Les sources internationales des libertés fondamentales

Le cadre international et européen des libertés fondamentales

Le droit international des droits de l’homme s’est considérablement développé depuis la Seconde Guerre mondiale, consolidant un cadre normatif destiné à garantir les droits fondamentaux universels. Cependant, cette évolution n’a pas été sans défis, notamment liés aux contextes géopolitiques, aux divergences d’interprétation et aux complexités d’application.

Le droit international des libertés fondamentales, basé sur des textes universels et soutenu par des institutions globales et régionales, cherche à garantir la dignité humaine. Cependant, il reste confronté à des défis complexes, notamment liés aux diversités culturelles, aux crises globales et aux limites des mécanismes de mise en œuvre. Les conflits armés, le changement climatique et les flux migratoires accentuent les violations des libertés fondamentales, nécessitant des réponses coordonnées de la communauté internationale.

Section 1 : Droit international et libertés fondamentales

Le droit international des libertés fondamentales se concentre sur la reconnaissance, la protection et la promotion des droits inhérents à tout individu, indépendamment de sa nationalité, de son origine ou de son appartenance à un État. Ce corpus juridique repose sur des traités, des conventions, des principes coutumiers, ainsi que sur la jurisprudence issue des instances internationales.

I)  L’évolution du droit international des droits de l’homme

La création des Nations Unies (ONU) a marqué un tournant majeur dans la reconnaissance des droits de l’homme comme sujet d’intérêt international. L’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme sont les principaux organes onusiens œuvrant pour la promotion et le suivi de ces droits.

a) Historique

  • Pendant la guerre froide, les tensions entre blocs idéologiques ont fortement limité les avancées en matière de droits humains, les alliances stratégiques empêchant parfois l’examen de certaines situations critiques. Ces blocages ont réapparu dans des contextes récents, avec des coalitions temporaires d’États visant à freiner des initiatives spécifiques.

  • Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on observe une multiplication des traités internationaux, tels que :

    • Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ;
    • Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

Ces instruments nécessitent une ratification par les États pour devenir contraignants. Toutefois, les pays libéraux ratifient ces traités plus fréquemment que les régimes autoritaires.

b) Les garanties des droits de l’homme

La protection des droits fondamentaux repose sur plusieurs mécanismes, à la fois nationaux et internationaux. Leur efficacité dépend de trois éléments essentiels :

  • Reconnaissance normative : Les droits doivent être reconnus par des textes juridiques nationaux ou supranationaux (par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la CEDH).
  • Mise en œuvre pratique : Les législateurs et les autorités administratives doivent garantir leur application.
  • Garantie juridictionnelle : Les juridictions nationales (constitutionnelles, administratives, judiciaires) et supranationales (CEDH, CJUE) assurent la protection effective des droits.

Historiquement, l’accent a varié :

  • Au 18ᵉ siècle, la reconnaissance des droits suffisait souvent ;
  • Au 19ᵉ siècle, leur mise en œuvre concrète est devenue prioritaire ;
  • Au 20ᵉ siècle, le rôle des juges a acquis une importance majeure, avec l’essor des juridictions spécialisées.

Cette prolifération de garanties, bien qu’indispensable, a entraîné des risques de divergences jurisprudentielles (entre les juridictions nationales et internationales) et de lenteurs procédurales, en raison des multiples voies de recours possibles.

c) Les divergences d’interprétation des libertés fondamentales

Les perceptions des libertés fondamentales varient selon les pays et leurs traditions juridiques :

  • États-Unis : La peine de mort reste légale dans plusieurs États, et l’attente prolongée dans les « couloirs de la mort » n’est pas considérée comme un traitement inhumain, contrairement à l’interprétation de la CEDH.
  • Royaume-Uni : Sans constitution écrite ni déclaration spécifique des droits, le Royaume-Uni s’appuie principalement sur la CEDH pour définir ses libertés fondamentales.
  • Allemagne : Elle a intégré certains droits de la CEDH dans sa Loi fondamentale, les qualifiant d’intangibles, renforçant ainsi leur protection.

 

II) Les Instruments internationaux de protection des libertés fondamentales

En complément des mécanismes internationaux, des institutions régionales (comme la Cour interaméricaine des droits de l’homme ou la Charte africaine des droits de l’homme) jouent un rôle croissant. Ces systèmes favorisent une approche contextualisée des droits fondamentaux, tout en ajoutant une couche supplémentaire de complexité au système global.

a) Les textes internationaux protecteurs des libertés et droits

  • Charte des Nations Unies (1945)

    • Ce document fondateur affirme l’égalité des droits et des libertés fondamentales pour tous les peuples. Les articles 1 et 55 établissent les bases de la coopération internationale pour promouvoir le respect universel des droits de l’homme.
  • Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948)

    • Bien qu’elle n’ait pas de force juridiquement contraignante, la Déclaration Universelle constitue une référence incontournable. Ses 30 articles établissent des normes universelles sur des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
  • Pactes Internationaux (1966)

    • Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) sont juridiquement contraignants pour les États parties. Ils développent les principes de la Déclaration Universelle en y ajoutant des mécanismes de surveillance, comme le Comité des droits de l’homme.

b) Les principaux droits protégés

  • Droits civils et politiques : Le droit à la vie, l’interdiction de la torture, le droit à un procès équitable, la liberté d’expression, et la liberté de religion figurent parmi les droits protégés par le PIDCP.

