Les sources européennes du droit administratif

LES SOURCES EUROPÉENNES DU DROIT ADMINISTRATIF

Le droit de l’Union européenne (UE) influence désormais des secteurs de plus en plus diversifiés des législations des Etats membres, par exemple en matière de législation économique et monétaire, de droit bancaire, de droit d’asile et d’immigration. Les actes de droit dérivé, règlements et directives, couvrent de façon précise des champs très larges de notre droit.

Par ses caractéristiques institutionnelles et par l’ampleur de sa production normative, l’Union européenne constitue, selon l’expression de la Cour justice de l’Union européenne (CJUE) un « ordre juridique » à part entière qui s’intègre aux ordres juridiques nationaux des Etats membres.

I – Le contenu des sources européennes

A) La spécificité des sources de l’union européenne

Double spécificité des sources européennes, d’abord des spécificités d’un point de vue pratique. La spécificité du droit de l’union découle du nombre de textes adoptés dans le cadre de l’UE, chaque année l’union adopte des centaines de textes que les autorités françaises doivent intégrer en droit français. Il y a beaucoup de textes européens qui touchent des domaines sensibles du droit administratif. Les contrats administratifs, la fonction publique sont très largement européanisés par exemple. Tout le droit administratif subi l’effet des sources d’origine européennes.

Spécificité d’un point de vue juridique, pour le conseil constitutionnel le droit de l’UE constitue un ordre juridique spécifique, c’est-à-dire distinct du droit international. Cette spécificité se retrouve dans la jurisprudence du conseil d’Etat, dans la décision Kandyrine de Brito Paiva. Dans la décision GISTI, même chose, la solution ne vaut pas pour le droit de l’UE. Parce que pour le droit de l’UE seule la cour de justice de l’UE peut dire quel est le droit de l’Union d’effet direct ou non. Le droit de l’UE n’est pas régit uniquement par l’article 55 de la Constitution, il est aussi régi par le titre 15 de la Constitution et par l’article 88 paragraphe 5 de la Constitution, ce qui conduit à une autonomisation du fondement constitutionnel du droit de l‘union par rapport au droit international.

B) La variété des sources européennes

  1. Les sources européennes non-écrites

L’union européenne fonctionne sur la base de deux traités :

  • le traité sur l’Union Européenne
  • le traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne

Ces traités constituent le droit primaire de l’UE. Ils contiennent plusieurs centaines d’articles dont certains sont dotés de l’effet direct. Seules les stipulations précises et inconditionnelles sont d’effet direct. La spécificité du droit de l’union est qu’il existe à côté de ce droit primaire un droit dérivé, c’est à dire que sur la base des deux traités, l’Union adopte de nouveaux actes qui auront une valeur juridique pour les États membres de l’union européenne

Il y a généralement trois types d’actes qu’adopte l’UE :

  • · Les règlements
  • · Les directives
  • · Les décisions

Certains de ces actes créent directement des droits et des obligations pour les particuliers. Ce sont donc des actes qui ont un effet direct, ce sont les règlements et les décisions. Ensuite, il y a les directives, ce sont des actes qui en principe ne créent de droits et d’obligations qu’à l’égard des Etats. La directive fixe un résultat à atteindre mais laisse à l’Etat une liberté pour déterminer les moyens d’atteindre cet objectif. Cette directive nécessite un acte national de transmission, qui va permettre d’atteindre les objectifs visés par la directive. La conséquence est qu’une directive ne peut avoir d’effet direct car il faut une mesure nationale complémentaire. Cependant la Cour de justice va considérer dans un arrêt Van Duyn du 4 septembre 1974, que les directives peuvent par exception avoir un effet direct.

