LES TITULAIRES DE LA SOUVERAINETÉ

Avant la période de la Révolution et du siècle des lumière, la souveraineté était royale car le roi tenait le pouvoir de Dieu :

  • Sous l’Ancien Régime, la souveraineté était incarnée par le roi, qui tenait son pouvoir de Dieu. Cette légitimité de droit divin faisait du roi le propriétaire de la souveraineté, et non un simple dépositaire ou mandataire.
  • Le roi exerçait un pouvoir absolu, centralisé et indivisible, tout en considérant qu’il agissait pour le bien de ses sujets, mais sans leur participation directe ou indirecte.

L’émergence des théories modernes de souveraineté

Cette conception a été remise en cause par les Lumières et les révolutions, qui ont cherché à transférer la souveraineté du monarque au peuple, considérant que le pouvoir devait émaner de la collectivité et non d’un individu.

Les théories de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire ont été élaborées en réaction à cette conception patrimoniale du pouvoir. Elles partagent un objectif commun :  Reconnaître le peuple comme le véritable détenteur du pouvoir.

Cependant, elles diffèrent sur les moyens d’organiser et d’exercer ce pouvoir.

  1. La souveraineté nationale

    • Défendue par l’abbé Sieyès et consacrée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, elle repose sur l’idée que le pouvoir appartient à une entité abstraite : la nation.
    • La nation transcende les individus qui la composent. Elle est une personne morale indivisible qui exprime la volonté générale par l’intermédiaire de représentants.
  2. La souveraineté populaire

    • Théorisée par Rousseau dans son Contrat social, cette conception considère que le pouvoir appartient directement aux citoyens.
    • La souveraineté est fragmentée en parts égales entre tous les citoyens, chacun exerçant directement ou indirectement sa portion de souveraineté.
    • La souveraineté populaire repose sur une compréhension directe du terme « démocratie » :
      • Le peuple est le titulaire exclusif du pouvoir.
      • Chaque individu possède une part égale de souveraineté.

I  – La souveraineté populaire

La souveraineté populaire, défendue par Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social, repose sur l’idée que la souveraineté appartient directement à l’ensemble des citoyens. Elle est fractionnée entre eux, chaque individu possédant une part égale de souveraineté.

Rousseau considère que :

« La souveraineté, étant l’expression de la volonté générale, ne peut se déléguer. »

Cela signifie que l’autorité politique découle des volontés individuelles, qui, une fois additionnées, forment la volonté générale.

Conséquences principales de la souveraineté populaire

  1. Rejet du régime représentatif et promotion de la démocratie directe

    • Selon Rousseau, la souveraineté ne peut être déléguée à des représentants, car elle réside dans chaque citoyen.
    • La démocratie directe est donc l’idéal dans cette théorie : les citoyens doivent être consultés directement sur chaque décision à prendre.
    • Toutefois, pour des raisons pratiques (notamment dans les États modernes avec de vastes populations), Rousseau accepte la possibilité de désigner des délégués, qu’il appelle commissaires. Ces commissaires :
      • Agissent en tant qu’agents du peuple, non en tant que représentants de la volonté générale.
      • Sont liés par un mandat impératif, qui les oblige à respecter strictement les instructions données par le peuple.
  2. Le suffrage comme droit universel

    • La souveraineté populaire implique que chaque citoyen a un droit naturel à exercer sa part de souveraineté.
    • Le suffrage est donc universel, car aucun citoyen ne peut être privé de ce droit fondamental.
    • Le vote permet :
      • De ratifier les lois.
      • De désigner les délégués chargés d’exercer une fonction précise.

Application historique en France

  1. Constitution de 1793 : La souveraineté populaire est affirmée pour la première fois dans l’article 25 de la Constitution de 1793 :

    « La souveraineté appartient au peuple. »

    • Elle établit le suffrage universel, bien que celui-ci n’ait pas été effectivement appliqué en raison des circonstances (notamment la Terreur révolutionnaire).
  2. Constitution de 1795 : L’article 2 précise que :

    • « L’universalité des citoyens français est souveraine. »

Cependant, cette conception n’a pas durablement influencé le cadre institutionnel français. Dès 1789, les révolutionnaires ont préféré la théorie de la souveraineté nationale, jugée plus adaptée à un régime représentatif et moins sujette aux dérives potentielles d’une démocratie directe.