  • Droits économiques, sociaux et culturels : Ces droits, couverts par le PIDESC, incluent le droit au travail, à l’éducation, à un niveau de vie décent, et à la santé.

c) Les Institutions internationales et régionales

  • Organisation des Nations Unies (ONU) : Le Conseil des droits de l’homme et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme jouent un rôle central dans la supervision des droits fondamentaux.

  • Cour Pénale Internationale (CPI) : Compétente pour juger les crimes les plus graves, tels que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides.

  • Organisations régionales

    • Le droit des libertés fondamentales est également protégé à l’échelle régionale :
      • En Europe : La Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
      • En Afrique : La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
      • En Amérique : La Convention Américaine relative aux Droits de l’Homme.

 

Section 2 – Les libertés fondamentales au niveau européen

Au niveau européen, on distingue le Conseil de l’Europe et l’Union Européenne :

  • La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) est un traité international adopté en 1950 par le Conseil de l’Europe, une organisation intergouvernementale fondée pour promouvoir les droits humains, la démocratie et l’État de droit en Europe. La Cour européenne des droits de l’homme, créée par la CEDH, est une juridiction supranationale qui veille au respect des droits garantis par la Convention.
  • L’Union européenne a progressivement affirmé son rôle dans la protection des droits fondamentaux, avec des instruments comme la Charte des droits fondamentaux.

 I) Le Conseil de l’Europe et la Convention Européenne des droits de l’Homme

Créé dans le contexte de l’après-guerre, le Conseil de l’Europe a été fondé pour promouvoir la paix et les droits de l’homme en Europe. Il est né de l’élan du mouvement européen initié après la Seconde Guerre mondiale par des pays tels que le Benelux, le Royaume-Uni et la France. Aujourd’hui, le Conseil compte 46 États membres, certains n’étant pas géographiquement situés en Europe. Fondé sur des valeurs démocratiques, morales et spirituelles, il favorise le dialogue sur les droits humains, la diffusion d’informations et l’adoption de conventions internationales.

La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) est un traité international adopté en 1950 par le Conseil de l’Europe, une organisation intergouvernementale fondée pour promouvoir les droits humains, la démocratie et l’État de droit en Europe. La Cour européenne des droits de l’homme, créée par la CEDH, est une juridiction supranationale qui veille au respect des droits garantis par la Convention.

1. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)

Adoptée en 1950 et entrée en vigueur en 1953, la CEDH a été ratifiée par la France en 1974. En 1981, la France a également reconnu le droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ce texte codifie les grandes libertés fondamentales, avec un accent particulier sur le respect de la dignité humaine, influencé par une synthèse de pensée chrétienne et libérale. Parmi ses dispositions majeures, on retrouve :

  • L’interdiction de l’esclavage ;
  • Le respect du droit à la vie ;
  • L’interdiction des traitements inhumains et dégradants.

La CEDH est directement applicable dans les États membres, sans exigence de réciprocité. Les États et leurs organes doivent la mettre en œuvre. Cependant, l’article 15 autorise des dérogations temporaires en cas de crise exceptionnelle, sous contrôle du Conseil de l’Europe. Les États peuvent également formuler des réserves, bien que celles-ci soient strictement encadrées.

2. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)

Jusqu’en 1998, le système de la CEDH reposait sur une commission chargée de filtrer les requêtes et sur une cour saisie en dernier ressort. Le Protocole n° 11, signé en 1994 et entré en vigueur en 1998, a réformé ce mécanisme pour le rendre plus efficace. Désormais, la Cour européenne des droits de l’homme est un organe unique et permanent, composé de juges, un par État membre, élus par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

a) Les principales caractéristiques de cette juridiction sont :

  • Les affaires sont jugées par des chambres de sept juges, les requêtes manifestement infondées étant rejetées par un comité de trois juges.
  • Une grande chambre de 17 juges peut être saisie en cas de questions particulièrement complexes.
  • La formation plénière traite uniquement des questions administratives.

Bien que la Cour vise à traiter les affaires plus rapidement, l’augmentation du nombre d’arrêts a entraîné des critiques sur la qualité des motivations dans certains jugements.

