Les sources non écrites du droit (doctrine, coutume, usage…)

LES SOURCES NON ÉCRITES DU DROIT

    Le « Droit » est l’ensemble des règles impératives dont le but est d’organiser la vie en société. Ces règles ont été progressivement établies pour tenir compte des contraintes de la vie en société et surtout de l’évolution de cette société. La règle de droit peut être :

  • écrite (loi, règlement, traité, décret…)
  • non écrite (coutume, usage, doctrine, jurisprudence… ) : La coutume repose sur des pratiques acceptées socialement, les usages émergent des habitudes locales et professionnelles, la jurisprudence adapte le droit par les décisions judiciaires, et la doctrine propose des interprétations et solutions critiques. Ces sources assurent une flexibilité essentielle pour combler les lacunes législatives et s’ajuster aux besoins de la société.

Tableau des sources non écrites du droit

Source Définition Exemples et Application Rôle dans le Système Juridique
Coutume Règle non écrite fondée sur des pratiques sociales, perçue comme obligatoire. Solidarité des débiteurs en droit commercial, coutumes locales en propriété foncière. Complète la loi en l’absence de texte écrit ; adaptable et ancrée dans la société.
Usage Pratiques répétées dans un secteur ou une région, considérées comme normes implicites. Usages commerciaux dans le droit du travail, usages locaux dans des régions spécifiques. Règles tacites dans des domaines précis, parfois intégrées aux conventions collectives.
Jurisprudence Ensemble des décisions de justice servant à interpréter et préciser la loi en cas d’ambiguïté. Arrêts de la Cour de cassation ; arrêt Perruche, annulé par une intervention législative. Interprète la loi ; contribue à l’évolution du droit par des solutions jurisprudentielles.
Doctrine Études et analyses de juristes proposant des interprétations et des solutions aux zones d’ombre du droit. Publications juridiques, commentaires de lois et de décisions judiciaires. Influence indirecte sur les décisions de justice ; éclaire et guide les juges et législateurs.

 

I ) La coutume

La coutume est une règle de droit non écrite, issue des pratiques sociales et perçue comme ayant une force obligatoire. Contrairement à la loi, la coutume n’émane pas des pouvoirs publics, et son existence et sa force obligatoire dépendent de l’adhésion du corps social. Bien qu’elle soit moins prédominante que la loi, surtout dans les systèmes juridiques codifiés comme en France, la coutume reste une source importante du droit dans certains domaines et contextes, en particulier en l’absence de législation écrite.

1) Les éléments constitutifs de la coutume

La coutume repose sur deux éléments fondamentaux qui justifient son caractère obligatoire :

  • L’élément matériel : La coutume est une pratique répétée et constante dans le temps et l’espace, sans pour autant être immémoriale. Il s’agit d’un comportement ou d’une règle suivie de manière régulière, ce qui confère à la coutume son aspect stable.

  • L’élément psychologique : Ce composant exprime la conviction partagée par les individus concernés que la coutume a force de loi. Autrement dit, les membres de la société acceptent que la coutume doit être respectée comme une règle obligatoire. Par exemple, la solidarité en droit commercial repose sur cette conviction. Dans ce domaine, la solidarité entre débiteurs est une règle coutumière : en cas de dette commune, chaque débiteur est tenu pour la totalité de la créance vis-à-vis du créancier, qui peut exiger le paiement intégral de l’un d’eux, contrairement au droit civil où la solidarité doit être explicitement prévue par la loi ou le contrat.

2) Les rapports entre la loi et la coutume

En France, où le droit écrit domine, la coutume occupe une place secondaire. Depuis la promulgation du Code civil en 1804, la coutume est devenue marginale par rapport à la loi, bien que dans d’autres systèmes juridiques, notamment en Afrique, elle conserve une place primordiale.

La coexistence de la loi et de la coutume pose la question de leur articulation, bien que ces deux sources de droit soient de nature différente. Il n’y a donc pas de hiérarchie stricte entre elles, mais elles peuvent se compléter, coexister ou parfois s’opposer selon trois situations :

  • Secundum legem : La loi fait expressément référence à la coutume, qui s’applique alors en vertu d’une délégation légale. Par exemple, en matière de propriété foncière, les coutumes locales peuvent déterminer des aspects précis, comme les règles de construction ou l’utilisation des clôtures et des murs mitoyens. Dans ce cas, la coutume est directement intégrée dans le droit applicable.

