Les sources constitutionnelles du droit fiscal

La faiblesse des sources constitutionnelles en matière fiscale

La lecture des lois constitutionnelles positives en matière fiscale permet de le constater. Les textes sont très réduits. Il y en a 3 (pour rappel, la DDHC est dans le bloc de constitutionnalité) :

  1. L’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 qui dispose que : « pour l’entretien d’une force publique et pour les dépenses d’administration une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens à raison de leur faculté »
  2. L’article 14 : « tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par le représentant la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée »
  3. L’article 34 de la Constitution : « la loi fixe les règles relatives à l’assiette, aux taux et au recouvrement des impositions de toute nature ».

Section 1 les grands principes fiscaux à valeur constitutionnel

C’est sur cette faible base textuelle que le Conseil constitutionnel va développer un certain nombre de principe, sachant tout de suite que si dans d’autre matière, le Conseil constitutionnel a dégagé des principes généraux à valeur constitutionnel, il n’a pas fait cet effort en droit fiscal.

  • &1 la reconstruction des dispositions de l’art 13 par le juge constitutionnel
  • a) L’obsolescence des dispositions de l’article 13

Cet article a été écrit en fonction d’une conception dépassée de l’impôt. L’impôt était considéré comme le prix du service rendu par l’Etat au citoyen, singulièrement aux propriétaires pour assurer leur protection et pour faire fonctionner les services publics.

D’autre part la contribution était limitée à la couverture de ces frais de service public. Pour fixer l’impôt, il fallait arrêter le montant des dépenses publiques, puis ensuite, il fallait répartir ce montant entre les contribuables.

Enfin, il s’agissait d’un impôt de répartition qui devait être également réparti en fonction des facultés de chaque contribuable (fixée en rapport à la valeur des propriétés de chaque propriétaire). Seuls les propriétaires étaient donc contribuables. C’était un système fiscal censitaire. L’impôt était donc bien consenti par les propriétaires.

Toute cette conception n’a plus qu’un caractère historique, elle est obsolète. Actuellement prévalent d’autres idées :

  • 1) L’impôt couvre certes les dépenses du service public, mais il y a aussi une idée de redistribution des richesses entre les citoyens.
  • 2) L’idée d’impôt de répartition a aussi vécu… Les impôts sont des impôts de quotité. On fixe a priori le taux d’imposition, pas le montant de l’impôt.
  • 3) L’idée de lier la faculté contributive à la fortune des contribuables est aussi dépassée. La faculté est appréciée très largement en fonction des revenus et de la situation de famille et de certaines charges. On est passé d’un impôt réel à un impôt personnel.
  • 4) L’impôt a cessé d’être censitaire.

Le Conseil constitutionnel a bien été obligé de faire abstraction des idées qui ont présidé à la rédaction de l’article 13.

  • b) La réécriture de l’article 13 par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur 3 formules de l’article 13 :

1) Idée d’égalité

Le Conseil constitutionnel va ancrer le principe d’égalité devant l’impôt dans l’article 13. Le principe d’égalité est consacré par l’article 13. Mais ce principe d’égalité va être apprécié selon des méthodes qui n’ont rien à voir avec celles de 1789.

Le Conseil constitutionnel va reprendre une jurisprudence du conseil d’Etat qui avait déjà dégagé ce principe

Conseil d’Etat arrêt du 04 02 44 Guieysse: tous les contribuables dans une même situation doivent être soumis aux mêmes règles fiscales, d’autre part le législateur peut toujours traiter différemment des contribuables qui se trouvent dans des situations différentes à condition que la différence de traitement soit en rapport direct avec leur différence de situation. Enfin, le législateur peut toujours traiter différemment des contribuables se trouvant dans la même situation quand la différence de traitement est justifiée par un intérêt général en finalité avec la législation fiscale.

Le problème, c’est que cette construction se révèle très faiblement opératoire en droit fiscal. En effet quel est le contribuable qui est exactement dans la même situation qu’un autre ? Ce qui veut dire que le législateur n’aura aucun mal à découvrir des différences entre les contribuables. De plus, à supposer que 2 contribuables soient dans la même situation, il sera facile de trouver un intérêt général pour justifier une discrimination.

Le Conseil constitutionnel a eu extrêmement de mal à censurer les discriminations du législateur. Le Conseil constitutionnel en est même arrivé à considérer que le principe d’égalité était impossible à mettre en œuvre en droit fiscal et il a alors, en 1986, infléchi cette jurisprudence en introduisant un complément très important.

