La souveraineté : les théories théocratiques et démocratiques

Les fondements de la souveraineté

L’origine du pouvoir constitue un fondement essentiel pour solliciter l’adhésion des citoyens et justifier l’exercice du pouvoir. La légitimité d’un régime politique repose sur la manière dont ce pouvoir est transmis et exercé. Un gouvernement dont l’accès au pouvoir est jugé irrégulier ou contraire aux normes établies est considéré comme illégitime. Historiquement, deux grandes théories se sont distinguées pour fonder la légitimité des régimes politiques.

En résumé, les théories théocratiques de la souveraineté reposent sur une origine divine du pouvoir, distinguant le droit divin surnaturel (pouvoir conféré directement par Dieu) et le droit divin providentiel (médiation humaine sous guidance divine). Les théories démocratiques attribuent la souveraineté aux citoyens : la souveraineté populaire, prônée par Rousseau, valorise la démocratie directe, tandis que la souveraineté nationale privilégie une représentation par des élus agissant pour la collectivité.

Comparatif des théories de la souveraineté

Aspect clé Théories Théocratiques Théories Démocratiques
Origine du pouvoir Volonté divine (directe ou guidée par la providence) Citoyens, selon des principes de liberté et d’égalité
Types principaux – Droit divin surnaturel : Dieu désigne directement les gouvernants
– Droit divin providentiel : pouvoir transmis par la communauté
– Souveraineté populaire : démocratie directe ou mandat impératif
– Souveraineté nationale : pouvoir exercé par élus
Rôle du peuple Inexistant (surnaturel) ou participatif mais guidé (providentiel) Central (populaire) ou indirect (nationale)
Mode d’exercice Absolutisme du dirigeant, souvent sacralisé Direct (référendums) ou indirect via des représentants
Exemples historiques Sacre des rois en France (surnaturel), monarchies providentialistes Référendums en Suisse (populaire), démocraties parlementaires comme la France ou l’Allemagne (nationale)
Conséquences politiques Légitimité divine absolue, justifiant souvent un despotisme
Flexibilité relative selon le rôle de la providence
Participation populaire accrue (populaire), éloignement potentiel du peuple et dérive oligarchique (nationale)
Critiques principales Justification de l’autoritarisme, absence de contre-pouvoirs Dictature de la majorité (populaire), souveraineté abstraite et gouvernants déconnectés (nationale)

 

A. Les théories théocratiques de la souveraineté

 

Les théories théocratiques de la souveraineté se fondent sur l’idée que le pouvoir politique tire son origine de la volonté divine. Dans ce cadre, les gouvernants exercent leur autorité en vertu d’un droit conféré par Dieu. Ce type de doctrine s’est largement développé dans les sociétés où la religion jouait un rôle central dans l’organisation politique et sociale. On distingue principalement deux doctrines majeures : le droit divin surnaturel et le droit divin providentiel.

 

1. La doctrine du droit divin surnaturel

1. Les fondements de la doctrine

La doctrine du droit divin surnaturel affirme que le pouvoir politique émane directement de Dieu, sans médiation humaine.

  • Dieu choisit personnellement les gouvernants, qui sont investis de leur mission par des cérémonies sacrées (comme le sacre des rois).
  • Le rôle du peuple est nul dans cette conception, car seul Dieu détermine qui doit gouverner.

2. Exemple historique

  • En France, les rois de l’Ancien Régime étaient sacrés à Reims, ce qui renforçait leur légitimité divine.
    • Louis XIV, par exemple, se considérait comme le « Roi-Soleil », un monarque de droit divin, responsable uniquement devant Dieu pour ses actions.
    • Cette conception excluait toute remise en cause du pouvoir royal par les sujets, sous peine d’aller à l’encontre de la volonté divine.

