Les sources nationales des droits de l’homme
Les droits de l’Homme trouvent leur ancrage dans plusieurs sources juridiques nationales, reflétant un cadre normatif riche et hiérarchisé : la Constitution, les lois, et la jurisprudence. Ces sources interagissent pour garantir et mettre en œuvre les principes fondamentaux.
Section I : Le rôle de la Constitution et du Conseil Constitutionnel dans la protection des libertés fondamentales
La Constitution est la norme suprême du système juridique français. Elle garantit les droits fondamentaux en s’appuyant sur plusieurs textes fondamentaux comme a DDHC, les PFRPLR, le préambule de la Constitution de 1946. La suprématie constitutionnelle est devenue effective avec la mise en place du contrôle de constitutionnalité des lois, instauré par la Constitution de 1958. Ce contrôle garantit que les lois respectent les principes fondamentaux inscrits dans le bloc de constitutionnalité.
I) La légitimité du contrôle de constitutionnalité :
Le contrôle de constitutionnalité, essentiel à l’État de droit, repose sur deux piliers : la légitimité des juges constitutionnels eux-mêmes et celle de la Constitution en tant que norme suprême. Toutefois, ce mécanisme suscite des débats, notamment autour du risque d’un « gouvernement des juges » et de l’équilibre entre respect de la démocratie représentative et primauté de la Constitution.
- Le droit des libertés
- Les sources nationales du droit des libertés fondamentales
- Les sources internationales des libertés fondamentales
- Le droit à la vie face à l’avortement et à l’euthanasie
- La liberté de conscience : définition, sources, limites
- La liberté d’aller et venir
- Les libertés face à la procédure pénale (garde à vue, détention…)
A) La légitimité du juge constitutionnel
La légitimité des juges constitutionnels découle de plusieurs éléments qui justifient leur rôle dans le contrôle des lois :
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Une composition politique mais une fonction juridictionnelle :
- La composition du Conseil constitutionnel, souvent perçue comme politique, a fait l’objet de critiques. Cependant, ses membres, bien que désignés par des autorités politiques, doivent rendre des décisions juridictionnelles.
- Ces décisions sont appuyées par des arguments motivés, montrant que le Conseil ne se limite pas à des jugements d’opportunité.
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Répondre à l’accusation de gouvernement des juges :
- Le gouvernement des juges désigne la crainte que les juges constitutionnels puissent imposer leur vision au détriment des lois votées par les représentants élus du peuple.
- Pour éviter cette dérive, les juges doivent :
- S’appuyer strictement sur des textes écrits ;
- Éviter de créer des principes non écrits, jugés subjectifs ;
- Motiver leurs décisions de manière rigoureuse, garantissant leur cohérence et leur prévisibilité ;
- Rendre des décisions qui peuvent être surmontées démocratiquement : une révision de la Constitution peut contraindre le juge à revoir sa position.
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Comparaison France/États-Unis :
- En France, le Conseil constitutionnel est souvent plus prudent dans l’exercice de son rôle que la Cour suprême des États-Unis, dont les décisions marquent souvent des tournants historiques (ex. : droits civiques, avortement). Cette prudence contribue à préserver un équilibre entre respect de la démocratie et contrôle juridictionnel.
B) La légitimité de la Constitution
La légitimité de la Constitution repose sur sa nature et sa reconnaissance comme norme supérieure :
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La supériorité de la Constitution :
- La Constitution s’impose comme norme suprême car elle incarne le pacte social. Elle exprime la volonté générale, formant le fondement de l’ordre juridique.
- En France comme aux États-Unis, cette légitimité découle de l’adoption ou de la ratification par le peuple. Elle représente ainsi une expression démocratique directe ou indirecte.
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Les critiques sur la légitimité démocratique :
- En France, certains critiquent le fait que la Cinquième République n’ait pas été directement créée par une assemblée constituante populaire, remettant en question l’origine démocratique de la Constitution.
- Cependant, la Constitution acquiert sa légitimité par ses caractères essentiels :
- Solennité : elle est adoptée dans des conditions exceptionnelles ;
- Généralité : elle fixe des principes fondamentaux et universels ;
- Impersonnalité : elle dépasse les intérêts individuels ;
- Stabilité : elle garantit un cadre durable.