Critiques et limites de la souveraineté populaire

  1. Impossibilité pratique de la démocratie directe

    • Dans des États modernes et complexes, réunir l’ensemble des citoyens pour prendre chaque décision est irréaliste.
    • Le recours à des délégués, bien que prévu par Rousseau, compromet l’idéal de souveraineté directe, notamment en raison des risques d’abus ou d’influence des commissaires.
  2. Problème du mandat impératif

    • Le mandat impératif lie strictement les délégués à la volonté du peuple. Cependant, cela peut :
      • Entraver leur liberté de jugement dans des situations complexes ou imprévues.
      • Rendre difficile la prise de décisions rapides.
  3. Risque de tyrannie de la majorité

    • L’addition des volontés individuelles pour former la volonté générale peut marginaliser les minorités.

 

II – La souveraineté nationale

Bien que souvent associée à l’abbé Sieyès en 1789, la notion de souveraineté nationale remonte à des idées développées bien avant la Révolution française. Elle trouve son fondement juridique dans l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :

« Le principe de toute souveraineté réside dans la nation ; nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »

Cette conception se distingue de la souveraineté populaire par le fait qu’elle repose sur la nation en tant qu’entité abstraite et collective, plutôt que sur l’ensemble des citoyens pris individuellement.

Caractéristiques principales de la souveraineté nationale

  1. La nation comme entité abstraite et indivisible

    • Contrairement à la souveraineté populaire, où chaque citoyen possède une part de souveraineté, la souveraineté nationale est unique et indivisible.
    • La nation, conçue comme une personne morale, incarne une volonté collective unique. Elle transcende les individus et ne peut se diviser ni être fragmentée.
  2. Exercice par délégation

    • Étant une entité abstraite, la nation ne peut exercer directement sa souveraineté. Celle-ci est obligatoirement déléguée à des représentants physiques qui agissent en son nom.
    • Ces représentants incarnent la volonté nationale et non celle de leurs électeurs particuliers ou de leurs circonscriptions.
  3. Représentation obligatoire

    • La souveraineté nationale postule un régime représentatif, où les représentants expriment la volonté de la nation tout entière.
  4. Le rôle des électeurs

    • Les électeurs, en désignant les représentants, exercent une fonction et non un droit. Leur rôle est de choisir les meilleurs représentants pour exprimer la volonté de la nation.
    • Cette logique, bien qu’associée à un suffrage restreint ou élitiste dans le passé, n’exclut pas l’usage du suffrage universel.

Mandat représentatif

  • Les élus disposent d’un mandat représentatif, ce qui signifie qu’ils agissent selon leur intime conviction et non sous l’influence ou la pression directe de leurs électeurs.
  • Les représentants ne sont pas considérés comme des délégués au service de leurs électeurs, mais comme les porte-parole de la volonté générale exprimée par la nation.
  • Ils ne sont pas soumis à un mandat impératif (c’est-à-dire des consignes strictes de leurs électeurs) et ne peuvent être révoqués avant la fin de leur mandat, sauf lors des élections suivantes, où les électeurs peuvent sanctionner ou renouveler leur confiance.

Conséquences de la souveraineté nationale sur l’exercice du pouvoir

  1. Système représentatif

    • Le régime représentatif est la conséquence logique de la souveraineté nationale.
    • Les décisions politiques sont prises par des représentants qui incarnent la nation et non par l’ensemble des citoyens directement.
  2. Absence de lien direct entre électeurs et élus

    • Contrairement à la souveraineté populaire, où les représentants agissent comme des délégués des citoyens, les élus dans un régime de souveraineté nationale représentent la nation dans son ensemble.
  3. Mandat non révocable

    • Le mandat représentatif confère aux élus une indépendance dans l’exercice de leurs fonctions. Ils ne sont pas tenus de consulter constamment leurs électeurs ni de suivre leurs instructions, mais d’agir en fonction de l’intérêt général.