3. Conséquences politiques

  • Le roi ou le gouvernant est perçu comme l’intermédiaire entre Dieu et les hommes, ce qui renforce son autorité absolue.
  • Les lois et décisions du gouvernant sont considérées comme infaillibles, car elles reflètent la volonté de Dieu.
  • Ce modèle a souvent servi à justifier le despotisme, puisque tout opposition au pouvoir était assimilée à une rébellion contre Dieu.

 

 

2. La doctrine du droit divin providentiel

1. Les fondements de la doctrine

Cette doctrine, inspirée des enseignements de Saint Paul, nuance le droit divin en introduisant une participation humaine à l’établissement du pouvoir.

  • Selon Saint Paul : « Tout pouvoir vient de Dieu », mais ce sont les hommes, guidés par la providence divine, qui déterminent la forme de ce pouvoir.
  • Ainsi, Dieu confie le pouvoir à une communauté, qui, à son tour, le délègue aux dirigeants.

2. Le rôle de la providence

Dans cette vision, la providence divine guide les choix humains :

  • Les hommes adoptent la forme de gouvernement la plus adaptée à leur situation (monarchie, oligarchie, république), mais ils sont inspirés par Dieu dans leurs décisions.
  • Les dirigeants, bien que choisis par les hommes, exercent leur autorité comme une mission divine.

3. Le droit divin populaire

Contrairement à la doctrine surnaturelle, le droit divin providentiel introduit une dimension communautaire :

  • Le pouvoir n’est pas directement attribué par Dieu au dirigeant, mais transmis par l’intermédiaire du peuple ou de la communauté.
  • Cette vision ouvre la voie à une forme embryonnaire de légitimité populaire, même si elle reste subordonnée à l’idée d’une origine divine.

4. Conséquences politiques

  • La doctrine providentialiste met davantage l’accent sur la responsabilité des dirigeants envers leur communauté, bien que leur autorité reste divine.
  • Elle est plus flexible et adaptable aux contextes politiques variés, justifiant aussi bien des monarchies que des gouvernements oligarchiques ou républicains.

 

 

B. Les théories démocratiques de la souveraineté

 

Les théories démocratiques de la souveraineté, qui trouvent leurs racines dans la philosophie politique des Lumières, établissent que le pouvoir émane des citoyens. Ces théories, formulées à partir de 1789, se répartissent principalement en deux modèles : la souveraineté populaire et la souveraineté nationale. Bien qu’elles partagent une origine démocratique, elles diffèrent profondément dans leur conception de l’exercice et de la répartition du pouvoir.

 

1. La théorie de la souveraineté populaire

1. Les fondements philosophiques selon Rousseau

La théorie de la souveraineté populaire repose sur les idées développées par Jean-Jacques Rousseau, notamment dans son ouvrage Du Contrat Social.

  • L’origine du pouvoir : Rousseau affirme que les hommes naissent libres et égaux ; par conséquent, la souveraineté appartient intrinsèquement à chaque citoyen.
  • La mise en commun de la souveraineté : chaque individu accepte volontairement de mettre en commun sa part de souveraineté, permettant ainsi la création d’une volonté générale.

2. Les conséquences de la souveraineté populaire

Cette conception entraîne quatre conséquences majeures :

  1. Une démocratie directe : Puisque chaque citoyen détient une fraction de la souveraineté, tous doivent participer directement à la prise de décisions sur les affaires publiques.
    • Ce modèle repose sur une implication constante des citoyens dans les processus législatifs et politiques.
  2. Le recours à des délégués : Dans les sociétés complexes où une démocratie directe est impraticable, les citoyens désignent des délégués pour exécuter leurs volontés.
  3. Le mandat impératif : Contrairement à la souveraineté nationale, cette théorie exclut les représentants indépendants. Les délégués sont liés par un contrat précis : ils doivent suivre à la lettre les instructions de leurs électeurs.
  4. Le risque de dictature de la majorité : Cette approche peut aboutir à une soumission de la minorité aux décisions de la majorité, ce qui soulève des questions sur la protection des droits individuels et des minorités.