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L’acceptation croissante du contrôle de constitutionnalité :
- Dans les régimes démocratiques, il existe un consensus grandissant autour de la nécessité de protéger la Constitution contre des lois contraires à ses principes.
- Le contrôle de constitutionnalité garantit cet équilibre, bien que la crainte d’une ingérence excessive des juges demeure.
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L’équilibre entre démocratie et juridiction :
- Le contrôle de constitutionnalité ne doit pas entraver excessivement la souveraineté populaire. L’objectif est de trouver un équilibre entre :
- La garantie des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution ;
- La volonté des représentants du peuple, qui doivent pouvoir légiférer dans l’intérêt général.
- Le contrôle de constitutionnalité ne doit pas entraver excessivement la souveraineté populaire. L’objectif est de trouver un équilibre entre :
2) le rôle créateur du juge constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a progressivement affirmé un rôle créateur dans l’interprétation et la protection des droits fondamentaux, dépassant son rôle initial de simple arbitre des compétences entre pouvoirs constitutionnels. À travers ses décisions, il a contribué à préciser et à développer le cadre juridique des libertés fondamentales en France.
A) Définir les principes à valeur constitutionnelle : contours et portée
Le Conseil constitutionnel détermine quels principes ont une valeur constitutionnelle et en précise la portée. Les sources principales des droits fondamentaux se répartissent en quatre grandes catégories :
- La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC) ;
- Le Préambule de la Constitution de 1946 ;
- Certaines dispositions de la Constitution de 1958 ;
- Les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR).
Bien que ces normes soient issues de textes différents, le Conseil constitutionnel a établi qu’il n’existe pas de hiérarchie entre elles : elles bénéficient toutes d’une égalité normative. Cependant, certaines libertés sont mieux protégées en raison de leur importance, comme la liberté de la presse, considérée comme essentielle dans une démocratie.
Les décisions récentes du Conseil se caractérisent par des motivations plus détaillées, reflétant une jurisprudence enrichie et une interprétation plus fine des textes. Le juge constitutionnel, bien qu’il s’appuie sur des textes écrits, a exercé une véritable création jurisprudentielle pour adapter ces principes aux réalités contemporaines.
B) Contrôle de la répartition des compétences entre organes constitutionnels
Le Conseil constitutionnel joue un rôle essentiel dans la répartition des compétences :
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Pouvoir législatif et pouvoir réglementaire : Le Conseil veille à ce que le législateur et le pouvoir exécutif respectent leurs domaines respectifs, tels que définis par les articles 34 et 37 de la Constitution.
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Pouvoir judiciaire : Il garantit que l’indépendance du pouvoir judiciaire est respectée et que ses compétences ne sont pas empiétées par les autres pouvoirs.
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Pouvoir constituant et pouvoir constitué : Le Conseil s’assure que les organes de l’État exercent pleinement leurs compétences sans empiéter sur celles du pouvoir constituant, responsable des révisions constitutionnelles.
Cette fonction dépasse la simple application des règles : elle vise à préserver l’équilibre institutionnel et la séparation des pouvoirs, un pilier de l’État de droit.
C) Caractères juridiques d’un régime de liberté
Le législateur dispose d’une certaine liberté pour encadrer les droits fondamentaux, mais son pouvoir est soumis à des limites strictes :
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Garantir les libertés fondamentales : Le législateur ne peut priver une liberté d’un régime de garantie constitutionnelle. Toute modification doit renforcer ou préciser la protection existante.
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Incompatibilité avec le régime d’autorisation préalable :
- Un régime d’autorisation préalable (administrative ou judiciaire) est en principe incompatible avec les libertés fondamentales.
- Exceptionnellement, il peut être admis si des garanties strictes sont prévues, comme dans le domaine audiovisuel.
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Conditions de restriction des libertés : Le Conseil impose des exigences rigoureuses pour éviter des limitations abusives :
- La finalité et l’objectif de la restriction doivent être clairement définis.
- L’autorité compétente et les intervenants responsables doivent être identifiés, en privilégiant les juges judiciaires pour toute décision impactant les libertés.