Ass. 22 décembre 1978 Cohn-Bendit. Dans l’arrêt, le requérant ne peut pas se prévaloir du contenu de la directive pour se le faire appliquer par l’administration. Deuxième conséquence concrète le requérant ne peut pas contester un acte individuel de l’administration. Cette situation n’était pas tenable à terme. Sans admettre l’effet direct d’une directive le Conseil d’Etat va admettre qu’un justiciable, qu’un particulier puisse invoquer devant lui une directive. Il y a là la spécificité du droit de l’Union Européenne qui peut être invoqué sans effet direct. Même sans effet direct, la directive est invocable. Elle est invocable car la directive même dépourvue d’effet direct est invocable contre un acte réglementaire c’est-à-dire un acte à portée générale ; 28 septembre 1984, Confédération des sociétés de protection des animaux. Ensuite le conseil d’État a admis que l’on puisse invoquer la directive même sans effet direct pour engager la responsabilité de l’État si celui-ci a méconnu la directive. C-E Assemblée, 28 février 1992, Rothmans International France et S.A Philippe Morris France. On peut attaquer la décision individuelle en disant que la loi ou le règlement qui a fondé la décision individuelle est contraire à la directive.

Au final on arrivait dans la situation où l’on pouvait invoquer une directive pour obtenir l’annulation d’un acte mais on ne pouvait pas invoquer la directive de manière positive c’est à dire pour se faire appliquer son contenu.

Le conseil d’État a fait un revirement de jurisprudence, plus d’arrêt Cohn-Bendit. C’est l’arrêt Perreux qui règle la question, arrêt d’assemblée du 30 octobre 2009, une directive peut avoir un effet direct à deux conditions :

  • la directive est précise et inconditionnelle
  • l’État n’a pas transposé la directive en droit interne.

  1. Les principes généraux du droit communautaire

Les principes créés de manière prétorienne par la cour de justice. La cour de justice les a créé pour combler les lacunes du droit de l’UE. Elles ont un effet direct.

II – Le rang hiérarchique du droit l’Union Européenne

Ce qui est simple c’est que le droit de l’UE a une valeur supra-législative. La jurisprudence de l’arrêt Nicolo joue parfaitement pour le droit de l’UE. La spécificité est que les Principes Généraux du Droit communautaire priment sur la loi, Arrêt de section du 03 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique.

Deux conceptions s’opposent :

  • Pour le juge administratif ; la constitution prime sur le droit de l’UE. Arrêt Arcelor du 26 janvier 2007. Du point de vue du juge administratif français, dans la hiérarchie des normes au sommet il y a la constitution et en dessous le droit de l’UE.
  • Pour la cour de justice l’UE, le droit de l’UE prime sur toutes les règles nationales même constitutionnelles. Aucune disposition même constitutionnelle, ne peut faire obstacle à l’application du droit de l’UE. Arrêt du 11 janvier 2000, Arrêt Krein; la constitution allemande interdit aux femmes de faire partir des unités de l’armée combattante. Une femme allemande voulait avoir ce droit, elle a invoqué le droit de l’UE qui interdit la discrimination entre hommes et femmes. La cour de justice va juger que la constitution allemande doit s’incliner devant le principe de non-discrimination hommes/femmes. La disposition constitutionnelle est contraire à une disposition européenne, donc la disposition prévue par la constitution doit être écartée.

Il y a là un conflit de jurisprudence. Les États peuvent être condamnés par la cour de justice européenne s’ils violent le droit de l’UE. Si le juge administratif impose la primauté de la constitution française, il risque de faire condamner la France par la cour de justice. Du coup le juge administratif va essayer d’aménager son contrôle de constitutionnalité pour essayer de concilier les deux positions. Cet aménagement du contrôle de constitutionnalité est opéré par l’arrêt Arcelor. Ça vise un cas particulier : il y a la société Arcelor qui attaque un décret en disant qu’il était contraire au principe d’égalité consacré par la constitution. Ce décret est la transposition d’une directive précise et inconditionnelle. Du coup comme la directive est précise et inconditionnelle, le décret transpose cette directive. Si le conseil d’État applique le principe d’égalité, il risque de faire prévaloir la constitution indirectement sur la directive qui est transposée. S’il ne sanctionne pas, la primauté de la constitution est remise en cause. La solution retenue va donc être que le conseil d’État va d’abord dire que transposer une directive est non seulement une obligation européenne mais aussi une obligation européenne établie par l’article 88-1 de la constitution. Dès lors qu’il y a cette obligation, le Conseil d’État va dire qu’il fait un contrôle particulier de constitutionnalité du décret c’est-à-dire qu’il va chercher à concilier l’obligation constitutionnelle de transposer avec les autres règles constitutionnelles qu’il contrôle. Ce contrôle particulier est un contrôle de constitutionnalités des actes réglementaires des transpositions de directives précises et inconditionnelles.