3. Les critiques de la souveraineté populaire

  • Impraticabilité dans les sociétés modernes : La participation directe de chaque citoyen sur chaque question est irréalisable à grande échelle.
  • Rigidité du mandat impératif : Il limite l’adaptabilité des délégués face à des situations imprévues.
  • Le risque d’oppression majoritaire : La démocratie directe, sans protection des minorités, peut devenir tyrannique.

 

2. La théorie de la souveraineté nationale

 

1. Les principes fondamentaux

Contrairement à la souveraineté populaire, la souveraineté nationale ne réside pas dans les individus pris isolément, mais dans une entité collective : la Nation.

  • La Nation comme titulaire unique de la souveraineté : Cette souveraineté est indivisible et inaliénable, car elle appartient à la collectivité globale et non aux citoyens individuellement.
  • Une souveraineté exercée par des représentants : La Nation, en tant qu’entité abstraite, ne peut agir directement ; elle confie donc son pouvoir à des représentants qui agissent en son nom.

2. Les conséquences de la souveraineté nationale

Cette théorie aboutit à trois conséquences clés :

  1. Une souveraineté unique et indivisible : Contrairement à la souveraineté populaire, elle n’est pas fragmentée entre des millions de citoyens. Elle appartient exclusivement à la Nation, entité collective supérieure aux individus.
  2. Le rôle essentiel des représentants : La Nation, ne pouvant s’exprimer directement, doit déléguer son pouvoir à des représentants, qui agissent non pour des intérêts individuels mais pour le bien commun.
  3. L’électorat de fonction : Les citoyens n’expriment pas leur souveraineté individuelle en votant ; ils exercent une fonction au service de la Nation.
    • Cela justifie des restrictions sur le droit de vote (par exemple, en excluant certains groupes) ou même le rendre obligatoire, car le vote est perçu comme un devoir civique et non comme un droit individuel.

3. Les critiques de la souveraineté nationale

  • Éloignement du peuple : La représentation éloigne le pouvoir des citoyens, laissant place à des gouvernants souvent perçus comme déconnectés de leurs préoccupations.
  • Une souveraineté abstraite : En concentrant la souveraineté dans une entité immatérielle (la Nation), cette théorie peut sembler confisquer le pouvoir aux citoyens.
  • Risque de dérive oligarchique : Les représentants, une fois élus, disposent d’une autonomie qui peut les éloigner de la volonté populaire.
Critères Souveraineté populaire Souveraineté nationale
Titulaire de la souveraineté Chaque citoyen individuellement La Nation, entité collective et abstraite
Mode d’exercice Direct ou par mandat impératif Par des représentants avec une autonomie relative
Mandat des représentants Impératif : ils doivent suivre strictement les instructions Libre : ils agissent pour la Nation sans être liés aux électeurs
Risque principal Dictature de la majorité, marginalisation des minorités Dérive oligarchique, éloignement entre gouvernants et gouvernés

 

 Application de la théorie de la souveraineté nationale dans les systèmes modernes

1. Une combinaison des deux théories

Les régimes démocratiques modernes s’inspirent souvent des deux modèles :

  • La souveraineté nationale constitue la base de la plupart des démocraties représentatives, où des élus exercent le pouvoir au nom de la collectivité.
  • Certains éléments de la souveraineté populaire subsistent, notamment dans les référendums ou les initiatives citoyennes, où les individus participent directement à la prise de décisions.

2. Exemples de mise en œuvre

  • Souveraineté populaire : Les cantons suisses adoptent des formes proches de la démocratie directe, où les citoyens participent directement à l’élaboration des lois.
  • Souveraineté nationale : Les démocraties parlementaires (comme en France ou en Allemagne) reposent sur la souveraineté nationale, avec des représentants élus pour exercer le pouvoir en fonction de l’intérêt général.

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