III – Résumé sur l’opposition souveraineté nationale et souveraineté populaire :

Bien que la souveraineté nationale et la souveraineté populaire visent toutes deux à organiser la participation des citoyens au pouvoir, elles diffèrent fondamentalement dans leurs implications :

Souveraineté nationale Souveraineté populaire
La nation est une entité abstraite et indivisible. La souveraineté est répartie entre tous les citoyens.
Régime représentatif obligatoire. Possibilité de démocratie directe ou déléguée.
Mandat représentatif : les élus agissent en conscience. Mandat impératif : les élus doivent suivre les consignes de leurs électeurs.
Les électeurs exercent une fonction (choisir les meilleurs). Les électeurs exercent un droit naturel de participation.
Absence de contrôle direct des élus pendant leur mandat. Révocation possible des élus en cas de désaccord.

 

Bien que les théories de la souveraineté cherchent à attribuer le pouvoir au peuple ou à la nation, leur application pratique reste marquée par des limites.

  • Le suffrage universel, bien qu’universalement reconnu comme un droit fondamental, est exercé de manière encadrée.
  • Les régimes représentatifs, tout en permettant une gestion efficace du pouvoir, éloignent souvent les citoyens des décisions directes.
  • Les partis politiques, en structurant le paysage électoral, jouent un rôle ambigu entre facilitation de la participation et captation des choix.

1) La souveraineté populaire : une conception littérale de la souveraineté

La souveraineté populaire, développée notamment par Jean-Jacques Rousseau, repose sur une compréhension directe du terme « démocratie » :

  • Le peuple est le titulaire exclusif du pouvoir.
  • Chaque individu possède une part égale de souveraineté.

Dans cette vision, la légitimité provient de l’idée que chaque citoyen a un droit naturel à participer à l’exercice du pouvoir. La souveraineté est donc perçue comme un droit individuel, exercé collectivement.

  • Mode d’exercice : la participation peut être directe (via le référendum) ou indirecte (par des représentants strictement mandatés).
  • Caractéristiques :
    • Le suffrage est universel et inaliénable.
    • Les représentants doivent agir sous le contrôle permanent des citoyens et peuvent être révoqués.
    • La volonté générale, fruit de la somme des volontés individuelles, est l’unique source légitime de pouvoir.

La souveraineté populaire repose sur une vision égalitaire et engage chaque citoyen dans la gestion du pouvoir. Toutefois, cette conception peut entraîner des dérives vers une tyrannie de la majorité, où les minorités peuvent se retrouver sans protection face aux décisions majoritaires.

2) La souveraineté nationale : une conception libérale

La souveraineté nationale, théorisée par l’abbé Sieyès, émerge dans un contexte où les révolutionnaires bourgeois cherchent à encadrer le pouvoir démocratique pour éviter les abus possibles d’un pouvoir exercé directement par le peuple.

Dans cette conception :

  • La souveraineté appartient à une entité abstraite : la nation.

  • La nation, en tant que collectif, transcende les individus qui la composent. Elle représente un intérêt supérieur, distinct des volontés particulières.

  • Mode d’exercice :

    • Les citoyens ne participent pas directement à l’exercice du pouvoir. Ils délèguent leur souveraineté à des représentants qui agissent en leur nom.
    • Ces représentants disposent d’un mandat représentatif, ce qui signifie qu’ils ne sont pas liés par les instructions de leurs électeurs et ne peuvent être révoqués.
  • Caractéristiques :

    • Le suffrage est vu comme une fonction, pas comme un droit naturel. Il peut être restreint (par le cens, par exemple).
    • Les élus agissent en fonction de leur conscience, sans être contraints par les volontés particulières.
    • Cette conception met l’accent sur la stabilité institutionnelle et la protection contre les passions populaires.

La souveraineté nationale reflète une vision élitiste de la démocratie, où l’autorité repose sur des représentants censés mieux comprendre l’intérêt général que les citoyens eux-mêmes.

 

 

Le Cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs fiches :

Isa Germain

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