  • Praeter legem : La coutume s’applique en l’absence de loi écrite, permettant de combler un vide juridique. Par exemple, la pratique pour une femme de porter le nom de son mari a longtemps été une coutume en l’absence de réglementation écrite. Bien que ces coutumes soient de plus en plus rares, elles persistent dans des domaines où la législation évolue plus lentement. Toutefois, si une lacune est identifiée, il est probable qu’elle soit rapidement comblée par une loi ou une décision jurisprudentielle, qui ont tendance à être plus réactives.

  • Contra legem : La coutume s’oppose parfois à une loi existante, et son application dépend alors du caractère impératif ou supplétif de cette loi. Si la loi est supplétive (applicable en l’absence de volonté contraire des parties), une coutume contraire peut la remplacer, car la loi n’a pas de caractère absolu. Cependant, si la loi est impérative, elle prime sur toute coutume contraire. Par exemple, l’article 931 du Code civil exige qu’une donation se fasse par acte notarié, mais certaines pratiques coutumières, comme le don manuel, dérogent à cette exigence. En matière bancaire, il est d’usage que les soldes débiteurs des comptes courants produisent des intérêts de plein droit, bien que la loi exige normalement que les intérêts soient stipulés.

Conclusion : Bien que la coutume souffre de l’absence de précision et de formalisation, elle se distingue par une adhésion naturelle du corps social, ce qui la rend plus en phase avec les réalités de certaines pratiques locales ou professionnelles. Son caractère spontané et adapté aux habitudes de la société en fait une source vivante et flexible du droit, complémentaire aux règles écrites et parfois plus proche des attentes des justiciables.

II) L’usage.

Les usages se définissent comme des règles issues de pratiques professionnelles ou locales, adoptées de manière répétée et tenues pour obligatoires par ceux qui les suivent. Ils s’établissent au fil du temps dans les relations entre acteurs d’un même secteur et créent des normes tacites dans des domaines spécifiques. On distingue deux types principaux d’usages :

  • Usages professionnels : Ces pratiques sont adoptées par les membres d’une même profession ou d’un même secteur d’activité et font partie intégrante des relations contractuelles, notamment en droit commercial et en droit du travail.
  • Usages locaux : Ces usages se limitent souvent à des régions spécifiques ou à des types d’activités économiques qui varient selon les particularités locales.

Bien que la coutume et les usages constituent une source importante du droit, ils ne sont pas formalisés par des textes écrits, ce qui les rend moins influents dans un système juridique dominé par la loi. Avec la montée en puissance des règles écrites, la coutume et les usages occupent désormais une place secondaire dans le cadre des sources du droit. Cependant, certains usages ont été intégrés dans les conventions collectives, notamment en droit du travail, pour garantir leur application et les préserver. En effet, lorsqu’un usage est consigné par écrit dans une convention collective, il peut être invoqué comme preuve en cas de litige, et il contribue également à l’uniformisation des règles dans le domaine concerné.

 

III) La jurisprudence.

La jurisprudence désigne l’ensemble des décisions de justice rendues par les tribunaux, qui permettent aux juges d’interpréter et de préciser le droit dans des situations où la loi est vague, silencieuse ou inexistante. Bien que la mission première des juges soit d’appliquer la loi, leurs décisions jouent souvent un rôle complémentaire en comblant les lacunes législatives et en adaptant le droit aux évolutions de la société.

La Cour de cassation occupe une place centrale dans l’uniformisation et la définition des règles de droit, ses décisions ayant une autorité particulière qui guide les juridictions inférieures.

Comment les juges créent-ils des règles de droit ?

Les juges, bien que chargés d’appliquer la loi, se trouvent parfois dans des situations où le texte législatif est absent ou ambigu. Deux raisons principales justifient leur intervention :

  1. Obligation de juger : L’article 4 du Code civil impose au juge de se prononcer, même en cas de silence de la loi. Le juge ne peut donc refuser de juger en invoquant l’absence de règle écrite, sous peine de commettre un dénis de justice. Cette obligation encourage les juges à interpréter les principes généraux ou à créer une règle adaptée aux circonstances.