Ce contrôle est atypique :

  • Les règles constitutionnelles des règles de compétences et de procédés, le juge administratif va normalement les contrôler ; S’il y a un décret de transposition qui est pris dans le domaine de la loi, il est alors inconstitutionnel car l’autorité administrative était incompétente. Le juge administratif peut le faire car quand c’est en cause une règle de compétence ou de procédure la règle découle de l’acte administratif de transposition. Les règles de procédures et de compétences ne sont pas affectées.
  • Pour les autres règles constitutionnelles : il y a une spécificité. Le juge administratif doit rechercher s’il existe une règle ou un principe communautaire équivalent à l’égard de sa nature ou de sa portée à la règle constitutionnelle invoquée. Le juge doit voir s’il existe un principe communautaire d’égalité.
  • Soit il existe une règle communautaire équivalente : dans ce cas le juge administratif va vérifier si la directive précise et inconditionnelle est conforme à cette règle communautaire équivalente ; pour répondre à cette question le juge administratif doit saisir la cour de justice de l’UE. Si la directive respecte la règle communautaire équivalente à la règle constitutionnelle alors on peut considérer qu’elle respecte la règle constitutionnelle elle-même. Ainsi on pourra considérer que le décret est conforme à la constitution et rejeter le recourt. En revanche si la directive est contraire à l’acte communautaire alors la cour de justice va annuler la directive et le juge administratif va pouvoir annuler les dispositions qu’elle transpose. En quelque sorte, le juge fait respecter la constitution à travers une règle communautaire équivalente et confie à la cour de justice le soin d’opérer le contrôle.
  • Soit il n’existe pas une règle communautaire équivalente : dans ce cas le juge administratif contrôlera normalement la règle constitutionnelle. Qui est spécifique à la France ; La France s’exposera à une condamnation et s’en doute la constitution devra être révisée.

En pratique il n’existe presque pas de règles constitutionnelles françaises qui n’auraient pas d’équivalent en droit de l’UE. On va donc souvent se tourner vers la cour de justice. La règle constitutionnelle de laïcité n’a pas d’équivalent en droit européen, c’est donc au juge que revient son contrôle.

  • Arrêt Arcelor, la directive respectait bien le principe d’égalité de constitutionnalité. Donc le décret qui transposait la directive était bien constitutionnel.

Le conseil ne peut pas contrôler la loi lorsqu’elle est le reflet, la reproduction d’un texte européen. Dans ces cas-là, il faut que le juge administratif pose une question préjudicielle à la cour de justice sur la conformité de la directive au droit communautaire. Décision QPC du 17 décembre 2010.

Le cas où un requérant conteste la conformité d’une loi de transposition par rapport à la convention européenne des droits de l’homme. A priori le requérant demande un contrôle de conventionalité de la loi. Mais il ne peut pas être mis en œuvre de manière classique parce qu’est en cause une loi de transposition donc le droit communautaire. Si c’était une loi ordinaire le juge pourrait dire qu’elle est contraire au droit communautaire et l’écarterait. Mais là c’est une loi qui transpose une disposition communautaire. Plutôt que de contrôler la loi avec la CEDH, le juge administratif doit confronter la directive transposée par la loi aux directives de droit communautaire primaire. En effet

Si la cour de justice a invalidé la directive, le juge administratif écartera la loi car il la considèrera comme inconventionnelle, parce que la directive est contraire à la CEDH, et si la cour dit que la directive est conforme au droit communautaire, alors le juge rejettera l’argument du requérant tiré de l’inconventionalité de la loi de transposition. Arrêt de Section 10 avril 2008 Conseil National des Barreaux.