Dans une décision du 16 janvier 1986, le Conseil constitutionnel a complété son raisonnement en affirmant que même si la discrimination est justifiée, elle ne peut jamais conduire à une rupture caractérisée du principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel, après avoir admis l’inégalité devant l’impôt va censurer les dispositions qui organisent une inégalité trop flagrante, trop importante. Par ce biais, le Conseil constitutionnel a redonné une certaine vigueur au principe d’égalité. Il y a une répartition entre les citoyens à raison de leur faculté

2) Utilisation de la formule selon laquelle tous les citoyens doivent être imposés selon leurs facultés

La conséquence de ce principe est que le législateur fiscal a obligation de fixer les caractéristiques de chaque impôt de manière rationnelle, c’est-à-dire essentiellement en fonction de critères objectifs.

La mise en œuvre de ce principe va donc ouvrir au Conseil constitutionnel un large pouvoir de vérification de la logique interne de l’impôt.

Par exemple, décision du 19.12.2000 qui concerne la CSG : Le législateur avait prévu un mécanisme de réduction de cet impôt en faveur de certains contribuables. Or, cette réduction ne tenait pas compte de l’ensemble des revenus que percevait le contribuable alors que la CSG devait frapper tous les revenus du contribuable. Le Conseil constitutionnel a censuré en considérant que ce mécanisme n’était pas rationnel et violait le principe d’imposition en fonction des facultés.

3) Le caractère indispensable ou nécessaire de l’impôt

Principe de nécessité de l’impôt. Le Conseil constitutionnel ne va pas vérifier si l’Etat a besoin de cet argent. Le Conseil constitutionnel considère qu’en son principe l’impôt est indispensable. Il utilise ce principe pour justifier les atteintes portées aux libertés et qui sont justifiées par la lutte contre la fraude fiscale.

  • &2 la faible utilisation des dispositions de l’article 14

L’article 14 fait double emploi avec l’article 34, alinéa 6 de la constitution. L’article 14 pourrait censurer la délégation de compétence à un privé en matière fiscale. En effet, l’article 5 du tire 5 de la constitution du 9 septembre 1991 selon lequel le pouvoir exécutif dirige et surveille la perception et le versement des contributions, ce qui veut dire que toute la perception de l’impôt est un service public d’État. L’État ne pourrait pas confier la perception à un privé (condamnation de la ferme générale)

Section 2 les règles constitutionnelles de compétence en matière fiscale

Le Conseil constitutionnel se base sur l’article 34

Le principe du consentement à l’impôt : le législateur est compétent pour élaborer les régimes d’imposition, et seul le parlement est compétent pour autoriser la perception de l’impôt

  • &1 la compétence législative dans l’élaboration des régimes fiscaux.

L’article 34 mentionne les impositions de toute nature

  • a) la définition des impositions de toute nature.

C’est le terme clé pour l’application de l’article 34. Mais jamais le Conseil constitutionnel n’a donné de définition positive.

La jurisprudence du CE comme celle du Conseil constitutionnel donne une définition positive de la redevance : c’est une somme demandée à des usagers d’un service public ou d’un ouvrage en vue de couvrir les charges de ce service ou les frais d’établissement ou d’entretien de cet ouvrage qui trouve sa contrepartie directe dans les prestations de ce service ou l’usage de cet ouvrage. Les redevances peuvent être fixées par les autorités administratives.

Par élimination, les impositions de toute nature sont celles qui sont fixées par le législateur, qui ne sont pas des redevances. Il s’agit de la taxe fiscale et de l’impôt.

La taxe fiscale est un prélèvement obligatoire perçu au profit d’une personne publique à raison du fonctionnement d’un service public sans que son montant soit en corrélation directe avec le coût de ce service. Elle se rapproche le plus de la redevance.

L’impôt peut se définir comme un prélèvement pécuniaire effectué par voie d’autorité à titre définitif sans contrepartie déterminée, sans lien avec le fonctionnement d’un service public en vue d’assurer le financement des charges publiques de l’Etat et des autres personnes publiques

Cette définition est purement doctrinale. Le Conseil constitutionnel est dans l’embarras pour qualifier un prélèvement d’impôt

Pro memoria, il existait à côté des taxes fiscales, des taxes parafiscales affectées à des organismes d’intervention économique. Ces taxes entraient partiellement dans la catégorie des impositions de toutes natures mais elles ont été supprimées et transformées en taxes fiscales.