Les décisions de la Cour, bien qu’elles n’aient d’effet juridique qu’à l’égard de l’affaire spécifique, bénéficient d’une autorité de chose jugée. Toutefois, elles ne contraignent pas directement les États à modifier leur législation ou leur jurisprudence. Les recours peuvent être introduits par :

  1. Un État membre du Conseil de l’Europe (recours interétatique) ;
  2. Une personne physique, même étrangère, se considérant victime directe ou potentielle d’une violation de la CEDH (recours individuel).

Les conditions de recevabilité incluent l’épuisement des recours internes et le respect d’un délai de six mois après la décision interne définitive.

b) La jurisprudence et l’interprétation de la CEDH

La Cour interprète la CEDH en reconnaissant des droits particulièrement protégés, notamment :

  • Articles 5 et 6 : Garanties d’un procès équitable et d’un délai raisonnable ;
  • Article 8 : Protection de la vie privée et familiale ;
  • Article 10 : Liberté d’expression et de communication.

En cas d’ingérence de l’État dans l’exercice d’une liberté, la Cour évalue sa légitimité en exerçant un contrôle de proportionnalité.

c) Critiques adressées à la Cour EDH ;

Malgré ses avancées, la Cour fait face à plusieurs critiques :

  • Une motivation insuffisante ou incohérente dans certains arrêts ;
  • Une tendance à adopter des interprétations évolutives, parfois perçues comme imprévisibles ;
  • Une prépondérance perçue comme un « gouvernement des juges », avec des décisions pouvant prévaloir sur les lois nationales ou la jurisprudence des juridictions internes.

En résumé, le Conseil de l’Europe, par l’intermédiaire de la CEDH et de sa Cour, joue un rôle central dans la protection des droits fondamentaux. Cependant, la question de l’efficacité et de la cohérence des décisions reste un défi majeur à relever.

II) L’UE et les droits fondamentaux : un acteur juridique en évolution face au Conseil de l’Europe

L’Union européenne (UE) se distingue de plus en plus comme un acteur juridique majeur, parfois perçu comme concurrent du Conseil de l’Europe, notamment en matière de protection des droits fondamentaux.

1. La protection des droits de l’homme en droit de l’Union européenne

À l’origine, les Communautés européennes avaient une finalité essentiellement économique. Cependant, cette perspective ne reflète qu’une partie des intentions des fondateurs. Le plan Schuman, par exemple, visait à instaurer un marché commun pour garantir la paix durable entre les États européens. Bien que le démarrage ait été pragmatique et économique, des principes fondamentaux ont rapidement émergé, tels que :

  • L’égalité entre les ressortissants des États membres ;
  • La liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services.

Les cours constitutionnelles italienne et allemande ont néanmoins exprimé des réserves. Elles ont affirmé qu’en cas de conflit entre le droit européen et les droits fondamentaux protégés par leurs constitutions nationales, ces derniers devaient prévaloir. En réaction, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a affirmé la primauté du droit européen tout en s’engageant à garantir le respect des droits fondamentaux, en s’inspirant des principes généraux du droit européen (PGDE), issus des traditions constitutionnelles des États membres.

Ces avancées ont été renforcées par les traités successifs, notamment :

  • Traité de Maastricht (1992) ;
  • Traité d’Amsterdam (1997).

L’article 6 du Traité sur l’Union européenne (TUE) consacre ces principes en affirmant que l’UE repose sur le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et des principes de l’État de droit.

2. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Adoptée lors du sommet de Nice en 2000, la Charte des droits fondamentaux constitue une œuvre collective des représentants des États membres, des parlements nationaux et du Parlement européen. Elle s’ouvre sur un préambule qui réaffirme les droits et valeurs fondamentaux. Ce texte constitue une codification des sources suivantes :

  • La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ;
  • La Charte sociale européenne ;
  • Les traités européens et la jurisprudence des cours européennes, notamment la CJCE et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

La Charte regroupe les droits de première génération (droits civils et politiques) et de deuxième génération (droits économiques et sociaux). Toutefois, initialement, elle n’avait pas de valeur juridique contraignante. Cette situation a changé avec le Traité de Lisbonne (2007), qui lui a conféré une force juridique équivalente aux traités de l’UE (article 6 TUE).

Cette évolution marque une étape majeure, mais elle soulève des interrogations quant à la coexistence de la Charte avec la CEDH. L’UE n’étant pas membre du Conseil de l’Europe, elle n’est pas tenue de respecter formellement la CEDH. Cette situation pourrait engendrer des conflits de compétence entre la CJUE (nouveau nom de la CJCE) et la Cour européenne des droits de l’homme.

Bien que cette dynamique renforce la protection des libertés, elle soulève des défis en termes de coordination avec les institutions du Conseil de l’Europe.

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