  2. Création de règles en cas de lacune juridique : Lorsqu’il n’existe pas de règle claire, le juge doit trancher le litige, ce qui peut amener à créer une règle jurisprudentielle. Par exemple, l’article 180 du Code civil prévoit l’annulation d’un mariage en cas d’erreur sur la personne, sans préciser davantage. Ce sont donc les juges qui ont précisé les types d’erreurs permettant l’annulation du mariage. Cette interprétation a force de droit tant qu’aucune loi ne vient en préciser ou modifier les effets.

Le rôle de la Cour de cassation

La Cour de cassation ne juge pas les faits d’une affaire, mais vérifie si les règles de droit ont été correctement appliquées par les juridictions inférieures. Elle peut rendre deux types de décisions :

  • Arrêt de rejet : La Cour confirme que la juridiction inférieure a correctement appliqué le droit. Le procès est alors clos.
  • Arrêt de cassation : La Cour estime que la règle de droit a été mal appliquée et annule la décision rendue en première instance ou en appel. L’affaire est alors renvoyée devant une autre juridiction, ou dans certains cas, rejugée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation si les juges de fond persistent dans leur interprétation.

Les arrêts de la Cour de cassation servent de référence pour les juridictions inférieures, qui risquent de voir leurs décisions annulées si elles ne se conforment pas aux orientations jurisprudentielles de la Cour. Ainsi, le mécanisme du pourvoi en cassation permet à la Cour de cassation de jouer un rôle stabilisateur et d’imposer sa vision des règles de droit.

Limites de la jurisprudence et intervention législative

Bien que la jurisprudence contribue à l’élaboration du droit, elle reste subordonnée à la loi, qui peut corriger ou neutraliser certaines décisions judiciaires. Un exemple marquant est l’arrêt Perruche : dans cette affaire, la Cour de cassation avait permis à un enfant né avec un handicap grave de demander des dommages et intérêts en raison d’une erreur de diagnostic prénatal. Cette décision a suscité des débats intenses sur le droit de naître ou non, amenant le législateur à intervenir.

Ainsi, la loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades a stipulé que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du fait de sa naissance ». Ce texte législatif a mis fin à la jurisprudence Perruche, affirmant qu’il n’y a pas de droit à l’absence de naissance ni à une indemnisation fondée sur ce motif.

Conclusion : La jurisprudence est une source incontournable de l’évolution du droit. Elle permet aux juges d’interpréter et de combler les lacunes législatives, tout en s’adaptant aux réalités de la société. Cependant, le législateur garde la possibilité de modifier, voire d’invalider, une règle jurisprudentielle lorsque des enjeux de société l’exigent. En cela, la loi conserve toujours une primauté sur la jurisprudence, assurant la stabilité et la cohérence du droit.

IV) La doctrine

La doctrine regroupe les études et analyses de juristes – avocats, notaires, professeurs de droit, magistrats – qui, par leurs écrits, analysent, interprètent et critiquent les règles de droit existantes. Ces experts publient des articles et des ouvrages dans lesquels ils commentent les lois, examinent les décisions judiciaires et proposent des solutions en cas de vide juridique.

  • Rôle de la doctrine : La doctrine aide à éclairer les zones d’ombre du droit en proposant des interprétations, en offrant des pistes pour résoudre des conflits d’interprétation, et en suggérant des améliorations ou des adaptations aux nouvelles réalités sociales et économiques. Bien qu’elle ne soit pas contraignante, elle peut influencer les juges dans leurs décisions, notamment dans les affaires complexes où les règles écrites sont insuffisantes ou ambiguës.

  • Publications doctrinales : Les réflexions et analyses de la doctrine sont diffusées sous forme d’articles ou de commentaires dans des ouvrages spécialisés et des revues juridiques. Ces publications constituent une référence importante pour les professionnels du droit et sont souvent utilisées pour justifier des interprétations innovantes ou pour combler des lacunes dans les textes officiels.

