécu qui avait institué une taxe spécial sur les ventes directes de médicament.

À l’époque, en France, on avait deux systèmes de distribution : un système qui passait par des grossistes répartiteurs et un système de vente directe par les laboratoires pharmaceutiques.

Les autorités Françaises imposaient aux grossistes répartiteurs des obligations de service public et notamment une diffusion sur l’ensemble du territoire.

Pour rééquilibrer les conditions de concurrence entre les deux systèmes, la loi de financement de la sécu de 1998, prévoyait une taxe destinée à une Caisse d’assurance maladie, instituée uniquement sur les ventes directes des laboratoires pharmaceutiques.

Dans le cadre du litige au principal, la société Ferring avait du s’acquitter de cette taxe et elle vendait un médicament Allemand en France. Elle saisit le TASS de Créteil e estime que cette taxe est illégale en raison de l’exonération dont bénéficie les grossistes répartiteurs.

La CJCE refuse la qualification d’aide au sens de l’UE, selon elle, cette aide est la contrepartie des opérations de Services Publics qui pèsent sur les grossistes répartiteurs. Cela doit être la contrepartie exacte.

2) CJCE 24 Juillet 2003 – Altmark: Dans cet arrêt, la société Altmark avait bénéficié de l’octroi d’une licence pour l’exploitation d’un service régulier d’autobus. Un concurrent conteste l’octroi de cette licence en inventant l’existence de subventions.

La CJCE explique que la condition d’application de l’article 107 paragraphe 1 selon laquelle l’aide doit être de nature à affecter les échanges entre les états membres, ne dépend pas de la nature locale ou régionale des services de transports fournie ou de l’importance du domaine d’activité concerné.

Toutefois, des subventions publiques, visant à permettre l’exploitation de services réguliers de transports urbains, ne tombent pas sous le coup de cette disposition, dans la mesure où de telles subventions sont à considérer comme une compensation représentant la contrepartie dans prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour effectuer des obligations de service public.

La CJUE pose les conditions pour qu’une subvention exercée dans le cadre d’une mission d’intérêt général et économique puisse ne pas être qualifiée d’aide au sens du droit européen :

  • L’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée d’une mission de service public et ses obligations en ce sens doivent être clairement définies. Cela implique que, dans l’acte de délégation du SP, on doit trouver préciser la nature exacte de la mission confiée, la durée, et les coûts que ces entreprises devront supporter.
  • Les critères et paramètres permettant d’établir la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente.
  • Proportionnalité entre le montant de la subvention et les charges de SP. Cela implique que si l’on est face à une subvention qui excède la charge de SP, elle devra être notifiée à la commission pour qu’elle vérifie si elle peut bénéficier des dérogations prévues par le traité.
  • Lorsque l’attribution de la mission de SP, ne se fait pas de façon contractuelle, mais par le biais d’un acte unilatéral, le montant de compensation doit être calculé sur la base de la moyenne des coûts qu’une entreprise correctement gérée devrait supporter pour remplir une mission analogue.

Ces 4 critères sont cumulatifs.

Si ces 4 conditions sont remplies, l’aide n’a pas à être notifiée à la Commission et peut être directement mise en place.

Si une des conditions est manquante, l’aide constitue une aide interdite par l’article 107 paragraphe 1 du TFUE mais qui peut bénéficier des dérogations prévues par l’article 107 paragraphe 3. ce qui implique qu’elle doit être notifiée préalablement à sa mise en vigueur à la Commission.

La Commission a clarifié la jurisprudence Altmark : Premier ensemble d’actes adoptés en 2005 remplacé par un autre ensemble d’actes adoptés le 20 décembre 2011.

Pour l’application de l’article 106 paragraphe 2 relative aux aides d’État sous forme de compensation de Services Publics à des entreprises de Service Public d’intérêt général, une décision de la Commission (2011) reprend la jurisprudenceAltmark.

Une communication en 2011, pour l’application des règles de l’UE, en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour un SEIG : la commission précise la jurisprudence de la Cour qui n’a pas de portée normative.

On a enfin un encadrement de l’UE, qui n’a pas non plus de portée normative, applicable aux aides d’État sous forme de compensation de Service Public. Il ne concerne que les subventions qui ne remplissent pas les conditions d’Altmak.