- Les procédures doivent être précises et les restrictions soumises à un contrôle rigoureux.
- Des recours effectifs devant une autorité juridictionnelle doivent être garantis.
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Conformité au droit pénal :
- Les sanctions administratives doivent respecter les principes fondamentaux du droit pénal, tels que la légalité des peines, la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, et la nécessité des peines.
Section II : La mise en œuvre des principes fondamentaux
Les lois traduisent les principes constitutionnels en normes concrètes applicables à la société. Les juges jouent un rôle déterminant dans la mise en œuvre et l’interprétation des droits fondamentaux
I) La nécessité d’une intervention législative
1. Le déclin du mythe de la loi
Historiquement, notamment dans l’Antiquité et à travers des textes fondamentaux comme la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), la loi était perçue comme la garantie essentielle des libertés individuelles. Cependant, cette perception a évolué avec le temps, révélant un déclin de la confiance dans la loi.
Plusieurs facteurs illustrent cette érosion :
- La loi est désormais vue comme l’expression de la volonté politique majoritaire, ce qui la rend parfois partielle ou biaisée.
- Sous la Cinquième République, les lois sont devenues plus nombreuses, souvent instables et rédigées avec moins de rigueur, nuisant à leur respect et leur crédibilité. Une loi instable incite à attendre la suivante, ce qui mine l’autorité législative.
- Le Conseil constitutionnel a rappelé l’exigence de clarté et de qualité législative. Une circulaire signée par le Premier ministre Dominique de Villepin le 19 janvier 2006 a également souligné les principes d’une bonne législation, mais les critiques persistent.
Les lois non normatives, mal rédigées ou utilisées comme des outils d’effet d’annonce, aggravent ce phénomène. Certaines restent inappliquées, comme la loi de 1991 sur l’immigration, ce qui illustre le décalage entre la promulgation et l’exécution.
2. La nécessité fondamentale de la loi
Malgré ce déclin apparent, la loi reste une composante centrale de l’exercice des libertés. L’article 34 de la Constitution confère à la loi le rôle de fixer les règles relatives aux droits civiques et aux garanties fondamentales. Ce rôle est encadré par la jurisprudence :
- Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État veillent à ce que le législateur respecte les principes constitutionnels.
- Si une loi est manifestement disproportionnée ou dépourvue de finalité légitime, le Conseil constitutionnel peut censurer le texte, mais il n’a pas le pouvoir d’agir comme une troisième chambre législative.
La loi, œuvre des représentants élus, reste essentielle pour garantir un cadre stable aux libertés fondamentales. Ces libertés ne peuvent véritablement s’exercer sans un régime législatif structurant.
3. La nécessité de remédier au déclin législatif
Pour restaurer l’autorité et l’efficacité de la loi, plusieurs pistes sont envisageables :
a) Recours aux lois référendaires
Les référendums permettent de soumettre directement au peuple des textes relatifs aux droits et libertés fondamentaux. Cette approche démocratique pourrait renforcer la légitimité de la loi, en particulier dans des domaines touchant les droits des citoyens. Cependant :
- Les référendums restent politiquement controversés et rarement utilisés en France.
- Le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la constitutionnalité des lois issues de référendums, ce qui peut poser un problème en cas de conflit avec des principes supérieurs.
Il serait judicieux de consulter préalablement le Conseil constitutionnel sur les projets soumis à référendum pour garantir leur conformité avec la Constitution.
b) Développement des lois organiques
Une approche plus pragmatique consisterait à renforcer le rôle des lois organiques, prévues à l’article 46 de la Constitution. Ces lois permettent de mettre en œuvre directement les dispositions constitutionnelles, qu’il s’agisse de l’organisation des pouvoirs publics ou des droits et libertés fondamentaux.
- Les lois organiques offrent une stabilité accrue, étant soumises à des règles d’adoption plus strictes.
- Elles pourraient consolider le cadre juridique des libertés en leur conférant une force normative renforcée, tout en limitant les fluctuations législatives.