  • b) La nature des règles fixées par l’article 34

Qu’est ce que l’assiette, le taux, et les modalités de recouvrement dont parle l’article 34

Concrètement :

L’assiette, dans un sens juridique a quatre composantes. C’est d’abord la définition de la matière imposable (caractérisation du revenu, de la fortune). L’assiette est également la définition des redevables de l’impôt. De plus, l’assiette détermine le fait générateur de l’impôt, l’acte juridique ou l’événement qui fait naître l’obligation fiscale (décès, vente d’un immeuble). Enfin, l’assiette définit aussi les exonérations.

Tout cela constitue des règles d’assiette qui doivent être déterminées par le législateur.

Les modalités de recouvrement des impositions. Cette locution inclut un nombre considérable de règles hétérogènes. Il faut y inclure la désignation de l’organe chargé du recouvrement, les modalités de paiement de l’impôt, les éléments essentiels de la procédure de recouvrement forcé et les sanctions pour inexécution des obligations du contribuable.

A cela s’ajoutent les règles relatives aux amnisties fiscales, ayant pour objet d’interdire au fisc de poursuivre le recouvrement de certains impôts.

  • c) L’étendue de la compétence du législateur

L’étendue de la compétence du législateur présente un caractère dissymétrique accentué. Le législateur peut excéder la compétence de l’article 34, mais jamais renoncer à exercer les compétences qui lui sont données par l’article 34. Si le législateur empiète sur le domaine réglementaire, il n’y a jamais d’inconstitutionnalité.

En revanche, le Conseil constitutionnel censure impitoyablement les incompétences négatives, les cas où le législateur n’a pas fixé l’une des règles de l’article 34 (exemple : 8 janvier 91 : le législateur s’était abstenu de préciser les modalités de recouvrement d’une taxe en abandonnant le soin de préciser les règles au règlement)

Le Conseil constitutionnel est même allé plus loin. Il a tiré de cette obligation d’exercer toutes les compétences de l’article 34 quelque chose de fondamental pour les agréments fiscaux (acte unilatéral de l’administration fiscale et qui privilégie un contribuable, il faut une dérogation justifiée par l’intérêt général). Le Conseil constitutionnel a depuis une décision du 30 12 87 refusé que le législateur puisse laisser à l’administration un pouvoir discrétionnaire dans l’attribution d’un tel régime fiscal spécial, en faisant obligation au législateur de fixer précisément les conditions objectives d’octroi d’un tel avantage, l’administration se bornant à vérifier que le contribuable rempli ces conditions. Cette interdiction est tirée de l’interdiction des incompétences négatives.

  • d) Les caractéristiques du régime fiscal légal

Le régime d’imposition peut-il subir de la part de l’administration fiscale des aménagements. Le régime de l’imposition est un régime d’ordre public. Le principe a été défini par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 mars 1895 (Dreyfus frères): Attendu que la perception des impôt intéresse essentiellement l’ordre public, qu’elle ne peut donc pas être la matière d’un contrat, ni par suite d’une transaction et qu’il est défendu à l’administration comme à toute autre autorité publique d’accorder aucune remise ou modération des droits simples établi par la loi.

Ce qui signe la prohibition totale de tout accord entre l’administration fiscale et le contribuable sur le montant de l’impôt.

L’administration fiscale ne peut jamais renoncer au bénéfice de la loi. Il existe des transactions, mais jamais sur le montant de l’impôt, plutôt sur le recouvrement des sanctions.

Une autre conséquence est que l’administration fiscale peut toujours revenir sur une promesse fait au contribuable.

Troisième conséquence : l’abstention de percevoir l’impôt est une illégalité.

Quatrième et dernière conséquence, en contentieux, l’administration a un privilège de base légale, l’administration peut se prévaloir de toute base légale pour fonder son imposition.

La rigueur de ces principes pose problème au niveau de l’harmonisation européenne fiscale. En effet, dans les pays anglo-saxons, il est considéré qu’un accord avec le contribuable est licite et constitue un élément de sécurité.

  • &2 la compétence législative pour autoriser le prélèvement de l’impôt

La loi fiscale reste en vigueur tant qu’elle n’est pas abrogée mais elle ne peut être exécutée sans que chaque année une autorisation spéciale soit donnée par le législateur (conséquence directe du principe de consentement à l’impôt).

Concrètement, au 31 décembre de l’année, toutes les lois fiscales cessent d’être applicables si le législateur ne renouvelle pas l’autorisation de percevoir l’impôt (en 1979 la loi de finance a été déférée au Conseil constitutionnel qui la déclare inconstitutionnelle en raison de vice procédure. Il fallait organiser de nouveaux débats. Le gouvernement a fait voter, hors de la loi de finance, une loi qui autorisait l’administration fiscale à continuer à percevoir.)