Le cours d’introduction au droit privé est divisé en plusieurs fiches :     

Définition du droit          Les rapports entre le Droit et la Justice            Les sources non écrites du droit          Les sources écrites du droit (constitution, loi, traité…)           Droit subjectif         Application de la loi dans le temps et l’espace          Distinction acte juridique et fait juridique         Personne physique et personne morale       Les grands principes de procédure civile        Organisation juridictionnelle en France

EXERCICES D’APPLICATION

Exercice 1

Article 1135 du Code civil : « Toute convention oblige, non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature. »

Question : Quelles sont les sources de droit présentes dans cet article ?

Réponse :

Dans cet article, plusieurs sources de droit sont présentes :

  1. La loi : L’article 1135 du Code civil lui-même est une règle écrite, constituant une disposition législative.
  2. L’usage : Le texte mentionne « l’usage » comme source permettant d’interpréter et de compléter le contenu d’une convention. Cela renvoie à la coutume dite secundum legem, où la loi se réfère directement à l’usage pour renforcer ou expliciter une obligation contractuelle.
  3. L’équité : Bien qu’elle ne soit pas une source formelle du droit, l’équité est invoquée ici comme principe d’interprétation pour assurer la justice et l’équilibre dans l’exécution des conventions.

Ainsi, cet article combine des sources de droit écrites et non écrites, en intégrant l’usage et l’équité aux côtés de la loi pour réguler les obligations contractuelles.


Exercice 2

Situation : Pierre et Paul ont conclu en France un contrat inspiré d’un modèle américain, pour lequel une réglementation est en cours d’étude en France. Un litige survient entre eux, et le juge, saisi de l’affaire, refuse de statuer, arguant que la loi française réglementant ce type de contrat n’est pas encore promulguée.

Analyse :

En vertu de l’article 4 du Code civil, le juge est tenu de se prononcer même en cas de lacune législative ; il ne peut refuser de juger sous prétexte que la loi applicable n’existe pas encore, sous peine de commettre un déni de justice. Le juge doit donc :

  • Recourir aux autres sources de droit, notamment la jurisprudence et la doctrine, pour interpréter le contrat en question, et éventuellement compléter les règles en s’inspirant des principes généraux du droit français.
  • Appliquer des principes juridiques en vigueur et, si besoin, s’inspirer de la coutume (praeter legem) pour trancher le litige.

Ainsi, le refus du juge de statuer est injustifié, car même en l’absence de loi spécifique, il a le devoir de rendre une décision fondée sur les sources de droit existantes.


Exercice 3

Situation : Myriam a loué à son amie Sylvie un petit studio sans jamais appliquer l’augmentation de loyer prévue par la loi tous les trois ans, une pratique qu’elles considéraient comme « une coutume entre elles ». Quinze ans plus tard, Myriam, en difficulté financière, souhaite appliquer cette augmentation, tandis que Sylvie s’y oppose en invoquant cette coutume.

Analyse :

Le bail est un contrat synallagmatique ou bilatéral : le bailleur (Myriam) est tenu de garantir la jouissance paisible du bien, tandis que le preneur (Sylvie) doit payer le loyer. En droit, les règles d’indexation ou de révision des loyers sont prévues par la loi, sauf stipulation contraire. Dans cette situation, nous avons deux éléments en présence :

  1. La loi : Elle impose la possibilité d’augmenter le loyer selon une périodicité fixée (ici, tous les trois ans).
  2. Une pratique entre les parties : L’absence d’augmentation du loyer pendant 15 ans. Sylvie invoque cette pratique comme une coutume « contra legem », qui serait en conflit avec l’obligation légale d’indexation.

Conclusion :

La « coutume » évoquée ici ne constitue pas une véritable coutume contra legem puisqu’il s’agit d’une pratique informelle entre deux amies et non d’une règle générale partagée par un groupe social plus large. Elle ne peut donc prévaloir sur la loi. Par conséquent, Myriam est dans son droit de demander l’application de l’augmentation légale prévue, et Sylvie ne peut s’opposer sur le fondement de cette pratique privée.

 

 

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