II) Le renforcement des garanties juridictionnelles :
Le rôle des juridictions et leur indépendance constituent une garantie essentielle des libertés fondamentales, notamment grâce aux évolutions apportées par le Conseil constitutionnel et les interventions législatives.
a) L’intervention du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a renforcé l’indépendance et la protection juridictionnelle des libertés fondamentales par des décisions majeures :
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Décision du 22 juillet 1980 : Le Conseil a affirmé que le principe d’indépendance des juridictions trouve son fondement dans l’article 64 de la Constitution. Ce principe garantit que l’autorité judiciaire est indépendante sous l’autorité du Président de la République.
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Décision du 28 juillet 1989 : La dualité des ordres juridictionnels (administratif et judiciaire) est reconnue comme ayant une valeur constitutionnelle, en vertu du principe de séparation des pouvoirs. Le Conseil exige que cette séparation des compétences entre les deux ordres soit respectée dans son ensemble.
-
Décision du 29 décembre 2005 (loi de finances rectificative pour 2005) : Une disposition législative cherchant à priver d’effet des décisions rendues par la CJCE et le Conseil d’État a été censurée, car elle portait atteinte au principe de séparation des pouvoirs.
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Décision du 19 janvier 2006 (loi sur le terrorisme) : Le Conseil a précisé les limites des pouvoirs de la police administrative, qui ne peut agir qu’à des fins préventives. Toute fonction répressive relève exclusivement du pouvoir judiciaire.
Ces décisions renforcent le contrôle de constitutionnalité comme un pilier essentiel de la protection des libertés.
b) L’intervention du législateur
L’indépendance des juges repose également sur des mécanismes législatifs :
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Conseil supérieur de la magistrature (CSM) : Depuis la réforme du 27 juillet 1993, le CSM, présidé par le Président de la République, est composé majoritairement de magistrats élus. En matière disciplinaire, il est présidé par le premier président de la Cour de cassation. Ces garanties renforcent l’indépendance du corps judiciaire.
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Cours administratives : L’indépendance de la juridiction administrative est garantie par le Conseil d’État, qui joue également un rôle clé dans la protection des droits fondamentaux.
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Article 6 de la CEDH : Cet article impose que toute personne ait droit à un procès équitable, impartial et indépendant. Cela renforce l’obligation pour les États de garantir des procédures judiciaires efficaces et impartiales.
L’indépendance des juridictions est essentielle pour assurer la protection des droits fondamentaux et l’application équitable de la loi.
III) Le développement des garanties non juridictionnelles
Outre les garanties juridictionnelles, des mécanismes non juridictionnels jouent un rôle croissant dans la protection des libertés.
a) Droit de pétition et opinion publique
- Le droit de pétition permet aux citoyens d’attirer l’attention des autorités sur des violations des libertés ou des dysfonctionnements.
- L’opinion publique agit comme un contre-pouvoir, exerçant une pression sur les décideurs politiques pour respecter les principes fondamentaux.
b) Théorie générale de la séparation des pouvoirs
La séparation des pouvoirs, essentielle à toute démocratie, s’étend au-delà des pouvoirs classiques :
- Hauriou, célèbre juriste, ajoute d’autres divisions :
- Pouvoir civil/religieux ;
- Pouvoir politique/économique ;
- Pouvoir civil/militaire.
Ces séparations élargies permettent de mieux encadrer l’exercice du pouvoir et de garantir les libertés.
c) Autorités administratives indépendantes (AAI)
Les AAI jouent un rôle central dans la protection des droits dans des secteurs spécifiques :
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Domaines d’action : Ces autorités interviennent dans des domaines sensibles comme :
- L’économie ;
- La communication (ex. : CNIL pour la protection des données personnelles) ;
- Les relations entre administration et administrés.
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Pouvoirs des AAI : Elles peuvent exercer :
- Un pouvoir consultatif ;
- Un pouvoir normatif dans leur champ de compétence ;
- Un pouvoir de sanction en cas de violation des règles.
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Garantie d’indépendance :
- Les membres des AAI doivent représenter des intérêts divers et posséder des compétences reconnues.
- Elles ne sont pas soumises au pouvoir hiérarchique mais relèvent du Conseil d’État et sont soumises aux principes du droit administratif.
Les AAI complètent les juridictions classiques en offrant des réponses plus spécialisées et parfois plus rapides à des problématiques complexes.